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10 septembre 2006

Ephphata...






Ephphata : ouvre-toi
  











Ésaïe 35, 4-7
4  Dites à ceux qui ont le cœur troublé : Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.
5  Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront.
6  Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe.
7  La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes. Dans le repaire où gîte le chacal, l'herbe deviendra roseau et papyrus.


Jacques 2, 1-5
1  Mes frères, ne mêlez pas des cas de partialité à votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus Christ.
2  En effet, s'il entre dans votre assemblée un homme aux bagues d'or, magnifiquement vêtu ; s'il entre aussi un pauvre vêtu de haillons ;
3 si vous vous intéressez à l'homme qui porte des vêtements magnifiques et lui dites : "Toi, assieds-toi à cette bonne place" ; si au pauvre vous dites : "Toi, tiens-toi debout" ou "Assieds-toi là-bas, au pied de mon escabeau",
4 n'avez-vous pas fait en vous-mêmes une discrimination ? N'êtes-vous pas devenus des juges aux raisonnements criminels ?
5 Écoutez, mes frères bien-aimés ! N'est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment ?


Marc 7, 31-37
31  Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.
32  On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main.
33  Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue.
34  Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit : "Ephphata", c'est-à-dire : "Ouvre-toi."
35  Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement.
36  Jésus leur recommanda de n'en parler à personne : mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient.
37  Ils étaient très impressionnés et ils disaient : "Il a bien fait toutes choses ; il fait entendre les sourds et parler les muets."


*


Ephphata
: ouvre-toi. La reprise par notre texte de l'araméen dans lequel Jésus prononce ces paroles n'est sans doute pas indifférente. Parole de Création. « Ephphata, Ouvre-toi » : derrière l'ouverture du sourd-muet, ou sourd-bègue, vers le monde extérieur, c'est aussi l'ouverture vers le Royaume qui s'annonce, et dont Jésus est porteur. Ouverture, comme un commencement, comme on nomme « Ouverture » le début d'une œuvre musicale ou littéraire. Ephphata 
: une nouvelle étape, un nouveau chapitre, une nouvelle création : au récit de la création de la Genèse : « Dieu vit que cela était bon » — ici : Jésus « a bien fait toutes choses » (v.37). Une nouvelle naissance s'ordonne pour le sourd-muet, ou le sourd-bègue, comme l’on peut traduire, qui devient ainsi, lui incapable de s’exprimer jusque là, comme notre porte-parole, le témoin du Royaume qui nous est promis, et que porte Jésus. Ouverture.

Et face à l'ouverture opérée par Jésus, ce qui ferme. Les trois textes d'aujourd'hui ont affaire à la même chose : la dignité, ce qui ouvre ; et ce qui lui porte atteinte, qui ferme. Que ce soit la maladie, l'infirmité ou la pauvreté. L'anti-Création ; l’anti-Royaume.

Le prophète Ésaïe promet un Royaume, une création enfin achevée, d'où sont bannies toutes les atteintes à la dignité. Il n'y a pas d'autre Royaume de Dieu que celui-là. « Dites à ceux qui ont le cœur troublé : Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver. Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront. Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe. » (És 35, 4-6).

C'est à ce texte que renvoie Jésus guérissant le sourd-muet : « les oreilles des sourds s'ouvriront [...] la bouche du muet criera de joie ». Nouvel acte de création, ses doigts creusent les oreilles, sa salive anime la langue figée : bref, la glaise s’anime du souffle de Dieu qui la façonne. Jésus est celui qui fait venir le Royaume, y compris par ses miracles. C'est encore ce dont témoignent les Apôtres et ceux qui avec eux ont reçu ce don-là. C'est aussi ce dont sont appelés à témoigner tous ceux qui se réclament du Christ, en référence aux mêmes prophéties, quand bien même ils n'ont pas reçu de dons miraculeux, spectaculaires, ou simplement brillants.

C'est un témoignage auquel nous sommes tous appelés, et auquel renvoie l'Épître de Jacques : « N'est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment ? » (Jc 2, 5).
 

*


La vraie richesse n’est peut-être pas où l’on croit. Les dispositions les plus humbles peuvent être les plus remarquables dans le Royaume. Ici s’ouvre un carrefour tout aussi remarquable : ce qui ouvre vers le Royaume n’est pas ce qui brille et qui ouvre toutes les autres portes (avec pour symbole la richesse et l’or pour symbole à son tour de sa brillance). Or, quant au Royaume, ce qui brille peut fermer. Les dons propres à ouvrir sont anodins aux yeux aveugles à la Vérité. Jésus demande le silence après son miracle : le côté spectaculaire peut fermer là où lui, entend ouvrir.

