Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

24 juillet 2006

Envoi

 

   



DE LA PROXIMITÉ À L’ENVOI






 





Marc 6, 1-13

1  Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.
2  Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d’étonnement, de nombreux auditeurs disaient: "D’où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains?
3  N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon? et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous?" Et il était pour eux une occasion de chute.
4  Jésus leur disait: "Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison."
5  Et il ne pouvait faire là aucun miracle; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.
6  Et il s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas. Il parcourait les villages des environs en enseignant.

7  Il fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs.
8  Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton: pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture,
9  mais pour chaussures des sandales, "et ne mettez pas deux tuniques".
10  Il leur disait: "Si, quelque part, vous entrez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit.
11  Si une localité ne vous accueille pas et si l’on ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds: ils auront là un témoignage."
12  Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir.
13  Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient.




*



Proximité, familiarité, autant d’obstacles insurmontables à l’Évangile et dont on fait naïvement l’Alpha et Oméga de son annonce ! Il faudrait se rendre proche, plaire, éviter toute critique, et tout irait bien ! Que ce puisse être parfois l’Alpha, peut-être, ce n’est en tout cas pas l’Omega ! Et même pour l’Alpha, il faut être circonspect avec cette stratégie : cela fait quelques décennies qu’on l’a adoptée, avec les résultats que l’on sait.

Et pourtant un texte comme celui que nous avons lu nous met nettement en garde contre ce genre de volonté de plaire, contre les stratégies de la proximité. Cela provoque aisément en écho la conviction que l’on est proche, que Jésus est un bon copain, un familier : résultat, il ne put faire de miracle !

Exemple au hasard : l’Église Réformée, en France, aujourd’hui : cote de popularité au zénith. Bloquée depuis quelques décennies au plus haut des sondages. Oh ! on connaît bien les protestants, ils sont sympathiques, ils ne nous remettent jamais en question, ils se plient à toutes nos exigences. Résultat, quand il s’agit de rogner sur la liberté de culte, on est aux premières loges, et au prix supplémentaire de ce que le résultat escompté par cette sympathie, à savoir le tournement vers Dieu, la conversion en termes techniques, n’a jamais lieu — et pour cause, s’il n’y a aucune exigence, si l’on connaît bien le petit Jésus sympathique, eh bien, il n’y a qu’à se contenter de la grâce à bon marché que l’on nous a proposée, qui ne coûte rien que d’accepter le sourire et de le rendre. Il n’y a aucune autre libération à espérer.

C’est ainsi que lorsqu’on tente de dire la moindre exigence libératrice à ces familiers, comme à Nazareth, on ne fait que susciter l’inimitié : qu’est ce que cette intolérance subite, qu’est que ce moralisme ? Car la suite du texte, où il est question de la mission d’évangélisation des disciples, qui connaît du succès celle-là, le précise : « Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12). Ce qui implique concrètement qu’il y a des choses à changer dans les comportements. Et ça, c’est le côté… désagréable de toute délivrance !

Je ne résiste pas à la tentation, pour illustrer cela, de citer un extrait du livre de C.S. Lewis,
Le grand divorce, où en visite par une vision à l’entrée du Paradis, l’auteur décrit la scène suivante. Il y voit un homme un homme qui hésite à entrer, empêché de la sorte :

« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à
chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, car la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire? dit l'esprit flamboyant
- c'était un ange, je le compris soudain.
-
Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
-
Oh! aïe! Attention. Vous me brûlez. Pas si près!
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut
- eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer?
- Oh! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
-
Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer:
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile.
- Vous croyez? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans un éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.

- Certainement pas.
-
Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. »
Etc. Vous trouverez la suite dans le livre de
CS Lewis, Le grand divorce (entre l’enfer et le paradis). »

Jésus « fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7) — genre petit lézard. Et plus loin (v. 13) : « Ils chassaient beaucoup de démons ». Ce qui suppose la volonté d’exercer la dite autorité : « laissez-moi l’ôter ». Et pour cela : « ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12).

