Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

« Philo-Sophia - programme 2006-2007 | Page d'accueil | À l'approche de Noël »

13 novembre 2006

L'offrande de la veuve

  



 

"Elle a donné plus
que tous les autres..."
 





 



Marc 12, 35-44
35  Prenant la parole, Jésus enseignait dans le temple. Il disait: "Comment les scribes peuvent-ils dire que le Messie est fils de David?
36  David lui-même, inspiré par l’Esprit Saint, a dit: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Siège à ma droite jusqu’à ce que j’aie mis tes ennemis sous tes pieds.
37  David lui-même l’appelle Seigneur; alors, de quelle façon est-il son fils?" La foule nombreuse l’écoutait avec plaisir.
38  Dans son enseignement, il disait: "Prenez garde aux scribes qui tiennent à déambuler en grandes robes, à être salués sur les places publiques,
39  à occuper les premiers sièges dans les lieux de culte et les premières places dans les dîners.
40  Eux qui dévorent les biens des veuves et affectent de prier longuement, ils subiront la plus rigoureuse condamnation."
41  Assis en face du tronc, Jésus regardait comment la foule mettait de l'argent dans le tronc. De nombreux riches mettaient beaucoup.
42  Vint une veuve pauvre qui mit deux petites pièces, quelques centimes.
43  Appelant ses disciples, Jésus leur dit: "En vérité, je vous le déclare, cette veuve pauvre a mis plus que tous ceux qui mettent dans le tronc.
44  Car tous ont mis en prenant sur leur superflu; mais elle, elle a pris sur sa misère pour mettre tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre."


 *

 
« Assis vis-à-vis du tronc, Jésus regardait comment la foule y mettait de l'argent ». Voilà de quoi comprendre concrètement comment Jésus dérange. Imaginez Jésus en train de se pencher sur le panier d'offrandes et de regarder combien vous mettez ! Eh bien, c'est exactement ce qui se passe au moment de l'offrande ! Jésus est vivant, il est au milieu de nous, son regard s'abaisse sur nous. Et il nous le rappelle : « Ton Père qui voit dans le secret » voit aussi le secret de ton aumône (Mt 6:4).

Prenons toutefois garde à ne pas faire de ces textes des armes à culpabiliser en en déplaçant le sens. Ceux à qui s'en prend Jésus sont ceux qui font de l'exhibition en s'arrangeant pour que tous sachent combien ils sont pieux et quelle belle offrande ils donnent : « ils ont déjà leur récompense », nous dit-il. Et il donne en exemple la veuve — c’est-à-dire à l’époque, sans ressources financières — qui vient de mettre quelques piécettes ; elle veuve spoliée, finalement, en quelque sorte, par les donneurs de leçons de piété, en ce sens qu’elle donne en fait beaucoup, puisque cela empiète sur son nécessaire, son minimum vital : « gardez-vous des scribes... ils dévorent les maisons des veuves et font pour l'apparence de longues prières. Ils subiront une condamnation particulièrement sévère » (v.38, 40). Et ils font, aussi « pour l'apparence », de belles offrandes (c'est qu'ils ont les moyens, contrairement à la veuve) : ils ont déjà leur récompense. C'est contre cela que Jésus intervient : pour toi « que ton offrande se fasse dans le secret », « que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite », ce qui ne signifie pas un retour à la case départ ! Jésus lui-même, n'en regarde pas moins dans le panier d'offrandes, mais lui seul.


*


Il faut, pour éclairer le propos, se rappeler le sens précis du mot « aumône » dans la tradition biblique. Le terme traduit ainsi renvoie au mot hébreu signifiant « justice ». L'aumône devient la restitution d'un équilibre qui a été rompu. La richesse, sous l’angle où elle est productrice de déséquilibres, est mal notée par les auteurs bibliques. Nous avons trop facilement tendance à tempérer leurs propos en distinguant plus ou moins arbitrairement bonne et mauvaise richesse. En fait la richesse devient mauvaise, si elle n'est pas purifiée par l' « aumône », par la justice, qui corrige le déséquilibre qu’elle produit naturellement, puisqu’il est dans sa nature de croître exponentiellement (voir la parabole des talents). Et c’est même en cela qu’elle est signe de bénédiction ! Mais à terme cela mène au déséquilibre si ce n’est pas purifié par l’ « aumône » qui ne signifie rien d’autre que la « justice ».

C'est pourquoi il est abusif que l'on trouve dans nos traductions de la Bible des introductions de paragraphes nous annonçant, par exemple : « la parabole de Lazare et du mauvais riche » ! Ce faisant, on nous laisse loisir de ne pas en percevoir le message : nous sommes de bons riches n'est-ce pas ? Le texte parle du riche tout court.

