12 juin 2006
Trinité
Interroge les jours du début
Deutéronome 4, 32a & 39-40
32 Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : […]
39 Reconnais-le aujourd’hui, et réfléchis : c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre.
40 Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours.
Romains 8, 14-17
14 […] Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu :
15 vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père.
16 Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
17 Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.
Matthieu 28, 16-20
16 Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17 Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18 Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : "Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
19 Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps."
*
« Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »… Trinité…, qui de nos jours, n’a pas toujours bonne presse. En ce dimanche dit « de la Trinité », justement, il n’est pas inutile de s’arrêter sur cet aspect des choses : confesser, ou non, la Trinité.
Et disons-le d’emblée : si l’on est chrétien, refuser la formule de la Trinité pourrait bien équivaloir à s’exposer à devoir inventer l’eau chaude….
Dès le Deutéronome, on est invité à considérer le passé ; ceux qui nous ont précédés — « interroge les jours du début ». Chose aujourd’hui assez étrange : écouter les anciens — pensez ! Eh bien ! quand on rejoint le peuple, par le baptême (Mt), c’est la même chose, on est héritier, gratifié du même héritage : fils adoptifs, cohéritiers (Ro). Un héritage qui remonte aux racines du peuple hébreu. Élargi dorénavant, depuis la mort de Jésus et la promesse de Pentecôte, aux autres nations. Notons à ce sujet que la formule baptismale concernant les premiers convertis des Actes des Apôtres est « au nom de Jésus » ;
cela malgré la fin de Luc, qui est le même auteur, et qui, juste avant le début des Actes envoie baptiser, comme Matthieu que nous venons de lire, « au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ». Malgré la fin de Luc, les premiers disciples des Actes sont baptisés « au nom de Jésus ».
On a beaucoup spéculé sur cette différence dans les formules. Eh bien ! remarquons simplement que ces premiers disciples sont juifs. C’est-à-dire qu’ils sont dans l’héritage du Père ; et vivent de son Esprit. Leur conversion est découverte de Jésus ressuscité, et de la plénitude du sens et de la vie dans l'Esprit. Et par lui, du Dieu signifié dans la formule trinitaire. Les païens, eux, ont tout l’héritage à recevoir : le Père, le Fils, et l’Esprit saint.
En commun, hériter : cela nous concerne tous. On entre dans une histoire. Y compris quant à la question de notre relation avec Dieu. On y entre par le baptême au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit.
En bref, et puisqu’on entre dans une histoire — que voulaient dire, concernant la Trinité, ceux qui nous ont précédés ? Ont-ils dit des choses inconsidérées ? Il est tentant de le penser…
Admettons toutefois que ce ne soit pas le cas. Et selon cette hypothèse, essayons d’entrer dans leur pensée. Ici la formulation de l’héritage remonte moins haut que le peuple de l’Exode. Elle remonte à l’Église ancienne. Il n’en est pas moins raisonnable de considérer cet héritage avec respect. Ceux qui nous ont précédés ont peut-être des choses à nous apprendre. C’est en tout cas la moindre des sagesses que de l’envisager, malgré la manie de la nouveauté qui affecte notre temps. Ou la bougeotte des inventeurs d’eau chaude.
Qu’en est-il du discours classique sur la Trinité ?…Voilà un Dieu que nul n’a jamais vu, qui est au-delà de notre capacité de compréhension. « Nul n’a jamais vu Dieu »… « Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, seul nous l’a fait connaître », dit le début de l’Évangile de Jean. Voila déjà qui est quelque peu trinitaire, tout de même.
Comme Jésus promettant à ses disciples l’envoi du Paraclet, l’Esprit de vérité, qui dit-il, vous conduira dans toute la vérité, qui vous rappellera ce que je vous ai fait connaître. Voilà qui est encore plus précis.
Bref, qu’ont su les anciens concernant la connaissance de Dieu comme Trinité, et qui semble nous échapper aujourd’hui ? — telle est la question. Alors, l’invitation « interroge les jours du début » — concernant Dieu — prend un autre sens, comporte plusieurs sens.