Ce qui ouvre est ce qui établit en dignité, qui dévoile la dignité cachée, jamais ce qui écrase. Contre toutes les pauvretés, tous les mépris — y compris, mais pas seulement, la pauvreté en argent, qui bien sûr vaut à sa victime le mépris. C'est de ce mépris-là que Jacques parle en premier, nous l'avons entendu. Si, comme Jésus, méprisé, le pauvre par excellence (« celui, dit la Bible, qui pour nous s'est fait pauvre, de riche qu'il était ») ; si, tout comme ce Jésus est le prince du Royaume, le Royaume est destiné aux pauvres aux yeux du monde, comme dit Jacques, il nous appartient à tous d'ouvrir les yeux et de savoir que la dignité n'est pas dans le clinquant, dans ce qui se voit ou qui ambitionne d’exiger des égards.

La dignité est dans la considération que Dieu porte — cela sur les plus apparemment misérables : le sourd-muet, l’aveugle-né, le pauvre de Jacques.

Nous l’avons lu : « s'il entre dans votre assemblée un homme dont la belle tenue annonce que "ce n’est pas n’importe qui" ; s'il entre aussi un pauvre mal vêtu, qui lui, du coup, a tout de "n’importe qui" ; si vous vous intéressez à l'homme resplendissant et lui dites : "assieds-toi ici bien confortablement" ; si au pauvre vous dites : "pour toi, il doit y avoir de la place par-là…" » (Jc 2, 2-3).

… Faire cela, avise sa lettre, est exactement se mettre en travers de ce qu'a fait Jésus pour l'avancement du Royaume. Fermer là où lui, ouvre. Peut-être est-ce pour cela qu'il tarde tant à venir, ce temps du bonheur annoncé il y a deux mille ans et plus par les prophètes.


*


Alors bien sûr, compte tenu des réalités économiques différentes à l’époque de Jacques et à la nôtre, les choses ne se passent plus littéralement comme dans son Épître. Et puis l’échelle des valeurs, les lieux où l’on brille aussi, ne sont plus les mêmes. On n’est plus au temps, pas si lointain, où les premiers bancs des lieux de culte, places réservées, portaient les noms des familles les mieux loties — ou au temps, pas si lointain non plus, où le suffrage censitaire était de règle, et où en conséquence ne pouvait accéder au statut de notable d’Église que ceux qui payaient assez d’impôts ; ce qui faisait dire à un prédicateur du XIXème siècle qu’à cette époque, Jésus n’aurait pas pu être conseiller presbytéral.

Il ne s'agit évidemment pas de jeter la pierre à quiconque de ceux qui nous ont précédés. Seules les apparences ne sont plus les mêmes : plus de plaques pour réserver des bancs dans les lieux de culte, que la plupart de ceux qui brillent ont désertés, puisque ce n'est plus censé être à la mode (et je ne parle pas spécialement des riches d’argent — mais sûrement des riches en postures) ; bijouterie ou habillements sont
peut-être
  (?) moins signifiants — aujourd’hui, on parlerait plutôt de voitures de luxe — ; cela dit, la pratique que dénonce Jacques, elle, sous d’autres formes, s'est maintenue.
 

*


Car aujourd’hui comme hier, il s’agit d’être riche, beau, en bonne santé et intelligent. C’est mieux que d’être pauvre, mal foutu (sourd-muet !) et stupide, ou aveugle. Bref, mieux vaut être riche en estimes diverses : par exemple, dans l’air du temps ; une chose très évidente : les vedettes du
show-biz ou de la politique, ou même du show-biz
religieux. Jugés dignes de tous les égards — les uns qui ont belle allure ou qui chantent bien, les autres qui parlent bien, mais parfois pour ne rien dire ; et puis ceux qui sont canonisés par avance — ; égards parfois mérités, mais qui pas plus qu'aux temps bibliques ne rajoutent à la dignité devant Dieu, non plus que cela ne l'enlève à ceux qui en sont privés (mais à quoi n’est-on pas prêt pour être remarqué, genre « passer à la télé », lieu des courbettes médiatiques, qui humilient ceux qui en sont exclus !).

Jésus, lui, ouvre : les yeux, les oreilles, les voix… Et demande de ne pas le publier ! Mais en vain : déjà alors, que ne faisait-on pas pour passer dans la gazette du temps !
 

*


Allons un peu plus loin ici, avec cette question : et si Jésus nous disait, lorsqu’il refuse la publicité pour sa gloire, que le riche aussi, entrant dans la synagogue de Jacques (c’est le mot traduit par « assemblée »), ou dans un de nos temples, y cherche confusément un havre de discrétion ! Qu’il est fatigué des courbettes dont on l’a gavé toute la semaine, et que quelque chose au fond de lui n’a pas envie que ça recommence le dimanche. S’il avait finalement un désir enfoui de se retrouver tel qu’il est en vérité, devant Dieu, loin du portrait de lui-même que lui infligent les "paparazzi" de tous poils ? — et découvrir enfin que la liberté de l’Évangile peut lui permettre de n’être plus l’oppresseur, malheureux, que dénonce Jacques.

