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19 juin 2006

Rites…




 

SYMBOLES ET CÉRÉMONIES

 

 

 

 

 

 



 

Exode 24, 3 & 7-8
3  Moïse vint raconter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes les règles. Tout le peuple répondit d’une seule voix: "Toutes les paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique."
[…]

7  Il prit le livre de l’alliance et en fit lecture au peuple. Celui-ci dit: "Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous l’entendrons."
8  Moïse prit le sang, en aspergea le peuple et dit: "Voici le sang de l’alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous, sur la base de toutes ces paroles."  


Hébreux 9, 11-15
11  […] Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C'est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n'est pas oeuvre des mains - c'est-à-dire qui n'appartient pas à cette création-ci,
12  et par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu'il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu'il a obtenu une libération définitive.
13  Car si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps,
14  combien plus le sang du Christ, qui, par l'esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour servir le Dieu vivant.
15  Voilà pourquoi il est médiateur d'une alliance nouvelle, d'un testament nouveau; sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l'héritage éternel déjà promis.


Marc 14, 12-24
12  Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque, ses disciples […] disent [à Jésus] : "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?"
13  Et il envoie deux de ses disciples et leur dit: "Allez à la ville ; […]
15  […] c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous."
16  Les disciples partirent et allèrent à la ville […] et ils préparèrent la Pâque. 
17  Le soir venu, il arrive avec les Douze. […]

22  Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: "Prenez, ceci est mon corps."
23  Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous.
24  Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude."
 

 

*

 

Les rites divers, et plus particulièrement, sans doute, les sacrifices, ont pour fonction de graver en notre conscience le fait que tout rapprochement de Dieu coûte, coûte de la douleur, exprimée dans le sang versé des sacrifices, et divers rites marquant douleur et brisement. Ne croyons pas que de tels rites aient disparu. Ils existent aujourd’hui, sous une autre forme. Symbolique, aujourd’hui comme hier. Les anciens étaient comme nous conscients de la dimension symbolique de leurs rites.  

Nous avons sans doute accentué ce côté symbolique puisque des rites comme les sacrifices sont devenus plus rares, ou ont pris d'autres aspects. Et puisque nous avons inventé des moyens d'échange symboliques — l'argent à la place du troc —, le sacrifice est pour nous souvent d'argent. Cela dit, au prix du boucher, imaginez-vous offrant un bœuf, ou simplement un bouc.  

Vous souvenez-vous de cette publicité télévisuelle pour un serveur Internet gratuit où l'on voyait un touriste occidental marchander avec un commerçant arabe pour pouvoir payer l'objet artisanal qu'il voulait acheter, plus cher que ce que le commerçant lui proposait ?! Le message était « si ça vous rassure de payer, vous pouvez toujours nous envoyer vos chèques ». Le concepteur de cette publicité avait bien saisi ce qu'il en est. Effectivement, payer peut rassurer.  

C'est sur cela — ils nous le disent — que les psychanalystes ont mis en place leurs tarifs sans proportion apparente avec leur travail... Si chaque fois que, comme pasteurs, nous avions un entretien d'un quart d'heure avec un paroissien, nous lui demandions 100 €,... peut-être les églises seraient-elles plus pleines ! Enfin, si ça vous rassure de payer, chez le psychanalyste, pour paraphraser la publicité pour Internet (je précise que je n’entends pas, comme pasteur, les concurrencer ou me substituer à eux !).  

Reste que ce qu’ils ont compris, c’est que pour ce qui est important dans nos vies, ça nous rassure évidemment de payer parce qu'on sait bien au fond de nous que nous rapprocher de la vérité de nous-même, ou nous rapprocher de Dieu, cela coûte. Cela ne se fait pas n'importe comment. C'est là la vérité fondamentale de la pratique des sacrifices. Les anciens, de Moïse à l'auteur de l'Épître aux Hébreux, le savaient aussi bien que les psychanalystes. Ils étaient en tout cas apparemment très conscients du fait que nous avons besoin de pratiques de ce type. C'est au cœur du message l'Épître aux Hébreux :  

On est alors au tournant de la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Il va donc falloir s'en passer, et se passer, donc, des sacrifices. Ce qui n'est pas bon au plan de notre relation avec la vérité de nous-mêmes, au plan de notre relation avec Dieu. Alors l'Épître aux Hébreux insiste sur la dimension symbolique du sacrifice : ce n'est pas le sang des boucs et des taureaux qui guérit nos souffrances intérieures, notre éloignement d’avec Dieu.  

De même que ce n'est pas le fait même de soulager notre portefeuille chez le psychanalyste qui nous soulage en soi du poids de nos douleurs. C'est là un geste symbolique, disent les psychanalystes.  

