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15 avril 2006

Du jeudi au vendredi où...






« Tout est accompli »









Jean 19, 1-30
1 […] Pilate emmena Jésus et le fit fouetter.
2 Les soldats, qui avaient tressé une couronne avec des épines, la lui mirent sur la tête et ils jetèrent sur lui un manteau de pourpre.
3 Ils s’approchaient de lui et disaient: "Salut, le roi des Judéens!" et ils se mirent à lui donner des coups.

4 Pilate retourna à l’extérieur et dit aux Judéens: "Voyez, je vais vous l’amener dehors: vous devez savoir que je ne trouve aucun chef d’accusation contre lui."

5 Jésus vint alors à l’extérieur; il portait la couronne d’épines et le manteau de pourpre. Pilate leur dit: "Voici l’homme!"
6 Mais dès que les grands prêtres et leurs gens le virent, ils se mirent à crier: "Crucifie-le! Crucifie-le!" Pilate leur dit: "Prenez-le vous-mêmes et crucifiez-le; quant à moi, je ne trouve pas de chef d’accusation contre lui."
7 Les Judéens lui répliquèrent: "Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir parce qu’il s’est fait Fils de Dieu!"
8 Lorsque Pilate entendit ce propos, il fut de plus en plus effrayé.
9 Il regagna la résidence et dit à Jésus: "D’où es-tu, toi?" Mais Jésus ne lui fit aucune réponse.
10 Pilate lui dit alors: "C’est à moi que tu refuses de parler! Ne sais-tu pas que j’ai le pouvoir de te relâcher comme j’ai le pouvoir de te faire crucifier?"
11 Mais Jésus lui répondit: "Tu n’aurais sur moi aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut; et c’est bien pourquoi celui qui m’a livré à toi porte un plus grand péché."
12 Dès lors, Pilate cherchait à le relâcher, mais les Judéens se mirent à crier et ils disaient: "Si tu le relâchais, tu ne te conduirais pas comme l’ami de César! Car quiconque se fait roi, se déclare contre César."
13 Dès qu’il entendit ces paroles, Pilate fit sortir Jésus et le fit asseoir sur l’estrade, à la place qu’on appelle Lithostrôtos (le Pavé) — en hébreu Gabbatha.
14 C’était le jour de la Préparation de la Pâque, vers la sixième heure. Pilate dit aux Judéens: "Voici votre roi!"
15 Mais ils se mirent à crier: "À mort! À mort! Crucifie-le!" Pilate reprit: "Me faut-il crucifier votre roi?" Les grands prêtres répondirent: "Nous n’avons pas d’autre roi que César."
16 C’est alors qu’il le leur livra pour être crucifié.
Ils se saisirent donc de Jésus.
17 Portant lui-même sa croix, Jésus sortit et gagna le lieu dit du Crâne, qu’en hébreu on nomme Golgotha.
18 C’est là qu’ils le crucifièrent ainsi que deux autres, un de chaque côté et, au milieu, Jésus.
19 Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix: il portait cette inscription: "Jésus le Nazôréen, le roi des Judéens."
20 Cet écriteau, bien des Judéens le lurent, car l’endroit où Jésus avait été crucifié était proche de la ville, et le texte était écrit en hébreu, en latin et en grec.
21 Les grands prêtres des Judéens dirent à Pilate: "N’écris pas le roi des Judéens, mais bien cet individu a prétendu qu’il était le roi des Judéens."
22 Pilate répondit: "Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit."
23 Lorsque les soldats eurent achevé de crucifier Jésus, ils prirent ses vêtements et en firent quatre parts, une pour chacun. Restait la tunique: elle était sans couture, tissée d’une seule pièce depuis le haut.
24 Les soldats se dirent entre eux: "Ne la déchirons pas, tirons plutôt au sort à qui elle ira", en sorte que soit accomplie l’Ecriture: Ils se sont partagé mes vêtements, et ma tunique, ils l’ont tirée au sort. Voilà donc ce que firent les soldats.
25 Près de la croix de Jésus se tenaient debout sa mère, la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas et Marie de Magdala.
26 Voyant ainsi sa mère et près d’elle le disciple qu’il aimait, Jésus dit à sa mère: "Femme, voici ton fils."
27 Il dit ensuite au disciple: "Voici ta mère." Et depuis cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
28 Après quoi, sachant que dès lors tout était achevé, pour que l’Ecriture soit accomplie jusqu’au bout, Jésus dit: "J’ai soif";
29 il y avait là une cruche remplie de vinaigre, on fixa une éponge imbibée de ce vinaigre au bout d’une branche d’hysope et on l’approcha de sa bouche.
30 Dès qu’il eut pris le vinaigre, Jésus dit: "Tout est achevé" et, inclinant la tête, il remit l’esprit.


