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10 septembre 2006

Ephphata...






Ephphata : ouvre-toi
  











Ésaïe 35, 4-7
4  Dites à ceux qui ont le cœur troublé : Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver.
5  Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront.
6  Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe.
7  La terre brûlante se changera en lac, la région de la soif en sources jaillissantes. Dans le repaire où gîte le chacal, l'herbe deviendra roseau et papyrus.


Jacques 2, 1-5
1  Mes frères, ne mêlez pas des cas de partialité à votre foi en notre glorieux Seigneur Jésus Christ.
2  En effet, s'il entre dans votre assemblée un homme aux bagues d'or, magnifiquement vêtu ; s'il entre aussi un pauvre vêtu de haillons ;
3 si vous vous intéressez à l'homme qui porte des vêtements magnifiques et lui dites : "Toi, assieds-toi à cette bonne place" ; si au pauvre vous dites : "Toi, tiens-toi debout" ou "Assieds-toi là-bas, au pied de mon escabeau",
4 n'avez-vous pas fait en vous-mêmes une discrimination ? N'êtes-vous pas devenus des juges aux raisonnements criminels ?
5 Écoutez, mes frères bien-aimés ! N'est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment ?


Marc 7, 31-37
31  Jésus quitta le territoire de Tyr et revint par Sidon vers la mer de Galilée en traversant le territoire de la Décapole.
32  On lui amène un sourd qui, de plus, parlait difficilement et on le supplie de lui imposer la main.
33  Le prenant loin de la foule, à l'écart, Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue.
34  Puis, levant son regard vers le ciel, il soupira. Et il lui dit : "Ephphata", c'est-à-dire : "Ouvre-toi."
35  Aussitôt ses oreilles s'ouvrirent, sa langue se délia, et il parlait correctement.
36  Jésus leur recommanda de n'en parler à personne : mais plus il le leur recommandait, plus ceux-ci le proclamaient.
37  Ils étaient très impressionnés et ils disaient : "Il a bien fait toutes choses ; il fait entendre les sourds et parler les muets."


*


Ephphata
: ouvre-toi. La reprise par notre texte de l'araméen dans lequel Jésus prononce ces paroles n'est sans doute pas indifférente. Parole de Création. « Ephphata, Ouvre-toi » : derrière l'ouverture du sourd-muet, ou sourd-bègue, vers le monde extérieur, c'est aussi l'ouverture vers le Royaume qui s'annonce, et dont Jésus est porteur. Ouverture, comme un commencement, comme on nomme « Ouverture » le début d'une œuvre musicale ou littéraire. Ephphata 
: une nouvelle étape, un nouveau chapitre, une nouvelle création : au récit de la création de la Genèse : « Dieu vit que cela était bon » — ici : Jésus « a bien fait toutes choses » (v.37). Une nouvelle naissance s'ordonne pour le sourd-muet, ou le sourd-bègue, comme l’on peut traduire, qui devient ainsi, lui incapable de s’exprimer jusque là, comme notre porte-parole, le témoin du Royaume qui nous est promis, et que porte Jésus. Ouverture.

Et face à l'ouverture opérée par Jésus, ce qui ferme. Les trois textes d'aujourd'hui ont affaire à la même chose : la dignité, ce qui ouvre ; et ce qui lui porte atteinte, qui ferme. Que ce soit la maladie, l'infirmité ou la pauvreté. L'anti-Création ; l’anti-Royaume.

Le prophète Ésaïe promet un Royaume, une création enfin achevée, d'où sont bannies toutes les atteintes à la dignité. Il n'y a pas d'autre Royaume de Dieu que celui-là. « Dites à ceux qui ont le cœur troublé : Soyez forts, ne craignez pas. Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la rétribution de Dieu. Il vient lui-même vous sauver. Alors, les yeux des aveugles verront et les oreilles des sourds s'ouvriront. Alors, le boiteux bondira comme un cerf et la bouche du muet criera de joie. Des eaux jailliront dans le désert, des torrents dans la steppe. » (És 35, 4-6).

C'est à ce texte que renvoie Jésus guérissant le sourd-muet : « les oreilles des sourds s'ouvriront [...] la bouche du muet criera de joie ». Nouvel acte de création, ses doigts creusent les oreilles, sa salive anime la langue figée : bref, la glaise s’anime du souffle de Dieu qui la façonne. Jésus est celui qui fait venir le Royaume, y compris par ses miracles. C'est encore ce dont témoignent les Apôtres et ceux qui avec eux ont reçu ce don-là. C'est aussi ce dont sont appelés à témoigner tous ceux qui se réclament du Christ, en référence aux mêmes prophéties, quand bien même ils n'ont pas reçu de dons miraculeux, spectaculaires, ou simplement brillants.