Tandis que le pauvre, ou le mal-foutu, lui, au contraire, espère quitter le regard de dédain qui lui colle à la peau comme ses hardes, pour se retrouver lui aussi tel qu’il est en vérité, devant Dieu. Bref, quand Jésus regarde chacun tel qu’il est en vérité, il ouvre le Royaume promis par Ésaïe, où chacun est vrai devant Dieu. Quand l’attitude que dénonce Jacques persiste à regarder les apparences, selon l’habitude, elle déçoit peut-être aussi bien le riche que le pauvre. Et l’habitude colle à la peau comme les haillons du pauvre.


*


Tout cela nous dit peut-être pourquoi le Royaume de Dieu semble si lointain : c'est que le Royaume ne marche pas selon ces façons-là : c'est exactement ce que nous disent Jésus, ou avec lui Ésaïe ou Jacques.

Au temps où la fréquentation des lieux de culte était réputée à la mode, les riches, d'argent, de prestige, de dons extraordinaires, ou que sais-je, les fermaient aux pauvres, pauvres de ces mêmes choses. Aujourd'hui où c'est considéré comme démodé, c’est ailleurs que se poursuit ce qui soulevait alors les invectives et les malédictions de Jésus et de Jacques. Rien de nouveau sous le soleil.
 

*


Ne serait-il pas temps pour tous, rappelle alors Jacques jusqu’à aujourd’hui, de se convertir à autre chose ? À la vraie dignité, qui est celle que nous confère Dieu, dans cette considération, ce contact — « Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue » ; ce contact qui nous relève, et que ne sait pas offrir le monde des vanités ; ce contact qui permet à Jésus qui en a le don, d’ouvrir nos yeux aveugles à sa richesse ; de creuser et d'ouvrir à la parole de Dieu les oreilles des sourds que nous sommes tous, et d’animer de sa propre salive pour ouvrir à sa louange les muets que nous sommes tous ; d'ouvrir à son Royaume les pauvres qu'il nous faut être. Ouverture qu'il nous appartient, même à nous qui n'avons pas de dons miraculeux ou spectaculaires, d’offrir à chacun, d'une dignité infinie, pour cet autre vrai miracle : le dévoilement de cette dignité.

Pour cela, il nous appartient avant tout de le recevoir nous-même, ce contact de Jésus, d'y découvrir notre dignité et notre valeur, au-delà de ce qui les blesse, au-delà de nos souffrances et des mépris dont nous souffrons, des mépris de nous-même pour nous-même, parfois. Mais Dieu nous a jugés dignes d'envoyer Jésus pour nous. Allons le vivre, et le dire…



R.P.
Vence
10.09.06

 



15:50 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

03 septembre 2006

Cérémonies…





 

... Rites et intériorité  












Invocation :

« Donne un petit instant à Dieu et repose-toi en lui. Entre dans la chambre de ton esprit ; n’y laisse entrer aucune pensée, hormis celle de Dieu, et tout ce qui peut t’aider à le chercher ; ferme la porte et mets-toi à sa recherche. Parle, à présent, ô mon cœur ! Parle à Dieu et dis-lui : "Je cherche ton visage, c’est ton visage que je cherche." Et maintenant, Seigneur mon Dieu, viens apprendre à mon cœur où et comment de chercher, où et comment te trouver. » (Anselme de Canterbury, Proslogion.)


*


Lectures :

Deutéronome 4, 1-2
1  Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique: ainsi vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays que vous donne le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères.
2  Vous n’ajouterez rien aux paroles des commandements que je vous donne, et vous n’y enlèverez rien, afin de garder les commandements du SEIGNEUR votre Dieu que je vous donne.
 