*


Le texte de l’évangile selon Jean, à l’instar des autres évangiles, nous livre les éléments d’un procès extrêmement embrouillé, aux enjeux extrêmement délicats. Et puisque c’est compliqué, on a pris l’habitude de se simplifier la vie — en dédaignant les éléments que nous donnent les textes. Le texte veut en venir à nous faire comprendre de quelle façon tous les dirigeants se sont ligués pour perdre Jésus. Et comment ils se sont ligués sans vraiment le savoir.

Cela semblant donc bien compliqué au regard du déroulement du procès, on s’est souvent simplifié la vie en s’en tenant à une apparence qui fait croire que Pilate aurait voulu sauver Jésus et que la haine des responsables Judéens aurait tout fait pour convaincre Pilate de n’en rien faire. Ce faisant, on ouvre la porte à l’antisémitisme (ce que l’on a reproché à juste titre à tel film célèbre), et en outre, ne comprend rien à ce que nous dit le texte.

Le texte nous dit que pris dans les rouages de la logique du pouvoir d’un monde soumis au Prince de ce monde, selon les termes de l’évangile de Jean, la mort de Jésus était inéluctable. On est à la croisée des chemins, Jésus est à la croisée des chemins. Jésus et le monde se séparent, un monde dont tous les responsables se liguent nécessairement contre Jésus (affaire politique, affaire d'États, d'où la traduction préférable par Judéens du terme désignant des représentants d'un État, la Judée, et pas d'une religion).

Pilate voudrait sauver Jésus ? Apparemment. Mais regardons-y de plus près. Ou : en quel sens veut-il le « sauver » ? Il commence par le faire fouetter, et il finit par concéder sa crucifixion. Apparemment, donc, en effet, il voudrait le sauver. Caïphe insiste et ses affidés crieront « crucifie » pour lui. On résume donc cela ainsi : haine d’un côté, tentative de calmer cette haine de l’autre.

Cela dit, comment comprendre le rôle de César, dont le nom affleure, dans tout cela ? Comment comprendre aussi une telle indulgence — apparente — de Pilate ; dont on sait par ailleurs la brutalité extrême ?

Deux logiques politiques en fait, qui n’ont pas plus à faire de Jésus l’une que l’autre : la logique de Pilate est plus fine, en quelque sorte, l’enjeu politique, pour le préfet de Rome qu’il est, est pour lui moins immédiat.

Pilate sait que l’homme — voici l’homme — est assez populaire, avec sa réputation de messie. Il sait que sa mise à mort pourrait susciter des troubles — en sa faveur ou en la faveur prochaine du prochain messie similaire. (Ce pourquoi il se lave les mains : comme pour dire « advienne que pourra ». L’Histoire ultérieure lui donnera raison, les émeutes se multiplieront.)

Bref pour Pilate, il faut calmer le peuple pour garantir l’ordre de César, l’ordre romain. Pilate, d’ailleurs, selon Luc, 23:12, convaincra Hérode, politique comme lui, de la justesse de ses vues : « ce jour-là, Hérode et Pilate devinrent amis, eux qui auparavant étaient ennemis », écrit Luc.

Si Hérode est roi Judéen par délégation romaine, sorte de préfet face juive, où Pilate est le représentant de l’ordre face romaine, pour Caïphe l’enjeu est bien plus direct. Il est le prétendant qui se veut légitime, du pouvoir politico-religieux, l’héritier dynastique hasmonéen — et qui tient son rôle, lui aussi de César. C’est à ce titre dynastique qu’il ne saurait supporter une concurrence populaire dont Pilate n’a que faire, dont Pilate a convaincu Hérode qu’il n’en a que faire non plus. Pour eux, seul l’ordre compte. Pour Caïphe la légitimité dynastique du pouvoir, voire même la légitimité populaire, n’est pas chose indifférente.

Et on va faire valoir la loi, dont la clef de voûte est César. Pour Caïphe comme pour Pilate. Et Caïphe va l’emporter, au nom du légalisme romain, sur le réalisme politique de Pilate. La Loi religieuse, qu’il fait valoir, est en effet reconnue par Rome, et au titre de garant de l’ordre légal promu par Rome, sa voix compte.

Et là, Pilate ne peut aller outre, même s’il sait que la profondeur des troubles populaires est telle qu’il serait sage de la ménager. D’où l’appel de Caïphe à César — sa profession de foi et celle des autres prêtres : « nous n’avons de roi que César » — qui va emporter la décision finale de Pilate et qui va expliquer son mouvement d’humeur contre Caïphe, affiché sur la pancarte au-dessus de la croix : « le roi des Judéens » : il sait que s’il doit bien céder à l’argument de Caïphe, il va par là-même au devant de troubles messianiques futurs pour n’avoir pas réussi à ménager la chèvre et chou. Et Hérode comprendra cela lui aussi.

Deux logiques politiques qui s’affrontent, donc, et dont Jésus, en tout cas à vue humaine, fera les frais, broyé, apparemment dans les rouages de la machinerie politique. Cela à vue humaine, car lui sait bien que lorsque les princes de la terre se liguent avec le Prince de ce monde pour le mettre dehors, c’est l’inverse qui se produit en fait… Comme une étrange réalisation du Ps 2.