Cela après le constat selon lequel lui, Jésus, « ne pouvait faire là aucun miracle » (v. 5) — à Nazareth, où il est familier… Cela dit, précise le texte, « il guérit — pourtant — quelques malades en leur imposant les mains » (v. 5). Histoire de dire que le problème n’est pas en sa capacité à libérer — puisqu’il « s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas » (v. 6) — mais l’écho qu’il a eu, ou n’a pas eu chez ses familiers : oh ! laissez-moi vivre comme je l’ai toujours fait… D’autant que Jésus « parcourait les villages des environs en enseignant » (ibid.), avec manifestement plus de succès que chez ses proches. C’est sur cela qu’il envoie ses disciples en « leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7). Genre le petit lézard de C.S. Lewis qui ne partira pas si on est si « tendre » envers sa victime qu’on lui accorde, comme elle le demande, de ne pas être remise en question. Or l’Évangile qui libère demande des changements de vie.

Voilà qui fait intolérant et quelque peu… « moraliste ». Pensez : les Douze, envoyés, se mettent du coup à proclamer qu’il faut se convertir !

Proclamer donc, que ce que l’on fait n’est peut-être pas adéquat à la liberté de l’Évangile, et au comportement libre qu’il induit ; comportement, c’est-à-dire — pardonnez-moi — « morale ». Car là, on a lâché le gros mot, « morale », « moralisant », « moraliste » — en guise de caricature quant à l’exigence d’un changement libérateur (« Sortez de Babylone » ; « quittez ce qui vous rend captifs » ; « acceptez devoir tuer votre lézard »). Mais c’est une exigence, ça ! — « moralisme » donc ! Mot qui suffit pour discréditer quiconque s’en voit affublé. Et ainsi, pas besoin de l’écouter : pour qui il se prend — il est de nos familiers !

Eh bien, cette exigence est pourtant au cœur de la Déclaration de foi de notre Église. Je cite :
« L’ÉGLISE REFORMÉE DE FRANCE […] proclame devant la déchéance de l’homme, le salut par grâce, par le moyen de la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qui a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification ;
[…]
Pour obéir à sa divine vocation, elle annonce au monde pécheur l’Évangile de la repentance et du pardon, de la nouvelle naissance, de la sainteté et de la vie éternelle… »

Oui, on a bien entendu : « monde pécheur, repentance et pardon, nouvelle naissance, sainteté… » Voilà qui est dans notre Déclaration de foi, et qui, pris au sérieux, avant que cela ne devienne une série de formules, a eu l’impact suffisant pour mener l’Église jusqu’à nous.

C’est la raison pour laquelle je me plais à dire aux dames aînées, qu’elles sont, comme héritières de ce tournant spirituel, et jusqu’ à leur âge avancé — car il ne suffit pas de naître de la chair —, piliers et avenir de nos Églises.

Cela pour un envoi qui est réitéré par l’Évangile, nous concernant, aujourd’hui. Et cela au-delà de toute crainte :
si les prophètes, les apôtres, Jésus lui-même ont vu leur prédication mal accueillie, c'est parce que la parole de Dieu dérange. Cela dit c'est ainsi qu'elle est nourrissante.

En effet,
comme des enfants, le peuple reproche à ceux qui lui sont envoyés de ne pas les nourrir que de bonbons et de ne pas les guérir que de poudre de perlimpinpin. Contrairement à celle des faux prophètes et autres chefs de sectes, c'est en étant vraie, parfois amère, parfois douce, et en ne contournant pas les vrais problèmes, que la parole de Dieu guérit en vérité.

Serons-nous sensibles à la supplique du petit lézard, ou fidèles à l’envoi de Jésus ?


