16 janvier 2007
À Cana
... DES NOCES ÉTERNELLES
La suite ici :
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Jean 2:1-12 :
1 Or, le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée et la mère de Jésus était là.
2 Jésus lui aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples.
3 Comme le vin manquait, la mère de Jésus lui dit: "Ils n’ont pas de vin."
4 Mais Jésus lui répondit: "Que me veux-tu, femme? Mon heure n’est pas encore venue."
5 Sa mère dit aux serviteurs: "Quoi qu’il vous dise, faites-le."
6 Il y avait là six jarres de pierre destinées aux purifications rituelles; elles contenaient chacune de deux à trois mesures.
7 Jésus dit aux serviteurs: "Remplissez d’eau ces jarres"; et ils les emplirent jusqu’au bord.
8 Jésus leur dit: "Maintenant puisez et portez-en au maître du repas." Ils lui en portèrent,
9 et il goûta l’eau devenue vin-il ne savait pas d’où il venait, à la différence des serviteurs qui avaient puisé l’eau, aussi il s’adresse au marié
10 et lui dit: "Tout le monde offre d’abord le bon vin et, lorsque les convives sont gris, le moins bon; mais toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à maintenant!"
11 Tel fut, à Cana de Galilée, le commencement des signes de Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.
12 Après quoi, il descendit à Capharnaüm avec sa mère, ses frères et ses disciples; mais ils n’y restèrent que peu de jours.
*
Rien de plus sain qu'une fête, des noces, la joie. On a souvent remarqué cet aspect de ce passage, et il faut le rappeler. Jésus ne dédaigne pas les réjouissances d'une fête toute humaine. Un repas de mariage, que le texte nous présente comme célébré parmi des proches ou des amis de sa mère (v.1) ; et qui va illustrer la joie à la résurrection (v.1 : le troisième jour), renvoyant donc à Pâques et aux noces de l’agneau.
Voilà donc dans notre texte un repas de mariage où Jésus est invité aussi, ainsi que ses disciples. C'est que, dans la civilisation de la Palestine d'alors, les fêtes de noces sont un événement considérable, qui dure toute la semaine ; et on n’invite pas seulement les amis, mais les amis des amis, qui se trouvent naturellement en pareille circonstance être eux-mêmes des amis et avoir aussi des amis qui du coup accèdent aussi au cercle des amis. La joie s'étend aux cercles les plus larges.
Sens du don et de la générosité, qui déborde tout particulièrement dans la joie ; un peu comme celle que donne l'Esprit saint, et qui ne connaît pas de calculs ni de lendemains, surtout, précisément, dans la joie. Jésus fera allusion à cela en évoquant, dans la parabole des noces, les invités du bord du chemin.
La famille en joie veut du monde pour partager sa joie. Et veut y prendre du temps. Ici la fête a beaucoup duré. Et voilà que le vin vient à manquer. Et la famille se sent au bord de l’humiliation. Les convives sont en passe de ne pas être honorés comme il se doit. Non pas que le maître ait été chiche, ou plus pauvre qu'il aurait voulu le laisser paraître, mais plutôt que la joie ayant été très grande, le vin a coulé, coulé, coulé. À cette fête que Jésus n'a pas dédaigné d'honorer de sa présence.
Il y a un temps pour tout, y compris pour la fête, qui n'a pas à être bridée parce que ce n'est pas tous les jours la fête, au contraire précisément, et tant pis pour les lendemains. Le Dieu qui pourvoit à la joie pourvoit à plus forte raison au quotidien. "Ne vous inquiétez pas pour vos lendemains, remettez cela à Dieu", dit Jésus.
Le vin vient donc à manquer avant qu'il n'ait suffisamment réjoui le cœur des participants. La nouvelle du problème commence à courir. On s'informe l'un l'autre : la fête risque bien d'être abrégée. Marie informe son fils. Et voilà de la part de Jésus une réaction étrange.
*
Jésus apparemment, perçoit cette information comme une interpellation. Venu en ce monde pour ce monde, ce qui l'entoure l'interpelle. Combien de fois ne le voyons-nous pas faire des miracles par compassion, apparemment à côté du sens qui est celui de tous ses miracles. Apparemment seulement, parce que fussent-ils œuvres de compassion, les miracles de Jésus sont toujours chargés d'une plénitude de sens qui en fait autant de portes ouvertes sur la vie spirituelle. Ce sens est d'ailleurs sans doute fort lié à ce que le monde l'interpelle, — comme on dit —, ne le laisse pas indifférent.
La fin de la fête, la fin qui s'annonce, ne le laisse pas non plus indifférent. La fin de nos fêtes. Pourquoi faut-il que nos fêtes, nos joies, se terminent toujours ? Pourquoi faut-il que ce qui commence par des chants se termine dans la frustration, dans la tristesse, en manque du vin qui réjouit le cœur de l'homme ? Cette noce, par exemple, se terminera.
À regarder plus loin, plus tard, elle se terminera mal comme toute noce, de toute façon par un deuil — il faudra se quitter lorsque, au mieux après la vieillesse, la mort viendra frapper. Il faudra bien quitter ce monde, se quitter l'un l'autre, arraché l'un à l'autre par la douleur de la mort, la joie tournera en deuil, comme la fête tourne court dans le manque de vin.
Alors Jésus donne le signe de ce qu'il est lui-même la fête éternelle, le fête où le vin ne vient jamais à manquer. Dans sa conscience du malheur du deuil prochain qui est au cœur de toutes nos fêtes, Jésus s'interpose ; il s'interpose contre le scandale du fatal manque de vin. Alors son sang bientôt coulera, vin de joie de la fête éternelle.
Qu'en savent les hommes, qu'en sait sa mère ? D'où sa façon de lui répondre sèchement : qu'y a-t-il entre toi et moi ? Toi tu es de la terre ; quant à moi qui sais le remède à la douleur des fêtes passagères, des noces promises au deuil, mon heure n'est pas encore venue, l'heure où mon sang coulera comme un vin nouveau pour le salut du monde.
C'est ce que Jésus va signifier par son miracle, attestant qu'il vit lui-même au-delà des fêtes passagères, et qu'il fait entrer dans cet au-delà ceux qui, au cœur de leur fête, savent goûter le vin de l'alliance renouvelée, alliance nouvelle et éternelle, qui purifie mieux que l'eau de toutes les aspersions dont sont remplies les jarres des purifications.
Car c'est bien de jarres de purification qu'il s'agit. Changer cette eau-là en vin, cette eau qu'il fait verser dans ces jarres-là, n'est pas le fait du hasard de la part de Jésus. Par lui prend place une nouvelle alliance, celle de la joie éternelle, où le meilleur des vins de fête ne vient jamais à manquer. C'est là la dimension où Jésus resitue la question de sa mère. On est dans un autre monde, où l'on vient par le mystère de la foi (v.11).
*
C'est que dès lors tout est à double sens. L'étonnement de l'organisateur devant la qualité de ce vin servi en fin de fête, par exemple : au premier plan, il s'agit d'une stricte interrogation sur le pourquoi de cette façon de faire : servir le bon vin à la fin. À un autre plan, il nous est indiqué que là est l'entrée dans l'alliance du Royaume, de la joie éternelle.
La façon dont Jésus répond sèchement à sa mère est aussi à double sens pour nous : il ne s'agit pas simplement d'une remise en place de celle qui n'entre que partiellement dans la pensée de celui qui pour être son fils n'en est pas moins son Dieu. Et justement parce qu'elle est la mère de son Seigneur, Marie se voit appelée à l'humilité face à celui qui est pourtant son fils. Or cela vaut aussi pour nous, qui n'avons pourtant pas le bénéfice d'une telle grâce.
Le mystère de la foi, qui permet à ses disciples de saisir dans le miracle la gloire de Jésus, est celui d'un étonnement devant le Dieu qui agit par où on ne l'attendrait pas, c'est-à-dire peut-être, d'un Dieu tout à fait libre par rapport aux conseils que l'on voudrait lui donner, par rapport aux façons d'agir que l'on voudrait lui suggérer à demi-mot — du genre "ils n'ont plus de vin, tu sais ce qu'il te reste à faire".
Prenons garde : il est des prières exaucées dont le sens sera pour nous plus dérangeant qu'une absence de réponse, des exaucements qui vont nous obliger à des bouleversements que nous ne prévoyons pas en formulant ces prières, des bouleversements tels que si nous les avions connus d'abord, nous nous serions peut-être abstenus de ces prières-là.
Et il est des façons de souffler à Dieu ce qu'il devrait nous enseigner, c'est-à-dire ce que l'on a l'habitude d'entendre — cela fait des siècles que l'on se purifie de cette façon dans ces jarres.
Si c'était nous que Jésus appelle à avoir part à l'ivresse spirituelle du vin nouveau, une ivresse à même de nous libérer. S'il nous visait aussi à travers cet attachement à des jarres, qui ne sait pas voir que Dieu veut les remplir du vin le meilleur ? Et que pour cela, dès aujourd'hui il s'agit de sortir de nos peurs, et puisque le vin de Dieu, le don de Dieu coule à flot, et pour qu'il coule à flot n'avoir pas peur de donner, de donner abondamment comme pour ces fêtes que l'on a oubliées.
*
Peut-être que là seulement est le remède à nos aveuglements, à nos certitudes que la fête doit finir le jour où finit le vin de nos vieilles outres. Mais avons-nous goûté ce vin qui ne peut que faire éclater nos vieilles outres, emplir d'ivresse nos vieilles jarres ?
Sinon, sachons qu'aujourd'hui même finit notre stock de piquette. Dieu a gardé ce bon vin qu'il nous dévoile — aujourd'hui, — car il y a encore un aujourd'hui. Il nous le dévoile aujourd'hui encore en Jésus pour nous enivrer de la liberté qui ne finit jamais, pour nous préparer aux noces éternelles.
R.P.
Juan-les-Pins La Pinède, 13.01.07
(dans le cadre de la Semaine de l’Unité)
Vence, 14.01.07
10:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
09 janvier 2007
Mages — aller et retour
Les chemins des Mages
(Nébuleuse d'Orion - photo Alain Lopez Villanueva)
Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent : "Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
*
Les Mages. Ils disent la manifestation de Dieu à tous, aux nations, à toutes les nations, « manifestation » selon le sens du terme issu du grec, « épiphanie ». Voici la venue de la lumière dans l’histoire, commémorée à Noël, comme à son zénith. Le Royaume, ici, se fait plus proche.
Qui sont les Mages ?
On sait ce qu'il en est de ces Mages. Les Mages étaient la caste sacerdotale dans l’Empire perse (donc prêtres plutôt que rois — le texte ne les dit pas rois : ils sont devenus rois, « rois-mages », au regard des textes des Psaumes et d’Ésaïe — ; et ils n’étaient pas nécessairement trois — ça, ça vient du nombre de leurs cadeaux, avant de désigner les trois continents — le monde entier d’alors — qu’ils en viendront à représenter : Afrique, Asie, Europe). Des prêtres, au départ, de la caste sacerdotale des Mages, chez les Perses, de religion mazdéenne — un peu comme les Lévites pour les Hébreux.
La religion mazdéenne est connue, elle existe toujours ; elle se réclame du prophète Zoroastre (ou Zarathoustra), prophète de Ahura Mazda (comme les mazdéens nomment Dieu). C’est la dynastie des Achéménides, rois des Mèdes et des Perses dont était le célèbre Cyrus, qui l’adopta. Sous son petit-fils Darius Ier (Ve siècle av. J.-C.), le zoroastrisme est la religion en place. Après lui, son fils Xerxès Ier, puis Artaxerxès Ier (qui régna de 465 à 425 av. J.-C.) en furent aussi des fidèles (tous ces rois sont mentionnés dans plusieurs livres de la Bible : Esdras, Néhémie, Daniel, Aggée, Zacharie, Esther…). Sous leurs règnes s'opéra sans doute une synthèse des enseignements de Zoroastre et de la tradition antécédente. Artaxerxès II (qui régna de 404 à 358 av. J.-C.) vénérait Ahura Mazda, Mithra et Anahita. Le mazdéisme est resté la religion de l’Iran durant douze siècles, jusqu’à sa conversion à l’islam à partir du VIIe siècle ap. J.-C.
Cette religion (où s’opposent le Bien — Ahura Mazda, ou Ormuzd, — et le Mal — Ahriman), et qui, suite à la réforme de Zoroastre, est globalement monothéiste ; cette religion a des racines communes avec l’hindouisme, et par lui, aussi le bouddhisme. Et ses prêtres, ainsi dotés d’une représentativité universelle, sont les Mages.
*
Comme on va le voir, le texte de Matthieu renvoie, figurez-vous, à une prophétie mazdéenne, qui incluait une référence aux astres. Un signe, que selon leur croyance, ces Mages interprètent de la sorte : un roi des Judéens est né.
Un roi des Judéens, les Mages vont donc chez Hérode : normal, il s'agit du roi de Judée en place, ils vont à la famille royale. Et c'est alors la prophétie de l'Écriture juive qui éclairera plus précisément leur chemin : ce sera plus humbles que les palais de Jérusalem. Ce sera Bethléem.
L'étoile réapparaît alors — v.10 : "à la vue de l'étoile, ils éprouvèrent une grande joie" — comme un dernier clin d’œil.
Mais attention, ici les choses, parlant de prophétie, prennent une tournure inattendue. Matthieu, on le sait, bâtit son récit de l’Enfance sur les prophéties de la Bible hébraïque. Et voilà que, chose étonnante, il y introduit une prophétie issue d’une autre religion !