En fait, il s’agit de rien moins que du salut : connaître Dieu — « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ». Ou, répondant à Philippe lui demandant « montre-nous le Père et cela nous suffit » — puisque c’est là le salut, Jésus, soulignant encore la dimension de la Trinité : « celui qui m’a vu a vu le Père ». Autant de paroles de parmi tant d’autres qui induisent que l’enjeu n’est pas négligeable.
C’est là l’héritage promis, dans lequel on entre par la participation à l’Esprit qui est celui du Christ. Cet Esprit qui nous conduit dans toute la vérité, qui nous rappelle intérieurement tout ce que Jésus a enseigné ; qui nous en dévoile des profondeurs que nous ne soupçonnions même pas.
Cohéritiers avec le Christ, qui seul dévoile le Père et ouvre le salut, bénéficiaires de ce dévoilement du Père, cohéritiers par la participation à son Esprit. Dieu, Père du Christ, devient ainsi notre Père, au sens fort, et pas simplement au sens vague de Créateur qui fait de toute chose, et même des animaux, voire des plantes des sortes d’enfants de Dieu. Ce n’est pas en ce sens que la Bible parle de Dieu comme notre Père : c’est en un sens équivalent à celui par lequel Jésus est Fils de Dieu. Et cela nous est donné par l’Esprit. C’est par l’Esprit que nous disons la prière « Notre Père », « Abba » en araméen, prière qui signe notre filiation divine, notre enfantement spirituel par Dieu.
Chose qui ne nous épargne pas les réalités de la vie, que le Christ lui-même a connues, les souffrances, les épreuves, etc. On le sait. Mais cela dit, cela prend un tout autre sens quand on a compris que cela devient par l’Esprit, le cheminement vers notre héritage, partagé avec le Christ confessé, héritage déjà promis au temps de Moïse.
Cette marche vers le salut qui est en soi Exode : ces paroles de salut sont invariablement des paroles de liberté : « vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves » vient de dire Paul (nous l’avons entendu). Et ailleurs : « c’est pour la liberté que le Christ vous a libérés ». Puis : « là où est l‘Esprit du Seigneur, là est la liberté ». Etc. Autant d’allusions à l’Exode, au premier signe du salut. C’est pourquoi dès ce temps, nous sommes invités à « interroger les jours du début ». Et on voit à quel point cela concerne aussi la question de la Trinité.
Le signe de cette participation au salut, à l’héritage du salut, est le baptême au nom de la Trinité. C’est pour cela que Jésus envoie ses disciples et nous enseigne à garder les paroles de liberté qu’il nous a transmises, paroles qui se résument dans les dix paroles de l’Exode, traçant la route du salut sur laquelle le baptême nous a placés à notre tour, « au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ». C’est de la sorte — en la présence du Père qu’il a dévoilé, présence par l’Esprit — que Jésus nous donne sa parole de consolation : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».
Je terminerai par une citation de Dante contemplant la Trinité : « L'effet de ce spectacle miraculeux est tel, qu'il est impossible de consentir à toute autre pensée. Le bien qu'on désire est tout en cette lumière : hors d'elle, tout est rempli de défauts ; dans elle, tout est doué de la perfection. Pour décrire ce dont je peux me souvenir, ma langue sera donc plus impuissante que celle d'un enfant à la mamelle. Ce n'est pas qu'il y eût dans cette vive lumière que je regardais, plus qu'un aspect unique, car il est toujours tel qu'il était auparavant : mais pour ma vue qui se fortifiait à mesure, que je le regardais, ce seul aspect s'altérait à cause du changement qui s'opérait en moi. Dans la claire et profonde subsistance de la haute lumière, il me sembla que je distinguais trois cercles de trois couleurs qui n'en formaient qu'un seul : le premier était réfléchi par le second, comme Iris réfléchit Iris ; le troisième paraissait un feu qui brillait de la lumière des deux autres. Que mes paroles sont vaines ! qu'elles sont molles pour exprimer ce que je conçois ! et ce que je conçois n'est plus rien, si je le compare à ce que j'ai vu. Ô lumière éternelle, qui ne reposes qu'en toi, qui seule peux t'entendre, et qui souris après t'être entendue, fortunée d'être seule à t'entendre, le second cercle qui brillait en toi, et que lu réfléchissais, lorsque je l'eus bien considéré, me parut d'une couleur qui approchait de celle de notre corps, et qui en même temps n'avait pas perdu la sienne propre. J'étais, devant cette vue nouvelle, semblable à ce géomètre qui s'efforce de mesurer le cercle, et cherche en vain dans sa pensée le principe qui lui manque. Je voulais savoir comment le cercle et notre image pouvaient s'accorder, et comment s'opère l'union des deux natures ; mais pour comprendre un tel mystère, mes forces n'étaient pas suffisantes : alors je fus éclairé d'une splendeur de la divine grâce, et mon noble désir fut satisfait. Ici la puissance manqua à mon imagination qui voulait garder le souvenir d'un si liant spectacle ; et ainsi que deux roues obéissent à une même action, ma pensée et mon désir, dirigés avec un même accord, furent portés ailleurs par l'amour sacré qui met en mouvement le soleil et les autres étoiles. » Dante Aligheri, La Divine Comédie, Le Paradis, XXXIII, (trad. De Montor).