C'est un témoignage auquel nous sommes tous appelés, et auquel renvoie l'Épître de Jacques : « N'est-ce pas Dieu qui a choisi ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches en foi et héritiers du Royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment ? » (Jc 2, 5).
 

*


La vraie richesse n’est peut-être pas où l’on croit. Les dispositions les plus humbles peuvent être les plus remarquables dans le Royaume. Ici s’ouvre un carrefour tout aussi remarquable : ce qui ouvre vers le Royaume n’est pas ce qui brille et qui ouvre toutes les autres portes (avec pour symbole la richesse et l’or pour symbole à son tour de sa brillance). Or, quant au Royaume, ce qui brille peut fermer. Les dons propres à ouvrir sont anodins aux yeux aveugles à la Vérité. Jésus demande le silence après son miracle : le côté spectaculaire peut fermer là où lui, entend ouvrir.

Ce qui ouvre est ce qui établit en dignité, qui dévoile la dignité cachée, jamais ce qui écrase. Contre toutes les pauvretés, tous les mépris — y compris, mais pas seulement, la pauvreté en argent, qui bien sûr vaut à sa victime le mépris. C'est de ce mépris-là que Jacques parle en premier, nous l'avons entendu. Si, comme Jésus, méprisé, le pauvre par excellence (« celui, dit la Bible, qui pour nous s'est fait pauvre, de riche qu'il était ») ; si, tout comme ce Jésus est le prince du Royaume, le Royaume est destiné aux pauvres aux yeux du monde, comme dit Jacques, il nous appartient à tous d'ouvrir les yeux et de savoir que la dignité n'est pas dans le clinquant, dans ce qui se voit ou qui ambitionne d’exiger des égards.

La dignité est dans la considération que Dieu porte — cela sur les plus apparemment misérables : le sourd-muet, l’aveugle-né, le pauvre de Jacques.

Nous l’avons lu : « s'il entre dans votre assemblée un homme dont la belle tenue annonce que "ce n’est pas n’importe qui" ; s'il entre aussi un pauvre mal vêtu, qui lui, du coup, a tout de "n’importe qui" ; si vous vous intéressez à l'homme resplendissant et lui dites : "assieds-toi ici bien confortablement" ; si au pauvre vous dites : "pour toi, il doit y avoir de la place par-là…" » (Jc 2, 2-3).

… Faire cela, avise sa lettre, est exactement se mettre en travers de ce qu'a fait Jésus pour l'avancement du Royaume. Fermer là où lui, ouvre. Peut-être est-ce pour cela qu'il tarde tant à venir, ce temps du bonheur annoncé il y a deux mille ans et plus par les prophètes.


*


Alors bien sûr, compte tenu des réalités économiques différentes à l’époque de Jacques et à la nôtre, les choses ne se passent plus littéralement comme dans son Épître. Et puis l’échelle des valeurs, les lieux où l’on brille aussi, ne sont plus les mêmes. On n’est plus au temps, pas si lointain, où les premiers bancs des lieux de culte, places réservées, portaient les noms des familles les mieux loties — ou au temps, pas si lointain non plus, où le suffrage censitaire était de règle, et où en conséquence ne pouvait accéder au statut de notable d’Église que ceux qui payaient assez d’impôts ; ce qui faisait dire à un prédicateur du XIXème siècle qu’à cette époque, Jésus n’aurait pas pu être conseiller presbytéral.

Il ne s'agit évidemment pas de jeter la pierre à quiconque de ceux qui nous ont précédés. Seules les apparences ne sont plus les mêmes : plus de plaques pour réserver des bancs dans les lieux de culte, que la plupart de ceux qui brillent ont désertés, puisque ce n'est plus censé être à la mode (et je ne parle pas spécialement des riches d’argent — mais sûrement des riches en postures) ; bijouterie ou habillements sont
peut-être
  (?) moins signifiants — aujourd’hui, on parlerait plutôt de voitures de luxe — ; cela dit, la pratique que dénonce Jacques, elle, sous d’autres formes, s'est maintenue.
 