Une autre prophétie
Des Mages aux prises avec un roi qui veut les utiliser — ici contre un rival royal potentiel. Des Mages conduits où ils ne voulaient pas aller, de Jérusalem à Bethléem…
Où l’on retrouve un épisode parallèle dans le livre des Nombres, et qui n’est pas sans éclairer celui des Mages : Balaam. Comme les Mages, « Balaam s'en alla et retourna dans son pays ; et Balaq s'en alla de son côté » (Nb 24, 25) — comme Hérode du sien. Balaam est un genre de devin, comme les Mages. Balaq lui demande de maudire Israël, comme Hérode qui dans la suite du texte, en massacrera les enfants. Et poussé par Dieu, que lui répond Balaam le devin ? — « Il n'y a pas d'augure en Jacob, ni de divination en Israël : en temps voulu il est dit à Jacob, à Israël, ce que Dieu fait » (Nombres 23, 23). Et voici ce qu’annonce Dieu par Balaam : « Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant; je l'observe, mais non de près : De Jacob monte une étoile, d'Israël surgit un sceptre » (Nombres 24, 17).
Étoile annoncée par Balaam, et que rencontrerons les Mages qui lui ressemblent sous l’angle où comme lui, ils sont des prophètes païens. Étoile qui est Jésus.
*
C’est sans doute par ce type de biais qu’est introduit dans la tradition chrétienne ce qui est connu à l’époque comme une véritable prophétie étrangère, zoroastrienne.
Un texte arabe de l’Église primitive affirme : —Zoroastre, qu’il identifie justement à Balaam — Zoroastre annonça, je cite (ch. 1, v.2), que :
« La vierge sera enceinte sans avoir connu d’homme [...]. Son enfant par la suite ressuscitera des morts ; et sa bonne nouvelle [sera connue] dans les sept climats de la terre » ; cela avec pour signe une étoile. Et plus loin, le même texte (ch. 5, v1) : « Des Mages arrivèrent d'Orient à Jérusalem, selon ce que Zoroastre avait prédit ».
Eh bien ! cette prophétie est effectivement connue par ailleurs. L’historien des religions Salomon Reinach, dans son Histoire Générale des Religions rappelle l'essentiel des croyances mazdéennes à ce sujet. Je cite : « À la fin des siècles, Ahura Mazda engagera une lutte décisive contre Ahriman et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts et d'abord le premier mort, l'homme primitif : Gayomart ».
Les historiens précisent en outre qu'en Iran oriental des Mages se recueillaient chaque année sur une montagne pour y guetter durant trois jours — c’est une partie de leur culte — l'étoile du grand roi.
*
Du coup, pour étrange qu'il nous apparaisse, notre récit sur les Mages prend tout un sens. Dans le cadre de leur attente mazdéenne, des zoroastriens à Jérusalem ? Eh bien, c’est tout à fait envisageable ! Depuis longtemps, des contacts étaient noués entre Israël et les peuples où il a été dispersé. La Bible parle en bien du roi Cyrus.
Le dialogue interreligieux est à l’époque chose naturelle. Ça l’est resté jusqu’au Moyen Âge occidental, où l’Europe a été coupée du reste du monde suite aux invasions de la fin de l’Antiquité. Le contact avec les autres religions et cultures est alors devenu agressif puisqu’on ne les connaissait plus et qu’elles étaient perçues comme menaçantes pour la foi. Cette habitude a parfois persisté même après la redécouverte du reste du monde. Quand on a pris l’habitude de se croire seul… on garde des réflexes, qui en l’occurrence témoignent au fond d’une foi mal assurée, réflexes qui peuvent cesser quand on sait en qui l’on a cru.
À l’époque du Nouveau Testament, le dialogue avec les autres cultures et religions était naturel. On se nourrissait même de la réflexion d’autrui. Et dans les deux sens. On sait par exemple que Perses, justement, croyaient à la résurrection non seulement avant la résurrection du Christ, mais même quatre ou cinq siècles avant : c’est leur réflexion qui les avait amenés à une conviction que le judaïsme a lui aussi reconnue juste.
Et en sens inverse, l'attente messianique juive avait rejoint des convictions d’autres peuples, et dépassait alors largement les frontières d'Israël. La Bible est alors traduite en grec depuis deux siècles !
Le contact est plus particulièrement étroit avec les pensées les plus proches de le religion du Dieu unique (ainsi Paul et les philosophes d'Athènes — Ac 17). Et donc avec une religion comme le zoroastrisme — la religion des Mages, donc.
Un signe des temps, ces temps prophétisés par Ésaïe, et dont Paul deviendra le grand annonciateur. Voilà un Dieu qui accompagne ceux qui cherchent son salut, même païens, même de façon confuse, jusque dans leur démarche confuse.
Un Dieu qui prend le risque de frayer sur les chemins de ce monde, qui prend le risque de l'Incarnation, pour mener ce monde, pour mener la chair, jusqu'à la folie de la rencontre d’un enfant, qui est en fait le Fils de Dieu.
Un enfant humble de parents humbles chez qui entrent de prestigieux prêtres étrangers, déposant aux pieds de l'infini mystère la richesse de leur or, l'encens de leurs prières, et la myrrhe qui parfume les vivants et les morts. À nous de les y accompagner.
Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est ce qui est au cœur de ce récit : Dieu est manifesté au monde. Il nous a accompagnés, et nous accompagne dans les méandres de nos réalités afin que nous vivions de sa seule grâce au cœur du monde où nous frayons.
Le chemin de Dieu
Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange.
Rappelez-vous (v.9-10) : « l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, […] vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. » « De Jacob monte une étoile » avait dit Balaam. Arrêtée au-dessus de l’enfant, l’étoile est le signe de sa provenance, céleste. Cet enfant vient des cieux à notre rencontre, sur nos chemins, même tortueux comme celui des Mages païens ; avec nous mystérieusement, comme la trace d’une étoile, jusqu’à ce carrefour où s’arrête l’étoile et où l’on repart « par un autre chemin ».
Un chemin d’humilité : voilà des Mages arrivés dans la ville royale, Jérusalem, s’attendant au palais d’Hérode — et qui se retrouvent dans un village pauvre. Les voilà qui, loin des honneurs royaux, repartent en catimini, dans l’humilité. C’est la leçon qui nous est donnée aussi : on rencontre le Messie dans l’humilité, une humilité qui seule élève : où peut-être les Mages seront perçus à juste titre comme des rois, représentant les continents lointains — d’une royauté qui n’est pas celle des vanités humaines…
Un autre chemin. L’enfant était l’étoile, il est désormais le chemin. Nous n’avons pas eu le cheminement des Mages. Nous avons eu chacun les nôtres, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusque là. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, où nous sommes à présent envoyés avec lui... « un autre chemin ».
R.P.
Antibes 07.01.07
et 08.01.07 (AEF)
11:05 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
26 décembre 2006
Noël
Né à Bethléem
(Paul Klee – Il gardino del Tempio)
Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: "Où est le roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda: car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l’époque à laquelle l’astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant: "Allez vous renseigner avec précision sur l’enfant; et, quand vous l’aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j’aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à l’Orient, avançait devant eux jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant.
10 A la vue de l’astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
*
(Cf. 1ère partie - 24.12.06)
Humble lumière de Bethléem. Une lumière qui resplendit pourtant jusqu’aux confins du monde…
*
Les Mages la perçoivent, en signe : une étoile. Signe confirmé, et corrigé, peut-on dire, par la prophétie biblique : ce sera Bethléem, tandis que les Mages avaient pensé : Jérusalem.
Puis ensuite, c'est un ange, perçu en songe, qui dévoile aux Mages l’importance de cet enfant, qui va entraîner avant même d’avoir grandi, des troubles politiques ; ange à nouveau, après qu’ait été dévoilé à Joseph de la même façon son rôle dans la venue de ce Messie.
Rêve prophétique, comme celui de tous les prophètes bibliques, rêve prophétique comme celui d’Adam découvrant celle qui est chair de sa chair. Pour Joseph, il découvre que Marie est celle qui lui a été donnée de la même façon, et par lequel il devient le premier témoin de la venue du salut.
Pour les Mages, comme pour Joseph, l’ange confirme la prophétie biblique : précédant le songe, le rêve prophétique, c’est la prophétie biblique qui est la lumière des premiers témoins de ce qui s’est passé en Marie — premiers témoins : Joseph, puis les Mages.
*
Voilà donc qu’arrivent des Mages d’Orient. Ils vont découvrir cela eux aussi. L’étoile qu’ils ont vue, selon leur sagesse propre, ne saurait dire ce qu’est le message de Noël. Elle les conduit, non pas à une affirmation, mais à une question : « Où est le roi des Judéens qui vient de naître? ».
Quand Dieu écarte toute initiative humaine, comme il a écarté l’initiative de Joseph dans la naissance de Jésus, on ne saurait être que questions. Les Mages ne viennent pas avec leurs réponses et leurs certitudes. Ici on ne sait pas, on ne sait plus, c’est Dieu qui ouvre des chemins inconnus, ces chemins inconnus par lesquels repartiront les Mages : « divinement avertis en songe, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin » (v. 12).
Ici les Mages ne savent et ne peuvent savoir qu’une chose : « Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus l’adorer ». Comme Joseph et les Mages, nous ne pouvons rien à ce cadeau qui nous est fait — rien qu’adorer. Sa lumière a brillé jusqu’à nos confins. Humble lumière, comme celle qui maintenait l’espérance dans le Temple et qui deviendra rayonnement universel dans le Temple de son corps qui se bâtit ici pour toutes les nations.
Si nous avons compris, comme les premiers témoins, avec Joseph, puis les Mages, que Dieu seul prend l’initiative, alors nous pouvons à notre tour, nous en retourner par un autre chemin, celui de sa paix. Oui nous pouvons entrer dans sa paix. Le message de Noël est au-delà de nos intelligences, de notre compréhension, et c’est par cela que Dieu nous sauve.
Nous aussi pouvons dire et chanter à présent : « Nous avons vu son étoile apparaître et nous sommes venus l’adorer .»
R.P.,
Antibes, 25.12.06
Luc 2, 13-15
13 […] il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait:
14 Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, Et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée!
15 Or, quand les anges les eurent quittés pour le ciel, les bergers se dirent entre eux: "Allons donc jusqu’à Bethléem et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître."
Matthieu 2, 1b-6
1 … Des mages venus d’Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent: "Où est le roi des Judéens qui vient de naître? Nous avons vu son astre à l’Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s’enquit auprès d’eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c’est ce qui est écrit par le prophète:
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs — lieux de Juda : car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
*
Le tournant de notre histoire a lieu lorsque les yeux s’ouvrent sur ce qui semblait petit. À un bout une crèche, une mangeoire pour animaux ; puis, à l’autre bout, apparaîtra une croix — dressée vers le ciel… et qui mène à la crèche.
Jésus avait dit de la croix qu’il y serait « élevé de la terre ». Il parlait de son élévation dans les cieux depuis le moment où il devient le plus insignifiant, le plus petit pour les hommes. Mais c’est par là qu’il se dévoilera ainsi comme présent, en tous lieux, et présent auprès de nous, avec nous : « quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jean 12:32).
C’est lui, le Ressuscité, qui dira ainsi : « je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ». Mais comment savons-nous cela ? Eh bien, cela commence tout petit. C’est ce qu’ont découvert anges, Mages, et bergers.
Cette présence que nous ne pouvons pas atteindre nous est donnée, nous est devenue proche, offerte en un enfant ; qui ne se voyait pas.
N’y avait-il pas là de quoi faire louper cette vérité de la présence de Dieu à un ange, un Mage, ou un berger ? Ne cherchaient-ils celui que les cieux ne peuvent pas contenir — dans quelque chose de glorieux, d’évidemment glorieux, plutôt qu’en un lieu apparemment insignifiant ?
Les Mages vont à Jérusalem, ville royale, pas dans un village campagnard ! Et la prophétie les envoie en ce petit lieu : Bethléem.
N’y a-t-il pas là pour un Mage de quoi se dire : « des richesses, de l’or en présent pour un signe si insignifiant : un enfant pauvre, dans un pauvre village » ? Ne serait-il pas bien venu d’en garder un peu, de cet or — pour en faire meilleur usage !
Et pourtant c’est là et nulle par ailleurs que nous est donnée cette présence sans cela inaccessible, et qui vaut que l’on donne tout. C’est là que ce qui nous apprend et qui nous donne la présence du glorieux.
Et les bergers… Nous les avons entendus après la parole de l’ange : « Allons donc jusqu’à Bethléem ». N’y a-t-il pas là de quoi, comme les Mages, se dire en arrivant : « c’est tout ? — Un enfant pauvre dans la paille ? »
Et où les simples élargissent un sourire attendri, n’est-on pas tenté d’offrir une moue perplexe : « non, le Dieu éternel est dans les cieux, pas ici ! » Eh si, c’est là qu’il s’est rendu présent, avec nous — comme il le dira plus tard : tous les jours, jusqu’à la fin des temps.
Là présent, dans la paille — à Bethléem, pour nous faire découvrir sa présence dans une humble fragilité.
Bergers ou Mages, les hommes ne sont bien sûr pas seuls à être fondés à douter : les anges même ont de quoi douter ! — « Ne célébrons-nous pas Dieu dans la gloire céleste, nous autres anges ? » Or, il n’y a pas d’autre don de la présence universelle, même pour les anges, qui désirent y plonger leur regard, qu’à Bethléem.
La louange immense est ainsi donnée à Dieu en ce qui est donné petit ; notre louange commence à Bethléem avec celle des anges. Et c’est ici que notre sourire devient possible. Et c’est ici que donner devient possible.
Qui de nous humble berger, ou même riche Mage, voire même ange glorieux, atteint à l’immensité des cieux ? Alors l’immensité des cieux, dans la parole qui les a posés, nous a rejoints — qui permet enfin la louange : « Quand je regarde tes cieux, ouvrage de tes mains, La lune et les étoiles que tu as établies — Qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui ? Et le fils de l’homme, pour que tu prennes garde à lui ? » (Psaume 8, 4-5).