*

Marc 7, 1-23
1  Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus.
2  Ils voient que certains de ses disciples prennent leurs repas avec des mains impures, c’est-à-dire sans les avoir lavées.
3  En effet, les Pharisiens, comme tous les Judéens, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ;
4  en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavages rituels des coupes, des cruches et des plats.
5  Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus : "Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas conformément à la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures ?"
6  Il leur dit : "Ésaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, car il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ;
7  c’est en vain qu’ils me rendent un culte car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes.
8  Vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes."
9  Il leur disait : "Vous repoussez bel et bien le commandement de Dieu pour garder votre tradition.
10  Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère, et encore : Celui qui insulte père ou mère, qu’il soit puni de mort.
11  Mais vous, vous dites : Si quelqu’un dit à son père ou à sa mère : le secours que tu devais recevoir de moi est qorbân, c’est-à-dire offrande sacrée…
12  vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère :
13  vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre."
14  Puis, appelant de nouveau la foule, il leur disait : "Écoutez-moi tous et comprenez.
15  Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur."
16  [Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende.]
17  Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogeaient sur cette parole énigmatique.
18  Il leur dit : "Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence ? Ne savez-vous pas que rien de ce qui pénètre de l’extérieur dans l’homme ne peut le rendre impur,
19  puisque cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s’en va dans la fosse ?" Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
20  Il disait : "Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui rend l’homme impur.
21  En effet, c’est de l’intérieur, c’est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres,
22  adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison.
23  Tout ce mal sort de l’intérieur et rend l’homme impur."

 

*



Voilà un des textes les plus délicats concernant les rapports du Nouveau Testament avec la religion juive. Comme d’habitude, je vais défendre les pharisiens. Je propose d’aborder ce texte par ce constat qu’il pose :

« Certains disciples » de Jésus ne se lavent pas les mains.

Ce « certains » doit nous mettre la puce à l’oreille. Il suppose : « pas tous » — d’autres disciples se les lavent. Ce détail permet de comprendre l’arrière-plan de la controverse. Et la raison pour laquelle il faut traduire ici, comme souvent, le mot grec
ioudaïoï par
« Judéens » (à savoir de la région de Judée) plutôt que « juifs » (de la religion juive) ; sachant que le mot a les deux significations.

Je m’explique. Reprenons le propos : « 
les pharisiens, comme tous les ioudaïoï, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains », explique le texte ; cela contrairement à ce que font « certains
des disciples » de Jésus. Inutile de préciser qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’hygiène ! Il s’agit d’une purification rituelle ; un geste par lequel on dit que le repas est placé devant Dieu, un des aspects de l’action de grâce. Le repas est lieu de communion avec Dieu. Un rite, donc, incontestablement respectable, et que la Torah requiert des prêtres.

En Judée, donc, contrairement à ce que font certains disciples de Jésus, qui eux sont Galiléens, on reprend la pratique.

Mais l’épisode se passe en Galilée, c’est-à-dire hors Judée. Ainsi le texte a précisé d’entrée : « les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem »… À savoir de la Judée, dont Jérusalem est la capitale. On a affaire à des Judéens en déplacement. L’Évangile explique donc que ces représentants de la Judée que sont, dans ce cadre, les pharisiens, font comme on fait en Judée : ils sacrifient au rite du lavement des mains, contrairement à certains des disciples de Jésus qui sont juifs aussi, mais Galiléens, pas Judéens !… Et qui ne sacrifient pas à ce rite judéen.

C’est donc assez simple : il s’agit d’une explication préalable pour que l’on saisisse le cadre du débat. Si en revanche, on traduit par « juifs », c’est-à-dire « les adeptes de la religion juive »,on ne comprend plus rien : qu’est-il besoin de préciser « les pharisiens comme tous les juifs » ? Répétition inutile ! Ou alors est-ce que les disciples de Jésus ne seraient pas juifs ? Si, naturellement, tout en n’étant pour la plupart pas Judéens, mais Galiléens. Et « 
certains
 » d’entre eux ne sacrifient pas au rite. C’est eux qui seront pris à partie.

Et l’on sait effectivement que le judaïsme de Galilée n’est pas exactement le même, considéré par les rigoristes comme moins pur, que celui de la Judée. Au point que dans la suite des temps, et déjà, à l’époque, en diaspora, dans le reste du monde, la Judée a donné son nom à la religion de Moïse : le judaïsme ; et ses habitants à ses adeptes : d’où le fait que le mot
ioudaïoï
en grec, peut se traduire par « Judéens » (connotation régionale), comme par « juifs » (connotation d’obédience religieuse), ainsi qu’on le comprend habituellement.

C’est pourquoi lorsqu’il s’agit du reste du bassin méditerranéen, comme pour les voyages de l’Apôtre Paul, il est tout à fait raisonnable de traduire « juifs ». Mais concernant la région d’Israël/Palestine, c’est-à-dire pour les évangiles, traduire
ioudaïoï par « juifs » a quelque chose d’un anachronisme. Ici la distinction n’est pas entre juifs et Grecs, ils sont tous juifs ; les distinctions sont entre les juifs de Judée et ceux de Galilée, voire gens de Samarie. Et ioudaïoï,
selon son sens premier d’ailleurs, désigne donc les Judéens, ce qui supprime bien des difficultés.

