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09 octobre 2006

Alliance

 




Signe d’Alliance
 











Genèse 2, 18-24

18  Le SEIGNEUR Dieu dit: "Il n’est pas bon pour l’homme d’être seul. Je veux lui faire un soutien qui lui soit accordé."
[…]
21  Le SEIGNEUR Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit; il prit l’un de ses côtés et referma les chairs à sa place.

22  Le SEIGNEUR Dieu transforma le côté qu’il avait pris à l’homme en une femme qu’il lui amena.
23  L’homme s’écria: "Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise."
24  Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair.


Hébreux 2, 9-18
9  Nous faisons une constatation: celui qui a été abaissé quelque peu par rapport aux anges, Jésus, se trouve, à cause de la mort qu’il a soufferte, couronné de gloire et d’honneur. Ainsi, par la grâce de Dieu, c’est pour tout homme qu’il a goûté la mort.
10  Il convenait, en effet, à celui pour qui et par qui tout existe et qui voulait conduire à la gloire une multitude de fils, de mener à l’accomplissement par des souffrances l’initiateur de leur salut.
11  Car le sanctificateur et les sanctifiés ont tous une même origine; aussi ne rougit-il pas de les appeler frères
12  et de dire: J’annoncerai ton nom à mes frères, au milieu de l’assemblée, je te louerai,
13  et encore: Moi, je serai plein de confiance en lui, et encore: Me voici, moi et les enfants que Dieu m’a donnés.
14  Ainsi donc, puisque les enfants ont en commun le sang et la chair, lui aussi, pareillement, partagea la même condition, afin de réduire à l’impuissance, par sa mort, celui qui détenait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le diable,
15  et de délivrer ceux qui, par crainte de la mort, passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.
16  Car ce n’est pas à des anges qu’il vient en aide, mais c’est à la descendance d’Abraham.
17  Aussi devait-il en tous points se faire semblable à ses frères, afin de devenir un grand prêtre miséricordieux en même temps qu’accrédité auprès de Dieu pour effacer les péchés du peuple.
18  Car puisqu’il a souffert lui-même l’épreuve, il est en mesure de porter secours à ceux qui sont éprouvés.


Marc 10, 2-16
2  Des Pharisiens s’avancèrent et, pour lui tendre un piège, ils lui demandaient s’il est permis à un homme de répudier sa femme.
3  Il leur répondit: "Qu’est-ce que Moïse vous a prescrit?"
4  Ils dirent: "Moïse a permis d’écrire un certificat de répudiation et de renvoyer sa femme."
5  Jésus leur dit: "C’est à cause de la dureté de votre cœur qu’il a écrit pour vous ce commandement.
6  Mais au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle;
7  c’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme,
8  et les deux ne feront qu’une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair.
9  Que l’homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni."
10  A la maison, les disciples l’interrogeaient de nouveau sur ce sujet.
11  Il leur dit: "Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première;
12  et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère."
13  Des gens lui amenaient des enfants pour qu’il les touche, mais les disciples les rabrouèrent.
14  En voyant cela, Jésus s’indigna et leur dit: "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux.
15  En vérité, je vous le déclare, qui n’accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n’y entrera pas."
16  Et il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.


*


Le Christ partageant la chair des hommes (Héb) ; l’homme et la femme qui sont une même chair séparée et qui deviennent une seule chair (Gn et Mc) ; c’est le mot « chair » qui relie les textes que nous avons lus. Où il est question d’Alliance, au plus fort entre Dieu et les hommes, signifiée par une alliance entre l’homme et celle qu’il reconnaît comme chair de sa chair.

Alliance. Thème qui est au cœur de l’histoire biblique, qui nous présente l'amour de Dieu pour son peuple comme similaire à celui d'un homme et d'une femme. Du coup, un amour humain, qui fonde une Alliance — le mariage —, est appelé à dire en signe ce qu'est cette autre Alliance, l’Alliance que Dieu a scellée avec nous.

Cela nous fait accéder à une réalité spirituelle vaste, difficilement accessible à l'intelligence seule. L’image du couple : il s’agit — à travers une réalité toute quotidienne : l'amour dans ses aspects les plus concrets, — d’ouvrir à nos sens l’accès à des vérités d'une portée éternelle.