Il nous a rejoints, en réponse à cette question pour louange — louange qui se fonde ainsi dans le simple sourire d’un berger, et qui nous ouvre avec les Mages, au don — même humble, pour commencer.
« Qui donc a méprisé le jour le jour des petits commencements ? » (Zacharie 4 :10).
C’est là que tout nous est donné ! En ce petit commencement qui conduira à l’élévation aux cieux, de celui que les cieux des cieux ne peuvent contenir. Il est donné là, aujourd’hui, sans sa fragilité.
Col 1, 15-20a :
15 Il est l’image du Dieu invisible, le premier-né de toute la création.
16 Car en lui tout a été créé dans les cieux et sur la terre, ce qui est visible et ce qui est invisible, trônes, souverainetés, principautés, pouvoirs. Tout a été créé par lui et pour lui.
17 Il est avant toutes choses, et tout subsiste en lui.
18 Il est la tête du corps, de l’Église. Il est le commencement, le premier-né d’entre les morts, afin d’être en tout le premier.
19 Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute plénitude
20 et de tout réconcilier avec lui-même, aussi bien ce qui est sur la terre que ce qui est dans les cieux, [...].
R.P.
Antibes, veillée — 24.12.06
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25 décembre 2006
4e dimanche de l'Avent
EMMANUEL
(Kandinski – Improvisation n°19)
Matthieu 1, 18-25
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée en mariage à Joseph ; or, avant qu'ils aient habité ensemble, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit saint.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : "Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse : ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit saint,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés."
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par le prophète :
23 Voici que la vierge concevra et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit : "Dieu avec nous".
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il prit chez lui son épouse,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus.
*
Nous célébrons à Noël celui s'est bâti dans le sein de la Vierge Marie, sans l'intervention de l'homme, un Temple, un Tabernacle, par lequel sa lumière demeure perpétuellement au milieu de nous (Jean 1).
Comme l’on sait, Matthieu et Luc sont les deux seuls auteurs du Nouveau Testament à donner un récit de la naissance de Jésus. Si Luc nous place pour cela dans la proximité de Marie, Matthieu s'intéresse plus particulièrement à Joseph. À travers un portrait attachant qu’il trace de cet homme — comme père de Jésus, tout en n'en étant pas le géniteur, — transparaît que Dieu seul a l'initiative.
*
Le hasard — faut-il l’appeler ainsi ? — ; le hasard des calendriers liturgiques fait que ce temps d’hiver et des fêtes de la lumière, fasse correspondre Noël et la fête juive de Hanoukka.
La fête de Hanoukka, ou de la Dédicace, mentionnée en Jean 10:22, et que le judaïsme célèbre jusqu'à nos jours, commémore la purification du Temple qui avait eu lieu après sa profanation par Antiochus Epiphane, lors de l'occupation grecque, au temps des Maccabées (cf. 1 M 4 ; 2 M 10). Selon la tradition juive, Dieu pourvoyait miraculeusement à l'huile nécessaire pour que brille la lumière du chandelier du Temple.
Et nous nous rappelons aujourd’hui comment s'est bâti un Temple, le corps du Ressuscité. Et comment cette parole de salut germe comme petit enfant — parole engendrée dans le sein de la Vierge Marie, sans l'intervention de l'homme. Dévoilement d’un Temple, par lequel sa lumière demeure perpétuellement au milieu de nous.
Le dilemne de Joseph
En abordant le récit évangélique, il convient de se défaire des considérations gynécologiques voulant expliquer, ou refuser parce qu’inexplicable, l’éblouissement de l’Incarnation. Évidemment que c’est incompréhensible et inexplicable ! Mais précisément, comme celui de la Genèse n’est pas un traité de paléontologie, les récits de l’enfance du Nouveau Testament ne sont pas des traités de gynécologie. Je vous propose donc d’aborder le récit selon ce qu’il veut être…
Le texte ne nous disant pas comment Joseph savait que Marie était enceinte par l'action du Saint Esprit —, on imagine qu’il suggère qu'à un certain point de la grossesse, il commençait à se poser des questions sur l'embonpoint croissant de sa fiancée. Puis à acquérir des certitudes.
Passant sur ce comment de l'acquisition de ces certitudes, le texte nous présente Joseph au moment où il envisage de prendre des résolutions : rompre secrètement — car il était un homme de bien, nous dit l'Évangile.
Pour signaler la gravité de la chose, rappelons qu'à l'époque, les fiançailles étaient un contrat que l'on ne rompait pas. C'était déjà un mariage, en quelque sorte, une rupture étant donc comme un divorce. Et il était inconcevable qu'avant le mariage proprement dit, le fiancé « connût » sa promise.
D'où le problème qui se pose à Joseph : s'il ne rompt pas, on va le soupçonner lui ; et naturellement, il n'était peut-être pas non plus forcément enthousiaste à l'idée d'épouser une femme apparemment si prompte à le tromper. Et s'il rompt, il expose Marie à l'opprobre public, et par là-même à un avenir des plus sombres : ce qu'il préfère lui épargner.
Joseph envisage donc une voie moyenne : la rupture secrète. C'est un ange, perçu en songe, qui le retient de mettre son projet de rupture à exécution et le rassure sur la probité de Marie. (Joseph nous sera souvent montré dans son sommeil — trois fois — rencontrant des anges. Avec l'avertissement onirique des Mages, cela fait quatre rêves angéliques en deux chapitres.) Le songe est le lieu de communication entre notre monde et les mondes supérieurs. Et Joseph doute d'autant moins de la parole angélique qu'il est vraisemblablement prêt à faire confiance à Marie.
L'initiative divine
A cela s'ajoute son espérance de la venue prochaine d'un Messie, sauveur du peuple. Et voilà que c'est à lui qu'il est confié. Le nom de Jésus — Dieu sauve —, répandu à l'époque, qu'il devra donner à l'enfant, ne peut qu'avoir aussi pour effet de rassurer Joseph...
Ainsi Joseph, à son réveil, obéit à la vision angélique. Et, selon le texte, ayant pris Marie dans sa maison, ce en dépit des ragots inévitables, il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle ait enfanté.
On déduit souvent de ces paroles qu’elles indiqueraient, ou voudraient impliquer, que Joseph la "connut" après, et que les frères de Jésus mentionnés ailleurs sont des fils des Marie — ce que certes ces autres textes n’entendent pas nier ! Signalons simplement par parenthèse que, faisant leur la position devenue alors classique depuis st Jérôme (Ve s.), commune de leur temps, les Réformateurs, Calvin comme Luther, défendaient la virginité perpétuelle de Marie !
Pour ce qui en est de notre texte, il reste, en deçà des autres textes parlant des frères et sœurs de Jésus, qu’il ne faut pas entendre la non-rencontre sexuelle du couple jusqu'à l'enfantement comme une indication du fait qu'une union sexuelle des conjoints aurait eu lieu après, mais plutôt comme un soulignement du fait que l'enfantement de Jésus ne doit rien à Joseph ! On pourrait le dire ainsi : Joseph ne connut pas Marie de telle sorte que finalement, elle enfanta selon Dieu… Pas plus. Bref : ne façon de nous dire que Dieu écarte toute initiative humaine dans la venue au monde du Messie.
L'accomplissement de la prophétie
C'est ce que confirme la citation d'Ésaïe 7 comme prophétie accomplie de la naissance du Messie. Car l'usage qui en est fait, plein de richesses paradoxales, va aussi dans le sens de la liberté d'initiative qui est celle de Dieu dans le salut de son peuple.
Le texte hébreu, ne parle pas d'une vierge, mais d'une "jeune fille". Le mot, almah, peut désigner une vierge, mais n'est pas le terme technique pour ce faire. C'est la version grecque des LXX, que reprend Matthieu, qui a traduit ce mot par "vierge".
Or sachant qu'un prophète n'est pas un devin, il est improbable, qu'ayant employé ce mot, Ésaïe ait pensé à une vierge. Pour lui il s'agit d'un signe adressé au peuple de Juda de son temps et au roi Akhaz, pour les rassurer quant à la menace que fait peser l'alliance d'Israël, royaume hébreu du Nord, et de la Syrie, contre Juda. Le signe est alors le nom d'un enfant à naître dans l'entourage royal, Emmanuel — signifiant Dieu avec nous. Ésaïe use de ce nom pour dire à Akhaz que Dieu n'a pas abandonné Juda, et qu'avant que l'enfant soit adulte, la menace israëlo-syrienne aura cessé, dans une promesse ambiguë — comme ce nom qui semble forcer Dieu, que la jeune fille donne à son enfant, — promesse ambiguë puisque Juda connaîtra alors la menace assyrienne par laquelle le danger précédent aura été écarté.
Quant à la jeune fille, par elle le signe en question prend sa valeur incontournable : il s'agit probablement d'une jeune fille dont on ne s'attend pas à la voir enfanter — peut-être une des raisons, entre autres, de la traduction, "vierge", de la Bible des LXX. Mais cela ne nous dit pas ce qu'il en était.
Signe ambigu de toute façon, et c'est là qu'est tout l'intérêt de la relecture de cette prophétie par Matthieu, qui va dans le même sens que celui de la mise à l'écart de Joseph par le Dieu libre de ses initiatives. Dans le texte d'Ésaïe, le nom donné à l'enfant marque une vraie présomption face à Dieu : un Dieu que l'on fait venir au milieu de nous, fût-ce par des pratiques religieuses, un Dieu que l'on décrète être au milieu de nous, est une idole.
C'est là qu'est le puissant signe de l'accomplissement de la prophétie que nous signale Matthieu. Ici Dieu écarte toutes nos initiatives, qui ne sauraient qu'être sacrilèges, il place dans le monde, au milieu de nous, le Messie, le Sauveur, sans que l'homme n'y puisse rien. Et c'est alors seulement que Dieu, et non telle ou telle idole que l'on s'en ferait, se manifeste comme Dieu avec nous.
R.P.
Vence, 24.12.06
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18 décembre 2006
3e dimanche de l'Avent
COLÈRE ET CONSOLATION
Ésaïe 12, 1
Tu diras, ce jour-là : Je te rends grâce, SEIGNEUR, car tu étais en colère contre moi, mais ta colère s’apaise et tu me consoles.
Luc 3, 7-20
7 Jean disait alors aux foules qui venaient se faire baptiser par lui: "Engeance de vipères, qui vous a montré le moyen d’échapper à la colère qui vient?
8 Produisez donc des fruits qui témoignent de votre conversion; et n’allez pas dire en vous-mêmes: Nous avons pour père Abraham. Car je vous le dis, des pierres que voici Dieu peut susciter des enfants à Abraham.
9 Déjà même, la hache est prête à attaquer la racine des arbres; tout arbre donc qui ne produit pas de bon fruit va être coupé et jeté au feu."
10 Les foules demandaient à Jean: "Que nous faut-il donc faire?"
11 Il leur répondait: "Si quelqu’un a deux tuniques, qu’il partage avec celui qui n’en a pas; si quelqu’un a de quoi manger, qu’il fasse de même."
12 Des collecteurs d’impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: "Maître, que nous faut-il faire?"
13 Il leur dit: "N’exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé."
14 Des soldats lui demandaient: "Et nous, que nous faut-il faire?" Il leur dit: "Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde."
15 Le peuple était dans l’attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?
16 Jean répondit à tous: "Moi, c’est d’eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas."
18 Ainsi, avec bien d’autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
19 Mais Hérode le tétrarque, qu’il blâmait au sujet d’Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu’il avait commis,
20 ajouta encore ceci à tout le reste: il enferma Jean en prison.
*
Une humble lumière qui croît vers la délivrance qu’elle annonce ; dans les ténèbres extérieures, les ténèbres du monde, les ténèbres des tortuosités des chemins du monde. Un contraste donc, où les ténèbres s’épaississent au fur et à mesure que se dessine et se précise l’humble lumière qui reflète ici-bas la gloire de Noël.
Signe de cela, les textes de Sophonie (ch. 3, 14-20) comme celui d’Ésaïe (ch. 12) proposés à notre lecture, sont des cris de louange pour une délivrance — mais qui nous situent entre colère et consolation. C’est à nouveau ce qui est en jeu dans la prédication du Baptiste : « engeance de vipères, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? » Quiconque prêcherait ainsi aujourd’hui se verrait réserver une belle volée de bois vert de son auditoire. Voilà une prédication qu’on enrobe volontiers du sirupeux qui voudrait la dissoudre. Car on confond volontiers évangéliser et caresser dans le sens du poil…
Mais arrêtons-nous d’abord sur le texte d’Ésaïe, en nous souvenant qu’il clôt une série de textes lus traditionnellement en cette période de Noël. Précédant ce psaume de louange, ces textes « de Noël » — Emmanuel (ch. 7), la lumière qui illumine le pays des ténèbres (ch. 9), le rameau de Jessé (ch. 11) — émaillent une prophétie annonçant un péril redoutable pour le pays du prophète, la Judée — il est question de la menace des puissances syrienne et assyrienne ; tandis ce psaume de louange fait le lien avec le passage suivant, où il sera question d’une autre menace, celle de Babylone.
Menaces donc. On est dans le cadre d’une histoire chargée de dangers et de violence, où les puissants et les empires se disputent le pouvoir et piétinent les peuples. S’annoncent aussi en filigrane d’autres périls similaires… qui valent pour le temps du prophète, le VIIIe siècle avant Jésus-Christ, n’est-ce pas ? — puisque l’on admet que tout va bien, à présent, au niveau politique mondial. Quoique les passages qui suivent Ésaïe 12, eux, discernent déjà la puissance de Babylone, pourtant peu significative au temps dont parle le texte qui concerne Syrie et Assyrie. Et le Baptiste, bien plus tard, fulminera encore, pour sa part contre l’immoralité au pouvoir avec les Hérode — ce qui le conduira en prison — puis à la mort.