 

 R.P.
Antibes, 16.07.06

 

 

 

 

09:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

03 juillet 2006

« Jeune fille, lève-toi »





 

  « Je dormais mais je m'éveille »   





 




Louange Psaume 30 :
1 Chant pour la dédicace de la maison de David.
Je veux proclamer ta grandeur, Seigneur, car tu m’as relevé, Tu n’as pas laissé mes ennemis se réjouir à mon sujet.
2 Seigneur mon Dieu, je t’ai appelé à l’aide et tu m’as guéri.
3 Tu m’as fait remonter du monde des morts; j’avais un pied dans la tombe, mais tu m’as rendu la vie, Seigneur.
4 Célébrez le Seigneur par vos chants, vous ses fidèles. Louez-le en rappelant qu’il est Dieu.
5 Pour un instant sous sa colère, toute une vie dans sa faveur. Le soir s’attardent les pleurs, mais au matin crie la joie.
6 Je me croyais tranquille et je disais: "Rien ne me mettra jamais en danger."
7 Seigneur, dans ta bienveillance, tu m’avais assuré une forte position. Mais tu as caché ta face, et me voilà plongé dans le désarroi.
8 Seigneur, je t’appelle à mon secours; toi qui es mon Maître, je t’implore.
9 Que gagnes-tu à ma mort, à ma descente en la tombe? Te loue-t-elle, la poussière ? Proclame-t-elle ta fidélité?
10 Seigneur, écoute, accorde-moi ton appui; Seigneur, viens à mon secours.
11 Tu as changé ma plainte en danse de joie, tu m’as ôté mon vêtement de deuil, tu l’as remplacé par un habit de fête.
12 Alors, de tout mon cœur je n’en finirai pas de célébrer ta gloire par mes chants. Seigneur mon Dieu, je te louerai toujours.



 *


Marc 5, 21-43
21 Quand Jésus eut regagné en barque l'autre rive, une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer.
22 Arrive l'un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros : voyant Jésus, il tombe à ses pieds
23 et le supplie avec insistance en disant : "Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu'elle soit sauvée et qu'elle vive."
24 Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait.


25 Une femme, qui souffrait d'hémorragies depuis douze ans
26 - elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré,
27 cette femme, donc, avait appris ce qu'on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
28 Elle se disait : "Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée."
29 À l'instant, sa perte de sang s'arrêta et elle ressentit en son corps qu'elle était guérie de son mal.
30 Aussitôt Jésus s'aperçut qu'une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : "Qui a touché mes vêtements ?"
31 Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?
32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela.
33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
34 Mais il lui dit : "Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal."

35 Il parlait encore quand arrivent, de chez le chef de la synagogue, des gens qui disent : "Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ?"
36 Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : "Sois sans crainte, crois seulement."
37 Et il ne laissa personne l'accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques.
38 Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l'agitation, des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
39 Il entre et leur dit : "Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, elle dort."
40 Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l'enfant et ceux qui l'avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l'enfant,
41 il prend la main de l'enfant et lui dit : "Talitha qoum", ce qui veut dire : "Fillette, je te le dis, réveille-toi !"
42 Aussitôt la fillette se leva et se mit à marcher, — car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tout bouleversés.
43 Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la fillette.



*



Ce texte intercale un récit à un autre pour une raison bien précise. La clé de cela est dans la précision "douze ans" : la femme est atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. La jeune fille a atteint ses douze ans. C'est l'âge où dans la tradition biblique un enfant atteint la maturité, la responsabilité, par la bar-mitsva, pour un garçon comme Jésus revendiquant à douze ans son autonomie devant Dieu face à ses parents ; l'équivalent pour une fille comme le montre notre récit. Or cela est une véritable mort pour les parents, ici pour le père Jaïros, appelé à être une sorte de Jephté laissant sa fille à Dieu seul — la perdant en la consacrant, mais pour qu’elle vive.

Le fait que Jésus croise cette femme qui perd son sang depuis douze ans, l'âge de la jeune fille, n'est pas dû au hasard. C'est pour Jésus, en chemin vers la fillette, un signe de ce qui va se passer. Cela dans le cadre de la solidarité des êtres humains. La femme devient comme la mère, au sens large, de la fillette. Comme pour dire, en écho anticipé d’une parole qui retentira plus tard : « femme voici ta fille, fille, voici ta mère ». Il s’agit déjà de rien moins que d’une résurrection !