Nous sommes des êtres de chair, nos intelligences sont rivées à la matière par leurs instruments en cette vie, les instruments de nos cinq sens, par lesquels nous recevons les messages les plus spirituels — voire même le message de la parole de Dieu.

Êtres de sens, « comment entendront-ils si personne ne prêche ? » écrit l’Apôtre Paul de ses auditeurs. Le message éternel est communiqué aux oreilles de chair du croyant par l'Apôtre qui prêche. Et pour nous qui n'entendons plus les paroles de l'Apôtre, ce sont nos yeux, qui le lisent dans la Bible, qui font office de médiateurs de la Parole divine. Parole divine qui sera confirmée encore à nos sens par d’autres prédications, et au moyen des sacrements, l’eau du baptême, le pain et le vin, par l'intermédiaire de ces trois autres sens que sont le toucher, le goût et l'odorat, mais aussi encore la vue et l'ouïe.

Voilà donc un message qui est au-delà de nos sens, concernant un Dieu que nul n’a jamais vu, et que notre foi reçoit par l’intermédiaire de nos sens.

C'est la même chose sous d'autres termes que Jésus enseigne, lorsqu'il remercie Dieu de ce qu’il a dévoilé cela aux enfants (v. 13-16) : les vérités éternelles sont manifestées dans son Fils venu en chair ; vérités désormais accessibles à nos sens, aux êtres de chair que nous sommes.

Eh c’est encore ce que dit un mariage — d’où la réponse de Jésus à une question apparemment d’une autre nature : une question sur les dispositions de la Loi de Moïse concernant le répudiation. Une réponse à un tout autre plan : c’est la lecture que je vous propose de ce texte, comme tentative d’explication de ce que Jésus semble ne pas répondre à la question humaine et concrète qu’on lui pose. On lui parle mariage et répudiation, il répond Alliance : « que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a uni ». Ce qui renvoie à l’Alliance que Dieu scelle avec les êtres humains, dite à travers une alliance très concrète entre un homme et une femme.
 

*


Les vérités de l'éternité ! — voici qu'elles nous atteignent au cœur même de notre faiblesse, mais cela nous coûte, les recevoir nous coûte — l’abandon de ce que nous croyions savoir de nous —, comme cela coûte à Dieu. C’est l’image et l’enseignement de la venue en chair du Fils de Dieu. Cela nous coûte, comme cela coûte à Dieu.

Cela nous engage comme cela engage Dieu ; en fait, cela nous coûte tout, contre la grâce à bon marché, qui consiste à ne jamais s'engager en rien : abandon de nos illusions pour nous, abandon de la gloire célestes pour le Christ. Et c'est de cela que nous sommes témoins.

Dans les années 1930 et 1940, ce célèbre résistant allemand au nazisme, le pasteur Dietrich Bonhoeffer — un des deux plus célèbres témoins du XXe siècle, avec le pasteur Martin Luther King, de l’engagement concert, jusqu’à leur mort, pour la foi du Christ — Dietrich Bonhoeffer dénonçait ce qu'il appelait « la grâce à bon marché », laquelle se caractérise par ce qu'elle nous épargne les implications coûteuses de l'Évangile.

La grâce à bon marché voudrait nous épargner l'effort sérieux en vue de cet abandon de soi, voudrait nous épargner le travail réel qui est d'entrer dans la grâce du Christ, bref l’engagement de recevoir la Parole vraie de la vie éternelle, Parole vraie de ce qu'elle confronte vraiment le règne de l'illusion et du mensonge.

Eh bien, c’est là la réponse que Jésus donne — à côté de la question qui lui est posée sur la répudiation. Engagement — ici l’un envers l’autre. Signe — comme Dieu s’engage envers nous. Et signe de ce Dieu s’engage envers nous : ce dont Dieu seul est garant — au-delà de la faiblesse des hommes, qui est ce qu’elle est, et qu’il ne nie pas. Dieu s’engageant pour nous comme homme et femme deviennent ce qu’ils sont, une seule chair.

Notons donc que la question posée parle de la répudiation et pas du divorce — que Moïse a permis d’organiser. C’est ce dont a parlé Moïse. Ce n’est pas ce dont parle Jésus. Un peu comme quand on vient lui soumettre une question d’héritage. Il refuse de répondre. « Pour cela, voyez la Loi, qui rend les choses humaines. Moi je suis venu pour autre chose ».