Psaume 2 :
1 Pourquoi cette agitation des peuples, ces grondements inutiles des nations?
2 Les rois de la terre s’insurgent et les grands conspirent entre eux, contre le SEIGNEUR et contre son messie:
3 "Brisons leurs liens, rejetons leurs entraves."
4 Il rit, celui qui siège dans les cieux; le Seigneur se moque d’eux.
5 Alors il leur parle avec colère, et sa fureur les épouvante:
6 "Moi, j’ai sacré mon roi sur Sion, ma montagne sainte."
7 Je publierai le décret: le SEIGNEUR m’a dit: "Tu es mon fils; moi, aujourd’hui, je t’ai engendré.
8 Demande-moi, et je te donne les nations comme patrimoine, en propriété les extrémités de la terre.
[…]

Ce triomphe de Dieu, qui n’est évidement pas d’ordre militaire, s’opère dans l’ironie face à ceux qui se sont soumis au Prince de ce monde et à son représentant, César…

L’évangile tourne alors nos regards des palais des grands, où tout semble se jouer, vers la croix et les humbles scènes, où tout se joue en réalité — au pied de la croix.


*


La royauté de Jésus n'est pas du même type que celle des pouvoirs de ce monde.

Jésus mourra quasiment seul, sa mère, deux autres femmes et un seul disciple au pied de sa croix.

C’est que, de la même façon que les foules, les disciples eux-mêmes ont de la peine à comprendre que Jésus doit mourir crucifié : souvenez-vous quelques jours auparavant ; il leur semble tellement invraisemblable que Dieu veuille que le Messie meure ainsi qu'ils n'arrivent pas à l'entendre même quand Jésus le leur répète de façon explicite. C'est qu'ils attendent un règne, pas une vie brisée, donnée en rançon.

Puisque, lors de l'entrée à Jérusalem, tout le monde s'attend à ce qu'il soit question de pouvoir, de conquête par un moyen ou un autre de la ville sainte. La foule, certes, mais aussi les disciples.

C’est dans ce contexte-là qu’on en était à se demander, parmi eux, nous le savons, qui, dans le prochain gouvernement messianique, serait nommé Premier ministre. Les disciples, eux-mêmes, n'échappent pas non plus à cette façon de voir. Deux d’entre eux, les fils de Zébédée, posaient la question directement, ou la laisser poser par maman : "donne-nous d'être assis l'un à ta droite, l'autre à ta gauche dans ta gloire" (Mc 10:37). On sait qui sera à sa gauche et à sa droite — sur la croix.

On comprend alors pourquoi tous ou presque se dispersent au vendredi saint.

Quant aux foules qui entouraient Jésus entrant dans Jérusalem, leur admiration s'est avérée pour plusieurs n’avoir été que le commencement d'une future persécution.
Peut-être, sans qu’on le sache trop, est-ce là le débouché logique qui visait d’abord à faire de Jésus une idole, en fait manipulable à souhait. Et lorsque ladite idole s'est avérée ne pas se plier aux souhaits de ses adeptes, ne pas se laisser manipuler, n'être, tout simplement, pas l'idole qu'on voulait en faire — être en l'occurrence, venue en chair, la Parole-même de Dieu, qu'on ne capture pas, mais qui scandalise ; c'est alors que la croix est devenue inéluctable.


Car c'est par la croix que s'obtient la gloire, et cela selon le dessein et la volonté de Dieu, et non pas à la façon dont on s'attribue les titres glorieux que convoite un tout autre esprit - et comment cela se pourrait-il : ici il n'est question de gloire que celle de la croix — que par l'humilité.

C'est ainsi que Jésus mettait un enfant au milieu de ses disciples : "si quelqu'un veut être le premier, il sera le dernier et le serviteur de tous". C'est là seulement le chemin de la vraie gloire.

Aujourd’hui les femmes au pied de la Croix, et un disciple, le disciple Bien-Aimé. Ici, on est loin des palais des Pilate et des Caïphe. Mais c’est ici que se joue le sort du monde.

C’est ici la vérité que le monde ne soupçonne pas. Dans cette scène humble, au-delà des grandes choses et des grands projets, trois femmes et un disciple tenus par leur seule affection, ont, en cela, tout compris, ont tout compris sans doute sans le savoir ! Comment savoir ce qui sera dévoilé par la résurrection ? À la fin de tout, l’amour tout simple est la seule connaissance qui compte. Et au pied de la croix, comme sur la croix, c’est cela qui triomphe.

Il y a là, aussi, une leçon sur la liberté : celui qui veut s'exalter lui-même, acquérir de la gloire, devient sans le savoir l'esclave de tous les flatteurs au-dessus desquels il s'imagine s'élever. Apparemment le premier, il est en fait le dernier.