Et c'est peut-être pour cela qu'on ne fait pas payer les entretiens pastoraux : pour bien dire, avec l'auteur de l'Épître aux Hébreux que c'est là une chose symbolique, au risque de faire imaginer, ce qui serait faux, qu'il n'y a pas besoin de sacrifices, de coût en argent et autres symboles. Si nos contemporains entendaient l'Épître aux Hébreux, peut-être nos temples seraient-ils plus pleins...  

C'est que notre besoin de nous rapprocher de Dieu est immense, aujourd'hui comme antan, à tout prix. Ce besoin est à proportion de l'ignorance que nous en avons. La détresse peut être telle que nous ne nous en rendions même plus compte. Pour illustrer cela, je rapporterai le témoignage d'un philosophe contemporain, Cioran. Il raconte à ce sujet une expérience qu'il a vécue. Je le cite : « A la frontière espagnole, quelques centaines de touristes, la plupart scandinaves, attendaient devant la douane. On apporte un télégramme à une dame forte, visiblement ibérique. Elle apprend, en l'ouvrant, le décès de sa mère et se met aussitôt à pousser des rugissements. Quelle aubaine, me disais-je, de pouvoir ainsi se décharger aussitôt de son chagrin, au lieu de le dissimuler, de le stocker, comme aurait fait n'importe lequel de ces blondasses qui regardaient ahuris et qui, victimes de leur discrétion et de leur tenue, se ruineront un jour chez le psychanalyste » (Cioran, Écartèlement, p. 123). C'est une simple illustration, il y en aurait bien d'autres, de cette détresse que connaissent les psychanalystes, on l'a dit, ou les concepteurs de publicité dont on a parlé, ou encore les entrepreneurs de pompes funèbres qui s’occuperont et de l’Espagnole en deuil et des touristes qui la regardent.

Une détresse liée à notre perte du sens de notre valeur, perte du contact avec le fond de nous-même, la vérité de nous-mêmes, ce que nous sommes réellement ; manque de contact avec Dieu, avec ce qui n'est pas passager et vain, avec ce qui « n'est pas de cette création ».  

Manque de contact avec la vérité dévoilée dans la résurrection du Christ, le Christ parvenu à une réalité qui ne passe pas. Parvenu à cette réalité avec son sang, dit l’Épître. Où l'on revient au prix, ce symbole, qui nous manque. Nous savons que nous sommes loin de Dieu, de notre vérité, à laquelle nous ne pouvons revenir qu'à grand prix. Au prix du rite, au prix de ce qui coûte, et qui coûte d'ailleurs infiniment plus que nous ne pouvons donner.  

La femme endeuillée qui crie à la frontière espagnole accomplit un rite en criant et en se débattant, ne nous y trompons pas, elle n'est pas dupe. Un rite qui, comme tout rite, lui coûte : cela lui coûte d'abord le regard méprisant des touristes discrets qui se disent : « qu'est ce que cette sauvage incapable de discrétion ? » Cela est aussi pour elle le point de départ d'une cérémonie funèbre qui sera coûteuse en argent, puis d'un temps de deuil en noir qui sera coûteux au plan des relations sociales et de leurs joies.  

Un rituel long, cher à plusieurs niveaux, mais qui met cette femme en relation avec elle-même, avec la vérité d'elle-même, ce qui est la fonction-même du rite, que les touristes qui se croient plus évolués se contentent de mépriser, comme ils mépriseront les objets artisanaux qu'ils estimeront avoir payé fort peu cher. Cela aura effectivement coûté peu, aussi bien leurs deuils que les objets exotiques qui orneront les meubles de leur salon. Mais cela reviendra très cher finalement, chez le psychanalyste, dit en raccourci Cioran.  

Eh bien tout cela est le prix, notamment des cultes que nous avons abandonnés à force de croire en avoir compris la dimension symbolique. Le culte au cœur du rituel de la vie. Le culte qui coûte. Qui coûte des dimanches matins de grasse matinée, qui coûte les cotisations de son entretien et de celui de la vie de l’Église et de la solidarité, car dans les sacrifices dont nous avons besoins, il est ici aussi question d'argent, évidemment.  

Le culte aussi coûte l'astreinte d'une pratique dont on ne voit plus très bien à quoi elle sert. C'est le prix de l'insistance sur la dimension symbolique, et donc sur le fait que pour un pragmatique, si c'est symbolique, cela ne sert à rien.  

L'auteur de l'Épître aux Hébreux en était tellement conscient qu'après avoir rappelé que tout cela est symbolique, donc qu'au plan pratique, cela ne sert à rien, il termine en insistant pour dire aux rares fidèles : « n'abandonnez pas vos assemblées comme c'est la coutume de quelques-uns ». Ce n'est pas parce que vous avez compris que c'est symbolique, ce que nous savons tous, qu'il faut l'abandonner.  

