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24 juillet 2006
Envoi
DE LA PROXIMITÉ À L’ENVOI
Marc 6, 1-13
1 Jésus partit de là. Il vient dans sa patrie et ses disciples le suivent.
2 Le jour du sabbat, il se mit à enseigner dans la synagogue. Frappés d’étonnement, de nombreux auditeurs disaient: "D’où cela lui vient-il? Et quelle est cette sagesse qui lui a été donnée, si bien que même des miracles se font par ses mains?
3 N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon? et ses sœurs ne sont-elles pas ici, chez nous?" Et il était pour eux une occasion de chute.
4 Jésus leur disait: "Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie, parmi ses parents et dans sa maison."
5 Et il ne pouvait faire là aucun miracle; pourtant il guérit quelques malades en leur imposant les mains.
6 Et il s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas. Il parcourait les villages des environs en enseignant.
7 Il fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs.
8 Il leur ordonna de ne rien prendre pour la route, sauf un bâton: pas de pain, pas de sac, pas de monnaie dans la ceinture,
9 mais pour chaussures des sandales, "et ne mettez pas deux tuniques".
10 Il leur disait: "Si, quelque part, vous entrez dans une maison, demeurez-y jusqu’à ce que vous quittiez l’endroit.
11 Si une localité ne vous accueille pas et si l’on ne vous écoute pas, en partant de là, secouez la poussière de vos pieds: ils auront là un témoignage."
12 Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir.
13 Ils chassaient beaucoup de démons, ils faisaient des onctions d’huile à beaucoup de malades et ils les guérissaient.
*
Proximité, familiarité, autant d’obstacles insurmontables à l’Évangile et dont on fait naïvement l’Alpha et Oméga de son annonce ! Il faudrait se rendre proche, plaire, éviter toute critique, et tout irait bien ! Que ce puisse être parfois l’Alpha, peut-être, ce n’est en tout cas pas l’Omega ! Et même pour l’Alpha, il faut être circonspect avec cette stratégie : cela fait quelques décennies qu’on l’a adoptée, avec les résultats que l’on sait.
Et pourtant un texte comme celui que nous avons lu nous met nettement en garde contre ce genre de volonté de plaire, contre les stratégies de la proximité. Cela provoque aisément en écho la conviction que l’on est proche, que Jésus est un bon copain, un familier : résultat, il ne put faire de miracle !
Exemple au hasard : l’Église Réformée, en France, aujourd’hui : cote de popularité au zénith. Bloquée depuis quelques décennies au plus haut des sondages. Oh ! on connaît bien les protestants, ils sont sympathiques, ils ne nous remettent jamais en question, ils se plient à toutes nos exigences. Résultat, quand il s’agit de rogner sur la liberté de culte, on est aux premières loges, et au prix supplémentaire de ce que le résultat escompté par cette sympathie, à savoir le tournement vers Dieu, la conversion en termes techniques, n’a jamais lieu — et pour cause, s’il n’y a aucune exigence, si l’on connaît bien le petit Jésus sympathique, eh bien, il n’y a qu’à se contenter de la grâce à bon marché que l’on nous a proposée, qui ne coûte rien que d’accepter le sourire et de le rendre. Il n’y a aucune autre libération à espérer.
C’est ainsi que lorsqu’on tente de dire la moindre exigence libératrice à ces familiers, comme à Nazareth, on ne fait que susciter l’inimitié : qu’est ce que cette intolérance subite, qu’est que ce moralisme ? Car la suite du texte, où il est question de la mission d’évangélisation des disciples, qui connaît du succès celle-là, le précise : « Ils partirent et ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12). Ce qui implique concrètement qu’il y a des choses à changer dans les comportements. Et ça, c’est le côté… désagréable de toute délivrance !