L'accession de la fillette de sa vie d’enfant devant Jaïros à sa vie de femme devant Dieu suppose ce signe : la guérison de la femme ; le double miracle sera pour une guérison des deux femmes de la servitude de la biologie, de la chair, pour accéder à la vie de l’Esprit ; et pour la fillette, libération de sa dépendance de son père, Jaïros, chef de communauté religieuse de plus. La jeune fille revit, droite devant Dieu, exorcisée de toute peur.

Connaissez-vous le conte La belle au bois dormant, de Charles Perrault — lui-même connaissait-il ce récit de l'Évangile ?

Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n'avoir point d'enfants, si fâchés qu'on ne saurait dire. Enfin pourtant la reine devint grosse, et accoucha d'une fille : on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu'on pût trouver dans le pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'était la coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.

La fée, les fées, comme un monde spirituel et mystérieux ; un monde ambigu que ce monde où la fillette n'est pas entrée, monde dangereux, qui attend la proclamation de la victoire du Christ.

Après les cérémonies du baptême, la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un étui d'or massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une tour et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents.

Voilà une fée blessée, qui ne se remet pas d'un cycle de la vie qui va bientôt l'en exclure. Elle vieillit. La naissance de la fillette en est le signe. Sa féminité est blessée. Sa féminité en saigne continuellement : on ne se guérit pas de l'irrémédiable, le temps qui blesse, se ruinerait-on auprès des médecins et souffrirait-on beaucoup de leur fait, comme le dit le texte de l’Évangile quant à la femme. — Exclue, impure, selon la Loi, comme une mauvaise fée, une sorcière, son contact souille ce qu’elle touche. Mais, chose miraculeuse, le contact de Jésus, plus fort, purifie ce qu’il touche ! Jésus la guérira au prix de sa renonciation à sa blessure anonyme, renonciation qui renverse sa transgression, quant à l’impureté, en acte de foi. Elle l'a touché, il l'a su, sa guérison publiée la sort de l'anonymat de sa blessure. Mais on n'en est pas encore là.

Une des jeunes fées qui se trouva auprès d'elle l'entendit grommeler, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu'on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection. Le rang de la vieille fée étant venu, elle dit en branlant la tête, encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.


Préfiguration de la croix — au temps de la venue du sang, ici sang comme celui de la femme qui perd son sang — ou de la blessure d'un fuseau —, l'enfant meurt, ou plutôt, dit Jésus, elle dort.

Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles : "Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n'en mourra pas : il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un roi viendra la réveiller."

"Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? — dit Jésus. L'enfant n'est pas morte, elle dort." L’enfant de la chair s’en va, l’enfant de Dieu qu'elle est va s'éveiller.
"Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon chéri qui frappe", dit le Cantique des Cantiques (ch.5, v.2) — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."

Le roi — disons Jaïros —, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à tous de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.

Que ne ferait pas un père, ou une mère, pour conserver enfant son enfant.

Au bout de quinze ou seize ans — en fait douze ans, on le sait —, il arriva que la jeune princesse courant un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon, où une bonne vieille était seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avait point entendu parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau.
— "Que faites-vous là, ma bonne femme ?" dit la princesse.
— "Je file, ma belle enfant" lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
— "Ha ! que cela est joli" reprit la princesse, "comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant."
Elle n'eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d'ailleurs l'arrêt des fées l'ordonnait ainsi, elle s'en perça la main, et tomba évanouie.
Alors le roi se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu'il fallait que cela arrivât, puisque les fées l'avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d'or et d'argent.
La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en fut avertie. La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. Le roi lui alla présenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait; mais comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux château.
Voici ce qu'elle fit : elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi et la reine), gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers. Il crût dans un quart d'heure tout autour du parc une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d'épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n'y aurait pu passer : en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore n'était-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n'eût encore fait là un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu'elle dormirait, n'eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d'une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c'était que ces tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois fort épais. Un vieux paysan prit la parole, et lui dit :
— "Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire de mon père qu'il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde ; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un roi, à qui elle était réservée."
Le jeune prince résolut de voir sur-le-champ ce qu'il en était. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'eux-mêmes pour le laisser passer
:

Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait. Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?