R.P.,
Vence, 11 juin 2006
09:15 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
05 juin 2006
Pentecôte
« Si je ne m'en vais pas,
l’Esprit Saint ne viendra pas »
Actes 2
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux.
4 Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
Jean 15
26 "Lorsque viendra le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi;
27 et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.
Jean 16
5 Mais maintenant je vais à celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne me pose la question: Où vas-tu?
6 Mais parce que je vous ai dit cela, l’affliction a rempli votre cœur.
7 Cependant je vous ai dit la vérité: c’est votre avantage que je m’en aille; en effet, si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai.
[…]
13 Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. […]
14 Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.
*
« Si je ne m'en vais pas, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jn 16:7).
Quelques cinquante jours avant Pentecôte, le départ du Christ annoncé dans ce texte est sa mort, sa crucifixion, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé » et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », disait ici Jésus. Et il annonce l’envoi de l’Esprit saint, qui nous le dévoile, pour nous envoyer à notre tour. Cet envoi de l’Esprit saint est ce que nous fêtons aujourd’hui.
L'Histoire du “départ de Dieu”
Cela commence donc par une chose étrange. Dans le départ du Christ, c’est cette réalité étonnante de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi étrangement absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.
Cette absence a plusieurs sens. Elle est d'abord le signe de son règne, de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui, un peu comme ces princes antiques qui exerçaient leur pouvoir en restant toujours cachés de tous, sauf à quelques occasions réservées à leurs proches — cachés derrière une série de voiles. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, puis celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.
Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8:5) lisant l'Exode (25:40). Temple céleste dans lequel officie le Christ.
C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée. Sa croix est alors, comme il l’annonçait, sa glorification: « l’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité; [...] Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera » (Jn 16, 13-14).
Un Dieu qui nous laisse la place
Le départ de Jésus est donc en relation précise avec la venue de l'Esprit, qui le glorifie en justifiant sa mission : « si je ne m'en vais pas, l’Esprit saint ne viendra pas » (Jn 16:7).
Le don de l'Esprit est alors la présence de celui qui ne se laisse plus voir, et le partage de sa vie. Jésus présent de façon visible, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme.
Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! C’est là l’Esprit du monde.
Mais le Saint Esprit est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au delà de l'absence, et nous met dans la communion de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus.
Nous laissant la place, il nous permet alors de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.
Venue du Royaume et communication de l'Esprit
Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire en ces temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.
C’est à présent, dans cette perspective, l’ultime étape du projet de Dieu : l’effusion de l’Esprit promise par les prophètes — « comme l’eau couvre le fond des mers », une effusion générale (Jl 3/Ac 2), et plus seulement sur Israël, mais sur tous les peuples (Ac 8 & 10). C'est là la nouveauté fondamentale, cette universalité, car en Israël, les fidèles connaissaient la vie de l'Esprit auparavant (cf. par ex. Lc 2:25) — et des temps d'effusion, de Réveil. Dorénavant, dans cette nouvelle effusion, tous les peuples sont au bénéfice du don de Dieu : « élevé de la terre », le Christ « attire tous les hommes à lui » (Jn 12:32).