Au-delà des questions concrètes d’organisation du quotidien (non que Jésus dédaigne ces question, mais pour cela il renvoie à Moïse) — au delà de ces questions, est celle de la grâce (la loi est venue par Moïse, la grâce et la vérité par Jésus, dit le prologue de Jean). La grâce est grâce qui coûte — qui coûte tout mais qui est grâce, gratuité, don miraculeux de Dieu — ; grâce qui coûte cependant, et là on retrouve le mot qui est au cœur de l’engagement du mariage : l'amour — qui fonde le don de Dieu.

*


Alors, n’imaginons pas ici je ne sais quelle notion tarte à la crème. L’amour par-ci, l’amour par-là. J’aime Dieu, mon conjoint, mon chien, le bifteck, et à tout prendre, la tarte à la crème.

Et pour agrémenter le tout, parlant de mariage (avant qu’on ne répudie l’autre) on se marie parce qu’on s’aime, comme une cerise sur le gâteau à la crème du repas qui suivra la cérémonie.

Eh bien, non, ce n’est pas une raison pour un mariage, sous peine de risquer de voir le gâteau en question se transformer en soufflet. À ce compte, qu’est-il besoin de se marier ? Non, on ne se marie pas parce qu’on s’aime, mais pour s’aimer. De même qu’on ne se marie pas parce qu’ « on va si bien ensemble ». Il est ici question de signe de l’engagement qui est celui de Dieu.

Une union, une Alliance, se scelle sur la base de ce que l’on se sait différents, radicalement différents. Ça vaut pour le couple, ça vaut entre Dieu et nous. Osons le dire, pas faits pour vivre ensemble, n’était-ce la grâce de Dieu. Rien de plus étranger qu’un homme et une femme. Soyons lucides : ceux qui sont mariés de le savent : les hommes et les femmes ne sont pas faits pour vivre ensemble. Trop différents ! Comme Dieu et homme !

D’où précisément, entre homme et femme, le mariage ; ce scellement qui ne peut concerner qu’un homme et une femme, deux êtres radicalement étrangers. Alors, on ne se marie pas parce qu’on se ressemble, mais parce qu’on est deux êtres radicalement différents ; et ainsi, sachant cela, on ne se marie pas parce qu’on s‘aime, mais pour s’aimer — un engagement, qui coûte.

Radicalement étrangers, venant de deux mondes radicalement étrangers, serait-on voisins de palier ; bref : homme et femme ; on est conscient qu’on est en train de faire naître un monde nouveau, fruit de ces différences.

D’où rupture de chacun d’avec ce qu’il fut. Et cela, c’est difficile. Difficile comme un accouchement l’est pour une mère. Et pourtant, c’est par là que le monde se crée. Le monde n’est fécond que de ses différences.

*


Exactement comme l’union, l’Alliance entre Dieu et les hommes, finalement scellée en Jésus Christ Dieu et homme, fils de Dieu venu en chair. Apparemment l’Alliance de la carpe et du lapin ! Impossible ! Mais ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu.

Et devient indispensable à l’homme : c’est aux enfants d’Abraham que le Christ vient ainsi en aide, dit l’Épître aux Hébreux, et pas aux anges, intelligences pures, exemptes de la chair.

Ainsi en Jésus, Dieu s’est uni à l’humanité, sorte de mariage — une Alliance — pour une seule chair, de sorte que désormais, l’homme ne peut pas séparer ce que Dieu a uni. Et ça c’est le salut, pourvu que nous y entrions, car il n’est point question ici, ion l’a compris de grâce à bon marché.

Voilà une Alliance qui coûte tout aux deux parties. Un abandon. Qui a tout coûté à Dieu, en Jésus devenu vrai homme, jusqu’aux épreuves des hommes. Et qui nous coûtera tout : celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui l’abandonne la trouve pour l’éternité.