À commencer par ce qui sans cela apparaît constamment comme un anachronique antisémitisme du Nouveau Testament, comme en tout cas une potentialité antisémite — cela si la polémique permanente oppose juifs et chrétiens ! La polémique des évangiles est entre juifs — judéens d’un côté, et galiléens (autour de Jésus), de l’autre. (Il est significatif que les premiers chrétiens seront longtemps appelés « nazaréens », terme référant, entre autres, à Nazareth en Galilée.)

Et voici le départ de la polémique de notre texte : les pharisiens venus de Jérusalem en Judée, adeptes d’un judaïsme judéen de bonne observance, se lavent les mains, « comme tous les Judéens », ou : « selon la pratique judéenne ». La pratique galiléenne, du coup suspecte aux yeux des premiers, est plus floue. Les Galiléens, sont souvent accusés d’être semi-païens : on le voit bien dans les évangiles : moins grave que les Samaritains, mais pas très net quand même.

Or Jésus est Galiléen, comme ses disciples mis en cause. Et quand arrivent des gens de Jérusalem, des Judéens, c’est-à-dire dans un monde hiérarchisé (Jérusalem est la capitale !), des gens bien placés en matière de religion — ils font remarquer à Jésus le laisser-aller de certains des siens. Comme un appel du pied qui lui est lancé pour qu’il mette un peu d’ordre dans son troupeau et rappelle la droite observance !
 

*


Et voilà que contre toute attente, Jésus, non pas cependant qu’il donne raison à ses disciples, notez bien ; — mais Jésus vole dans les plumes des représentants de Jérusalem.

Mais attention, si ce qui est ici en vue est le rituel juif, ce n’est pas ce rituel-là en particulier qui est mis en cause. Sans quoi le texte évangélique serait un témoignage historique, intéressant certes, mais cantonné dans l’histoire, celle à laquelle renvoie l’épisode, celle dans laquelle écrit Marc, peut-être, et puis c’est tout. Une polémique datée. C’est de cette façon qu’on pointe les textes contre autrui, ici les juifs, et qu’on en évacue la pertinence.

Au-delà de sa signification dans son cadre d’origine, il faut se demander si l’interpellation de Jésus peut avoir un sens général, et donc un sens pour nous qui n’avons pas cette pratique judéenne. Quel est son sens concernant les rites, et nos rites inclus ?

Un rite a pour fonction de dessiner un espace symbolique, ou un temps, qui nous permette de nous extraire de nos agitations et de nos vanités, de nous axer sur l’essentiel ; qui n’est ni économique, ni commercial, ni politique… Nous axer sur ce que nous sommes devant Dieu. Un cadeau, même si nous en comprenons mal la valeur.

Un rite n’est rien d’autre que ce que nous faisons ce matin et qui au plan de l’efficacité et du rentable de nos sociétés ne sert à rien. Comme, souvent, un cadeau de valeur.

Un rite est une façon de dessiner dans nos agitations et nos vanités la dimension de la sainteté, de la mise à part. « Que ton nom soit sanctifié ! », mis à part, prions-nous… C’est ce que signifient les rites autour du repas auxquels sont attachés les Judéens de notre texte : faire du repas un moment extrait de la vanité, un cadeau, un moment à part, placé devant Dieu.

Cela correspond au fond à cette leçon de Jésus : « vous n’êtes pas de ce monde... je vous donne ma paix, paix que le monde ne connaît pas » — au-delà de toutes les agitations et les choses dites utiles.

Le rite ne fait rien d’autre qu’ouvrir des moments et des lieux symboliques en vue de cette paix. Si notre monde connaissait la valeur de ce temps de gratuité qui coûte des Shabbatoth au juifs et des dimanches matins aux chrétiens !… Il y gagnerait probablement en santé morale par le bénéfice d’un vrai repos ! Mais… chut ! il ne faut pas trop le dire ! Il paraîtrait que ça culpabilise… Ça fait partie en tout cas de ce que l’on reproche aux pharisiens…

Alors, on continue à ne pas trouver de paix, en se donnant le prétexte que Jésus aurait dit de ne pas se laver les mains, de ne pas dessiner de moments symboliques comme les pharisiens. Or il ne l’a pas dit !

Je propose un dernier éclairage qui nous permette de bien le saisir, en comprenant l’intention des pharisiens ; cela à partir de cet équivalent dans le meilleur du christianisme : la pratique de l’intériorité précisément ; le retour à Dieu dans la liturgie de sanctification, avec confession des péchés et paroles de grâce ; le retour à Dieu dans la prière, selon, comme le dit saint Augustin, que Dieu m’est plus intime que ma propre intimité. Voilà le propos qui est dans le rituel du repas chez les pharisiens ! Est-ce hasard si les premières saintes Cènes se faisaient autour d’un repas ?