Cela pour une connaissance partagée du Père, ce qui est la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17:3). Cette connaissance, cette consolation, n'est autre que la communion à son humilité, à son entrée dans la condition de l'esclave, que nous sommes conviés à faire nôtre (Ph 2:4-6).
C’est une dépossession à laquelle nous sommes appelés. La dépossession que suppose le don de l'Esprit saint est la dépossession de toute sagesse et puissance qu'a connue Jésus crucifié (1 Co 2:1-11 ; Ph 2:7). Dépossession qui doit aussi être notre part.
Ce n’est pas une incitation à l’irresponsabilité, mais une mise en garde contre une façon de s’imaginer régner, une façon de refuser d’être dépossédé comme le Christ l’a été. Cette façon de croire qu’on est mieux placé qu’autrui pour démêler ses problèmes ; une façon de s’arroger la place de Dieu, là où le Christ, lui s’en est dépossédé.
Or cette dépossession correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va — et c’est sa glorification — pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu.
Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous tous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissant cette faiblesse et cette incapacité. L’Esprit saint ne remplit par un peuple ou un individu plein de lui-même.
C’est au contraire quant nous sommes sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est–il dit à Paul (2 Co 12). Ou Pierre qui vient de renier Jésus, faiblesse immense, est à la veille de recevoir la puissance qui va l’envoyer, plein de la seule force de Dieu, jusqu’aux extrémités de la terre.
Et de même tous les disciples, dont la faiblesse, la dépossession de toute capacité, a été la porte du déferlement de l’Esprit saint. Il me semble qu’il y a là un message très actuel pour nous tous, pour nous, Église faible, en perte de capacités, en un peuple affaibli.
S’il y avait là un signe pour nous d’un proche déferlement nouveau ?
À nous, à présent, de reconnaître notre faiblesse et notre abattement et d’en appeler dès lors à celui-là seul par qui tout est possible, et sans qui nous ne pouvons rien faire.
L'achèvement de la création
Nous sommes, 2000 ans après, toujours dans la période qui a suivi cet événement de Pentecôte ; où en quelque sorte, l'étape ultime de la création se met en place. Le jour s'approche de l’entrée de la Création dans le repos de Dieu, le jour de l'apaisement qu'appellent les prières du peuple de Dieu dans la liturgie divine dans laquelle s'inscrivent aussi les Apôtres (v.14).
En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée. Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres.
Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l'habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l'image qu'ont forgée de nous nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de leur plaire, de les séduire ; que nous nous retirions aussi de notre volonté de nous différencier d'eux.
L'Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté de n'être rien de ce dont nous aurions la maîtrise, de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer, ni haïr en réaction, ce que croyaient ou faisaient nos parents ou nos maîtres, ou ce qu'ils continuent de croire ou de faire.
Cela vaut aussi pour notre projet d’Église, pour les raisons de notre désir d’annoncer tout à nouveau l’Évangile. Précisément il s’agit là aussi de dépossession. Qu’il n’y ait en ce projet aucune raison autre que la gratuité de l’envoi de l’Esprit saint.
Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de plaire, ou nos volontés de nous démarquer, ou de perpétuer ce que nous prétendons être.
C'est dans ce renoncement seulement que se complète notre création à l'image de Dieu. C'est là seulement qu'est notre entrée avec le Christ dans le Temple éternel qu’est appelé à devenir ce monde. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.
N’oublions pas que le texte d’aujourd’hui où Jésus annonce l’Esprit saint suit celui sur le Cep et les sarments, où Jésus dit ces choses en ces termes : « Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s’il ne demeure sur le cep, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15:1-5)
Que ce jour soit pour nous une prière de retrait en Dieu. De sorte que l'Esprit de Dieu que nous envoie le Christ se retirant, déferle en nous comme la sève dans le Cep, et soit le souffle qui nous permettant de nous retirer de nous-mêmes, nous fasse alors accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu et au sens de notre mission.