Quoiqu’il en soit de l’agitation et des menaces des puissances, quoiqu’il en soit des douleurs terribles que tout cela engendre, la promesse de Dieu fait son chemin — usant même des empires et de leurs menaces : l’Assyrie devient, pour le passage précédent notre psaume de louange, « le bâton de la colère de Dieu » !
Dans la prophétie d’Ésaïe, le royaume du nord d’Israël, Éphraïm — séparé de la Judée depuis le lendemain du règne de Salomon — est en passe de s’allier à la Syrie contre la Judée et Jérusalem. Une alliance redoutable. Bien faible est le peuple témoin de la fidélité de Dieu à David, face au chaos des empires. Mais rassurez-vous, il s’agit donc du VIIIe siècle avant Jésus-Christ ! — Et comme on le sait, aujourd’hui la paix triomphe…
Voilà une alliance redoutable, apparemment, que celle des puissances contre le peuple faible ; mais elle vouée à l’échec, annonce Ésaïe : le seul fondement de la Syrie, rappelle-t-il, est le résident de sa capitale, son roi, à Damas ; et dès lors, dans le cadre de ce pacte de deux rois, le seul fondement du royaume du nord est le roi résident en sa capitale, Samarie. Deux rois bien fragiles finalement, malgré les apparences, face au fondement de la Judée, l’Alliance scellée par Dieu avec David…
Pour Ésaïe, le royaume du nord, ou plutôt son roi, a fait le mauvais choix en optant pour la puissance politique de son temps plutôt que pour l’Alliance de Dieu avec David !… Même si, en attendant, la menace est réelle.
Et ici, se dessine la façon dont Dieu agit de manière toujours surprenante. Dieu délivre, de manière toujours surprenante. Les puissances sont piégées de la sorte à Noël, à commencer la famille des Hérode, qui va jusqu’au massacre de Bethléem ; une famille Hérode qui ressemble bien à cette dynastie qui s’allie avec les ennemis de Jérusalem dont parle Ésaïe.
Face à la menace que fait peser sur la Judée cette alliance d’alors entre Samarie et Damas, le prophète apporte une parole d’encouragement qui sera confirmée par un signe : un enfant naîtra prochainement — on est alors encore très loin de d’enfant de Noël : VIIIe siècle avant Jésus-Christ. On est, selon le cadre immédiat de la prophétie, dans l’entourage du roi d’alors, en place à Jérusalem. Avant que l’enfant en question alors ne sorte de l’enfance, la menace sera écartée. Telle est la promesse immédiate et le signe en question.
Pour annoncer cette naissance, un passage devenu célèbre (ch. 7, v.14) — « la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel » — passage cité par Matthieu (1, 23) dans la version grecque des Septante, qui rend : « la vierge sera enceinte ». Avant cela, loin de Noël, dans Ésaïe, dans le cadre immédiat de la prophétie, l’annonce d’une naissance, comme signe, est encore ambiguë puisqu’il est en même temps question de celle de l’enfant nommé « Maher-Shalal-Hash-Baz », c’est-à-dire « Prompt-Butin-Proche-Pillage » ! — tel sera le nom du fils du prophète — en pendant d’Emmanuel…
Où, dans le cadre immédiat de l’énonciation de la prophétie, la naissance annoncée d’un enfant est signe aussi de l’ambiguïté, au moins dans un premier temps, des événements à venir. La délivrance de la Judée face à la menace de la Syrie et de Samarie qui s’y est alliée, est en effet pour le moins ambiguë ! Elle passe par l’invasion assyrienne. Et voilà donc que le chaos menace à nouveau ; faisant présager un futur immédiat lourd d’ambiguïtés — « délivrance » entre guillemets seulement. Voilà ce qu’il faut attendre des hommes et du pouvoir des hommes. Pour la vraie délivrance, il faudra un autre signe…
C’est que les nations — c’est que l’Assyrie, dans le cas précis en Ésaïe, ne perçoit pas sa vocation comme celle d’un empire libérateur de l’insignifiante Judée ! Le salut du monde en viendra disent les prophètes ? Qu’est-ce que l’Assyrie en a cure ?! Les nations n’ont que faire de la promesse de Dieu — surtout si elle doit coûter de l’humilité… du repentir ! « On en a marre de se repentir » clament-elles tour à tour. « Engeance de vipères » répond en écho le Baptiste aux pseudo-repentis occasionnels : « qui vous a appris à fuir la colère à venir ? »
*
Jean à présent : voilà un prophète qui a bien mauvais caractère ! Après tout c’est lui-même qui prêche le repentir, qui invite les foules à venir confesser leurs péchés, d’urgence, avant le jugement ! Mais nous ne sommes pas tous le roi Hérode tout de même, ou un quelconque puissant de ce monde ! Mais Jean s’adresse aussi à tout un chacun — qui à son humble mesure peut aussi faire obstacle à la venue de celui qui est la lumière du monde. Il s’agit pour chacun de pouvoir entonner le chant de louange d’Ésaïe : « Je te rends grâce, SEIGNEUR, car tu étais en colère contre moi, mais ta colère s’apaise et tu me consoles ». Et pour cela de reconnaître la légitimité de cette colère pour chacun de nous : « engeance de vipères ». Car celui qui se voit sérieusement sous les traits d'une vipère est en bonne voie.
Précisément, il a bien vu. Et justement, il est toujours temps de produire du fruit de repentance, tout de suite. Pour cela, il faut recourir à la grâce, par la foi c’est-à-dire avec confiance, en fonction d'une désespérance de soi-même dans l'exil loin de Dieu. On ne voit que brouillard et désespérance. Effectivement tout cela est désespérant : je suis impur et pécheur, au milieu d’un monde pécheur, disait Ésaïe au début de la même prophétie (ch. 6) — le chaos menace ; malheur à moi. Il n’y a alors qu’un recours : repentir, retour à Dieu.
On voit aussi combien cela ne s’exige pas. Cela se fonde sur la prise au sérieux de la Loi de Dieu, qui révèle la culpabilité ; et qui met le doigt sur la cause de cet exil dont Dieu promet la fin dans le Messie — cause productrice du chaos contre lequel prophétisait Ésaïe.
C'est là ce que Jean le Baptiste nous invite à méditer : la justice sera établie, « les collines abaissées et les vallées comblées » ; c’est-à-dire : les fiers seront humiliés et les humbles seront relevés. La Loi est l'instrument de cette justice : qui la transgresse connaît le jugement dont l'exil loin de Dieu est déjà l'expression, jugement impitoyable. Or, tous la transgressent : « engeance de vipères » dit le Baptiste à ces enfants d'Abraham, qui ont tout pour être fiers de leur passé et refuser la « tyrannie de la repentance » — ce refus tant à la mode. Jean, lui, dit clairement qu'il n'y a ni excuse, ni exception face à cette exigence de prise au sérieux de la Loi, c’est-à-dire de repentir, de conversion, de retour à Dieu.
*
Alors s’annonce Noël ; qu’après celui du livre d’Ésaïe — c’était un signe ambigu celui-là — c’est d’un autre enfant qu’il devra être question pour que vienne la délivrance ; pour que la délivrance promise au milieu des tempêtes et des violences des nations, et de nos tempêtes et nos brouillards, vienne enfin — sur des chemins préparés par la repentance.
Revenons à Ésaïe : après l’avertissement contre le royaume du nord qui s’est allié à la Syrie contre la Judée et qui connaîtra les affres de l’invasion assyrienne, voilà pour le peuple du nord une grande promesse — qui vaut aussi pour la Judée : Ésaïe annonçait la réconciliation future autour d’un descendant de David, héritier du trône de Jérusalem. Promesse surprenante, concernant le peuple du nord, que cette annonce d’un grande lumière resplendissant sur lui — pour annoncer sa réconciliation avec la Judée de David. Dans la suite des temps, on se saisira de cette promesse pour y reconnaître la figure de Jésus.
Jésus, Galiléen — du nord donc — et fils de David à la fois… Où l’on a reconnu ce rameau de Jessé, le père de David, qui est donné à présent comme racine de la future réconciliation de tous autour de Jérusalem. Un roi juste en Judée sera la garantie de la paix universelle.
Il reste encore du chemin à parcourir. Le temps promis n’adviendra pas sans qu’il n’y ait eu, entre temps, bien des difficultés dues à la tortuosité des hommes, et contre lesquelles fulmine encore le Baptiste. Mais le jour de la justice pointe déjà. Une justice qui promeut ainsi la paix de loin en loin pour un rayonnement universel depuis la Judée et Jérusalem et son roi venu comme David, de Bethléem.
Mais — Philippiens 4, 4-7 : — « (5b) Le Seigneur est proche. (6) Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d’action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu. (7) Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos cœurs et vos pensées en Jésus Christ. »
Après les épreuves — tant la menace des puissances et des empires, que de toutes les conséquences du péché, qui coûte tant de catastrophes ! — au-delà de ces temps difficiles, s’annonce dans le chant d’Ésaïe 12, un temps de consolation, un temps de paix et de bonheur. Un temps de réconciliation du peuple divisé, aussi, autour de la dynastie légitime restaurée à Jérusalem — cela pour le bien de toutes les nations :
Ésaïe 12 :
1 Tu diras, ce jour-là : Je te rends grâce, SEIGNEUR, car tu étais en colère contre moi, mais ta colère s’apaise et tu me consoles.
2 Voici mon Dieu Sauveur, j’ai confiance et je ne tremble plus, car ma force et mon chant, c’est le SEIGNEUR ! Il a été pour moi le salut.
3 Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources du salut
4 et vous direz ce jour-là : Rendez grâce au SEIGNEUR, proclamez son nom, publiez parmi les peuples ses œuvres, redites que son nom est sublime.
5 Chantez le SEIGNEUR, car il a agi avec magnificence : qu’on le publie par toute la terre.
6 Pousse des cris de joie et d’allégresse, toi qui habites Sion, car il est grand au milieu de toi, le Saint d’Israël !
R.P.,
Antibes, 17 décembre 2006
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11 décembre 2006
2e dimanche de l'Avent
LUMIÈRE POUR TOUTES LES NATIONS
Ésaïe 60, 1-11
1 Mets-toi debout et deviens lumière, car elle arrive, ta lumière: la gloire du SEIGNEUR sur toi s’est levée.
2 Voici qu’en effet les ténèbres couvrent la terre et un brouillard, les cités, mais sur toi le SEIGNEUR va se lever et sa gloire, sur toi, est en vue.
3 Les nations vont marcher vers ta lumière et les rois vers la clarté de ton lever.
4 Porte tes regards sur les alentours et vois: tous, ils se rassemblent, ils viennent vers toi, tes fils vont arriver du lointain, et tes filles sont tenues solidement sur la hanche.
5 Alors tu verras, tu seras rayonnante, ton cœur frémira et se dilatera, car vers toi sera détournée l’opulence des mers, la fortune des nations viendra jusqu’à toi.
6 Un afflux de chameaux te couvrira, de tout jeunes chameaux de Madiân et d’Eifa ; tous les gens de Saba viendront, ils apporteront de l’or et de l’encens, et se feront les messagers des louanges du SEIGNEUR.
7 Tout le petit bétail de Qédar sera rassemblé pour toi, les béliers de Nebayoth seront pour tes offices; ils monteront sur mon autel, ils y seront en faveur; oui, je rendrai splendide la Maison de ma splendeur.
8 Qui sont ceux-là? Ils volent comme un nuage, comme des colombes vers leurs pigeonniers;
9 oui, les îles tendent vers moi, vaisseaux de Tarsis en tête, pour ramener tes fils du lointain et avec eux leur argent et leur or, en hommage au nom du SEIGNEUR, ton Dieu, en hommage au Saint d’Israël, car il t’a donné sa splendeur.
10 Les fils de l’étranger rebâtiront tes murailles et leurs rois contribueront à tes offices, car dans mon irritation je t’avais frappée, mais dans ma faveur je te manifeste ma tendresse.
11 Tes portes, on les tiendra constamment ouvertes, de jour, de nuit, jamais elles ne seront fermées, pour qu’on introduise chez toi la troupe des nations et leurs rois, mis en colonne!
Luc 3, 2b-6
2b La parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert.
3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés,
4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Ésaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers.
5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis;
6 et tous verront le salut de Dieu.
*
Les paroles d’Ésaïe que nous venons de lire sont données comme promesse après des épreuves terribles. La promesse prend toute sa signification un peu plus loin — Ésaïe 65, 17 : « voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre nouvelle ; ainsi le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu’au secret du cœur. »
C’est cette parole que reprendra la 2e épître de Pierre (3, 10-13), écrivant :
« Le jour du Seigneur viendra comme un voleur, jour où les cieux disparaîtront à grand fracas, où les éléments embrasés se dissoudront et où la terre et ses oeuvres seront mises en jugement. Puisque tout cela doit ainsi se dissoudre, quels hommes devez-vous être ! Quelle sainteté de vie! Quel respect de Dieu ! Vous qui attendez et qui hâtez la venue du jour de Dieu, jour où les cieux enflammés se dissoudront et où les éléments embrasés se fondront ! Nous attendons selon sa promesse des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite. »
Promesse adressée à tous les peuples dès Ésaïe, et que 2 Pierre rappelle face à la longueur de l’attente de la délivrance. L’épître renvoie au récit du déluge, pour dire que le déluge n’était pas, loin s’en faut, la dernière catastrophe. Ce temps-ci, au sens total du terme, le temps de l’histoire, notre temps, est catastrophique.