R.P.,
Vence,
dimanche 8 octobre 2006







09:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

02 octobre 2006

Entre Roch Hashanah et Yom Kippour

 




 

« QUI N’EST PAS CONTRE NOUS
EST POUR NOUS »




 







Nombres 11, 25-29

25  Le SEIGNEUR descendit dans la nuée et lui parla; il préleva un peu de l’esprit qui était en Moïse pour le donner aux soixante-dix anciens. Dès que l’esprit se posa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais ils ne continuèrent pas.
26  Deux hommes étaient restés dans le camp; ils s’appelaient l’un Eldad, l’autre Médad; l’esprit se posa sur eux — ils étaient en effet sur la liste, mais ils n’étaient pas sortis pour aller à la tente — et ils prophétisèrent dans le camp.
27  Un garçon courut avertir Moïse: "Eldad et Médad sont en train de prophétiser dans le camp!"
28  Josué, fils de Noun, qui était l’auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, intervint: "Moïse, mon seigneur, arrête-les!"
29  Moïse répliqua: "Serais-tu jaloux pour moi? Si seulement tout le peuple du SEIGNEUR devenait un peuple de prophètes sur qui le SEIGNEUR aurait mis son esprit!"

Marc 9, 38-41
38  Jean lui dit: "Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas."
39  Mais Jésus dit: "Ne l’empêchez pas, car il n’y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.
40  Celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
41  Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.



*

 

Entre les fêtes juives de Roch Hashanah (le nouvel an juif 5767 – le 23 septembre) et Yom Kippour (le grand pardon – ce 2 octobre) voici le dimanche proposé par les Églises chrétiennes pour approfondir nos relations avec le judaïsme.



Moïse est découragé. Être le pasteur d’un peuple « réboussié » comme ça, il n’en peut plus !

Ce à quoi Dieu avait répondu (v.23) : « Crois-tu que j’ai le bras trop court ? Tu vas voir maintenant si ma parole se réalise ou non pour toi. » Une parole qui va se réaliser d’une façon qui peut sembler étrange : Moïse va recevoir des coopérateurs, et donc perdre, apparemment, un peu de son prestige. Cela n’échappera pas à Josué, on va le voir.

Le passage que nous avons lu est donc le moment suivant, où Dieu donne ces coopérateurs à Moïse. C’est certes Moïse qui les choisit, usant naturellement de son discernement — mais c’est Dieu qui les qualifie, en leur donnant de son Esprit pour les envoyer en mission. Cela correspond un peu à ce que l’on appelle dans la tradition réformée appel externe, adressé par les hommes, par l’institution — ici par Moïse — ; et appel interne, appel de Dieu, seul qualifiant, même si le premier, externe, est indispensable — comme une voix qui porte l’appel de Dieu.

Dieu avait dit : « Rassemble-moi soixante-dix des anciens d’Israël, tu les amèneras à la tente de la rencontre, je prélèverai un peu de l’Esprit qui est sur toi pour le mettre en eux... » Ceux qu’on appelle les « anciens » du peuple sont des hommes en position de responsabilité, parmi les plus âgés. Le mot « anciens » a donné aussi bien sénateur (selon le latin senior, ancien) que presbytre (selon le grec, transcrit par « prêtre » mais aussi par « conseiller presbytéral »). Moïse fait donc une liste de soixante-dix anciens, et les convoque à la Tente de la Rencontre, c’est-à-dire la Tente qui abritait l’Arche d’Alliance, qui est dressée hors du campement où demeure le peuple. Désormais il sera donc entouré d’une sorte de sénat ou de conseil presbytéral.

Sur les soixante-dix anciens choisis par Moïse pour aller à la Tente de la rencontre, hors du camp, deux, Eldad et Medad, n’y vont pas, mais restent dans le campement. Le texte ne dit pas si c’est par mauvaise volonté, ni si cette désobéissance signifie une réticence par rapport à Moïse.

Quoi qu’il en soit, ce qui va suivre va montrer à quel point Moïse ne s’est pas trompé, ou à quel point il est inspiré, doué de l’Esprit de Dieu, parce que ces deux-là s’avèrent bel et bien être appelés et qualifiés par Dieu — et s’ils ont, peut-être, résisté à Moïse, ils ne sauraient résister à Dieu ; et bon gré mal gré, ils prophétiseront, fût-ce au milieu le campement.