Tandis que le plus méprisé apparemment, celui que nul ne considère, vit dans une parfaite liberté à l'égard de la mare de la flatterie qui préoccupe tant les chercheurs de trônes.

Alors, dans le Christ, qui n'a pas regardé comme une proie la gloire de Dieu qui est sienne dans l'éternité, qui reçoit le plus petit, ici les trois femmes et le disciple de la croix, jugés comme Jésus sans grand intérêt — tout au plus l’intérêt de ses vêtements qu’on partage, — ; ici, qui reçoit le plus petit reçoit le Dieu lui-même présent dans son envoyé, dont on ne perçoit pas assez que la gloire passe par son humiliation apparente, la croix, trop indigne pour qu'on puisse croire qu'elle est le lot du glorieux, du Fils d'éternité. Combien est-il tentant de préférer la gloire du Christ à sa croix ! Mais il n'est de gloire que celle de la croix.


Mais ici, voilà que Pilate l'inconscient fait proclamer cela sans s'en rendre compte. En voulant taquiner les grands prêtres, qui se sont déjà passablement humiliés devant lui, alors qu'ils reconnaissaient avec grandiloquence le pouvoir romain de César, voilà que Pilate, donc, en insistant pour que l'inscription du motif de la condamnation de Jésus ne soit pas modifiée, fait proclamer pour l'éternité, - "ce que j’ai écrit est écrit" - ; Pilate fait proclamer, ô ironie, qu'il a là un supérieur, roi à Jérusalem, successeur de David, c'est-à-dire, selon les prophéties, le Roi de l'univers.


Cela selon ce qu'en outre, pour l'Évangile de Jean, le crucifié est l'agneau immolé, l'agneau sacrifié pour le péché du monde. Et Pilate, qui décidément ne sait pas ce qu'il fait, d'embaucher les grands prêtres pour sacrifier cet agneau-là. L'agneau immolé n'a rien de glorieux ici-bas. Mais la réalité cachée et céleste qui est dévoilée à notre foi dans sa résurrection est que la honte de la croix n'est que la face cachée de sa gloire ; la honte et la faiblesse d'un quotidien grisâtre est la face cachée qui fonde la possibilité des vrais étonnements joyeux.

Or c'est là ce que célèbrent tous les participants de la cour céleste, anges et archanges. Ils célèbrent l'Agneau immolé ; celui qui par cette immolation a été jugé digne de recevoir gloire honneur et puissance, au vu de tous les Anges, de toutes les Principautés et Puissances célestes.

Là nous est dévoilée une réalité cachée. Etre selon l'illusion visible dans la honte du Christ, au pied de sa croix, est être selon la vérité céleste dans la gloire du Ressuscité : heureux ceux qui le savent et qui désormais participent aux louanges que les êtres célestes adressent à l'Agneau, la louange en esprit et en vérité.


La question que nous pose ce dévoilement de la gloire du Christ est celle de notre participation au secret du Christ, à la vie cachée du Christ ici-bas. Être avec le Christ dans l'humilité de son secret à même de bouleverser notre quotidien, d'y vivre déjà dans une véritable louange l'honneur et la joie de la cour céleste, ou vivre dans l'illusion des paroles trompeuses des oppresseurs qui cherchaient à mettre le Christ sous leur botte, l’abreuvant d’amertume au moment-même de sa mort ?

Serons-nous de ceux qui ne savent pas voir la vérité de l'image de Dieu dévoilée par le Christ sur le visage de nos prochains ? Être sa mère, ou auprès d’elle son frère, sa sœur. Serons-nous de ceux qui dépassent les apparences, ce que le monde méprise, pour vivre du dévoilement du Royaume éternel ?

C'est là le fondement d'une vraie louange, semblable à celle des êtres célestes : la louange en esprit et en vérité. Ici, « "Tout est achevé" et, inclinant la tête, Jésus remit l’esprit ».


*

 

Prière (avec Bernard de Clairvaux) :

Seigneur Jésus, admirable est ta Passion !

Elle a mis en fuite nos passions, expié nos iniquités,
car elle n’est inefficace pour aucune de nos maladies.
En est-il une, Seigneur, qui ne soit guérie par ta mort ?
Dans la Passion se révèle en premier lieu la patience du Sauveur.
Patience sans égale !
Lorsque les pécheurs frappaient sur son dos,
lorsqu’il était étendu sur la croix,
qu’on pouvait compter tous ses os,
lorsque furent percés ses mains et ses pieds,
comme la brebis devant celui qui la tond,
il n’a pas ouvert la bouche.
Il n’a murmuré ni contre son Père par qui il avait été envoyé,
ni contre le genre humain, dont, innocent, il expiait les rapines,
ni contre les siens, chacun de nous,
sachant si mal répondre à de si grands bienfaits.
D’autres ont souffert avec humilité et patience pour leurs propres fautes.
Comment ne pas juger supérieure à toutes la patience du Christ,
lui qui est frappé de la mort la plus cruelle, comme un voleur,
par ceux-là même qu’il venait sauver,
alors qu’il n’avait absolument aucun péché…
mais qu’en lui c’était Dieu qui se réconciliait le monde,
en lui qui est plein de grâce et de vérité…
Et c’est à cause du trop grand amour dont Dieu nous a aimés
que, pour racheter l’esclave,
le Père n’a pas épargné son Fils,
et le Fils ne s’est pas épargné lui-même.
“Personne n’a un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis”.
Le tien, Seigneur, a été plus grand encore ;
tu as donné ta vie pour ceux qui étaient tes ennemis.
Nous étions tes ennemis lorsque ta mort nous a réconciliés avec toi
et avec ton Père.
Frères et soeurs, quel amour existe-t-il, ou a jamais existé ou existera,
pareil à cet amour ?
Si mourir est une grande faiblesse,
mourir ainsi par amour est une force immense.
Car ce qui est faible en Dieu est plus fort que les hommes…