Ne pas le voir est pour nous tout simplement une façon subtile de nous masquer qu'il est un certain déséquilibre, accepté, jugé normal ou fatal, mais qui relève tout simplement du péché. « Malheur à ceux qui ajoutent champ à champ » criait le prophète — ce qui est pourtant censé être signe de bénédiction ! Exemple concret, pourtant, de la liberté devenant celle du plus fort d'opprimer le plus faible. Où l'accumulation des uns spolie les autres.

La question que pose la Bible à travers la dénonciation de l'accumulation a pris de nos jours la taille d'un problème qui atteint des proportions internationales aux conséquences considérables, internationales elles aussi.

Exemple : nous savons que nos villes et les écoles que fréquentent nos enfants sont des lieux de vente de drogue. Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, le voici : de nombreux pays du sud sont endettés au point de devoir consacrer l'essentiel de leurs ressources au remboursement des intérêts de leur dette, cela au déficit de leurs dépenses de santé ou d’éducation par exemple. Combien le poids de la dette entraîne-t-il de morts ? Combien d’illettrisme avec ses conséquences funestes à long terme ? Le rapport avec la drogue dans nos rues ? — me direz-vous. Eh bien c'est que — ce n’est pas un scoop — pour certains paysans d'Amérique latine par exemple, ou d’Asie, l'offre des cartels de la drogue leur proposant d'employer leurs champs à cet effet ressemble à une solution. Non que ce soit une excuse ! Mais c’est une vraie tentation. Et le produit de leur récolte se retrouve dans les cours de nos écoles. Voila comment un usage abusif du droit des plus riches fait retour de plein fouet. « Remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos débiteurs », prions-nous.

Tout cela est troublant, certes. Et c'est tout simplement la réalité de  notre monde. Alors, que faire ? En premier lieu, dans la Bible, la richesse nous est accordée par Dieu comme à ses gestionnaires. La terre lui appartient à lui. Sur la terre, chacun ses dons. Celui qui a plus a en quelque sorte le don de gestionnaire. C'est-à-dire que ce qu'il a reçu lui a été donné pour le service d'autrui, pour contribuer à ordonner les choses selon un équilibre dont la perte nous mène tous ensemble au malheur.

Et l’Église dans tout cela ? Avec ce récit d’offrande de la veuve… Eh bien c’est que l’institution du Temple en son temps, l'Église ensuite, ont été données au monde aussi comme instrument de rééquilibrage ; et ça se vérifie souvent concrètement.
 

*


Revenons-en donc aux scribes et à la veuve. Cela pour dire que, l'habitude de la transgression aidant, les plus faibles en viennent à penser que leur situation relève de la fatalité, et qu'elle est donc normale et légitime. Peu de doutes pour la veuve que la richesse exorbitante de ses prochains riches — les choses et la loi de l'argent étant ce qu'elles sont —; peu de doutes pour elle que, finalement, il n'y a là que fruit de justice et de sain labeur. Et la voilà qui peut-être admire les belles offrandes, ces gouttes dans la mer de leur aisance, qui dépassent son minimum vital à elle.

Si la Bible prévoit la même contribution pour tous — en pourcentage : la dîme ; sa dîme à elle, ses quelques centimes, la dîme de ce qu'elle a pour vivre semble peu.

Et pourtant non seulement ses quelques centimes ne sont pas moins que la grosse dîme de ceux qui sont plus aisés — et qui ne sont pas mauvais pour autant — ; mais, dit Jésus, ces quelques centimes sont plus ! Car, on l’a entendu, ils portent atteinte à son nécessaire ; leur grosse dîme à eux, qui est proportionnellement équivalente, et qui est apparemment, et numériquement, bien plus impressionnante, n'atteint en fait que leur superflu.

Aussi, pas de quoi pavoiser en faisant l'aumône — à savoir la justice — ! Pas de quoi pavoiser, pour les scribes, au moment de l'offrande. Au mieux, elle est normale. À l’instar de la dîme qui relevait de la Loi, en vue donc, de la restitution naturelle d'un équilibre déstabilisé — par le péché ; — « vous aurez toujours les pauvres avec vous », rappelle Jésus. (Et l’aumône biblique est à l’origine de nos modernes caisses de sécurité sociale et de solidarités diverses.) Pas de quoi s'enorgueillir donc, d'un geste dont le fruit n’est, le cas échéant, que restitution d’une infime partie de ce qui fait la pauvreté des veuves. Autant de raisons pour lesquelles Jésus réclame le secret de l'offrande. Dieu sait et voit. C'est là l'usage légitime de la Loi : pas pour se faire valoir.