Et Moïse, le texte permet de le supposer, le sait bien. Peut-être lui ont-ils, apparemment, résisté à lui, mais au fond, il sait qu’il s’agit de bien autre chose. Quiconque a connu la vocation, l’appel de Dieu et a répliqué d’abord : « pourquoi moi ? » — le sait bien. Et Moïse lui même n’a-t-il pas d’abord répondu à Dieu l’envoyant en Égypte — « pourquoi moi ? Envoie quelqu’un d’autre de plus doué, plus compétent, etc. » Vous vous souvenez.

Dans notre texte, Dieu fait comme il avait dit : il « prélève une part de l’Esprit qui reposait sur Moïse, pour le donner aux soixante-dix anciens ». Manière imagée de dire que, désormais, les anciens sont en mission autour de Moïse et donc que l’Esprit du Dieu qui les a appelés, qui les a vraiment appelés lui-même, ce don de l’Esprit en est le signe — l’Esprit les accompagne, et les précède.

Ce qui, en outre, confirme le discernement de Moïse qui les a lui-même choisis. Y compris les deux réfractaires restés au camp : ils reçoivent eux aussi l’Esprit pour être à même de remplir leur mission.

Le comportement d’Eldad et Medad n’est pas du goût de tout le monde ; quelqu’un se précipite pour avertir Moïse : « Eldad et Medad sont en train de prophétiser dans le camp ! » Et là, on assiste à deux réactions diamétralement opposées : Josué, le fidèle serviteur de Moïse, veut défendre les prérogatives de son maître. Il est anormal que ceux qui ont désobéi ou à tout le moins ont fait preuve d’indépendance soient quand même au bénéfice de l’Esprit.

Et Josué de s’affoler un peu : « Moïse, mon maître, arrête-les ! » Réflexe d’inquiétude qui signifie aussi : « au secours, nous perdons le contrôle ! Nous ne maîtrisons plus rien ! »

Moïse, lui, ne s’en fait manifestement pas : il sait. On peut même imaginer qu’il se souvient de sa propre vocation, qui on l’a dit, ne s’est pas faite non plus sans difficultés. « Pourquoi moi ? »

Quant à l’inquiétude de Josué pour les prérogatives de son maître — en choisissant de s’entourer de soixante-dix Anciens, Moïse savait de toute façon qu’il acceptait de ne plus tout maîtriser.

Et il s’en réjouit. D’autant plus qu’à présent, l’Esprit du Seigneur accompagne de toute façon Eldad et Medad. On a entendu la réponse de Moïse : « Serais-tu jaloux pour moi ? Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son Esprit ! »

Et oui, il a bien compris aussi cet aspect du malaise de Josué. Perdant un peu de la lourdeur de sa tâche, Moïse va perdre aussi un peu de son prestige personnel. Et — la chose est importante — il s’en réjouit.

Quelques versets plus bas, le même livre des Nombres précise : « Moïse était un homme très humble, plus qu’aucun homme sur la terre. » (Nb 12, 3). Nous venons d’en avoir la preuve : il se réjouit sincèrement de ne plus être seul à porter le poids de la charge du peuple, et de ne plus avoir — en quelque sorte — le monopole de l’Esprit et le prestige qui s’ensuit.

Et ce faisant, Moïse, accomplissant cet aspect essentiel de sa vocation, se fait annonciateur du Royaume. Ce qui n’échappera pas à ses héritiers spirituels.

70 anciens — qui deviendront le signe de la responsabilité partagée, puis de l’avancée du Royaume ; l’un n’allant pas sans l’autre. Savez-vous que, selon le Targoum, cette version ancienne, araméenne et paraphrasée de la Bible, Eldad et Medad, dans leurs prophéties que la Bible ne retransmet pas, ont annoncé la délivrance finale d’Israël et la résurrection des morts ?

Intuition tout à fait justifiée, comme vérifiée en anticipation par l’Histoire : les 70 anciens deviendront en effet la préfiguration de toutes les étapes vers le Royaume. Ils deviendront le modèle du sanhédrin, en quelque sorte témoin de la parole de Moïse et de sa loi au sein du peuple. Puis ils donneront leur titre, 70 — septante — à la version de la Bible destinée à tous les peuples, la traduction grecque du même nom : Septante.

Puis 70 disciples seront choisis par Jésus pour préfigurer en Israël la prochaine mission universelle de l’Église. Toujours l’élargissement de la promesse à tout l’univers, toutes les nations.