Ainsi, le peuple d’Ésaïe est présenté comme revenant d’un exil épouvantable. Les catastrophes ne manquent pas dans l’histoire, qui est marquée d’un manque, du manque de sa plénitude qui est dans la présence de Dieu. C’est cette plénitude que promet Ésaïe, que reprendra (c’est un exemple) 2 Pierre, à l’instar de tant de textes du Nouveau Testament et de l’Église ultérieure.
On reconnaît ainsi dans ce texte d’Ésaïe l’image traditionnelle — que l’Église reprendra comme un aspect de la venue des Mages (image qui n’est pourtant pas telle dans Matthieu — où on le sait il est question de Mage et non de rois). L’Église ultérieure y lira ce qu’Ésaïe annonçait comme temps de la plénitude de Dieu : l'accueil de toutes les nations et la valeur de toutes leurs cultures, de toutes leurs richesses.
Ainsi, de même le Psaume de ce jour, Ps 126 : « SEIGNEUR, retourne avec nos captifs, comme les torrents du Néguev. Qui a semé dans les larmes moissonne dans la joie! Il s’en va, il s’en va en pleurant, chargé du sac de semence. Il revient, il revient avec joie, chargé de ses gerbes » (v. 4-6).
Plénitude des temps : c’est ainsi que les nations en Ésaïe sont le lieu d'où viennent les fils et filles de Sion exilés — en rapportant des richesses, avec la bénédiction de ces mêmes nations. Au point que sous un autre angle, les nations deviennent fils et filles de Sion, fournissent des fils et filles à Sion. Est-ce à cela que pensait Jean-Baptiste disant que Dieu peut susciter des enfants d'Abraham depuis les pierres ?
Deux vérités : Israël en exil parmi les nations, et Israël caché comme une partie des nations, révélées par la mission confiée par le Christ à l'Église. Ces deux vérités se recoupent et n'en font qu'une : Israël est une réalité spirituelle cachée depuis la fondation du monde, et l'histoire qui se développe depuis Abraham, à travers les exils et les exodes, est celle de la venue au jour de cet Israël caché, en Égypte, à Babylone, bien sûr, mais aussi en des lieux, aux extrémités de la terre, où apparemment l'Israël historique n'a jamais été exilé.
Ici, dans ce texte d'Ésaïe, au v. 6-7, globalement le Yémen, l'Arabie et l'Éthiopie actuelle, et au v. 9, l'Espagne. Dans Ésaïe, autant de lieux qui ne sont alors pas les lieux typiques de l'exil de l'Israël historique. Pourtant il y a dans tous ces lieux-là des fils et filles de Sion, exilés depuis la nuit des temps, depuis avant même l'existence de l'Israël historique.
Au-delà des enfants de la Sion historique, c’est le temps du rassemblement de tous les enfants de Sion, fils et filles cachés de la Jérusalem céleste — dont « les fils de l’étranger » (v. 11) ; ce temps annoncé par Ésaïe, est venu. "Allez, faites de toutes les nations des disciples", dira ainsi Jésus.
C'est là le fondement éternel de la mission, un mystère caché en Dieu depuis la fondation du monde, et dévoilé dans l'envoi des disciples aux nations par Jésus.
La consolation peut sembler vague, face à une détresse comme celle de nos jours ; en fait c’est la seule, mystérieuse, et d’une profondeur capable de couvrir toutes les détresses. Mais pas comme le monde le ferait !
« Le passé ne sera plus rappelé, il ne remontera plus jusqu’au secret du cœur », promet Ésaïe. Alors il apparaît que toute l'histoire est le déroulement d'un plan de Dieu, un plan secret, caché, se dévoilant (c'est le sens du mot "apocalypse", "dévoilement").
Tout est conçu en Dieu : c'est le vrai sens de cette doctrine prisée de la théologie réformée classique, qu'on appelle la prédestination, et qui n'a donc pas pour fonction de paralyser les initiatives des hommes, mais de les promouvoir. Aller à la rencontre de ce mystère éternel qui se dévoile par la mission : Dieu a des fils et filles cachés parmi toutes les nations, et qui doivent être dévoilés par le Christ, ramenés à Sion, à la Jérusalem céleste, portés sur les bras, triomphants, chargés de richesses, eux-mêmes richesse du Royaume.
Tandis que les ténèbres couvrent la terre, tandis que le brouillard de nos douleurs nous empêche encore de voir clairement ce mystère, la Jérusalem céleste est déjà rayonnante de cette lumière de Dieu, sa Gloire, le Christ, qui attire ses enfants, que leur résidence en toutes leurs nations a enrichis, pour que le Royaume de Dieu (et en signe dans notre temps, l’Église) soit riche de toutes leurs cultures, de toutes leurs couleurs, de toutes leurs légendes et traditions, de tous leurs chants.
*
Mais, pourrait-on dire à ce point, est-ce que cela ne ressemble pas à l’aspiration de tout empire ? S’accaparer les richesses de tous les peuples conquis ? Empire contre empire que cette espérance d’Ésaïe ? Jérusalem contre Babylone ? Jérusalem contre la Perse ? Jérusalem contre Rome ? Si ce n’est que cela, l’espérance messianique est bien triste, non ? En fait, à bien y regarder, il en est tout autrement ! Il y a bien là le constat que le Royaume universel n’est pas celui de Babylone ou de Rome, effectivement.
Mais le Royaume messianique n’est pas simplement une alternative géographique, un changement de lieu de domination, Jérusalem contre Babylone ! Le changement est aussi un changement de contenu, un changement de fond. Tous les peuples amènent leur richesse non pas dans le cadre d’un pillage, comme pour les autres empires, depuis l’Antiquité jusqu’aux XXe et XXIe siècles, mais dans le cadre de la reconnaissance envers un libérateur, le Messie, qui du coup, non seulement ne pille pas les richesses des peuples, mais les fait fructifier et les multiplie pour les peuples.
*
La promesse d'Ésaïe est en marche. Ceux qui déjà se sont approchés de la Sion éternelle, de la Jérusalem céleste, portent les louanges du Seigneur de loin en loin, se font ses messagers, pour autant d'échos d'extrémités du monde en extrémités du monde.
Le Christ : pourquoi ce moment ? Parce qu'il dévoile cet aspect des choses : la présence de Dieu avec les hommes — lumière et parole éternelle devenue toute proche. Plein de l'octroi de notre pardon. Par la foi seule, on a accès à la Jérusalem céleste. Cela vaut pour tous, quelle que soit sa tradition, sa provenance, ses rites. Sur ce fondement de la mission universelle, le pardon, et le pardon réciproque de tout ce qu'est chacun, le pardon des fautes pour l'acceptation de ce qui nous paraît étrange. C'est ce qui fait que l'Église est ce qu'elle est — universelle.
Le plan de Dieu, le dévoilement de ce grand mystère se poursuit, et nous sommes encore invités à en être. Aujourd'hui à nouveau, Dieu nous accueille comme ses enfants, tous, d'où que nous soyons, par pure grâce, par don. Voici venu le temps du rendez-vous avec nous-mêmes, dans l'attente de la rencontre avec Dieu. Rencontrer Dieu: c'est se convertir, être capable de changement : « Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis. Et tous verront le salut de Dieu » (Luc 3, 5-6). C'est au plus secret de nous-mêmes que se réalise l'inexprimable, la rencontre avec Dieu, la réconciliation avec Dieu.
R.P.
Vence, 10 décembre 06
12:55 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
04 décembre 2006
1er dimanche de l'Avent
« À toi, mon Dieu, mon cœur monte… »
Psaume 25
1 De David.
SEIGNEUR, je suis tendu vers toi.
2 Mon Dieu, je compte sur toi ; ne me déçois pas ! Que mes ennemis ne triomphent pas de moi !
3 Aucun de ceux qui t’attendent n’est déçu, mais ils sont déçus, les traîtres avec leurs mains vides.
4 Fais-moi connaître tes chemins, SEIGNEUR ; enseigne-moi tes routes.
5 Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours.
6 SEIGNEUR, pense à la tendresse et à la fidélité que tu as montrées depuis toujours !
7 Ne te souviens pas des péchés de ma jeunesse ni de mes révoltes ; Souviens-toi de moi selon ta bienveillance, À cause de ta bonté, SEIGNEUR.
8 Le SEIGNEUR est si bon et si droit qu’il montre le chemin aux pécheurs.
9 Il fait cheminer les humbles vers la justice et enseigne aux humbles son chemin.
10 Toutes les routes du SEIGNEUR sont fidélité et vérité, pour ceux qui observent les clauses de son alliance.
11 Pour l’honneur de ton nom, SEIGNEUR, pardonne ma faute qui est si grande !
12 Un homme craint-il le SEIGNEUR ? Celui-ci lui montre quel chemin choisir.
13 Il passe des nuits heureuses, et sa postérité possédera la terre.
14 Le SEIGNEUR se confie à ceux qui le craignent, en leur faisant connaître son alliance.
15 J’ai toujours les yeux sur le SEIGNEUR, car Il dégage mes pieds du filet.
16 Tourne-toi vers moi ; aie pitié, car je suis seul et humilié.
17 Mes angoisses m’envahissent ; dégage-moi de mes tourments !
18 Vois ma misère et ma peine, enlève tous mes péchés !
19 Vois mes ennemis si nombreux, leur haine et leur violence.
20 Garde-moi en vie et délivre-moi ! J’ai fait de toi mon refuge, ne me déçois pas !
21 Intégrité et droiture me préservent, car je t’attends.
22 O Dieu, rachète Israël ! Délivre-le de toutes ses angoisses !
Luc 21, 33 :
« Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. »
*
Voici que nous entrons dans cette période de l’Avent, où nous nous préparons à nouveau à célébrer Noël en tout ce que cette fête signifie. Période qui commence comme chaque année avec cet avertissement. Toutes choses passeront, plus vite qu’on ne croit.
Alors nous sommes invités à veiller, pour savoir ce qu’est la seule chose qui ne passera pas, cette parole éternelle venue nous rencontrer à Noël : « Veillez donc et priez en tout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce qui doit arriver, et de vous tenir debout devant le Fils de l’homme » (Luc 21, 36).
*
Nous entrerons cette année dans cet appel du 1er dimanche de l’Avent par la méditation du Psaume de ce jour, le Ps 25. Comment participer dès aujourd’hui à cette éternité de la parole qui ne passera pas, venue parmi nous à Noël.
Pour entrer dans ce Psaume, voyons donc ce qu’il dit en son premier sens. Que dit-il dans le contexte proposé au premier verset ? — Que le roi David est entouré de traîtres. C’est un peu le destin normal d’un chef politique.
Face à cela, ce qui peut faire la faiblesse du roi attaqué, ce sont ses fautes éventuelles. Que font ses ennemis ? Ils lui lâchent au train une troupe de paparazzis ou autres fouilleurs d’arrière-boutiques pour le discréditer. Quel homme en position de pouvoir ne connaît pas cela ? Deux exemples contemporains connus :
On a tous entendu parler de l’affaire des relations d’une stagiaire de la Maison Blanche et d’un Président américain, où un juge peu scrupuleux — à force de vouloir l’être trop ! — est allé fouiller les poubelles jusqu’à dévoiler au su et au vu de tous que le Président des États-Unis avait trompé sa femme, et jusqu’à le convaincre de mensonge puisqu’il s’est efforcé de nier un temps — pour, a-t-il expliqué ensuite, protéger sa famille.
David, on le sait, a connu une situation similaire, pire même en un sens, puisque non seulement il a séduit la femme d’un autre, mais pour écarter le mari, un de ses généraux, il l’a exposé sur le champ de bataille de sorte qu’il a été tué — je précise, parlant de David, qu’il ne s’agit pas, pour cet exemple, du sujet du Psaume 25 : il n’est pas sûr que ce Psaume 25 fasse allusion à cela.
Mais, pour le parallèle avec le Président des États-Unis : concernant David, quant à cet adultère doublé d’un quasi-meurtre, il a eu la chance d’avoir affaire, lui, à un prophète discret, le prophète Nathan. Il n’en a pas moins été traité par lui très sévèrement et David a dû s’humilier devant Dieu comme il le méritait. Et a avoué amèrement sa faute devant Dieu. On va voir combien cela est important.
Deuxième exemple dans l’actualité récente : les mésaventures du maire de Toulouse, accusé faussement de toutes les turpitudes et scandales. Faussement, mais, à l’appui des médias friands de ce genre de discrédit porté sur un homme public, tous l’ont cru. Imaginez la force d’appui que cela aurait pu donner à ses adversaires politiques.
Revenons à David : le roi sera d’autant plus accessible à ses ennemis, à ceux qui le trahissent, qu’ils auront « du grain à moudre » comme on dit — fût-ce un tissu de faussetés. Comme c’est le cas dans le Ps 25.
Mais, et c’est là la leçon importante du Psaume, quand les accusations sont fausses, que fait David ? Il demande à Dieu de le pardonner ! Non pas pour les péchés qu’il n’a pas commis, et dont on l’accuse à tort pour mieux l’abattre, pour mieux de trahir ; mais pour ce qu’il est un homme en proie à la faiblesse : si on l’accuse à tort, il ne prétend pas pour autant être l’agneau qui vient de naître. Il n’en sait que mieux le danger auquel il est exposé.
Et il ne présume pas de ses forces propres.
Il ne s’appuie donc pas sur son innocence, pourtant réelle en l’espèce, mais sur la fidélité de Dieu, qui s’est allié avec lui, et dont il n’a pas trahi l’alliance, contrairement à ses ennemis tapis dans l’ombre pour l’abattre.
Et quelle est cette alliance ? L’alliance royale bien sûr — il y fait allusion, selon laquelle son trône subsistera parce que Dieu en est garant. Mais aussi l’alliance qui nous concerne tous, scellée avec Abraham, l’Alliance de la foi, de la fidélité de Dieu, qui ne laisse pas tomber celui qui compte sur lui, et de la confiance qu’on peut lui faire.