Alors au fond, n’y a-t-il que quiproquo entre Jésus et les Judéens ? Ou n’y a-t-il que volonté de Marc, qui rapporte l’épisode, de rattacher à Jésus l’abandon par les chrétiens d’origine païenne de la pratique juive concernant les interdits alimentaires ? Cela dans le cadre des débats autour de la Cène précisément, suite à la mission de Paul ? Ce serait aller au-delà de ce qu’a dit Jésus ici.


La teneur exacte, Marc vient de la citer : « ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort » ; cela illustré par l’aboutissement — aux latrines au cas où certains voudraient ne pas comprendre. « Ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort ». En d’autres termes : si le rite a valeur symbolique réelle, il n’est pas une fin en soi, ce en quoi Jésus rejoint l’interprétation de nombre de ses corréligionnaires. Ce que signifie lavement de mains ou autres
rites, c’est qu’il est des espaces et des temps de sainteté qu’il est bon de dessiner. « Venez un peu à l’écart et reposez-vous », dit-il lui aussi à ses disciples.

*


Cela est légitime, mais n’est pas une fin en soi. Cela n’est pas une fin en soi, au risque de voir cette signification légitime des rites se pervertir, parce que l’homme est prompt à tout pervertir. Ainsi le dit ce grand témoin de l’espace intérieur, l’Ecclésiaste : « Dieu a fait les hommes droits, mais ils ont cherché beaucoup de détours ».


Ici, le détour est dévoilé par Jésus à travers l’usage que certains font de la loi légitime et bonne du
qorbân, c’est-à-dire de la sanctification de tel ou tel bien pour un usage cultuel. Chose très bonne en soi, mais parfaitement perverse si elle devient un moyen de ne pas honorer ses parents, de transgresser donc, un autre commandement. Où la « pureté » serait dressée contre la charité!

Ainsi, ce n’est pas le judaïsme, ce ne sont pas les rites et ce qu’ils signifient qui sont mis en cause ; c’est le fait que
même cela
est utilisé par nos esprits retords pour ne pas obéir à Dieu.

Bref, vous connaissez l’histoire : « Seigneur, ne me dérange pas, je suis ne train de prier ! »
Que fait Jésus face aux Judéens qui veulent lui donner des leçons de direction de communauté concernant ses disciples — « rappelle-les à l’ordre quant au rite » — ? Il les renvoie à une autre question concernant le pur et l’impur :
« ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort »
. Bref, l’intériorité non plus n’est pas une garantie de pureté devant Dieu.

Vous vous croyez purs parce que vous accomplissez consciencieusement les rites ? Et si vous aviez tout bonnement — si nous avions, sans nous en rendre compte, donné occasion à nos faiblesses, paresses, conforts,… de tout fausser ? Si l'accès à un autre espace, qui est le sens du rite, de la culture de l’intériorité, devenue fin en soi, nous voyait alors rater sa signification : nous dégager de nous même et de nos agitations, nous rendre disponibles, pour découvrir ce pour quoi Dieu nous envoie ? C’est avec cette question que nous laisse ce texte.



R.P.
Antibes,
3 septembre 2006




« Tu es grand, Seigneur, et infiniment digne de louange : grande est ta force, et ta sagesse dépasse toute mesure. Et l'être humain, une parcelle de ta création. Tu le pousses, l'humain, qui porte en lui sa mortalité, qui porte avec lui le témoignage de son péché et le témoignage que tu résistes aux arrogants. Et pourtant, il veut te louer, l'humain, une parcelle de ta création. Tu le pousses à trouver plaisir à te louer, parce que tu nous as faits tournés vers toi et notre cœur est sans repos qu'il ne repose en toi. » (Augustin d'Hippone, Confessions.)






08:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

06 août 2006

La Transfiguration







"
ÉCOUTEZ-LE"... 










2 Pierre 1, 16-19
16  […] Ce n’est pas en nous mettant à la traîne de fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la venue puissante de notre Seigneur Jésus Christ, mais pour l’avoir vu de nos yeux dans tout son éclat.
17  Car il reçut de Dieu le Père honneur et gloire, quand la voix venue de la splendeur magnifique de Dieu lui dit: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir."
18  Et cette voix, nous-mêmes nous l’avons entendue venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
19  De plus, nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même, sur laquelle vous avez raison de fixer votre regard comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu’à ce que luise le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. 


