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02 octobre 2006

Entre Roch Hashanah et Yom Kippour

 




 

« QUI N’EST PAS CONTRE NOUS
EST POUR NOUS »




 







Nombres 11, 25-29

25  Le SEIGNEUR descendit dans la nuée et lui parla; il préleva un peu de l’esprit qui était en Moïse pour le donner aux soixante-dix anciens. Dès que l’esprit se posa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais ils ne continuèrent pas.
26  Deux hommes étaient restés dans le camp; ils s’appelaient l’un Eldad, l’autre Médad; l’esprit se posa sur eux — ils étaient en effet sur la liste, mais ils n’étaient pas sortis pour aller à la tente — et ils prophétisèrent dans le camp.
27  Un garçon courut avertir Moïse: "Eldad et Médad sont en train de prophétiser dans le camp!"
28  Josué, fils de Noun, qui était l’auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, intervint: "Moïse, mon seigneur, arrête-les!"
29  Moïse répliqua: "Serais-tu jaloux pour moi? Si seulement tout le peuple du SEIGNEUR devenait un peuple de prophètes sur qui le SEIGNEUR aurait mis son esprit!"

Marc 9, 38-41
38  Jean lui dit: "Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas."
39  Mais Jésus dit: "Ne l’empêchez pas, car il n’y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi.
40  Celui qui n’est pas contre nous est pour nous.
41  Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau parce que vous appartenez au Christ, en vérité, je vous le déclare, il ne perdra pas sa récompense.



*

 

Entre les fêtes juives de Roch Hashanah (le nouvel an juif 5767 – le 23 septembre) et Yom Kippour (le grand pardon – ce 2 octobre) voici le dimanche proposé par les Églises chrétiennes pour approfondir nos relations avec le judaïsme.



Moïse est découragé. Être le pasteur d’un peuple « réboussié » comme ça, il n’en peut plus !

Ce à quoi Dieu avait répondu (v.23) : « Crois-tu que j’ai le bras trop court ? Tu vas voir maintenant si ma parole se réalise ou non pour toi. » Une parole qui va se réaliser d’une façon qui peut sembler étrange : Moïse va recevoir des coopérateurs, et donc perdre, apparemment, un peu de son prestige. Cela n’échappera pas à Josué, on va le voir.

Le passage que nous avons lu est donc le moment suivant, où Dieu donne ces coopérateurs à Moïse. C’est certes Moïse qui les choisit, usant naturellement de son discernement — mais c’est Dieu qui les qualifie, en leur donnant de son Esprit pour les envoyer en mission. Cela correspond un peu à ce que l’on appelle dans la tradition réformée appel externe, adressé par les hommes, par l’institution — ici par Moïse — ; et appel interne, appel de Dieu, seul qualifiant, même si le premier, externe, est indispensable — comme une voix qui porte l’appel de Dieu.

Dieu avait dit : « Rassemble-moi soixante-dix des anciens d’Israël, tu les amèneras à la tente de la rencontre, je prélèverai un peu de l’Esprit qui est sur toi pour le mettre en eux... » Ceux qu’on appelle les « anciens » du peuple sont des hommes en position de responsabilité, parmi les plus âgés. Le mot « anciens » a donné aussi bien sénateur (selon le latin senior, ancien) que presbytre (selon le grec, transcrit par « prêtre » mais aussi par « conseiller presbytéral »). Moïse fait donc une liste de soixante-dix anciens, et les convoque à la Tente de la Rencontre, c’est-à-dire la Tente qui abritait l’Arche d’Alliance, qui est dressée hors du campement où demeure le peuple. Désormais il sera donc entouré d’une sorte de sénat ou de conseil presbytéral.

Sur les soixante-dix anciens choisis par Moïse pour aller à la Tente de la rencontre, hors du camp, deux, Eldad et Medad, n’y vont pas, mais restent dans le campement. Le texte ne dit pas si c’est par mauvaise volonté, ni si cette désobéissance signifie une réticence par rapport à Moïse.