D’après Bernard de Clairvaux (1090-1153), in : “Sermon 4 pour la Semaine Sainte” (cf. Pain de Cîteaux 31 ; traduction de A. Lemaire, p. 211-212).




R.P.,
Jeudi 13 et vendredi 14 avril 2006
Vence Antibes




09:05 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

02 avril 2006

À la croix…

 

  
 
 ÉLEVÉ DE LA TERRE   





 




Jean 12, 20-33
20  Il y avait quelques Grecs qui étaient montés pour adorer à l’occasion de la fête.
21  Ils s’adressèrent à Philippe qui était de Bethsaïda de Galilée et ils lui firent cette demande : "Seigneur, nous voudrions voir Jésus."
22  Philippe alla le dire à André, et ensemble ils le dirent à Jésus.
23  Jésus leur répondit en ces termes : "Elle est venue, l’heure où le Fils de l’homme doit être glorifié.
24  En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé qui tombe en terre ne meurt pas, il reste seul ; si au contraire il meurt, il porte du fruit en abondance.
25  Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle.
26  Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera.
27  "Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu.
28  Père, glorifie ton nom." Alors, une voix vint du ciel : "Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore."
29  La foule qui se trouvait là et qui avait entendu disait que c’était le tonnerre; d’autres disaient qu’un ange lui avait parlé.
30  Jésus reprit la parole : "Ce n’est pas pour moi que cette voix a retenti, mais bien pour vous.
31  C’est maintenant le jugement de ce monde, maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors.
32  Pour moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes."
33  — Par ces paroles il indiquait de quelle mort il allait mourir.


 
*
 

Qui est mis dehors quand Jésus est crucifié ? Si on vous pose la question, prenez garde à ne pas répondre comme ses bourreaux ! Eux ont donné la réponse : Jésus évidemment ! Ici, on a chassé « l’hérétique », celui qui dérangeait ; bref, quelque nom qu’on lui donne, on a chassé l’indésirable. On le jette dehors. Et cela n’a pas cessé d’être vrai !
 
Étrange. Jésus, lui, répond l’inverse ! On l’a entendu : celui qui est jeté dehors est le Prince de ce monde. On sait que c’est là un titre du diable dans l’Évangile selon Jean. Et ce titre n’est pas donné par hasard : c’est que selon Jean et selon d’autres livres du Nouveau Testament, le diable est celui qui dirige les choses, en tout cas provisoirement. Et cela n’a pas cessé d’être vrai :
 
Vous avez entendu parler ces derniers temps d’Abdul Rahman, cet Afghan condamné à mort pour avoir embrassé la foi du Christ. Combien d’Abdul Rahman dans le monde depuis Jésus ?
 
Si l’on sait que ce sont des pouvoirs humains qui ont fait crucifier Jésus, c’est aussi que le Prince de ce monde, est, comme le titre l’indique, derrière les dirigeants de ce monde, les princes de ce monde. Derrière eux, se cache à tous coups un ange au moins ambigu, sinon carrément mauvais. De toute façon, à sa place dans une hiérarchie diabolique. Au sommet, le diable.
 
En d’autres termes — et au plan visible si l’on veut — plus on monte dans les hiérarchies de ce monde, plus on se rapproche du pouvoir et de sa gloire ; et plus on se rapproche, non pas de Dieu, mais du diable !
 
Et, Prince de ce monde, il entend éliminer toute opposition ! Revenons, pour illustrer cela, à Abdul Rahman, condamné à mort. Qu’ont fait les nations, en signe de ce qu’elles sont bien soumises au Prince de ce monde ? Je ne parle pas que de l’Afghanistan. Les autres ont-elles fait bonne figure ? Les plus puissantes de nos nations n’ont obtenu le salut d’Abdul Rahman que pour avoir été contraintes de protester suite à la médiatisation de l’affaire, et non sans qu’on l’ait vu au passage soupçonné d’être fou ! (Nous voilà donc, ici dans ce temple, tous fous !) Et je parle là de ce qu’ont obtenu les nations qui ont osé protester officiellement. Je ne parle pas de celles, qui sont simplement restées dans le silence. Et combien d’Abdul Rahman dans le monde depuis deux mille ans ?
 