*
Voilà qui vaut pour chacun de nous : je suis d’autant plus faible que je suis loin de Dieu. Ce qui fait de moi la proie de toutes les attaques. Derrière les ennemis de David, on peut imaginer tout ce qui peut nous séparer de Dieu — autant de figures, comme les ennemis de David, de celui que le Nouveau testament appelle l’ « ennemi de nos âmes ».
Alors la prière, le Psaume, commence par : « à toi mon Dieu, mon cœur monte » et termine par : « délivre-moi, ne me déçois pas », avant la louange finale : Dieu a exaucé cette prière.
Auprès de Dieu est la vie : monter vers Dieu est recevoir la vie, loin de lui, sont tous dangers. Oui en moi je suis faible, susceptible de pécher, de me laisser abattre par mes ennemis, mon ennemi. Et cela je le reconnais : combien de fois m’est-il arrivé de succomber, et de devenir ainsi la proie de ceux qui veulent me séparer de Dieu, rompre l’Alliance.
Alors, pardonne les péchés de ma jeunesse, — c’est-à-dire éventuellement ceux d’hier matin —. Et garde-moi de présumer de mes forces, et de croire que je puisse me mettre moi-même à l’abri du péché. Dès aujourd’hui je me place devant toi tel que je suis.
Et, « montre-moi, Seigneur la route, qui seule conduit à toi. »
Nous voilà donc entre l’élévation vers Dieu — et l’éloignement de Dieu, qui conduit au péché, et nous laisse en proie à tous les dangers, et à toutes les attaques injustes de l’ennemi qui veut nous abattre, et qui peut être parfois tout à fait personnalisé — voir les exemples mentionnés d’entrée : les gens en vue s’exposent aux attaques, mais pas eux seuls. La haine gratuite, ça existe ! Et rappelons-nous que nous sommes porteurs d’une parole qui dérange, et vaut persécution. Rappelez-vous : « heureux serez-vous lorsqu’on dire de vous toute sorte de mal à cause moi ».
Face à cela est la montée de notre cœur vers Dieu, qui est notre seul abri.
Et déjà ce seul tournement vers Dieu, cette conversion, est le salut, l’entrée sur le chemin de vérité et de vie, quels que soient les dangers, risques, les tentations, etc.
*
Et à ce point le Psaume a été lu dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ.
« Fais-moi connaître tes chemins, SEIGNEUR ; enseigne-moi tes routes. Fais-moi cheminer vers ta vérité et enseigne-moi, car tu es le Dieu qui me sauve. Je t’attends tous les jours. » (v. 4-5)
Cf. Jean 14, 4-6 : « "Quant au lieu où je vais, vous en savez le chemin." Thomas lui dit: "Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas, comment en connaîtrions-nous le chemin?" Jésus lui dit: "Je suis le chemin et la vérité et la vie. Nul ne va au Père si ce n’est par moi." »
Les Psaumes ont été lus dans l’histoire de l’Église comme parlant du Christ en ce sens que Jésus s’est identifié aux pécheurs.
Il a fait siennes nos prières, en faisant sienne notre humanité. Et ça, c’est le message de Noël. Le juste, parole éternelle qui ne passe pas, est devenu l’un de nous, un homme mortel. Selon les termes de l’Épître aux Hébreux (4:15) : « Nous n’avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses ; il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher. »
Cela au point de faire siennes nos prières, nos Psaumes tout humains, à un point qui nous choque lorsque dans les Psaumes où nous croyons reconnaître le Christ — on en arrive à des confessions de péché et des demandes de pardon. Mais ce n’est plus le Christ cela, pensons-nous naturellement !
Eh bien en un sens, si, c’est lui. Non pas qu’il aurait péché lui-même ! — mais qu’il a fait siennes les conséquences de nos fautes. Et que donc, il confesse notre faute, nos fautes, en solidarité avec nous.
Il a fait siennes toutes nos limites, jusqu’à notre mortalité. Il a fait siens nos deuils : il a pleuré la mort de Lazare. Il a fait sienne notre humanité au sens le plus précis. Comme nous, il est devenu un individu, cet individu, appartenant à ce moment de l’histoire — né sous César Auguste, crucifié sous Ponce Pilate — ; appartenant à ce peuple, le peuple juif, préparé comme peuple de l’Alliance et donc peuple premier de Dieu. Cela aussi Jésus le fait sien jusqu’au bout ! Nous l’avons entendu avec l’histoire de la femme syro-phénicienne. Et bien, c’est comme cela, qu’il nous sauve. Celui qui est la parole éternelle, qui a fondé le monde et connaît tous les méandres de nos vies a emprunté un chemin, celui de l’Alliance qui va d’Abraham au Royaume. Et il contraint cette femme à le confesser en ses termes à elle, parlant pour sa part de miettes, comme il nous y contraint tous.
Comme il le dit d’une autre façon à une autre femme, la Samaritaine, en devenant cet homme, membre du peuple juif d’où vient le salut pour tous les hommes de tous les peuples. Héritier de l’Alliance royale scellée avec David : nous venons de le lire : « ses enfants après lui auront la terre en partage ». Et ses enfants, particulièrement, en cet enfant particulier qui est le chemin, le Christ. « Montre-moi, Seigneur, la route qui seule conduit à Toi » priait le Psaume de David.
Il est entré en nos chemins pour devenir notre chemin, chemin de vérité en qui seul est la vie. Faisant dès lors de la prière du Psaume celle de notre salut. Une prière où il est aussi question de miettes. Miettes en effet que ma justice : on m’accuse à tort, certes, prie le Psalmiste ; cela dit, mon salut n’est pas dans ma justice, mais dans la fidélité de Dieu à son Alliance. Ma justice n’est rien, elle n’est certes que miette, petit commencement.
L’ennemi est celui qui voudrait me déstabiliser à cause de cela et me séparer de mon seul soutien, de ma seule assurance : Dieu m’a rejoint dans mon chemin, et m’a ainsi montré le chemin, la vérité et la vie. C’est la bonne nouvelle que nous attendons à Noël : Dieu venu tout petit dans nos petits cheminements. Alors « à toi mon Dieu mon cœur monte ! »
R.P.
Antibes, culte "central"
Antibes-Cagnes-Vence
3 décembre 2006
Psaume 25,
Traduction Clément Marot 1543,
adaptée par Marc-François Gonin (éd. Vida 1998) :
I
1 À Toi, mon Dieu, mon cœur monte,
2 En Toi mon espoir est mis ;
Dois-je tomber dans la honte
Au gré de mes ennemis,
3 Jamais on n'est confondu
Quand sur Toi l'on se repose ;
Mais le méchant est perdu,
Car c'est à Dieu qu'il s'oppose.
II
4 Montre-moi, Seigneur, la route
Qui seule conduit à Toi ;
Fais-moi dépasser le doute,
Et progresser dans la foi.
5 Car enfin j’ai reconnu
Ta vérité évidente ;
En Toi, Dieu de mon salut
Est chaque jour mon attente.
III
6 Seigneur si fidèle, pense
Que tu montras en tout temps
La miséricorde immense
À laquelle je m’attends.
7 Mets loin de ton souvenir
Les péchés de ma jeunesse,
Et daigne encor me bénir,
Seigneur, selon ta promesse.
IV
8 Dieu, très juste et véritable,
Est aussi plein de pitié ;
Il ramène le coupable
Sur le bon et droit sentier.
9 Il prend le pauvre homme en main,
Vers la justice il l'oriente.
Il enseigne son chemin
À l'âme pauvre et souffrante.
V
10 Fidélité, bienveillance
Sont les sentiers du Seigneur
Pour qui garde l'alliance
En fidèle adorateur.
11 Hélas, Seigneur Dieu parfait,
Pour l'amour de ton Nom même,
Pardonne-moi mon forfait
Car c'est une faute extrême.
VI
12 Est-il quelqu'un à vrai dire
Cherchant Dieu sincèrement ?
L'Eternel pour le conduire
Parle au cœur du vrai croyant.
13 Il peut reposer la nuit
La paix est son héritage
Et ses enfants après lui.
Auront la terre en partage,
VII
14 Dieu révèle ses pensées
À ceux qui l’aiment vraiment ;
Il les leur fait voir tracées
Au long se son testament.
15 Quant à moi tous mes regards
Se dirigent vers sa face,
Il me sauve sans retard
Du filet où l’on m’enlace.
VIII
16 Jette enfin sur moi la vue,
Je suis seul et humilié ;
Que ta pitié soit émue,
Les hommes sont sans pitié.
17 Hélas, je sens empirer
De jour en jour ma détresse.
Seigneur, viens me délivrer
De ce fardeau qui m'oppresse.
IX
18 Fais sur moi briller ta face,
Vois ma peine et mon souci.
J'ai péché! Seigneur, efface
Tout le mal que j'ai commis.
19 Vois les ennemis qui sont
Contre nous en si grand nombre ;
Tu sais la haine qu'ils ont,
Combien l'avenir est sombre !
X
20 Préserve de toute embûche
Ma vie, et délivre-moi
De peur que je ne trébuche.
Alors que j'espère en Toi.
21 Que la simple intégrité
Qui convient aux tiens me serve.
22 Sauve Israël ; ta bonté
Seule, ô Seigneur, le conserve.
11:15 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
13 novembre 2006
L'offrande de la veuve
que tous les autres..."
Marc 12, 35-44
35 Prenant la parole, Jésus enseignait dans le temple. Il disait: "Comment les scribes peuvent-ils dire que le Messie est fils de David?
36 David lui-même, inspiré par l’Esprit Saint, a dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds.
37 David lui-même l’appelle Seigneur; alors, de quelle façon est-il son fils?" La foule nombreuse l’écoutait avec plaisir.
38 Dans son enseignement, il disait: "Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39 à occuper les premiers sièges dans les lieux de culte et les premières places dans les dîners.
40 Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation."
41 Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42 Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43 Appelant ses disciples, Jésus leur dit: "En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44 Car tous ont mis en prenant sur leur superflu; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre."
*
« Assis vis-à-vis du tronc, Jésus regardait comment la foule y mettait de l'argent ». Voilà de quoi comprendre concrètement comment Jésus dérange. Imaginez Jésus en train de se pencher sur le panier d'offrandes et de regarder combien vous mettez ! Eh bien, c'est exactement ce qui se passe au moment de l'offrande ! Jésus est vivant, il est au milieu de nous, son regard s'abaisse sur nous. Et il nous le rappelle : « Ton Père qui voit dans le secret » voit aussi le secret de ton aumône (Mt 6:4).
Prenons toutefois garde à ne pas faire de ces textes des armes à culpabiliser en en déplaçant le sens. Ceux à qui s'en prend Jésus sont ceux qui font de l'exhibition en s'arrangeant pour que tous sachent combien ils sont pieux et quelle belle offrande ils donnent : « ils ont déjà leur récompense », nous dit-il. Et il donne en exemple la veuve — c’est-à-dire à l’époque, sans ressources financières — qui vient de mettre quelques piécettes ; elle veuve spoliée, finalement, en quelque sorte, par les donneurs de leçons de piété, en ce sens qu’elle donne en fait beaucoup, puisque cela empiète sur son nécessaire, son minimum vital : « gardez-vous des scribes... ils dévorent les maisons des veuves et font pour l'apparence de longues prières. Ils subiront une condamnation particulièrement sévère » (v.38, 40). Et ils font, aussi « pour l'apparence », de belles offrandes (c'est qu'ils ont les moyens, contrairement à la veuve) : ils ont déjà leur récompense. C'est contre cela que Jésus intervient : pour toi « que ton offrande se fasse dans le secret », « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite », ce qui ne signifie pas un retour à la case départ ! Jésus lui-même, n'en regarde pas moins dans le panier d'offrandes, mais lui seul.
*
Il faut, pour éclairer le propos, se rappeler le sens précis du mot « aumône » dans la tradition biblique. Le terme traduit ainsi renvoie au mot hébreu signifiant « justice ». L'aumône devient la restitution d'un équilibre qui a été rompu. La richesse, sous l’angle où elle est productrice de déséquilibres, est mal notée par les auteurs bibliques. Nous avons trop facilement tendance à tempérer leurs propos en distinguant plus ou moins arbitrairement bonne et mauvaise richesse. En fait la richesse devient mauvaise, si elle n'est pas purifiée par l' « aumône », par la justice, qui corrige le déséquilibre qu’elle produit naturellement, puisqu’il est dans sa nature de croître exponentiellement (voir la parabole des talents). Et c’est même en cela qu’elle est signe de bénédiction ! Mais à terme cela mène au déséquilibre si ce n’est pas purifié par l’ « aumône » qui ne signifie rien d’autre que la « justice ».
C'est pourquoi il est abusif que l'on trouve dans nos traductions de la Bible des introductions de paragraphes nous annonçant, par exemple : « la parabole de Lazare et du mauvais riche » ! Ce faisant, on nous laisse loisir de ne pas en percevoir le message : nous sommes de bons riches n'est-ce pas ? Le texte parle du riche tout court.
Ne pas le voir est pour nous tout simplement une façon subtile de nous masquer qu'il est un certain déséquilibre, accepté, jugé normal ou fatal, mais qui relève tout simplement du péché. « Malheur à ceux qui ajoutent champ à champ » criait le prophète — ce qui est pourtant censé être signe de bénédiction ! Exemple concret, pourtant, de la liberté devenant celle du plus fort d'opprimer le plus faible. Où l'accumulation des uns spolie les autres.
La question que pose la Bible à travers la dénonciation de l'accumulation a pris de nos jours la taille d'un problème qui atteint des proportions internationales aux conséquences considérables, internationales elles aussi.