Je ne résiste pas à la tentation, pour illustrer cela, de citer un extrait du livre de C.S. Lewis, Le grand divorce, où en visite par une vision à l’entrée du Paradis, l’auteur décrit la scène suivante. Il y voit un homme un homme qui hésite à entrer, empêché de la sorte :
« Sur son épaule se tenait un petit lézard rouge qui agitait sa queue comme un fouet et murmurait des choses à l'oreille de celui qui le portait. Au moment où nous l'aperçûmes, ce dernier tourna la tête vers le reptile avec un grognement d'impatience. "Tais-toi, voyons", lui dit-il. Mais l'animal balançait sa queue et continuait à chuchoter.
[Apparaît un être qui] avait une forme plus ou moins humaine, mais il était plus grand qu'un homme, et si étincelant que je pouvais à peine le regarder, écrit CS Lewis, qui poursuit : Sa présence heurta mes yeux, et mon corps aussi, car il dégageait de la chaleur en même temps que de la lumière, comme le soleil au matin d'une implacable journée d'été.
"Je m'en vais, dit [l’homme portant le petit lézard sur l’épaule]. Merci de votre hospitalité [au paradis, car la scène se passe à l’entrée du paradis. Merci de votre hospitalité]. Mais ce n'est pas la peine, vous voyez. J'ai dit à ce petit individu (il montrait le lézard) que s'il venait, il fallait qu'il se tienne tranquille - et il a insisté pour venir. Naturellement, ses sornettes ne sont pas de mise ici, je m'en rends compte. Mais il ne s'arrêtera pas. Il ne me reste qu'à m'en retourner.
- Aimeriez-vous que je le fasse taire? dit l'esprit flamboyant - c'était un ange, je le compris soudain.
- Bien sûr.
- Alors je vais le tuer, dit l'ange, en faisant un pas en avant.
- Oh! aïe! Attention. Vous me brûlez. Pas si près!
- Vous ne voulez donc pas qu'on le tue?
- Tout à l'heure, vous n'avez pas parlé de le tuer. Je n'avais pas l'intention de vous ennuyer en vous demandant quelque chose d'aussi radical.
- C'est le seul moyen, dit l'ange, dont les mains brûlantes étaient tout près du lézard. Dois-je le tuer?
- Eh bien, c'est une autre question. Je suis tout prêt à la considérer, mais je n'avais pas encore envisagé cet aspect-là, vous voyez? Je veux dire que, pour le moment, je pensais seulement le faire taire parce que ici en haut - eh bien, il est diablement embarrassant.
- Puis-je le tuer?
- Oh! il sera toujours temps de discuter cela plus tard.
- Il n'y a aucune raison d'attendre. Puis-je le tuer:
- Excusez-moi, je n'ai jamais songé à vous importuner de la sorte. Non vraiment, ne vous faites pas de souci pour lui. Regardez! Il s'est décidé à dormir. Je suis sûr que tout ira bien maintenant. Je vous remercie infiniment.
- Puis-je le tuer?
- Honnêtement, je ne crois pas que ce soit nécessaire. Je suis sûr que je pourrai le faire tenir tranquille maintenant. Je crois qu'il vaudrait beaucoup mieux procéder graduellement.
- Agir progressivement serait tout à fait inutile.
- Vous croyez? Bon. Je vais réfléchir à votre proposition. Honnêtement oui, je vous laisserais bien le tuer tout de suite, mais à la vérité, je ne me sens pas très bien aujourd'hui; ce serait stupide de le faire maintenant. J'aimerais être en bonne santé pour l'opération. On verra un autre jour.
- Il n'y aura pas d'autre jour. Nous vivons dans un éternel présent maintenant.
- Allez-vous-en! Vous me brûlez. Comment pourrais-je vous dire de le tuer? Vous me tueriez, moi, si vous le faisiez.
- Certainement pas.
- Mais vous me faites déjà mal à présent.
- Je n'ai jamais dit que cela ne vous ferait pas mal. »
Etc. Vous trouverez la suite dans le livre de CS Lewis, Le grand divorce (entre l’enfer et le paradis). »
Jésus « fait venir les Douze. Et il commença à les envoyer deux par deux, leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7) — genre petit lézard. Et plus loin (v. 13) : « Ils chassaient beaucoup de démons ». Ce qui suppose la volonté d’exercer la dite autorité : « laissez-moi l’ôter ». Et pour cela : « ils proclamèrent qu’il fallait se convertir » (v. 12).