Marc 9, 2-20
2  … Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux,
3  et ses vêtements devinrent éblouissants, si blancs qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi.
4  Elie leur apparut avec Moïse; ils s’entretenaient avec Jésus.
5  Intervenant, Pierre dit à Jésus: "Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes: une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie."
6  Il ne savait que dire car ils étaient saisis de crainte.
7  Une nuée vint les recouvrir et il y eut une voix venant de la nuée: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le!"
8  Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux.
9  Comme ils descendaient de la montagne, il leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts.
10  Ils observèrent cet ordre, tout en se demandant entre eux ce qu’il entendait par "ressusciter d’entre les morts"


*


Une semaine après que Pierre ait reconnu la messianité de Jésus et que Jésus ait annoncé aux disciples la manifestation prochaine du Royaume de Dieu (avant même la mort de quelques-uns d'entre eux), — a lieu cet événement qui inaugure l'étape décisive du ministère de Jésus et révèle à trois disciples sa nature profonde, que les autres ne connaîtrons que lors de sa résurrection.

En même temps, comme en filigrane de cette expérience, il va leur révéler, à travers l'absence qui suivra ce moment de présence intense, l'espace intérieur de leur propre relation avec Dieu.


La nature de la transfiguration

Il n'est point, à l'origine, de terme technique pour désigner la transfiguration. La tradition grecque se contente de dire "le taborion", faisant référence au lieu supposé de l'événement, le mont Thabor — lieu que ne mentionnent pas les Évangiles.

Le terme utilisé ici signifie littéralement "métamorphose", indiquant un changement profond, et que le latin a rendu par "transfiguration". De ces diverses façons s'exprime une profonde réalité quant à la nature de la relation du Christ et de son Père, qui ne sera manifestée à nouveau que lors de sa résurrection et lors de sa venue en gloire — mentionnée dans ce contexte du rappel de la transfiguration par la 2e Épître de Pierre (1, 16-19).

C'est d'un privilège insigne que bénéficient alors les trois disciples Pierre, Jacques et Jean, souvent favorisés de l'intimité de Jésus. Jésus qui prie toujours tout seul (les disciples ne savent pas comment il prie : ils le lui demandent quand Jésus leur enseigne le Notre Père — Lc 11:1-4) les gratifie parfois de sa compagnie en ces moments. Ce sera le cas au Gethsémané, c'est le cas ici. Il ne faut toutefois pas exagérer cette proximité : on voit au Gethsémané qu'il les maintient à quelque distance. Le privilège n'en est pas moins considérable. Ici, ce privilège va déboucher sur un privilège plus grand encore : la vision de Jésus glorifié. Car c'est bien de cela qu'il est question dans la transfiguration.

C'est de ce fait que la transfiguration est à rapprocher de l'annonce que fait Jésus de la venue prochaine du règne du Fils de l'Homme, sans qu'il faille y voir strictement l'accomplissement de cette prophétie. L'accomplissement est probablement à trouver dans les événements de 70, la destruction du Temple et la ruine de Jérusalem, lus comme le dévoilement de la présence de Dieu promise jusqu'au cœur de la détresse, cela à la lumière de la gloire du Christ telle qu'elle se relie à sa mort.

Sa gloire, celle de la résurrection, est en rapport tel avec sa mort, qu'en Jean, il parle, comme on sait, de sa mort comme d'une élévation (Jn 12:32-33). Par sa mort, Jésus s'identifie aux souffrances de son peuple, conformément à la prophétie d'Ésaïe (ch.53). C'est ainsi que ses propres souffrances sont une promesse de la transfiguration du peuple souffrant, situé dès lors dans le triomphe dans la faiblesse. Et c'est ainsi que le Royaume est présent dans l'accomplissement, en 70, de la prophétie selon laquelle la génération à laquelle il s'adressait quelque quarante ans avant ne passerait pas qu'elle ne l'ait vu, comme quelques disciples restés vivants. Et la transfiguration est une première manifestation de la gloire du Christ ressuscité, dont témoignent Moïse et Élie en qui sont représentés la Loi et les Prophètes.

Devant les mystères éclatants qu'ils sont en train de contempler, face à la joie, les disciples ne sont pas en mesure de saisir cette dimension des choses, qui leur a déjà été et leur sera encore scandaleuse : le Messie doit souffrir et mourir, il doit partir ; pour un départ dont Jésus précise en Jean qu'il est à l'avantage des siens (Jn 16:7). C'est ce départ qu'en ce jour de la transfiguration, les trois disciples refusent.


La réaction des disciples

Cette vérité est difficile à accepter. Peut-être, pour les disciples, d'autant plus difficile à accepter qu'ils ont été gratifiés de cette vision. Ce qui peut-être, cependant, les aidera à ne pas parler de cela avant la résurrection du Maître, comme Jésus le leur demande.