Il marche vers le château qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il continua donc son chemin. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu'il vit d'abord était capable de le glacer de crainte : c'était un silence affreux, l'image de la mort s'y présentait partout, et ce n'était que des corps étendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il traverse plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu : une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans — douze ans, en fait, on le sait.
Alors comme la fin de l'enchantement était venue, la princesse s'éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre : "Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre."

Ici, on quitte le conte où le prince épouse la princesse. On le quitte de la façon suivante : c’est dans un tout autre monde que celui qui était prévu par les fées que Jésus fait entrer la fillette. Jésus lui disant "Talitha qoum, jeune fille lève-toi", la fait se lever du sommeil de son enfance, de l’enfance spirituelle, à sa réalité d’enfant de Dieu, passant de la mort à l'ouverture vers la vie. Ce qu’on appelle un saut qualitatif, que même Jaïros n’avait pas prévu !

C'est à la liberté de l'Évangile à laquelle d'autres femmes ont accédé à Pâques, que Jésus nous donne, à nous tous, par ces femmes, d'accéder aujourd'hui. Il nous dépouille tous du sommeil de nos dépendances, comme la jeune fille ; de nos fausses espérances, comme celles, peut-être, de Jaïros avant ; de l'amertume de ce que nous aurions perdu, comme la femme qu'il guérit ; et nous dit à tous, dit à nos âmes ensommeillées dans l'oubli de leur Dieu, "jeune fille, lève-toi" : "Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon chéri qui frappe !" (Lui) "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."


R.P.,
Antibes,
2 juillet 2006


 

17:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

19 juin 2006

Rites…




 

SYMBOLES ET CÉRÉMONIES

 

 

 

 

 

 



 

Exode 24, 3 & 7-8
3  Moïse vint raconter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes les règles. Tout le peuple répondit d’une seule voix: "Toutes les paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique."
[…]

7  Il prit le livre de l’alliance et en fit lecture au peuple. Celui-ci dit: "Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous l’entendrons."
8  Moïse prit le sang, en aspergea le peuple et dit: "Voici le sang de l’alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous, sur la base de toutes ces paroles."  


Hébreux 9, 11-15
11  […] Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C'est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n'est pas oeuvre des mains - c'est-à-dire qui n'appartient pas à cette création-ci,
12  et par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu'il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu'il a obtenu une libération définitive.
13  Car si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps,
14  combien plus le sang du Christ, qui, par l'esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour servir le Dieu vivant.
15  Voilà pourquoi il est médiateur d'une alliance nouvelle, d'un testament nouveau; sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l'héritage éternel déjà promis.


Marc 14, 12-24
12  Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque, ses disciples […] disent [à Jésus] : "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?"
13  Et il envoie deux de ses disciples et leur dit: "Allez à la ville ; […]
15  […] c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous."
16  Les disciples partirent et allèrent à la ville […] et ils préparèrent la Pâque. 
17  Le soir venu, il arrive avec les Douze. […]

22  Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: "Prenez, ceci est mon corps."
23  Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous.
24  Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude."
 

 

*

 

Les rites divers, et plus particulièrement, sans doute, les sacrifices, ont pour fonction de graver en notre conscience le fait que tout rapprochement de Dieu coûte, coûte de la douleur, exprimée dans le sang versé des sacrifices, et divers rites marquant douleur et brisement. Ne croyons pas que de tels rites aient disparu. Ils existent aujourd’hui, sous une autre forme. Symbolique, aujourd’hui comme hier. Les anciens étaient comme nous conscients de la dimension symbolique de leurs rites.  

Nous avons sans doute accentué ce côté symbolique puisque des rites comme les sacrifices sont devenus plus rares, ou ont pris d'autres aspects. Et puisque nous avons inventé des moyens d'échange symboliques — l'argent à la place du troc —, le sacrifice est pour nous souvent d'argent. Cela dit, au prix du boucher, imaginez-vous offrant un bœuf, ou simplement un bouc.  