Quoi qu’il en soit, ce qui va suivre va montrer à quel point Moïse ne s’est pas trompé, ou à quel point il est inspiré, doué de l’Esprit de Dieu, parce que ces deux-là s’avèrent bel et bien être appelés et qualifiés par Dieu — et s’ils ont, peut-être, résisté à Moïse, ils ne sauraient résister à Dieu ; et bon gré mal gré, ils prophétiseront, fût-ce au milieu le campement.

Et Moïse, le texte permet de le supposer, le sait bien. Peut-être lui ont-ils, apparemment, résisté à lui, mais au fond, il sait qu’il s’agit de bien autre chose. Quiconque a connu la vocation, l’appel de Dieu et a répliqué d’abord : « pourquoi moi ? » — le sait bien. Et Moïse lui même n’a-t-il pas d’abord répondu à Dieu l’envoyant en Égypte — « pourquoi moi ? Envoie quelqu’un d’autre de plus doué, plus compétent, etc. » Vous vous souvenez.

Dans notre texte, Dieu fait comme il avait dit : il « prélève une part de l’Esprit qui reposait sur Moïse, pour le donner aux soixante-dix anciens ». Manière imagée de dire que, désormais, les anciens sont en mission autour de Moïse et donc que l’Esprit du Dieu qui les a appelés, qui les a vraiment appelés lui-même, ce don de l’Esprit en est le signe — l’Esprit les accompagne, et les précède.

Ce qui, en outre, confirme le discernement de Moïse qui les a lui-même choisis. Y compris les deux réfractaires restés au camp : ils reçoivent eux aussi l’Esprit pour être à même de remplir leur mission.

Le comportement d’Eldad et Medad n’est pas du goût de tout le monde ; quelqu’un se précipite pour avertir Moïse : « Eldad et Medad sont en train de prophétiser dans le camp ! » Et là, on assiste à deux réactions diamétralement opposées : Josué, le fidèle serviteur de Moïse, veut défendre les prérogatives de son maître. Il est anormal que ceux qui ont désobéi ou à tout le moins ont fait preuve d’indépendance soient quand même au bénéfice de l’Esprit.

Et Josué de s’affoler un peu : « Moïse, mon maître, arrête-les ! » Réflexe d’inquiétude qui signifie aussi : « au secours, nous perdons le contrôle ! Nous ne maîtrisons plus rien ! »

Moïse, lui, ne s’en fait manifestement pas : il sait. On peut même imaginer qu’il se souvient de sa propre vocation, qui on l’a dit, ne s’est pas faite non plus sans difficultés. « Pourquoi moi ? »

Quant à l’inquiétude de Josué pour les prérogatives de son maître — en choisissant de s’entourer de soixante-dix Anciens, Moïse savait de toute façon qu’il acceptait de ne plus tout maîtriser.

Et il s’en réjouit. D’autant plus qu’à présent, l’Esprit du Seigneur accompagne de toute façon Eldad et Medad. On a entendu la réponse de Moïse : « Serais-tu jaloux pour moi ? Si seulement tout le peuple du Seigneur devenait un peuple de prophètes sur qui le Seigneur aurait mis son Esprit ! »

Et oui, il a bien compris aussi cet aspect du malaise de Josué. Perdant un peu de la lourdeur de sa tâche, Moïse va perdre aussi un peu de son prestige personnel. Et — la chose est importante — il s’en réjouit.

Quelques versets plus bas, le même livre des Nombres précise : « Moïse était un homme très humble, plus qu’aucun homme sur la terre. » (Nb 12, 3). Nous venons d’en avoir la preuve : il se réjouit sincèrement de ne plus être seul à porter le poids de la charge du peuple, et de ne plus avoir — en quelque sorte — le monopole de l’Esprit et le prestige qui s’ensuit.

Et ce faisant, Moïse, accomplissant cet aspect essentiel de sa vocation, se fait annonciateur du Royaume. Ce qui n’échappera pas à ses héritiers spirituels.

70 anciens — qui deviendront le signe de la responsabilité partagée, puis de l’avancée du Royaume ; l’un n’allant pas sans l’autre. Savez-vous que, selon le Targoum, cette version ancienne, araméenne et paraphrasée de la Bible, Eldad et Medad, dans leurs prophéties que la Bible ne retransmet pas, ont annoncé la délivrance finale d’Israël et la résurrection des morts ?