Cela après le constat selon lequel lui, Jésus, « ne pouvait faire là aucun miracle » (v. 5) — à Nazareth, où il est familier… Cela dit, précise le texte, « il guérit — pourtant — quelques malades en leur imposant les mains » (v. 5). Histoire de dire que le problème n’est pas en sa capacité à libérer — puisqu’il « s’étonnait de ce qu’ils ne croyaient pas » (v. 6) — mais l’écho qu’il a eu, ou n’a pas eu chez ses familiers : oh ! laissez-moi vivre comme je l’ai toujours fait… D’autant que Jésus « parcourait les villages des environs en enseignant » (ibid.), avec manifestement plus de succès que chez ses proches. C’est sur cela qu’il envoie ses disciples en « leur donnant autorité sur les esprits impurs » (v. 7). Genre le petit lézard de C.S. Lewis qui ne partira pas si on est si « tendre » envers sa victime qu’on lui accorde, comme elle le demande, de ne pas être remise en question. Or l’Évangile qui libère demande des changements de vie.
Voilà qui fait intolérant et quelque peu… « moraliste ». Pensez : les Douze, envoyés, se mettent du coup à proclamer qu’il faut se convertir !
Proclamer donc, que ce que l’on fait n’est peut-être pas adéquat à la liberté de l’Évangile, et au comportement libre qu’il induit ; comportement, c’est-à-dire — pardonnez-moi — « morale ». Car là, on a lâché le gros mot, « morale », « moralisant », « moraliste » — en guise de caricature quant à l’exigence d’un changement libérateur (« Sortez de Babylone » ; « quittez ce qui vous rend captifs » ; « acceptez devoir tuer votre lézard »). Mais c’est une exigence, ça ! — « moralisme » donc ! Mot qui suffit pour discréditer quiconque s’en voit affublé. Et ainsi, pas besoin de l’écouter : pour qui il se prend — il est de nos familiers !
Eh bien, cette exigence est pourtant au cœur de la Déclaration de foi de notre Église. Je cite :
« L’ÉGLISE REFORMÉE DE FRANCE […] proclame devant la déchéance de l’homme, le salut par grâce, par le moyen de la foi en Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qui a été livré pour nos offenses et qui est ressuscité pour notre justification ;
[…]
Pour obéir à sa divine vocation, elle annonce au monde pécheur l’Évangile de la repentance et du pardon, de la nouvelle naissance, de la sainteté et de la vie éternelle… »
Oui, on a bien entendu : « monde pécheur, repentance et pardon, nouvelle naissance, sainteté… » Voilà qui est dans notre Déclaration de foi, et qui, pris au sérieux, avant que cela ne devienne une série de formules, a eu l’impact suffisant pour mener l’Église jusqu’à nous.
C’est la raison pour laquelle je me plais à dire aux dames aînées, qu’elles sont, comme héritières de ce tournant spirituel, et jusqu’ à leur âge avancé — car il ne suffit pas de naître de la chair —, piliers et avenir de nos Églises.
Cela pour un envoi qui est réitéré par l’Évangile, nous concernant, aujourd’hui. Et cela au-delà de toute crainte : si les prophètes, les apôtres, Jésus lui-même ont vu leur prédication mal accueillie, c'est parce que la parole de Dieu dérange. Cela dit c'est ainsi qu'elle est nourrissante.
En effet, comme des enfants, le peuple reproche à ceux qui lui sont envoyés de ne pas les nourrir que de bonbons et de ne pas les guérir que de poudre de perlimpinpin. Contrairement à celle des faux prophètes et autres chefs de sectes, c'est en étant vraie, parfois amère, parfois douce, et en ne contournant pas les vrais problèmes, que la parole de Dieu guérit en vérité.
Serons-nous sensibles à la supplique du petit lézard, ou fidèles à l’envoi de Jésus ?
R.P.
Antibes, 16.07.06
09:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
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