Vous souvenez-vous de cette publicité télévisuelle pour un serveur Internet gratuit où l'on voyait un touriste occidental marchander avec un commerçant arabe pour pouvoir payer l'objet artisanal qu'il voulait acheter, plus cher que ce que le commerçant lui proposait ?! Le message était « si ça vous rassure de payer, vous pouvez toujours nous envoyer vos chèques ». Le concepteur de cette publicité avait bien saisi ce qu'il en est. Effectivement, payer peut rassurer.  

C'est sur cela — ils nous le disent — que les psychanalystes ont mis en place leurs tarifs sans proportion apparente avec leur travail... Si chaque fois que, comme pasteurs, nous avions un entretien d'un quart d'heure avec un paroissien, nous lui demandions 100 €,... peut-être les églises seraient-elles plus pleines ! Enfin, si ça vous rassure de payer, chez le psychanalyste, pour paraphraser la publicité pour Internet (je précise que je n’entends pas, comme pasteur, les concurrencer ou me substituer à eux !).  

Reste que ce qu’ils ont compris, c’est que pour ce qui est important dans nos vies, ça nous rassure évidemment de payer parce qu'on sait bien au fond de nous que nous rapprocher de la vérité de nous-même, ou nous rapprocher de Dieu, cela coûte. Cela ne se fait pas n'importe comment. C'est là la vérité fondamentale de la pratique des sacrifices. Les anciens, de Moïse à l'auteur de l'Épître aux Hébreux, le savaient aussi bien que les psychanalystes. Ils étaient en tout cas apparemment très conscients du fait que nous avons besoin de pratiques de ce type. C'est au cœur du message l'Épître aux Hébreux :  

On est alors au tournant de la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Il va donc falloir s'en passer, et se passer, donc, des sacrifices. Ce qui n'est pas bon au plan de notre relation avec la vérité de nous-mêmes, au plan de notre relation avec Dieu. Alors l'Épître aux Hébreux insiste sur la dimension symbolique du sacrifice : ce n'est pas le sang des boucs et des taureaux qui guérit nos souffrances intérieures, notre éloignement d’avec Dieu.  

De même que ce n'est pas le fait même de soulager notre portefeuille chez le psychanalyste qui nous soulage en soi du poids de nos douleurs. C'est là un geste symbolique, disent les psychanalystes.  

Et c'est peut-être pour cela qu'on ne fait pas payer les entretiens pastoraux : pour bien dire, avec l'auteur de l'Épître aux Hébreux que c'est là une chose symbolique, au risque de faire imaginer, ce qui serait faux, qu'il n'y a pas besoin de sacrifices, de coût en argent et autres symboles. Si nos contemporains entendaient l'Épître aux Hébreux, peut-être nos temples seraient-ils plus pleins...  

C'est que notre besoin de nous rapprocher de Dieu est immense, aujourd'hui comme antan, à tout prix. Ce besoin est à proportion de l'ignorance que nous en avons. La détresse peut être telle que nous ne nous en rendions même plus compte. Pour illustrer cela, je rapporterai le témoignage d'un philosophe contemporain, Cioran. Il raconte à ce sujet une expérience qu'il a vécue. Je le cite : « A la frontière espagnole, quelques centaines de touristes, la plupart scandinaves, attendaient devant la douane. On apporte un télégramme à une dame forte, visiblement ibérique. Elle apprend, en l'ouvrant, le décès de sa mère et se met aussitôt à pousser des rugissements. Quelle aubaine, me disais-je, de pouvoir ainsi se décharger aussitôt de son chagrin, au lieu de le dissimuler, de le stocker, comme aurait fait n'importe lequel de ces blondasses qui regardaient ahuris et qui, victimes de leur discrétion et de leur tenue, se ruineront un jour chez le psychanalyste » (Cioran, Écartèlement, p. 123). C'est une simple illustration, il y en aurait bien d'autres, de cette détresse que connaissent les psychanalystes, on l'a dit, ou les concepteurs de publicité dont on a parlé, ou encore les entrepreneurs de pompes funèbres qui s’occuperont et de l’Espagnole en deuil et des touristes qui la regardent.