Intuition tout à fait justifiée, comme vérifiée en anticipation par l’Histoire : les 70 anciens deviendront en effet la préfiguration de toutes les étapes vers le Royaume. Ils deviendront le modèle du sanhédrin, en quelque sorte témoin de la parole de Moïse et de sa loi au sein du peuple. Puis ils donneront leur titre, 70 — septante — à la version de la Bible destinée à tous les peuples, la traduction grecque du même nom : Septante.

Puis 70 disciples seront choisis par Jésus pour préfigurer en Israël la prochaine mission universelle de l’Église. Toujours l’élargissement de la promesse à tout l’univers, toutes les nations.

Écho à l’événement, la prophétie bien connue de Joël : « Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute chair ; Vos fils et vos filles prophétiseront, Vos anciens auront des songes, Et vos jeunes gens des visions » (Jl 3, 1). On sait que c’est cette prophétie qui sera reprise au livre des Actes, lors de l’événement de Pentecôte, premier signe décisif de l’élargissement de l’Alliance à toutes les nations. Écho encore à Ésaïe : mon Esprit couvrira la terre comme l’eau couvre le fond des mers.

Voilà une prophétie qui est bien celle de la perte contrôle, de notre perte de contrôle. Dieu seul prend l’initiative. C’est ce qui doit advenir, c’est le sens de ce que fonde la mission de Moïse. Moïse s’y opposerait ? Impensable.

Et pourtant, quelle tentation, si l’on voit (dans le texte de Marc que nous avons lu) que ce sera encore celle des disciples de Jésus, dont la vocation spécifique est pourtant d’amener à la concrétisation de cet élargissement de l’Alliance scellée avec Moïse.  Nous avons entendu l’Évangile de Marc : « Jean dit à Jésus : "Maître, nous avons vu quelqu’un qui chassait les démons en ton nom et nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas." »

Mais que l’on sache, l’expulsion des idoles qui rendent captifs — idoles, séréïm et hébreu, démons (daïmonia) en grec — cette libération pour vivre dans la liberté de l’Esprit de Dieu est la vocation donnée dès le Sinaï ? Mais qu’elle est prégnante la tentation de se vouloir propriétaires de la parole libératrice : « nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas » — bref parce qu’il n’était pas membre de la même Église que nous… propriétaires exclusifs du don de Dieu !

Même tentation que celle de Josué : « ils prophétisent sans être avec toi, là où c’était prévu, au Tabernacle ; fais-les donc taire. » — « Nous avons cherché à l’en empêcher parce qu’il ne nous suivait pas ».

Même réponse de Moïse et de Jésus : « Ne l’empêchez pas. » C’est ainsi que la promesse du Royaume fait son chemin, qui fera dire à Paul : « nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit » (1 Co 12, 13).

En ce dimanche des relations avec le judaïsme, entre Rosh Hashanah (le nouvel an juif) et Yom Kippour (le grand pardon), Dieu appelle chacun d’entre nous, juifs et chrétiens, il appelle chacun dans l’héritage du Dieu d’Abraham, à entendre cette vocation qui nous est commune, chacun son rôle, et envoyés par l’Esprit de Dieu qui souffle où il veut pour l’espérance et la promesse de son Royaume. Dieu appelle chacun de nous individuellement aussi à discerner quelle est la tâche qu’il nous confie dans ce grand œuvre : l’avènement de cieux nouveaux et d’une terre nouvelle où la justice habitera.

Et cela vaut au-delà même de nos communautés respectives : « qui n’est pas contre nous est pour nous », rappelle Jésus. Nul n’est de trop dans ce grand projet, quelles que soient de notre part les réticences à de ceux que nous voudrions empêcher. Et aucun geste n’est méprisable : « Quiconque vous donnera à boire un verre d’eau ne l’aura pas fait en vain » !…

Comme Eldad et Medad, Dieu nous appelle aujourd’hui. Tâchons donc de faire nôtre, en sortant vers Dieu plutôt que de rester dans le camp, cette vocation qui est la nôtre, pour que nous l’accomplissions avec la joie de la promesse qu’elle porte.



R.P.
Antibes,
1er octobre 2006







08:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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