Eh bien, au jour où le Christ parle, il va s’agir pour lui d’affronter le maître, le Prince. Et voilà que toute la hiérarchie du monde d’alors, soumise à son Prince — avec le représentant de César, Pilate, au haut de sa face visible — représentant la raison d’État —, et au plan religieux le pontife suprême, Caïphe — représentant… la raison religieuse, disons, ou la religiosité réaliste ; voilà que toute cette hiérarchie dont le chef est le diable, s’est mise en devoir de jeter dehors celui qui dérange ce bel ordonnancement, qui fait grincer les rouages bien huilés de cette hiérarchie : Jésus.
 
Eh bien, ils ne savent pas ce qu’ils font, ils se savent pas qui il est. Et lorsque Jésus est crucifié, c’est leur chef qui est en fait jeté dehors, le diable. Crucifier Jésus, c’était de sa part, de leur part, l’erreur à ne pas commettre. C’est lui, le diable, et donc ses suppôts avec lui, qui sont jetés dehors à ce moment-là. Et c’est Jésus qui, élevé de la terre, est glorifié — dans un vocabulaire qui évoque la transfiguration des autres évangiles, Matthieu, Marc, Luc.
 
Admettons que lorsque Jésus tient de tels propos : « le Prince de ce monde va être jeté dehors », il y a de quoi le prendre pour un illuminé. C’est lui, que l’on sache, qui est rejeté, lui seul, contre le monde entier. Le voilà donc qui prétend avoir raison tout seul contre tous ! Eh bien oui, c’est bien cela qui est la vérité ! Il a raison tout seul.
 
Les autres, la raison du plus fort, raison du pouvoir, les a aveuglés — selon cette parole du Talmud : « quand un méchant persécute un juste, Dieu est du côté du juste contre le méchant, quand un méchant persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le méchant persécuteur, quand un juste persécute un méchant, Dieu est du côté du méchant persécuté contre le juste persécuteur ».
 
Et bientôt tout le monde va le voir. Sur cette croix, lui, le Juste, le Juste par excellence, est élevé de la terre. Élevé au sens le plus fort du terme, élevé au point que tout homme, jusqu’aux extrémités du monde, va le voir. Élevé, en fait, dans la gloire qui est la sienne auprès de Dieu avant même que le monde ne soit. 


*

Un signe, pour Jésus, que son jour approche : des Grecs veulent le voir. Ils vont le voir, élevé dans la gloire. Ces Grecs, qui sont en fait des Judéens de la diaspora, viennent de loin. Ils viennent au Temple, pour la Pâque. Et ils veulent voir Jésus, qui annonçait son corps ressuscité comme Temple du Royaume qui vient.
 
Ils veulent voir Jésus, ils vont bientôt le voir : dès lors, il le sait, son heure approche. Ils vont le voir, élevé à la croix, élevé à la gloire, d’où il va attirer tous les hommes à lui, depuis les extrémités de la Terre.
 
Ses ennemis, au moment où ils plantent les clous dans ses mains et ses pieds, croient le ficher définitivement au bois, ils croient ne commettre qu’une crucifixion de plus — un Abdul Rahman de plus. Ils sont en fait devenus les instruments de Dieu qui élève son Fils à la gloire, qui glorifie celui qui porte son Nom : « mon Nom, je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
 
Et ainsi, mis à mort comme le grain qui tombe en terre, il va porter le fruit de la promesse faite à Abraham jusqu’aux extrémités de la Terre. Alors s’accomplit le jugement de ce monde. Condamné avec son Prince qui est jeté dehors. Du haut de cette croix, le monde nouveau se met en place. Le crucifié est couronné de la sorte roi d’un Royaume qui n’est pas ce monde ; mais qui est le seul Royaume qui se passera pas. 


*

La question est alors celle de notre entrée dans ce Royaume. Et Jésus en indique le chemin en réponse à ses disciples venus lui annoncer la demande des Grecs : « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il se mette à ma suite, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, le Père l’honorera. »
 
Être sur la croix avec lui, dans sa gloire. Je suis le chemin, dira-t-il plus tard. Élevé par sa mort. Le suivre, pour être avec lui plutôt qu’avec le monde de ses ennemis, c’est faire fi des glorioles de ce monde. C’est faire fi des vanités qui passent. C’est renoncer à donner sens à sa propre vie.
 
Ma vie ne prend sens que du non-sens de sa crucifixion/élévation. Il n’y a de gloire qui tienne que celle-là. Servir, le servir, est le seul honneur qui vaille. Lui le sait : c’est pour vous qu’a retenti cette voix du ciel : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. »
 
Cela semble coûter, comme cela a coûté à Jésus : « Maintenant mon âme est troublée, et que dirai-je ? Père, sauve-moi de cette heure ? Mais c’est précisément pour cette heure que je suis venu. » En fait, cela coûte tout : « Celui qui aime sa vie la perd. » Mais la vie éternelle, dès aujourd’hui, est à ce prix : tout.
 