Une détresse liée à notre perte du sens de notre valeur, perte du contact avec le fond de nous-même, la vérité de nous-mêmes, ce que nous sommes réellement ; manque de contact avec Dieu, avec ce qui n'est pas passager et vain, avec ce qui « n'est pas de cette création ».  

Manque de contact avec la vérité dévoilée dans la résurrection du Christ, le Christ parvenu à une réalité qui ne passe pas. Parvenu à cette réalité avec son sang, dit l’Épître. Où l'on revient au prix, ce symbole, qui nous manque. Nous savons que nous sommes loin de Dieu, de notre vérité, à laquelle nous ne pouvons revenir qu'à grand prix. Au prix du rite, au prix de ce qui coûte, et qui coûte d'ailleurs infiniment plus que nous ne pouvons donner.  

La femme endeuillée qui crie à la frontière espagnole accomplit un rite en criant et en se débattant, ne nous y trompons pas, elle n'est pas dupe. Un rite qui, comme tout rite, lui coûte : cela lui coûte d'abord le regard méprisant des touristes discrets qui se disent : « qu'est ce que cette sauvage incapable de discrétion ? » Cela est aussi pour elle le point de départ d'une cérémonie funèbre qui sera coûteuse en argent, puis d'un temps de deuil en noir qui sera coûteux au plan des relations sociales et de leurs joies.  

Un rituel long, cher à plusieurs niveaux, mais qui met cette femme en relation avec elle-même, avec la vérité d'elle-même, ce qui est la fonction-même du rite, que les touristes qui se croient plus évolués se contentent de mépriser, comme ils mépriseront les objets artisanaux qu'ils estimeront avoir payé fort peu cher. Cela aura effectivement coûté peu, aussi bien leurs deuils que les objets exotiques qui orneront les meubles de leur salon. Mais cela reviendra très cher finalement, chez le psychanalyste, dit en raccourci Cioran.  

Eh bien tout cela est le prix, notamment des cultes que nous avons abandonnés à force de croire en avoir compris la dimension symbolique. Le culte au cœur du rituel de la vie. Le culte qui coûte. Qui coûte des dimanches matins de grasse matinée, qui coûte les cotisations de son entretien et de celui de la vie de l’Église et de la solidarité, car dans les sacrifices dont nous avons besoins, il est ici aussi question d'argent, évidemment.  

Le culte aussi coûte l'astreinte d'une pratique dont on ne voit plus très bien à quoi elle sert. C'est le prix de l'insistance sur la dimension symbolique, et donc sur le fait que pour un pragmatique, si c'est symbolique, cela ne sert à rien.  

L'auteur de l'Épître aux Hébreux en était tellement conscient qu'après avoir rappelé que tout cela est symbolique, donc qu'au plan pratique, cela ne sert à rien, il termine en insistant pour dire aux rares fidèles : « n'abandonnez pas vos assemblées comme c'est la coutume de quelques-uns ». Ce n'est pas parce que vous avez compris que c'est symbolique, ce que nous savons tous, qu'il faut l'abandonner.  

Cet abandon de ce qui ne sert à rien vous coûterait finalement beaucoup plus que vous ne croyez, en argent aussi — lorsque l'Église ayant disparu faute de combattants n'offrirait plus les rites que l'on réclame à corps et à cri aux tournants difficiles de la vie, et qu'il faudrait les chercher ailleurs, plus cher. Ce jour est peut-être proche. Mais déjà il est là dans le malheur d'une solitude que notre Espagnole savait rompre par ses cris. Et qui fait que les pays où l'on connaît une vraie présence au temple sont aussi ceux où existe une vraie vie sociale qui nous manque tant, mais qui coûte, tôt ou tard.  

La solitude de la vieillesse, par exemple, qui est celle de nos sociétés sans rites, risque fort d'augmenter. « Honore ton père et ta mère afin que ta vie se prolonge dans le pays que Dieu te donne », dit la loi de la liberté.  

Et figurez-vous, les pays du Sud, plus au sud que l'Espagne, qui depuis l'époque où écrivait notre philosophe a rejoint le silence de ses touristes — les pays du Sud qui connaissent des temples pleins et des vieux honorés, nous plaignent, pas par ignorance comme celle des touristes qui ignoraient la vérité de dame endeuillée, pas par ignorance, mais par connaissance concrète de l'utilité, de l'indispensable de l'inutile qui coûte.  