*


Car aujourd’hui comme hier, il s’agit d’être riche, beau, en bonne santé et intelligent. C’est mieux que d’être pauvre, mal foutu (sourd-muet !) et stupide, ou aveugle. Bref, mieux vaut être riche en estimes diverses : par exemple, dans l’air du temps ; une chose très évidente : les vedettes du
show-biz ou de la politique, ou même du show-biz
religieux. Jugés dignes de tous les égards — les uns qui ont belle allure ou qui chantent bien, les autres qui parlent bien, mais parfois pour ne rien dire ; et puis ceux qui sont canonisés par avance — ; égards parfois mérités, mais qui pas plus qu'aux temps bibliques ne rajoutent à la dignité devant Dieu, non plus que cela ne l'enlève à ceux qui en sont privés (mais à quoi n’est-on pas prêt pour être remarqué, genre « passer à la télé », lieu des courbettes médiatiques, qui humilient ceux qui en sont exclus !).

Jésus, lui, ouvre : les yeux, les oreilles, les voix… Et demande de ne pas le publier ! Mais en vain : déjà alors, que ne faisait-on pas pour passer dans la gazette du temps !
 

*


Allons un peu plus loin ici, avec cette question : et si Jésus nous disait, lorsqu’il refuse la publicité pour sa gloire, que le riche aussi, entrant dans la synagogue de Jacques (c’est le mot traduit par « assemblée »), ou dans un de nos temples, y cherche confusément un havre de discrétion ! Qu’il est fatigué des courbettes dont on l’a gavé toute la semaine, et que quelque chose au fond de lui n’a pas envie que ça recommence le dimanche. S’il avait finalement un désir enfoui de se retrouver tel qu’il est en vérité, devant Dieu, loin du portrait de lui-même que lui infligent les "paparazzi" de tous poils ? — et découvrir enfin que la liberté de l’Évangile peut lui permettre de n’être plus l’oppresseur, malheureux, que dénonce Jacques.

Tandis que le pauvre, ou le mal-foutu, lui, au contraire, espère quitter le regard de dédain qui lui colle à la peau comme ses hardes, pour se retrouver lui aussi tel qu’il est en vérité, devant Dieu. Bref, quand Jésus regarde chacun tel qu’il est en vérité, il ouvre le Royaume promis par Ésaïe, où chacun est vrai devant Dieu. Quand l’attitude que dénonce Jacques persiste à regarder les apparences, selon l’habitude, elle déçoit peut-être aussi bien le riche que le pauvre. Et l’habitude colle à la peau comme les haillons du pauvre.


*


Tout cela nous dit peut-être pourquoi le Royaume de Dieu semble si lointain : c'est que le Royaume ne marche pas selon ces façons-là : c'est exactement ce que nous disent Jésus, ou avec lui Ésaïe ou Jacques.

Au temps où la fréquentation des lieux de culte était réputée à la mode, les riches, d'argent, de prestige, de dons extraordinaires, ou que sais-je, les fermaient aux pauvres, pauvres de ces mêmes choses. Aujourd'hui où c'est considéré comme démodé, c’est ailleurs que se poursuit ce qui soulevait alors les invectives et les malédictions de Jésus et de Jacques. Rien de nouveau sous le soleil.
 

*


Ne serait-il pas temps pour tous, rappelle alors Jacques jusqu’à aujourd’hui, de se convertir à autre chose ? À la vraie dignité, qui est celle que nous confère Dieu, dans cette considération, ce contact — « Jésus lui mit les doigts dans les oreilles, cracha et lui toucha la langue » ; ce contact qui nous relève, et que ne sait pas offrir le monde des vanités ; ce contact qui permet à Jésus qui en a le don, d’ouvrir nos yeux aveugles à sa richesse ; de creuser et d'ouvrir à la parole de Dieu les oreilles des sourds que nous sommes tous, et d’animer de sa propre salive pour ouvrir à sa louange les muets que nous sommes tous ; d'ouvrir à son Royaume les pauvres qu'il nous faut être. Ouverture qu'il nous appartient, même à nous qui n'avons pas de dons miraculeux ou spectaculaires, d’offrir à chacun, d'une dignité infinie, pour cet autre vrai miracle : le dévoilement de cette dignité.

Pour cela, il nous appartient avant tout de le recevoir nous-même, ce contact de Jésus, d'y découvrir notre dignité et notre valeur, au-delà de ce qui les blesse, au-delà de nos souffrances et des mépris dont nous souffrons, des mépris de nous-même pour nous-même, parfois. Mais Dieu nous a jugés dignes d'envoyer Jésus pour nous. Allons le vivre, et le dire…



R.P.
Vence
10.09.06

 



15:50 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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