Écho à l’événement, la prophétie bien connue de Joël : « Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; Vos fils et vos filles prophétiseront, Vos anciens auront des songes, Et vos jeunes gens des visions » (Jl 3, 1). On sait que c’est cette prophétie qui sera reprise au livre des Actes, lors de l’événement de Pentecôte, premier signe décisif de l’élargissement de l’Alliance à toutes les nations. Écho encore à Ésaïe : mon Esprit couvrira la terre comme l’eau couvre le fond des mers.

Voilà une prophétie qui est bien celle de la perte contrôle, de notre perte de contrôle. Dieu seul prend l’initiative. C’est ce qui doit advenir, c’est le sens de ce que fonde la mission de Moïse. Moïse s’y opposerait ? Impensable.

Et pourtant, quelle tentation, si l’on voit (dans le texte de Marc que nous avons lu) que ce sera encore celle des disciples de Jésus, dont la vocation spécifique est pourtant d’amener à la concrétisation de cet élargissement de l’Alliance scellée avec Moïse.  Nous avons entendu l’Évangile de Marc : « Jean dit à Jésus : "Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas." »

Mais que l’on sache, l’expulsion des idoles qui rendent captifs — idoles, séréïm et hébreu, démons (daïmonia) en grec — cette libération pour vivre dans la liberté de l’Esprit de Dieu est la vocation donnée dès le Sinaï ? Mais qu’elle est prégnante la tentation de se vouloir propriétaires de la parole libératrice : « nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas » — bref parce qu’il n’était pas membre de la même Église que nous… propriétaires exclusifs du don de Dieu !

Même tentation que celle de Josué : « ils prophétisent sans être avec toi, là où c’était prévu, au Tabernacle ; fais-les donc taire. » — « Nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas ».

Même réponse de Moïse et de Jésus : « Ne l’empêchez pas. » C’est ainsi que la promesse du Royaume fait son chemin, qui fera dire à Paul : « nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit » (1 Co 12, 13).

En ce dimanche des relations avec le judaïsme, entre Rosh Hashanah (le nouvel an juif) et Yom Kippour (le grand pardon), Dieu appelle chacun d’entre nous, juifs et chrétiens, il appelle chacun dans l’héritage du Dieu d’Abraham, à entendre cette vocation qui nous est commune, chacun son rôle, et envoyés par l’Esprit de Dieu qui souffle où il veut pour l’espérance et la promesse de son Royaume. Dieu appelle chacun de nous individuellement aussi à discerner quelle est la tâche qu’il nous confie dans ce grand œuvre : l’avènement de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle où la justice habitera.

Et cela vaut au-delà même de nos communautés respectives : « qui n’est pas contre nous est pour nous », rappelle Jésus. Nul n’est de trop dans ce grand projet, quelles que soient de notre part les réticences à de ceux que nous voudrions empêcher. Et aucun geste n’est méprisable : « Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau ne l’aura pas fait en vain » !…

Comme Eldad et Medad, Dieu nous appelle aujourd’hui. Tâchons donc de faire nôtre, en sortant vers Dieu plutôt que de rester dans le camp, cette vocation qui est la nôtre, pour que nous l’accomplissions avec la joie de la promesse qu’elle porte.



R.P.
Antibes,
1er octobre 2006







08:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

18 septembre 2006

Pierre lui répond…






« Tu es le Christ »





 

 

 




Marc 8, 27-27 :
27  Jésus s'en alla avec ses disciples vers les villages voisins de Césarée de Philippe. En chemin, il interrogeait ses disciples: "Qui suis-je, au dire des hommes ?"
28  Ils lui dirent : "Jean le Baptiste ; pour d'autres, Élie ; pour d'autres, l'un des prophètes."
29  Et lui leur demandait : "Et vous, qui dites-vous que je suis ?" Prenant la parole, Pierre lui répond : "Tu es le Christ."
30  Et il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne.
31  Puis il commença à leur enseigner qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, les grands prêtres et les scribes, qu'il soit mis à mort et que, trois jours après, il ressuscite.
32  Il tenait ouvertement ce langage. Pierre, le tirant à part, se mit à le réprimander.
33  Mais lui, se retournant et voyant ses disciples, réprimanda Pierre ; il lui dit: "Retire-toi ! Derrière moi, Satan, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes."
34  Puis il fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive.
27  En effet, qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera.