Ceux qui sont fidèles au culte, connaissent-ils leur bonheur ? Ce bonheur qui ne rend par meilleur que les autres comme le croient les ignorants, mais qui est de toucher la vérité. C'est pourquoi je dis à ceux qui délaissent le culte au prétexte que, me disent-ils, ceux qui y participent ne sont en général pas exemplaires, je réponds habituellement que c'est précisément pour cela qu'ils y viennent. S'ils étaient parfaits comme vous, ils n'auraient pas besoin de venir.  

Nous venons prendre contact avec le Ressuscité, avec celui qui nous a rejoints dans notre détresse pour nous conduire à la vérité de nous-même, à la vérité promise dans sa résurrection, le fond de notre être qui n'est pas de cette création.  

Je parlais du prix plus considérable que celui que nous pouvons payer, le prix du sang qu'exprimait certes merveilleusement les sacrifices, et dont témoigne aujourd'hui le rite de la Ste Cène.  

Les sacrifices d'antan disaient le coût de la rencontre avec Dieu et le fond de nous-même. La Cène nous fait remémorer la même chose. Le coût de la rencontre, coût pour Dieu aussi, tant il est vrai que toute rencontre coûte aux deux parties, coût à travers lequel dans la participation de Jésus à notre détresse jusqu'à sa mort, il nous fait accéder à ce fond de nous-même qui n'est pas de cette création, auquel il a accédé dans sa résurrection, à travers sa mort, donc.  

Liberté : c'est bien de l'entrée dans la liberté, la liberté intérieure dont rien ne peut priver ceux qui l'ont reçue, qu’il s'agit. La liberté que nous a acquise le Christ nous rejoignant dans notre mort pour nous faire accéder à sa vie, dans une liberté que le tombeau même ne peut pas enfermer. Et c'est cela que les rites, avant comme après Jésus veulent inscrire dans nos vies.  

Si nous avions les yeux pour voir rayonner la lumière du ressuscité, j'imagine que non seulement nous ne manquerions pas la libération qui est de venir le rencontrer le dimanche matin, mais que peut-être nous regretterions qu'il n'y ait qu'un dimanche par semaine.  

Cela dit, nos rites restent symboliques, désignant une vérité qui les dépasse, qu'ils ne font que signifier. Ils sont des signes. Ce qu'on ne comprend bien que si on les pratique. Pour donner un exemple de cela, en ces temps de « mondial » : qui mieux qu'un amateur de football — fût-ce de football/bière/fauteuil — qui mieux que lui peut comprendre que la victoire de quelques milliardaires en culotte courte qu'il ne connaît pas puisse procurer une telle joie du seul fait qu'ils portent le maillot d'un pays dans lequel il se reconnaît ? Si ce n'est pas symbolique ! Et pourtant cela procure un effet réel, en joie, quoique incompréhensible.  

Ou encore : combien d'incroyants qui s'abstenant de toute pratique religieuse, réclament instamment du rite, du symbole, aux moments difficiles de leur vie. Et on pourrait multiplier les exemples. Des symboles certes. L'Épître aux Hébreux s'adresse à des lecteurs qui ont suffisamment fréquenté le Temple pour avoir compris que les sacrifices qu'ils y offraient étaient des symboles d'une réalité plus haute. De même, nos prédécesseurs dans la foi, en France sous l'Ancien Régime persécuteur, avaient suffisamment écouté la parole de Dieu, été suffisamment assidus aux sacrements célébrés au prix de risques considérables, pour savoir que le Christ ressuscité était présent au-delà de ces symboles, même lorsqu'ils sont venus à manquer. Ils ont ainsi pu transmettre la foi au temps du désert. Que Dieu nous accorde à nous aussi de le découvrir sous les signes qu'il nous donne et de recevoir Sa consolation.

 

 

R.P.,
Antibes, 18 juin 2006

 

 

 

10:15 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)