Voilà la réponse à la question des Grecs, à notre question. (puisque nous sommes ici ce matin, pour rencontrer Jésus, ou sinon, pour quoi ?) Vous voulez me voir ? Mais on ne me voit que dans mon élévation, à la gloire, à la croix. On ne me voit que là, on ne me rejoint que là. Vous voulez me voir ? Soit, mais cela vous coûtera tout ! « Celui qui aime sa vie la perd, et celui qui cesse de s’y attacher en ce monde la gardera pour la vie éternelle. »


*

Voilà le jugement. Voilà la croisée des chemins où nous sommes placés. Être jeté dehors avec le prince de ce monde, perdre sa vie pour vouloir s’y cramponner ; ou entrer dès aujourd’hui dans la vie éternelle, pour prix de l’abandon de notre propre vie au Christ.
 
Alors, qui est mis dehors quand Jésus est crucifié ? Les bourreaux ont cru que c’était Jésus. Lui, nous a montré à quel point c’était l’inverse. Ici, il n’y a pas de neutralité possible. Il n’y a pas de simples observateurs. Mais une alternative. La seule vraie alternative, au fond, de l’Histoire du monde. Avec le Christ sur la croix, dans la gloire ; ou dans la vanité, la gloire de ce monde qui passe, et qui est passé définitivement ce jour-là.
 
Telle est la croisée des chemins où nous place Jésus aujourd’hui.
 


R.P.
 
 
 

14:35 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

27 mars 2006

Élévation




 
LUMIÈRE ET TÉNÈBRES  




 



 

Éphésiens 2, 4-10
4  […] Dieu est riche en miséricorde ; à cause du grand amour dont il nous a aimés,
5  alors que nous étions morts à cause de nos fautes, il nous a donné la vie avec le Christ - c’est par grâce que vous êtes sauvés,
6  avec lui, il nous a ressuscités et fait asseoir dans les cieux, en Jésus Christ.
7  Ainsi, par sa bonté pour nous en Jésus Christ, il a voulu montrer dans les siècles à venir l’incomparable richesse de sa grâce.
8  C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu.
9  Cela ne vient pas des œuvres, afin que nul n’en tire orgueil.
10  Car c’est lui qui nous a faits ; nous avons été créés en Jésus Christ pour les œuvres bonnes que Dieu a préparées d’avance afin que nous nous y engagions.
 
Jean 3, 14-21
14  […] Comme Moïse a élevé le serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’homme soit élevé
15  afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle.
16  Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle.
17  Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.
18  Qui croit en lui n’est pas jugé ; qui ne croit pas est déjà jugé, parce qu’il n’a pas cru au nom du Fils unique de Dieu.
19  Et le jugement, le voici : la lumière est venue dans le monde, et les hommes ont préféré l’obscurité à la lumière parce que leurs œuvres étaient mauvaises.
20  En effet, quiconque fait le mal hait la lumière et ne vient pas à la lumière, de crainte que ses œuvres ne soient démasquées.
21  Celui qui fait la vérité vient à la lumière pour que ses œuvres soient manifestées, elles qui ont été accomplies en Dieu."


*


Un monde dans les ténèbres. (Souvenons-nous que ce passage s’inscrit dans le dialogue nocturne de Nicodème avec Jésus — et Nicodème pouvait-il venir autrement que de nuit, puisqu’il n’y a rien d’autre que la nuit ?) Un monde qui a perdu la mémoire de la lumière originelle.
 
Puis vient la manifestation de la lumière dans le Christ élevé comme le serpent (héb. : brillant). Dévoilé dans son élévation comme le Fils de l’Homme qui est dans les cieux, descendu du ciel où nul n’est monté, sinon celui qui en est descendu pour apporter la lumière, lui. Élévation, la croix est la sortie des ténèbres.
 
Le don de Dieu est la plongée de son Fils dans les ténèbres, où, par amour pour ce monde enténébré, il prend la sombre figure du serpent ; ténèbres d’où il sortira par son élévation, la croix. Pour en faire sortir le monde avec lui ; ce monde qui ne peut pas en sortir par lui-même.
 
Le salut du monde est alors la sortie des ténèbres par la grâce, via la confiance, la foi, en ce qu’est le Fils : celui qui vient d’en Haut. Une naissance d’en Haut.
 
Il n’est pas besoin d’autre jugement que celui qui a déjà eu lieu : être dans les ténèbres, puis y rester pour n’être né qu’une fois, n’être né qu’à ces ténèbres.
 
Mais dans le Christ élevé de la terre, le jugement, en quelque sorte, s’inverse, devient délivrance par la venue à la lumière, la naissance à la lumière pour la manifestation des œuvres de Dieu, accomplies en Dieu (cf. Ép 2, 10).
 