R.P.
Antibes
Pentecôte 04.06.2006
15:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
28 mai 2006
Aller dans le monde…
... transformer
l’exil en mission
Jean 17, 11-19
11 Désormais, je ne suis plus dans le monde; eux sont dans le monde, et moi je vais à toi. Père saint, garde-les en ton nom, (ce nom) que tu m’as donné, afin qu’ils soient un comme nous.
12 Lorsque j’étais avec eux, je gardais en ton nom ceux que tu m’as donnés. Je les ai préservés, et aucun d’eux ne s’est perdu, sinon le fils de perdition, afin que l’Écriture soit accomplie.
13 Et maintenant, je vais à toi, et je parle ainsi dans le monde, afin qu’ils aient en eux ma joie parfaite.
14 Je leur ai donné ta parole, et le monde les a haïs, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
15 Je ne te prie pas de les ôter du monde, mais de les garder du Malin.
16 Ils ne sont pas du monde, comme moi, je ne suis pas du monde.
17 Sanctifie-les par la vérité: ta parole est la vérité.
18 Comme tu m’as envoyé dans le monde, moi aussi je les ai envoyés dans le monde.
19 Et moi, je me sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité.
*
« Désormais ». Mot important pour la suite du texte, dans la suite de cette prière de Jésus pour les siens. Mot important pour comprendre ce fameux « ils ne sont pas du monde », qui trouble tant les lecteurs de la Bible. Comme s’il voulait dire que ses disciples sont des sortes d’extraterrestres, qui n’auraient pas à s’occuper des choses bassement terrestres.
« Désormais ». — On est au moment du départ de Jésus, au moment de son Ascension.
Car dans l’Évangile de Jean, la Croix est Ascension, avec tout ce qu’est l’Ascension : glorification — « quand j’aurai été élevé de la terre, l’attirerai à moi tous les hommes — il parlait, précise le texte, de la mort dont il allait mourir » ; à savoir la Croix.
Glorification, donc ; et absence aussi, car l’Ascension, outre sa glorification, est le retrait de Jésus de la vue des disciples.
« Désormais je ne suis plus dans le monde », dit ainsi Jésus.
Effectivement, il va mourir, c’est-à-dire entrer dans la gloire proclamée à la Résurrection et à l’Ascension ; c’est-à-dire aussi s’absenter, sortir du monde, de ce monde. C’est déjà vrai au moment où il parle ; il parle déjà depuis son absence imminente, inéluctable : « désormais je ne suis plus dans le monde ». Malgré les apparitions du Ressuscité, qui cesseront au bout de 40 jours, scellant alors définitivement son départ du monde.
Mais « tandis que moi je vais à toi » … « eux restent dans le monde ». Alors, demande-t-il au Père, « garde-les en ton nom » ; garde-les «pour qu’ils soient un » ; évite-leur la dispersion qui serait leur fin, leur confusion avec le monde pour lequel je les envoie en témoins ; le monde, pour le salut duquel je te demande de les maintenir, ce monde que tu as tant aimé que tu m’y as envoyé. Désormais, ma mission à moi est terminée. Je les envoie à leur tour, je leur passe le relais.
Mais, ce faisant, ils demeurent avec moi, qui, désormais, ne suis plus dans le monde. Voilà comment il faut comprendre le fameux « être dans le monde, mais n’être pas du monde »
Être avec Jésus, qui n’est pas de ce monde, comme cela nous est signifié dans sa mort et dans son Ascension. Mais y être comme envoyés par lui pour poursuivre sa mission, qui est de dire et de sanctifier le nom de Dieu, dans lequel est le salut du monde. Sans lequel le monde se perd et se disperse ; ainsi en témoigne le fils de perdition, malgré lui — « pour que l’Écriture soit accomplie ».
Ce n’est pas dans un monde facile que Jésus nous laisse, et demande au Père de ne pas nous en enlever, mais simplement de nous y garder du Mauvais.