*



Point du jeu de mot : « tu es Pierre et sur cette pierre... » chez Marc ; seule une confession qui marque ce que souligne la 1ère épître de Pierre : la pierre, c’est le Christ. Et l' « apostolicité » (pour reprendre le terme du credo « Église apostolique ») — l’ « apostolicité », c’est-à-dire la fidélité à ce que l'Église est fondée par les Apôtres — l’ « apostolicité » de l'Église, donc, est sa fidélité au message des Apôtres avec en son cœur, cette pierre d'angle de l'Église : le Christ, et la confession qui la fonde — « tu es le Christ ». Et en aucun cas n'est légitimée l'annexion de la succession de Pierre par le seul fait de résider dans une ville où il est peut-être mort !

Et si c'est le cas, s'il y est mort, c'est, justement, comme un esclave, à l'image de son maître crucifié : il n'a pas régné, ni comme un empereur, ni même comme un roi ou un chef quelconque, ni a fortiori comme chef militaire, ni à plus forte raison encore comme le plus absolutiste et donc le plus disqualifié des monarques se réclamant du plus humble — dans ce qu’on a appelé la chrétienté. Que peut-il y avoir en effet de plus disqualifiant dans selon le propos du Christ que la prétention à l'infaillibilité ?!

Ce qui n’empêche évidemment pas l’évêque de Rome d’être entendu — quand il questionne, je le précise comme protestant, plus que quand il décrète ! C’est ainsi que si l’évêque de Rome, même lui, si mal placé soit-il — pourrait-on dire —, me demandait des comptes sur l’attitude insupportable de Luther à l’égard des juifs par exemple — il m’appartiendrait de les donner. Et je le répète, aussi mal placé soit-il pour poser ces questions. Et si au lieu de donner les explications demandées, ou la formulation d’une demande de pardon, s’il n’y a pas d’excuse ; si au lieu de cela je me contentais de hausser le ton et de faire des menaces — et bien, je serais en train d’amener de l’eau au moulin de celui qui me questionnerait. Tout ça pour dire, au-delà de l’actualité — suivez mon regard —, qu’un protestant, lisant ce texte de Marc, considère le pape comme n’étant pas plus qu’un homme, et pas moins qu’un homme — comme tous les hommes, fussent-ils prophètes. Comme Pierre, à qui seul s’adresse Jésus dans ce texte (et pas à de supposés «successeurs»), Pierre qui lui non plus n’était pas infaillible. Un seul, le Christ, est la Parole-même de Dieu faite homme.

Sachant cela, venant de confesser le Messie, Pierre, lui, est à une distance infinie de prétentions à l’infaillibilité — fût-elle ponctuelle et occasionnelle —, lui qui voudrait cependant pour son maître qu’au moins il ne connaisse pas une mort de scélérat !

Allez ! Peut-être même espère-t-il même pour lui un règne de roi ! — il vient de dire qu’il est le Christ, le Messie, le roi, donc. Lui qui voudrait donc pour son maître au moins autre chose qu’une mort ignoble, et pourquoi pas ce qui lui revient, le règne des rois — plutôt que cette mort —, lui, Pierre, se fait tout de même pour cela traiter de satan !

Cela parce Pierre — lui-même — a donc dérapé ! On n’en est pourtant pas encore aux exorbitances de ceux qui se réclameront de lui !

Et Jésus d'en appeler à la croix par laquelle seule on peut le suivre ! Et jamais par la force militaire — par laquelle, entre autres, Pierre voudrait le défendre.

Certes, pourtant, on est loin de cela, comme des pontifications — parfois même infaillibles, qui plus est ! — dont on s’autorisera au nom de Pierre. Étrange !

Jésus, nous dit le texte, « fit venir la foule avec ses disciples et il leur dit : "Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il se renie lui-même et prenne sa croix, et qu'il me suive » (Mc 8, 34).

Comme Simon de Cyrène aidait Jésus à porter la sienne (Mc 15, 21), il nous appartient de prendre notre part de celle à qui elle est aujourd'hui si durement imposée.