Pour les disciples, cette réalité glorieuse dont ils sont les témoins doit perdurer, la nuit doit cesser, engloutie dans la lumière. Que cette joie ne cesse jamais ! D'où le propos de Pierre : tout cela est si bon : que cela perdure ! Que tout se fige en cet instant ! Car Pierre tremble de crainte, sans doute, mais aussi de bonheur, de plénitude. Et il veut bâtir des tabernacles, puisque c'est le mot. Le même mot que Jean emploie pour parler de l'Incarnation : "il a tabernaclé parmi nous" — mais nécessairement provisoirement.

Et ce côté provisoire est désespérant. C'est pourquoi les tabernacles deviennent facilement des Temples, qui ont vocation au définitif. Le tabernacle : le lieu où se signifie la présence de Dieu parmi nous, et que l'on voudrait fixer. Mais le Temple sera détruit, comme le sera le corps de Jésus, pour une révélation plus glorieuse encore : "il vous est avantageux que je m'en aille"... afin que vous connaissiez plus pleinement la Vérité dont je suis porteur... "car si je ne m'en vais pas, le Saint Esprit ne viendra pas".

La Vérité éternelle ne se fixe pas, on ne cerne pas Dieu. Et au lieu de tabernacles, c'est une nuée qui enveloppe la présence glorieuse, ainsi dérobée aux yeux des disciples.

Et c'est dans ce mystère, opaque, qu'est révélée la vérité profonde de l'événement : "celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le". Il n'est aucun moment à fixer : il n'est qu'une vérité profonde, celle de la relation d'intimité qui lie Jésus au Père : la filiation selon laquelle Jésus révèle ce qui se peut connaître de Dieu, par ses paroles, par son être, et cela dans sa mort, son départ.


Le signe de l'absence

Car c'est là que se révèle aux disciples le cœur de leur relation avec Dieu. Cet intense moment de présence de Dieu ne signifie aux disciples le cœur de leur relation à Dieu, n'est pour eux lieu d'effusion de l'Esprit que par l'absence qui le suit et lui donne sens.

Cette révélation n'a de sens, pour la vie des disciples, que par sa cessation. La plénitude qu'ils viennent de connaître leur révèle en effet leur manque, leur incomplétude totale, en laquelle ils sauront désormais que s'établit leur relation à Dieu. Et cela ne se dévoile que par le vide qui suit l'intensité de la présence.

Et ce retrait de la Gloire qui les a un moment comblés est même nécessaire pour que leur soit vraiment révélé le manque qu'elle leur signifie, et à partir duquel ils pourront poursuivre le chemin de leur accomplissement ; ce chemin qu'ils ont été tentés d'interrompre, pensant que leur être pouvait dorénavant se clore dans le sentiment de leur plénitude.

En dehors de l'entrée dans l'infini, au jour éternel de la manifestation, de la Parousie du Christ glorieux, au jour où "Dieu sera tout en tous", il n'est aucune présence de Dieu qui ne trouve son sens dans l'absence qui la suit : "si je ne m'en vais pas, le Saint Esprit ne viendra pas". Car toute présence qui nous donnerait à penser que nous avons atteint notre accomplissement, notre perfection, serait celle d'un Dieu devenu idole. L'idole est la fixation illusoire du définitif dans le temps.

Ici la transfiguration, et l'absence qui la suit, nous donnent la différence entre Jésus et une quelconque idole, entre le Messie qui instaurera le vrai Royaume et un quelconque chef de parti à vocation totalitaire qui nous promet dans ses mensonges, qu'il a une solution simple à nos problèmes, depuis le chômage jusqu'à l'insécurité.

Notre relation au Christ est toute autre. En lui la présence de Dieu n'est ni celle d'un chef de cet ordre, ni celle  d'une idole religieuse ou autre.

C'est pourquoi, y compris en lui, Dieu doit se retirer, afin que par son absence, les moments de bonheur, de présence, de sentiment de plénitude, nous enseignent notre manque intarissable.

Si nous nous sentons en plénitude de savoir, de foi, de spiritualité, de solutions de toute sorte, n'est-ce pas parce que nous refusons que Dieu se retire ; ne le scellons-nous pas, alors, sous les tabernacles de ce qui n'est plus que notre auto-satisfaction ?

Ne sommes-nous pas alors l'être spirituellement infantile, manipulant un Dieu à son image ? Ici, à terme, la présence de Dieu n'est plus que prétexte à une boulimique consolidation de l'illusoire image d'un soi achevé.

C'est pourquoi, Dieu se retire, afin que dans le manque qu'il suscite, le Saint Esprit vienne placer la Parole de notre inaccomplissement — qui est chemin, vérité, et vie, — la Parole du Christ : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le".



R.P.
Antibes, 6 août 2006

  


 

09:10 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)