En fait, à son départ, les choses se poursuivent comme quand il était là : « lorsque j’étais avec eux, je les gardais en ton nom que tu m’as donné ; je les ai protégés ».
C’est la poursuite de la parole par laquelle il se présentait comme le berger : « je suis le bon berger », le berger du Ps 23, celui qui connaît chacune de ses brebis dans son intimité. Rien à voir, évidemment avec les pasteurs terrestres que nous sommes, et qui si nous prétendions l’égaler ne serions rien d’autre que des voleurs et des brigands.
Un père de l’Église, Augustin, le dit en ces termes : « Deus intimior intimo meo », « plus intime que mon intimité » ; ou plus simplement « Deus intimior meo », « Dieu plus intime à moi-même que moi-même ». Voilà la façon dont il nous connaît, façon dont aucun homme ne peut nous connaître. Voilà comment il nous garde dans le nom du Père, et comment après son départ le Père continue de nous garder selon sa prière.
On est bien au moment où il passe le relais : au Père pour qu’il nous garde comme notre berger, à nous pour que nous manifestions sa présence dans le monde.
Chose terrible, puisque cela nous annonce l’inimitié, la haine, qu’il a connues — oh, pas forcément jusqu’à la crucifixion ! — mais cela dit un aspect de notre mission, notre envoi dans le monde. Aimer quand on n’est pas aimé : « si vous aimez ceux qui vous aiment, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens font la même chose ! »…
Alors Jésus nous donne cette prière qu’il adresse au Père pour que dans cela nous ayons sa joie : « je dis ces paroles dans le monde pour qu’ils aient en eux ma joie dans sa plénitude ». Autrement dit, il s’agit pour nous de savoir que cela est prévu : nous sommes avec lui, de tout temps et de toute éternité, et puisque désormais, nous ne le voyons plus en ce monde, nous ne sommes pas de ce monde ; et en même temps nous y sommes bel et bien en ce monde, confrontés à sa méchanceté, due à sa douleur et à sa crainte.
Sa douleur de monde exilé loin de Dieu, et sa crainte d’un lendemain menaçant. Vous, « ne vous inquiétez pas, dit Jésus, j’ai vaincu le monde ». Le texte que nous avons lu, la prière de Jésus pour nous, est la transformation de notre exil en mission, par le dévoilement de la vérité.
« Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité ». Si nous avons entendu cette parole, la parole qui nous fonde en Dieu, la parole par laquelle nous sommes né de Dieu ; la parole selon laquelle, dès lors, fondamentalement, nous ne sommes pas de ce monde, étant du monde où Jésus est dérobé à nos yeux ; si nous avons entendu cette parole, si nous y sommes consacrés, c’est-à-dire sanctifiés, mis à part.
Dès lors notre présence en ce monde, exil et tristesse, traversée de chagrins et de douleurs incompréhensibles, en butte à la méchanceté due à la crainte — dès lors, par la parole qui nous a dévoilé la vérité et nous y scelle, notre présence ici devient mission. « Consacre-les par la vérité : ta parole est vérité. Comme tu m’as envoyé dans le monde, je les envoie dans le monde ».
Et nous n’y sommes pas seuls : son absence même est signe de cette vérité. Il nous passe le relais : « je ne te demande pas de les ôter du monde, mais de les garder du Mauvais ».
Son départ prend alors pour nous une toute autre signification, celle de sa consécration — son départ est tout de même aussi sa mort, et on sait laquelle : « pour eux je me consacre moi-même, afin qu’ils soient eux aussi consacrés par la vérité ».
Ainsi, être dans le monde sans être du monde, ne signifie en aucun cas une sorte de désengagement, retrait du monde, mais au contraire, étant morts à nous-mêmes avec celui qui est mort pour nous — « pour eux je me consacre moi-même » —, être pleinement en ce monde envoyés par lui pour y être témoins de la vérité qui a le pouvoir de lui donner un visage autre que celui du Mauvais. Transformer l’exil en mission, tel est le signe dont il nous confie désormais le dépôt.
R. P.,
Antibes,
dimanche 28 mai 2006
09:55 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)