Exemple : nous savons que nos villes et les écoles que fréquentent nos enfants sont des lieux de vente de drogue. Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, le voici : de nombreux pays du sud sont endettés au point de devoir consacrer l'essentiel de leurs ressources au remboursement des intérêts de leur dette, cela au déficit de leurs dépenses de santé ou d’éducation par exemple. Combien le poids de la dette entraîne-t-il de morts ? Combien d’illettrisme avec ses conséquences funestes à long terme ? Le rapport avec la drogue dans nos rues ? — me direz-vous. Eh bien c'est que — ce n’est pas un scoop — pour certains paysans d'Amérique latine par exemple, ou d’Asie, l'offre des cartels de la drogue leur proposant d'employer leurs champs à cet effet ressemble à une solution. Non que ce soit une excuse ! Mais c’est une vraie tentation. Et le produit de leur récolte se retrouve dans les cours de nos écoles. Voila comment un usage abusif du droit des plus riches fait retour de plein fouet. « Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs », prions-nous.
Tout cela est troublant, certes. Et c'est tout simplement la réalité de notre monde. Alors, que faire ? En premier lieu, dans la Bible, la richesse nous est accordée par Dieu comme à ses gestionnaires. La terre lui appartient à lui. Sur la terre, chacun ses dons. Celui qui a plus a en quelque sorte le don de gestionnaire. C'est-à-dire que ce qu'il a reçu lui a été donné pour le service d'autrui, pour contribuer à ordonner les choses selon un équilibre dont la perte nous mène tous ensemble au malheur.
Et l’Église dans tout cela ? Avec ce récit d’offrande de la veuve… Eh bien c’est que l’institution du Temple en son temps, l'Église ensuite, ont été données au monde aussi comme instrument de rééquilibrage ; et ça se vérifie souvent concrètement.
*
Revenons-en donc aux scribes et à la veuve. Cela pour dire que, l'habitude de la transgression aidant, les plus faibles en viennent à penser que leur situation relève de la fatalité, et qu'elle est donc normale et légitime. Peu de doutes pour la veuve que la richesse exorbitante de ses prochains riches — les choses et la loi de l'argent étant ce qu'elles sont —; peu de doutes pour elle que, finalement, il n'y a là que fruit de justice et de sain labeur. Et la voilà qui peut-être admire les belles offrandes, ces gouttes dans la mer de leur aisance, qui dépassent son minimum vital à elle.
Si la Bible prévoit la même contribution pour tous — en pourcentage : la dîme ; sa dîme à elle, ses quelques centimes, la dîme de ce qu'elle a pour vivre semble peu.
Et pourtant non seulement ses quelques centimes ne sont pas moins que la grosse dîme de ceux qui sont plus aisés — et qui ne sont pas mauvais pour autant — ; mais, dit Jésus, ces quelques centimes sont plus ! Car, on l’a entendu, ils portent atteinte à son nécessaire ; leur grosse dîme à eux, qui est proportionnellement équivalente, et qui est apparemment, et numériquement, bien plus impressionnante, n'atteint en fait que leur superflu.
Aussi, pas de quoi pavoiser en faisant l'aumône — à savoir la justice — ! Pas de quoi pavoiser, pour les scribes, au moment de l'offrande. Au mieux, elle est normale. À l’instar de la dîme qui relevait de la Loi, en vue donc, de la restitution naturelle d'un équilibre déstabilisé — par le péché ; — « vous aurez toujours les pauvres avec vous », rappelle Jésus. (Et l’aumône biblique est à l’origine de nos modernes caisses de sécurité sociale et de solidarités diverses.) Pas de quoi s'enorgueillir donc, d'un geste dont le fruit n’est, le cas échéant, que restitution d’une infime partie de ce qui fait la pauvreté des veuves. Autant de raisons pour lesquelles Jésus réclame le secret de l'offrande. Dieu sait et voit. C'est là l'usage légitime de la Loi : pas pour se faire valoir.
Cela dit, l'offrande, si elle doit être secrète, n'en est pas moins institution divine. Il ne faudrait pas déduire de ce que Jésus peste contre l'offrande des exhibitionnistes du portefeuille que la dîme et la pratique de l'aumône, de « la justice », sont abolies. Mise au secret n'est pas abolition.
Une des voies est peut-être encore et à nouveau le sens de la gratuité qui nous échappe si facilement, d’autant plus que nous vivons dans le monde du profit à tout prix. Où il s’agit d'apprendre à ne pas faire du profit l'idole de nos vies, le Mammon qui nous prive de la vraie liberté. Simple test : notre prière est-elle digne d'une interruption de notre travail ?
Où il est question de l’Évangile qui libère de la peur de manquer. Et où la culpabilisation n’arrange évidemment rien, et est sans doute révélatrice d’un problème assez commun.
Ce problème est que dans ce domaine-là, dont on ne parle pas, et donc, où l’Évangile de la libération et du pardon passe peu. Il s’agit de l’avarice comme captivité, fruit d’une peur, d’un manque de foi.
En ces termes : « Dieu pourvoira-t-il à mon lendemain ? Alors au cas où, je m’assure moi-même, je thésaurise ». Or, voilà une attitude assez commune. Qui n’a pas été l’attitude de la veuve. Et donc Jésus loue aussi sa rareté : elle n’a pas craint de donner de son nécessaire. Cela contre l’attitude assez commune de thésauriser que l’on pardonne donc peu aux autres. L’avarice suscite peu la compassion, et pourtant elle est souffrance.
C’est ce qui me fait dire que l’Évangile du pardon libérateur est peu passé dans ce domaine. On a peu reçu de pardon sur un domaine où l’on a peu confessé, et où donc on pardonne peu. « Celle à qui il a été beaucoup pardonné a beaucoup aimé », dit ailleurs Jésus, d’une autre femme.
C'est peut-être là la source de l'offrande, du don : recevoir le don, le pardon, de Dieu pour notre manque de foi, qui nous fait — et thésauriser, et être sévères sur la pingrerie des autres, qui n’est jamais qu’une autre captivité qui demande aussi libération !
Où il s’agit de découvrir une autre richesse, juste celle-là : « Apportez la dîme... mettez-moi ainsi à l'épreuve, dit Dieu, et vous verrez si je n'ouvrirai pas pour vous les écluses du ciel, si je ne déverse pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure » (Ml 3:10).
*
Pour illustrer ce texte et terminer sur une note encourageante, voici une petite histoire rapportée il y a quelques années par un pasteur de ce qui était alors l'Allemagne de l'Est (Richard Wurmbrand) : « un rabbin avait mis de côté 200 pièces d'or comme dot de sa fille pour le jour où elle se marierait. Il avait un serviteur, qui quelque temps avant le mariage de la jeune fille, partit ouvrir un petit commerce dans une ville voisine. Comme le jour du mariage de sa fille approchait, le rabbin ouvrit le tiroir pour en retirer les pièces d'or. Et voici qu'elles avaient disparu. Les soupçons de la famille se portèrent sur le serviteur devenu commerçant. Le rabbin avait pourtant confiance en son ancien serviteur. Mais sur l'insistance de ses proches, il alla le trouver et lui dire les soupçons qui pesaient sur lui. Le serviteur ne protesta pas et il dit : c'est bien moi le voleur, et donna 200 pièces d'or au rabbin, ce qui réduisit ses économies à zéro. Mais voilà que quelque temps après, on découvrit le vrai voleur. Le rabbin retourna donc voir son ex-serviteur pour lui demander des explications. Celui-ci lui répondit : "J'ai vu votre tristesse et celle de votre fille. J'étais prêt à vous donner tout mon argent pour compenser la perte, mais je savais que vous n'accepteriez pas ce sacrifice de ma part. C'est pourquoi je me suis fait passer pour le voleur". Le rabbin le bénit et dit : "Que Dieu vous récompense de cet acte en vous donnant de grandes richesses, ainsi qu'à vos descendants". » C'est là une histoire vraie nous dit le pasteur qui la rapporte ; le serviteur du rabbin s'appelait Rothschild.
« Voir s'ouvrir les écluses des cieux », telle est la promesse que Dieu fait à qui ouvre son cœur et ce qui le recouvre... la veuve de l’histoire est alors bien plus riche qu’on ne croit, bien plus riche que les scribes…
R.P.,
Vence, 12 novembre 2006
08:05 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
06 novembre 2006
"Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu."
Le cœur de la Loi
et la proximité du Royaume de Dieu
Marc 12, 28-34
28 Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter [de la résurrection] et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?"
29 Jésus répondit: "Le premier, c’est: Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur;
30 tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.
31 Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là."
32 Le scribe lui dit: "Très bien, Maître, tu as dit vrai: Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui,
33 et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices."
34 Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit: "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger.
*
« Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices » a dit le scribe à Jésus.
Où le scribe a-t-il trouvé cela ? — : Le Talmud annonce que dans le Royaume de Dieu, les sacrifices seront abolis — sauf le sacrifice d’action de grâce ; action de grâce adressée à Dieu. Or qu’est-ce qui nourrit l’amour ? L’action de grâce ! En effet, si vous voulez aimer, demandez-vous le bien que vous recevez de qui vous voulez aimer. Si vous entretenez les récriminations, vous allez finir par trouver celui ou celle contre qui vous récriminez désagréable ! Rendez grâce, c’est-à-dire, comptez les bienfaits — vous connaissez le cantique — vous obtiendrez l’effet inverse : comment aimer Dieu ? Vous connaissez la réponse…
Reprenons le texte au début : « un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?" »
De quoi « les » a-t-il entendus discuter ? Jésus vient de discuter avec les Sadducéens de la résurrection des morts ; et donc du Royaume de Dieu, dans la perspective du scribe — Royaume dans lequel pour le scribe subsiste, comme seul sacrifice, l’action de grâce. D’où la question du scribe à Jésus. Rien d’anodin en tout cela. Il veut aller un peu plus loin quant à savoir ce qu’en dit Jésus, de ce Royaume. Ou n’y a-t-il que théorie dans son discours ?
Et voilà donc Jésus en plein accord avec les scribes. Ce qui ne devrait pas nous surprendre : il est question ici du fond des choses. Point de désaccord à ce niveau.
Il est question du texte du Deutéronome qui est au cœur de la foi juive : le « Sh’ma Israël » qui est l’appel fondateur, énoncé quotidiennement, écrit symboliquement sur la main, le front, les portes de la maison. Point de discussion évidemment là-dessus.
Quant au second commandement, qui lui est semblable, il est lui aussi au cœur de la Torah, Lévitique 19, 18, au cœur d’un passage qui commence par « vous serez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur, votre Dieu » (Lv 19, 1).
« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », littéralement « pour ton prochain comme pour toi-même », est donc naturellement perçu par les scribes comme central — au point qu’en Luc (ch. 10), ce n’est pas Jésus qui énonce le double commandement comme ici, mais un scribe. Et ici, on voit donc qu’il n’y a pas débat. Le scribe interroge Jésus pour savoir s’il est bien au courant, dans le foisonnement des préceptes de la Torah (on sait que Maimonide, au XIIe siècle, en dénombrera 613) — de ce qui en est le cœur.
Chérir Dieu de tout son cœur, c’est-à-dire du fond de son être ; de toute son âme ou, autre traduction, de toute sa vie ; de toute sa pensée, ou intelligence — ce qui rend non seulement vaine, mais impie cette idée selon laquelle un croyant serait censé faire abstraction de son intelligence ! Non, l’intelligence est appelée à être cultivée, ce qui demande un vrai travail certes, un effort, qui permet de soupçonner de paresse intellectuelle cette façon de dire que ce qui concerne Dieu devrait être simple, pour ne pas dire simpliste. L’amour de Dieu est commandé aussi à notre pensée. Forme intense de prière, où la prière est aussi prière de l’intelligence, combat intellectuel, travail sérieux de la raison appliquée à tous les domaines, la méditation de la Loi, des Écritures, et des événements où Dieu se dévoile ; y compris la méditation de la création de Dieu, car comment chérir Dieu de toute son intelligence, sans le louer dans la contemplation, la recherche étendue à toute sa création, bref, la science… Et tout cela, cet amour de Dieu, se vit avec toute sa force — autre traduction : tous ses moyens. Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tous tes moyens, y compris, naturellement, financiers. Ce qui se comprend tout seul : comment peut-on prétendre aimer le Nom de Dieu, et s’arranger pour le faire passer pour mesquin, doté d’institutions qui vivotent, d’une Église qui vivote, a fortiori quand on est dans une société d’abondance…
Où aussi, l’idée devient naturelle que le second commandement est semblable au premier. Dieu, on ne le voit pas, on ne prononce même pas son Nom. Aussi, on le chérira dans ce qui le représente : on cherche Dieu avec son intelligence en étudiant ce qui parle de lui dans sa création et sa Loi.
On chérira Dieu donc, dans ce qui le représente, et en premier lieu celui que Dieu place proche de nous, le prochain, cet être humain fait selon son image.
Comment prétendre aimer Dieu qu’on ne voit pas si l’on n’aime pas le prochain, le frère, que l’on voit ? demandera la 1ère épître de Jean (1 Jn 4, 20). C’est ainsi que Paul, lui, résume toute la loi à cette seconde partie : « la Loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates, 5, 14).
En tout cela, Jésus et le scribe qui l’interroge sont d‘accord. Et Jésus va aller un peu plus loin, avec cette sentence qui fait que « personne n’osait plus l’interroger » : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu », dit-il au scribe sur la base de ce qu’il professe son accord avec lui sur le cœur de la Loi. Parole centrale de notre texte : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».
*
Qu’est-ce à dire que cette sentence de Jésus — « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » — et l’effet — « personne n’osait plus l’interroger » — qu’elle a sur ses auditeurs ?
C’est que Jésus s’inscrivant dans l’espérance pharisienne du scribe, quant au cœur de la Loi au jour du Royaume : subsiste l’action de grâce — Paul le dit en ces termes : une seule chose demeure : l’amour — ; Jésus est en train de dire tout simplement que le Royaume s’est approché : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » n’est point ici une parole banale !