Pour l’heure,
« il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne » (v.30). De quoi s'agit-il ? Pierre vient de reconnaître en lui le Messie — le « Christ » selon le mot grec choisi ici et qui indique l’universalité de la position messianique de Jésus.

« 
Il leur commanda sévèrement de ne parler de lui à personne » (v.30). Jésus a-t-il peur pour lui-même, redoute-t-il les menaces que feraient peser sur lui la diffusion d'une telle nouvelle ? Il n'en est rien : Jésus est à la veille de sa dernière montée à Jérusalem et le verset suivant, suite auquel il rabroue Pierre, convainc qu'il en sait l'issue.

Il l'annonce à ses disciples : il sera mis à mort, et n'a pas l'intention d'y échapper ; et il invitera les disciples à sa suite. Alors pourquoi ce secret sur ce que vient confesser Pierre ? — qu’il est le Christ.

C'est qu'il est des mots, comme celui-là, qui sont chargés de préjugés et de passion. Des mots qui, ce faisant, déforment dans les bouches coupables de méchanceté, ou simplement d'inconscience, ce qu'ils étaient chargés de signifier.

« Tu es le Christ », dit Pierre. À dessein sans doute — pour bien marquer que la fonction messianique est plus large que ce que voudraient certains — on a donc le terme en grec, « Christ », traduction étrangère de l’hébreu ou araméen « Messie ».

Jésus est bien le Messie d'un Royaume universel.
Voilà aussi pourquoi il refuse de voir publier sa messianité. Il a suffisamment de difficultés comme ça avec les quiproquos incessants ; inutile d'en rajouter — en l’occurrence avec les Romains. Et on sait que ce sera bien le motif de sa crucifixion : concurrence avec César — car les crucifieurs « n’ont de roi que César » ! — qui se verra bientôt doté du pouvoir militaire d’étendre la foi ! Comme si c’était possible !

Quant à Jésus, nulle crainte dans sa prudence. Il le sait : sa fidélité au message universel de l'amour de Dieu lui vaudra la mort, et la fera risquer à quiconque lui sera fidèle. Jésus invite alors les siens, son peuple, même au cœur des quolibets, à n'avoir pas honte de ses paroles, celles de l'amour de Dieu pour tous les hommes.

Nulle crainte dans son refus de cette publicité-là. Encore une fois, ce n’est pas qu’il cherche en évitant ce quiproquo à éviter sa crucifixion — mais que l’on ne se méprenne pas sur la nature de son règne !

Ce que d’aucuns considèreront — prétexte pour sa mort — comme concurrence avec César, est insoutenable ! C’est comparer un limaçon fût-il empereur de l’univers — le fût-il même infailliblement — à celui dont le nom est au-dessus de tout nom (même s’il ne paie pas de mine aux yeux de l’empereur prétendu de l’Univers, César, de ses sbires et autres dispensateurs de courbettes — même si c’est lui qui se présente comme « un ver et non un homme »).

C’est ce genre de comparaison qui ne sont pas à la mesures qu’il s’agit de fuir. C’est la confusion qui pourrait naître de la diffusion du terme « Christ » que Jésus veut éviter. Bref, si « Christ » ne veut dire, comme on risque de l’entendre, que concurrent de César — eh bien, traiter Jésus de Christ, en ce seul petit sens, relève de la diffamation !


*


Il est le Christ, roi de l’Univers en un sens d’une toute autre ampleur, qui réduit les palais de César au rang d’une tanière. Cela dit, il est « Christ », comme le confesse Pierre, roi de l’Univers. Oui.

En un sens qui est que le Nom imprononçable se dévoile ici en son porte-parole comme étant effectivement insaisissable au point que le règne de son représentant ne peut qu’être tu à son tour.

Il en résulte que le Christ n’est la propriété d’aucun peuple, d’aucune Église. Il est le Fils de Dieu, le sauveur de l’univers  — le seul sauveur, et c’est pourquoi, « 
qui veut sauver sa vie, la perdra ; mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile, la sauvera. »

C’est de la sorte qu’il nous appelle à venir à lui, lui seul — qui que nous soyons, et comme nous sommes — aujourd’hui, maintenant !… 




R.P.,
Antibes,
17 septembre 2006






09:05 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)