Cet abandon de ce qui ne sert à rien vous coûterait finalement beaucoup plus que vous ne croyez, en argent aussi — lorsque l'Église ayant disparu faute de combattants n'offrirait plus les rites que l'on réclame à corps et à cri aux tournants difficiles de la vie, et qu'il faudrait les chercher ailleurs, plus cher. Ce jour est peut-être proche. Mais déjà il est là dans le malheur d'une solitude que notre Espagnole savait rompre par ses cris. Et qui fait que les pays où l'on connaît une vraie présence au temple sont aussi ceux où existe une vraie vie sociale qui nous manque tant, mais qui coûte, tôt ou tard.  

La solitude de la vieillesse, par exemple, qui est celle de nos sociétés sans rites, risque fort d'augmenter. « Honore ton père et ta mère afin que ta vie se prolonge dans le pays que Dieu te donne », dit la loi de la liberté.  

Et figurez-vous, les pays du Sud, plus au sud que l'Espagne, qui depuis l'époque où écrivait notre philosophe a rejoint le silence de ses touristes — les pays du Sud qui connaissent des temples pleins et des vieux honorés, nous plaignent, pas par ignorance comme celle des touristes qui ignoraient la vérité de dame endeuillée, pas par ignorance, mais par connaissance concrète de l'utilité, de l'indispensable de l'inutile qui coûte.  

Ceux qui sont fidèles au culte, connaissent-ils leur bonheur ? Ce bonheur qui ne rend par meilleur que les autres comme le croient les ignorants, mais qui est de toucher la vérité. C'est pourquoi je dis à ceux qui délaissent le culte au prétexte que, me disent-ils, ceux qui y participent ne sont en général pas exemplaires, je réponds habituellement que c'est précisément pour cela qu'ils y viennent. S'ils étaient parfaits comme vous, ils n'auraient pas besoin de venir.  

Nous venons prendre contact avec le Ressuscité, avec celui qui nous a rejoints dans notre détresse pour nous conduire à la vérité de nous-même, à la vérité promise dans sa résurrection, le fond de notre être qui n'est pas de cette création.  

Je parlais du prix plus considérable que celui que nous pouvons payer, le prix du sang qu'exprimait certes merveilleusement les sacrifices, et dont témoigne aujourd'hui le rite de la Ste Cène.  

Les sacrifices d'antan disaient le coût de la rencontre avec Dieu et le fond de nous-même. La Cène nous fait remémorer la même chose. Le coût de la rencontre, coût pour Dieu aussi, tant il est vrai que toute rencontre coûte aux deux parties, coût à travers lequel dans la participation de Jésus à notre détresse jusqu'à sa mort, il nous fait accéder à ce fond de nous-même qui n'est pas de cette création, auquel il a accédé dans sa résurrection, à travers sa mort, donc.  

Liberté : c'est bien de l'entrée dans la liberté, la liberté intérieure dont rien ne peut priver ceux qui l'ont reçue, qu’il s'agit. La liberté que nous a acquise le Christ nous rejoignant dans notre mort pour nous faire accéder à sa vie, dans une liberté que le tombeau même ne peut pas enfermer. Et c'est cela que les rites, avant comme après Jésus veulent inscrire dans nos vies.  

Si nous avions les yeux pour voir rayonner la lumière du ressuscité, j'imagine que non seulement nous ne manquerions pas la libération qui est de venir le rencontrer le dimanche matin, mais que peut-être nous regretterions qu'il n'y ait qu'un dimanche par semaine.  

Cela dit, nos rites restent symboliques, désignant une vérité qui les dépasse, qu'ils ne font que signifier. Ils sont des signes. Ce qu'on ne comprend bien que si on les pratique. Pour donner un exemple de cela, en ces temps de « mondial » : qui mieux qu'un amateur de football — fût-ce de football/bière/fauteuil — qui mieux que lui peut comprendre que la victoire de quelques milliardaires en culotte courte qu'il ne connaît pas puisse procurer une telle joie du seul fait qu'ils portent le maillot d'un pays dans lequel il se reconnaît ? Si ce n'est pas symbolique ! Et pourtant cela procure un effet réel, en joie, quoique incompréhensible.  

Ou encore : combien d'incroyants qui s'abstenant de toute pratique religieuse, réclament instamment du rite, du symbole, aux moments difficiles de leur vie. Et on pourrait multiplier les exemples. Des symboles certes. L'Épître aux Hébreux s'adresse à des lecteurs qui ont suffisamment fréquenté le Temple pour avoir compris que les sacrifices qu'ils y offraient étaient des symboles d'une réalité plus haute. De même, nos prédécesseurs dans la foi, en France sous l'Ancien Régime persécuteur, avaient suffisamment écouté la parole de Dieu, été suffisamment assidus aux sacrements célébrés au prix de risques considérables, pour savoir que le Christ ressuscité était présent au-delà de ces symboles, même lorsqu'ils sont venus à manquer. Ils ont ainsi pu transmettre la foi au temps du désert. Que Dieu nous accorde à nous aussi de le découvrir sous les signes qu'il nous donne et de recevoir Sa consolation.

 

 

R.P.,
Antibes, 18 juin 2006

 

 

 

10:15 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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