Où on regarde forcément Jésus d’une façon particulière : « personne n’osait plus l’interroger » !
Allons un peu plus loin. Comment en est-on arrivé à cela dans la réflexion juive ? À ce sur quoi Jésus et le scribe s’accordent : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices ».
Eh bien c’est là un fruit de la prière de l’intelligence (tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton intelligence).
Un fruit de la réflexion priante suite à l’événement de l’exil, dès 587 av. J.C., cette perte de souveraineté d’Israël, et de la destruction du Temple, perte, alors provisoire, de la possibilité de sacrifier. Cette perte deviendra définitive en 70 — jusqu’au Royaume où subsiste comme seul sacrifice, la seule action de grâce.
Le retour de l’exil de 587 à Babylone laissera le pays sous la souveraineté de la Perse, puis des divers empires, malgré quelques moments de résistance glorieux comme sous les Grecs. Mais pas de réintégration totale et définitive de la souveraineté. Plus de royaume (et surtout pas en 1948, avec la création d’un État laïque d’Israël !). Plus de royaume, au point que Jean-Baptiste annonce encore, au temps romain, la fin de l’exil (qui n’a donc pas vraiment eu lieu) et la venue du Royaume. Au point qu’au début du livre des Actes des Apôtres, les disciples interrogent encore le Ressuscité sur le jour de la restauration du Royaume d’Israël !
Il n’y aura pas de reprise de souveraineté politique au nom de Dieu d’un État, ni a fortiori d’une Église ! C’est l’erreur des chrétientés médiévales byzantine et latine (auxquelles l’islam d’alors a emboîté le pas) que d’avoir cru le contraire. La suzeraineté politique a été retirée au peuple de Dieu en 587, et ne sera pas ré-octroyée. (Il n’est pas inutile de souligner cela en ce dimanche de l’Église persécutée : nul n’a le pouvoir ni le droit de dire un délit d’opinion, et a fortiori de poursuivre, de persécuter, pour un délit d’opinion !)
La dynastie légitime alliée avec Dieu, celle de David, trouve son dernier représentant dans le Messie, seul souverain du Royaume de Dieu, Roi-prêtre selon l’ordre de Melchisédech, selon l’Épître aux Hébreux citant le Psaume 110. Un Royaume dont la Loi est inscrite dans les cœurs, et qui n’a donc pas d’institutions pénales d’un État souverain, comme avant 587. En 587, ce domaine de la Torah prend fin.
Les auteurs du Nouveau Testament, à l’instar des scribes pharisiens, ont tiré eux aussi cette conséquences qui s’imposent de la perte de souveraineté politique et du royaume d’Israël : pas de royaume, jusqu’à la venue du Royaume du Messie. Cela le scribe le sait. Les auditeurs de ce dialogue aussi. Et voilà que Jésus affirme que le Royaume s’est approché : « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger. »
La dynastie sacerdotale, elle, qui s’est maintenue pendant le premier exil à Babylone, a repris ses fonctions après le retour de Babylone. Le Temple a été rebâti. Il est encore en activité à l’époque du Nouveau Testament — géré par la caste sacerdotale des Sadducéens. Ce second Temple, on le sait, sera détruit, comme l’annonçait Jésus, en 70, par les Romains.
Alors disparaîtront, et la dynastie sacerdotale des Sadducéens (qui viennent d’interroger Jésus sur la résurrection), et les sacrifices — reste l’action de grâce. Le domaine sacrificiel sacerdotal de la Torah prend fin en 70 — étant désormais au seul pouvoir du Roi-prêtre selon Melchisédech. Ici a eu lieu la fin de ce temps, annoncée par Jésus pour sa génération.
De la Loi qui ne passera pas jusqu’à ce que passent les cieux et la terre, subsiste alors, jusqu’à la venue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, sa dimension morale, sous tous ses angles, selon tous les usages que l’on en peut faire. En son cœur, l’action de grâce, où s’établit l’amour pour Dieu. Subsiste donc cet essentiel de la Loi énoncé ici par le scribe et Jésus, et où l’amour du prochain est le cœur d’un code révélé de sainteté : « tu aimeras pour ton prochain comme pour toi-même », c’est-à-dire : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse, fais a autrui ce que tu voudrais qu’il te fasse ».
Bref, le Royaume s’est approché, et que dit Jésus au scribe ? — « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu". Et personne n’osait plus l’interroger » !
Avec ce texte — qui suit immédiatement celui où Jésus enseigne ce qu’il en est de la résurrection, dont il est l’initiateur —, on comprend à quel point il annonce que le Royaume s’est approché ; Royaume de la résurrection déjà advenue au milieu de nous, et dont la règle est l’inscription de la loi dans les cœurs. Oui décidément le scribe n’est pas loin du Royaume de Dieu, et de sa promesse : « vous serez saints car je suis saint ».
Le Royaume est au milieu, au-dedans de vous, sa règle est résumée par l’Épître aux Hébreux (9, 16-20), citant le prophète Jérémie (ch. 33) : « Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là, a déclaré le Seigneur : mes lois, c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai, et de leurs péchés et de leurs injustices je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché. Nous avons ainsi, frères, pleine assurance d’accéder au sanctuaire par le sang de Jésus. Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire dans sa chair. »
R.P.,
Antibes, 5 novembre 2006
08:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
30 octobre 2006
Dimanche de la Réformation
«Ma maison sera appelée
maison de prière
pour toutes les nations»
Marc 11, 15-18
15 Ils arrivent à Jérusalem. Entrant dans le temple, Jésus se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes,
16 et il ne laissait personne traverser le temple en portant quoi que ce soit.
17 Et il les enseignait et leur disait : "N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits."
18 Les grands prêtres et les scribes l’apprirent et ils cherchaient comment ils le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement.
*
C’est aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Martin Luther proclamait il y a près de cinq siècles le salut par la grâce seule par le moyen de la foi seule. Un refus de tout ce qui vient se mettre en Dieu et nous fondait le protestantisme.
Le geste de Jésus au Temple ressemble bien un geste de réformation...
Réformation. Ou refus de l'idolâtrie… Mais, cela dit, n'est-ce pas aussi ce que voulaient garantir les coreligionnaires de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ? Car nous allons voir que c'était bien leur intention.
Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique et la pousse au bout de son sens. Car au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe — du change à l'entrée du Temple.
Rappelons donc en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème. On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Lc 2, 24).
Lorsque des pèlerins montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est leur cas, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux (de Galilée ou d’ailleurs, plus loin encore souvent).
Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles, en tout cas. Alors à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.
Or, il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Il est incorrect que de telles figures d'idoles entrent dans le trésor du Temple, ou même y transitent. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie. On change donc auparavant la monnaie idolâtre en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.
Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité.
*
Résumons avant d’aller plus loin. — 1) Pour tous les juifs pieux d’alors, la monnaie frappée d’une idole, ici César, ne peut en aucun cas servir pour le culte du vrai Dieu, et surtout pas entrer au Temple. Jusque là, tout me monde est d’accord. Jésus aussi. — 2) C’est de là que s’autorise la présence dans le Temple de changeurs. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre, croit-on, en tout cas sans idole frappée dessus.
Et c’est là que Jésus ne suit plus. C’est précisément cette certitude que cette monnaie-là n’est pas idolâtre que Jésus remet en cause en chassant les changeurs du Temple. Au fond, la monnaie du Temple n’est–elle pas elle-même idolâtre ? demande-t-il par son geste.
N’y a-t-il pas au fond quelque dérive idolâtre derrière la pratique du change ? En ceci : est-ce que vous vous imaginez qu’en enlevant l’idole qui est sur la pièce, on enlève du même coup l’idolâtrie ? Est-ce que l’on peut mettre en banque de la même façon les avoirs de Dieu et ceux de César, chacun sa monnaie ? Sa figure pour l’un, le chandelier à sept branches pour l’autre ? Et cette idole qu’est Mammon, alors, l’argent comme idole ?
Puisque la réponse de Jésus à cette question est pour lui acquise, il réagit avec la violence que suppose ce qui pour lui est dès lors l’entrée de l’idolâtrie dans le Temple. Et c’est par son geste même, par la violence de son geste, que Jésus dévoile cette idolâtrie cachée. Dieu et César chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change, un peu comme les euros qui reçoivent les symboles souverains de chaque État européen.
Mammon est derrière, de toute façon. Dieu est au-delà, et tout lui appartient, Mammon et César y compris, d’ailleurs. Adorez Dieu seul.
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Voilà donc un témoignage contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Lequel a pour cela exaspéré Jésus.
En donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point qu'il entre dans l'inaccessible.
*
Eh bien, la radicalité de la justification par la foi proclamée par Luther relève de la même problématique. Exprimée ici en ces termes : l’impossibilité de la justification par les œuvres.
Loin de se séparer de l’aspiration des autres religieux de son temps, Luther pousse leur logique à son terme. Que veulent-ils tous ces chrétiens pieux de son temps ? Que veulent les meilleurs d’entre eux ? La perfection ! Ils savent que Dieu est saint et qu’il ne supporte pas le péché ; dont ils voient bien aussi que la racine est en eux.
Alors que faire ? Plusieurs « solutions » sont mises en œuvre en parallèle, en complément les unes des autres. Tel moine désireux de perfection se flagelle — Luther a connu cela. Pratique qui vise à châtier la tendance inhérente au mal. Tel autre s’engage à un pèlerinage, à tel ou tel vœu. Luther a connu aussi. Telle ou telle pratique qui vise pour le pécheur à obtenir l’indulgence de l’Église.
Tel sacrifice financier obtiendra éventuellement le même effet. L’indulgence dès lors peut « légitimement » se monnayer. On comprend ainsi que le problème que rencontre Luther, la pratique que dénonce Luther, part d’une bonne intention, d’un désir d’honorer Dieu par une vie sainte, jusqu’à la consécration de son argent ; sainteté dont on voit bien par ailleurs qu’elle est loin d’être à portée de main.
Et la paix avec Dieu reste loin de tous. On s’escrime à s’imposer pénitence sur pénitence. Les sans scrupule de la hiérarchie romaine s’en frottent les mains, ponctionnant allègrement les pauvres en mal de perfection. Et ils savent bien aussi que leurs proches décédés n’ont pas satisfait à la sainteté de Dieu ; souffrant ainsi, croient-il en purgatoire. Et les voilà en désir de les racheter, financièrement, selon ce que prônent les mêmes sans scrupules.
Et voilà donc Mammon, l’idole de l’argent, qui règne, sous prétexte de désir de sainteté de ses victimes, comme au Temple d’antan sous prétexte de désir de sainteté sous la forme du refus de l’idolâtrie.
Que découvre Luther ? Il découvre que lui et ses contemporains ont succombé à une forme terrible d’idolâtrie, celle qui prétend accéder à Dieu à force de sainteté, de capacité à se sanctifier soi-même, ce qui revient à rien d’autre qu’à le mettre de côté sous prétexte de l’honorer, et finalement à mettre Mammon dans le Temple spirituel de Dieu.
Alors que fait Luther ? — Il entreprend de chasser à son tour, suite à son maître, les marchands du Temple. C’est qu’il a découvert entre temps — et c’est pour cela qu’il peut entreprendre ce qu’il a entrepris — ; il a découvert que l’on n’honore pas Dieu, au contraire, en prétendant se faire valoir devant lui, fût-ce avec les meilleures intentions du monde.
On honore Dieu en lui faisant confiance, en s’en remettant à lui avec foi ; en croyant à sa promesse : « celui qui est juste par la foi vivra » (Habacuc 2, 4).
On est très proche du geste de Jésus au Temple : le Temple, maison de prière pour toutes les nations.
Cela conformément aux paroles de consécration du Temple au temps de Salomon. Souvenez-vous de cette prière de consécration (1 Rois 8, 46-50) : « Quand les fils d’Israël auront péché contre toi, car il n’y a pas d’homme qui ne pèche, que tu te seras irrité contre eux, que tu les auras livrés à l’ennemi et que leurs vainqueurs les auront emmenés captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche, si, dans le pays où ils sont captifs, ils réfléchissent, se repentent et t’adressent leur supplication dans le pays de leurs vainqueurs en disant : Nous sommes pécheurs, nous sommes fautifs, nous sommes coupables, s’ils reviennent à toi de tout leur cœur, de toute leur âme, dans le pays des ennemis où ils auront été emmenés et s’ils prient vers toi, en direction de leur pays, le pays que tu as donné à leurs pères, en direction de la ville que tu as choisie et de la Maison que j’ai bâtie pour ton nom, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, écoute leur prière et leur supplication, et fais triompher leur droit. Pardonne à ton peuple qui a péché envers toi, pardonne toutes leurs révoltes contre toi […]. »
Et 1 Rois 8, 41-43 : « Même l’étranger, lui qui n’appartient pas à Israël, ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton nom — car on entendra parler de ton grand nom, de ta main forte et de ton bras étendu — s’il vient prier vers cette Maison, toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, agis selon tout ce que t’aura demandé l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom, et que, comme Israël, ton peuple, ils te craignent et qu’ils sachent que ton nom a été prononcé sur cette Maison que j’ai bâtie. »
Bref, la justice du pécheur ne consiste pas à se faire valoir devant Dieu, mais à se reconnaître pécheur et à recevoir de lui la promesse renouvelée sans cesse depuis le lieu où on le célèbre, promesse que tout peut être recommencé. Il nous accueille comme nous sommes, plein de sa tendresse de Père envers ses enfants qui lui font confiance. Que cette promesse renouvelée soit notre assurance en ce jour de fête de la Réformation.
R.P.,
Cannes, 29 octobre 2006
13:00 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)