« C’est par la grâce, en effet, que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi ; vous n’y êtes pour rien, c’est le don de Dieu » (Ép 2, 8).
 
C’est au fond tout l’Évangile qui est dit en ces deux points : « sauvés par la grâce, par le moyen de la foi ». Le ch. 3 de l’Évangile de Jean développe dans un dialogue imagé de Jésus avec un homme à la piété exemplaire, Nicodème, ces deux volets de l’Évangile.
 
Le premier volet, la question de la grâce, est donné dans l’image de la nouvelle naissance qui précède le passage que nous venons de lire. Avec pour chute le v. 8 : « Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. »
 
Bref, la naissance d’en Haut, c’est comme la naissance tout court, on n’y peut rien. Le souffle de Dieu dont on ne connaît pas les voies en est la source. La grâce. On n’y peut rien.
 
Puis, second volet, notre texte d’aujourd’hui : la foi, que suscite la grâce et qui en reçoit le don. À peu près autant mystérieux, avec ce passage au jour toutefois : la grâce, on n’en conçoit rien, la foi on en est conscient : on sait que l’on croit. À part cela, donc, on ne peut pas en dire grand-chose — si ce n’est qu’elle nous prive de la maîtrise du salut.
 
Et Jésus illustre cela par l’évocation de l’épisode biblique du serpent d’airain, ce serpent que Moïse avait fait forger pour que quiconque le regarde après avoir été mordu par les serpents du désert, fût guéri.
 
Il en est de même de la crucifixion du Christ : une élévation sur une perche similaire à l’élévation sur une perche du serpent d’airain de Moïse de sorte que quiconque lève son regard vers lui, croit en lui, ait la vie éternelle, soit sauvé d’une mort aussi certaine que celle qui suit la morsure d’un serpent venimeux : notre destin — « personne ne sortira d’ici vivant », pour le dire comme le poète Jim Morrison.
 
Mais quiconque croit en lui, le pendu élevé de la terre, a la vie éternelle de la même façon que quiconque regardait le serpent de Moïse était guéri des morsures des serpents venimeux.
 
Rien à comprendre, à croire seulement. Et nous voilà à notre verset que la Déclaration de foi de l’Église Réformée de France reconnaît comme « la révélation centrale de l’Évangile » : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle ».
 
Tout est dit dans ces quelques mots — mais qu’est-ce qui est dit, en l’occurrence ?
 
Les quelques versets qui suivent nous éclairent quelque peu, si c’est possible. Il est question d’extraction des ténèbres vers la lumière. Et c’est certainement là l’image — j’allais dire la plus lumineuse, qui nous soit proposée du salut dont il est question.
 
Car le verset 16 pourrait aussi nous plonger dans la perplexité. Les prédicateurs qui se sont penchés sur ce texte depuis des siècles ont remarqué la difficulté suivante : « Dieu a aimé le monde ». Selon l’usage que fait l’Évangile de Jean du mot « monde » il pourrait y avoir là quelque chose de contradictoire.
 
Voilà qui peut nous mettre la puce à l’oreille : contradictoire : si c’était donc la clef ?
 
Dans l’Évangile de Jean, « le monde » — cosmos — est une notion le plus souvent négative. C’est ce qui est illusoire, vain, superficiel. Un faux arrangement pour lequel Jésus ne prie pas lorsqu’il remet les siens à Dieu dans son discours d’adieu (Jn 14-17).
 
Et voilà que Dieu l’a tellement aimé, le monde, « qu’il a donné son Fils unique » ! — « pour que le monde soit sauvé par lui ». Il l’a donc chéri infiniment, il lui a été infiniment cher, le monde. Et ce « chérissement » est pour son extraction vers la lumière.
 
Où l’on retrouve et la Genèse et son… commentaire par le Prologue de ce même Évangile de Jean. Où le monde advient comme création de Dieu dans la lumière de Dieu qui le fait sortir du chaos et des ténèbres.
 
Quel est donc l’acte de foi qui reçoit la grâce de Dieu donnée en plénitude dans le signe du don de son Fils ? C’est tout simplement le regard qui du cœur des ténèbres, du chaos, du péché et de la culpabilité, de la souffrance, bref : de l’exil loin de Dieu — se tourne vers la lumière sans crainte, comme les pères au désert mordus par les serpents se tournaient vers le serpent d’airain dressé dans la lumière.
 
Tel est l’acte de foi en la lumière. Au-delà de toute crainte qui préfèrerait rester plongée dans les ténèbres et le chaos, les œuvres mauvaises déjà absorbées par la mort — se tourner sans crainte vers celui de qui rayonne la lumière éternelle par lequel le monde vient à son salut, vers celui qui, pendu au bois, élevé de la terre la fait resplendir en plénitude, en vie éternelle. La foi seule. La plénitude de la grâce y est donnée.
 
 

R.P.

 

 

 

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