Cela dit, l'offrande, si elle doit être secrète, n'en est pas moins institution divine. Il ne faudrait pas déduire de ce que Jésus peste contre l'offrande des exhibitionnistes du portefeuille que la dîme et la pratique de l'aumône, de « la justice », sont abolies. Mise au secret n'est pas abolition.

Une des voies est peut-être encore et à nouveau le sens de la gratuité qui nous échappe si facilement, d’autant plus que nous vivons dans le monde du profit à tout prix. Où il s’agit d'apprendre à ne pas faire du profit l'idole de nos vies, le Mammon qui nous prive de la vraie liberté. Simple test : notre prière est-elle digne d'une interruption de notre travail ?

Où il est question de l’Évangile qui libère de la peur de manquer. Et où la culpabilisation n’arrange évidemment rien, et est sans doute révélatrice d’un problème assez commun.

Ce problème est que dans ce domaine-là, dont on ne parle pas, et donc, où l’Évangile de la libération et du pardon passe peu. Il s’agit de l’avarice comme captivité, fruit d’une peur, d’un manque de foi.

En ces termes : « Dieu pourvoira-t-il à mon lendemain ? Alors au cas où, je m’assure moi-même, je thésaurise ». Or, voilà une attitude assez commune. Qui n’a pas été l’attitude de la veuve. Et donc Jésus loue aussi sa rareté : elle n’a pas craint de donner de son nécessaire. Cela contre l’attitude assez commune de thésauriser que l’on pardonne donc peu aux autres. L’avarice suscite peu la compassion, et pourtant elle est souffrance.

C’est ce qui me fait dire que l’Évangile du pardon libérateur est peu passé dans ce domaine. On a peu reçu de pardon sur un domaine où l’on a peu confessé, et où donc on pardonne peu. « Celle à qui il a été beaucoup pardonné a beaucoup aimé », dit ailleurs Jésus, d’une autre femme.

C'est peut-être là la source de l'offrande, du don : recevoir le don, le pardon, de Dieu pour notre manque de foi, qui nous fait — et thésauriser, et être sévères sur la pingrerie des autres, qui n’est jamais qu’une autre captivité qui demande aussi libération !

Où il s’agit de découvrir une autre richesse, juste celle-là : « Apportez la dîme... mettez-moi ainsi à l'épreuve, dit Dieu, et vous verrez si je n'ouvrirai pas pour vous les écluses du ciel, si je ne déverse pas sur vous la bénédiction au-delà de toute mesure » (Ml 3:10).
 

*


Pour illustrer ce texte et terminer sur une note encourageante, voici une petite histoire rapportée il y a quelques années par un pasteur de ce qui était alors l'Allemagne de l'Est (Richard Wurmbrand) : « un rabbin avait mis de côté 200 pièces d'or comme dot de sa fille pour le jour où elle se marierait. Il avait un serviteur, qui quelque temps avant le mariage de la jeune fille, partit ouvrir un petit commerce dans une ville voisine. Comme le jour du mariage de sa fille approchait, le rabbin ouvrit le tiroir pour en retirer les pièces d'or. Et voici qu'elles avaient disparu. Les soupçons de la famille se portèrent sur le serviteur devenu commerçant. Le rabbin avait pourtant confiance en son ancien serviteur. Mais sur l'insistance de ses proches, il alla le trouver et lui dire les soupçons qui pesaient sur lui. Le serviteur ne protesta pas et il dit : c'est bien moi le voleur, et donna 200 pièces d'or au rabbin, ce qui réduisit ses économies à zéro. Mais voilà que quelque temps après, on découvrit le vrai voleur. Le rabbin retourna donc voir son ex-serviteur pour lui demander des explications. Celui-ci lui répondit : "J'ai vu votre tristesse et celle de votre fille. J'étais prêt à vous donner tout mon argent pour compenser la perte, mais je savais que vous n'accepteriez pas ce sacrifice de ma part. C'est pourquoi je me suis fait passer pour le voleur". Le rabbin le bénit et dit : "Que Dieu vous récompense de cet acte en vous donnant de grandes richesses, ainsi qu'à vos descendants". » C'est là une histoire vraie nous dit le pasteur qui la rapporte ; le serviteur du rabbin s'appelait Rothschild.

« Voir s'ouvrir les écluses des cieux », telle est la promesse que Dieu fait à qui ouvre son cœur et ce qui le recouvre... la veuve de l’histoire est alors bien plus riche qu’on ne croit, bien plus riche que les scribes…


 

R.P.,
Vence, 12 novembre 2006




 

08:05 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

Les commentaires sont fermés.