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06 novembre 2006

"Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu."






Le cœur de la Loi
et la proximité du Royaume de Dieu
 











Marc 12, 28-34
28  Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter [de la résurrection] et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?"
29  Jésus répondit: "Le premier, c’est: Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur;
30  tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.
31  Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là."
32  Le scribe lui dit: "Très bien, Maître, tu as dit vrai: Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui,
33  et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices."
34  Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit: "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger.


*  


« Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices » a dit le scribe à Jésus.

Où le scribe a-t-il trouvé cela ? — : Le Talmud annonce que dans le Royaume de Dieu, les sacrifices seront abolis — sauf le sacrifice d’action de grâce ; action de grâce adressée à Dieu. Or qu’est-ce qui nourrit l’amour ? L’action de grâce ! En effet, si vous voulez aimer, demandez-vous le bien que vous recevez de qui vous voulez aimer. Si vous entretenez les récriminations, vous allez finir par trouver celui ou celle contre qui vous récriminez désagréable ! Rendez grâce, c’est-à-dire, comptez les bienfaits — vous connaissez le cantique — vous obtiendrez l’effet inverse : comment aimer Dieu ? Vous connaissez la réponse…

Reprenons le texte au début : « un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?" »

De quoi « les » a-t-il entendus discuter ? Jésus vient de discuter avec les Sadducéens de la résurrection des morts ; et donc du Royaume de Dieu, dans la perspective du scribe — Royaume dans lequel pour le scribe subsiste, comme seul sacrifice, l’action de grâce. D’où la question du scribe à Jésus. Rien d’anodin en tout cela. Il veut aller un peu plus loin quant à savoir ce qu’en dit Jésus, de ce Royaume. Ou n’y a-t-il que théorie dans son discours ?

Et voilà donc Jésus en plein accord avec les scribes. Ce qui ne devrait pas nous surprendre : il est question ici du fond des choses. Point de désaccord à ce niveau.

Il est question du texte du Deutéronome qui est au cœur de la foi juive : le « Sh’ma Israël » qui est l’appel fondateur, énoncé quotidiennement, écrit symboliquement sur la main, le front, les portes de la maison. Point de discussion évidemment là-dessus.

Quant au second commandement, qui lui est semblable, il est lui aussi au cœur de la Torah, Lévitique 19, 18, au cœur d’un passage qui commence par « vous serez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur, votre Dieu » (Lv 19, 1).

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », littéralement « pour ton prochain comme pour toi-même », est donc naturellement perçu par les scribes comme central — au point qu’en Luc (ch. 10), ce n’est pas Jésus qui énonce le double commandement comme ici, mais un scribe. Et ici, on voit donc qu’il n’y a pas débat. Le scribe interroge Jésus pour savoir s’il est bien au courant, dans le foisonnement des préceptes de la Torah (on sait que Maimonide, au XIIe siècle, en dénombrera 613) — de ce qui en est le cœur.

Chérir Dieu de tout son cœur, c’est-à-dire du fond de son être ; de toute son âme ou, autre traduction, de toute sa vie ; de toute sa pensée, ou intelligence — ce qui rend non seulement vaine, mais impie cette idée selon laquelle un croyant serait censé faire abstraction de son intelligence ! Non, l’intelligence est appelée à être cultivée, ce qui demande un vrai travail certes, un effort, qui permet de soupçonner de paresse intellectuelle cette façon de dire que ce qui concerne Dieu devrait être simple, pour ne pas dire simpliste. L’amour de Dieu est commandé aussi à notre pensée. Forme intense de prière, où la prière est aussi prière de l’intelligence, combat intellectuel, travail sérieux de la raison appliquée à tous les domaines, la méditation de la Loi, des Écritures, et des événements où Dieu se dévoile ; y compris la méditation de la création de Dieu, car comment chérir Dieu de toute son intelligence, sans le louer dans la contemplation, la recherche étendue à toute sa création, bref, la science… Et tout cela, cet amour de Dieu, se vit avec toute sa force — autre traduction : tous ses moyens. Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tous tes moyens, y compris, naturellement, financiers. Ce qui se comprend tout seul : comment peut-on prétendre aimer le Nom de Dieu, et s’arranger pour le faire passer pour mesquin, doté d’institutions qui vivotent, d’une Église qui vivote, a fortiori quand on est dans une société d’abondance…

Où aussi, l’idée devient naturelle que le second commandement est semblable au premier. Dieu, on ne le voit pas, on ne prononce même pas son Nom. Aussi, on le chérira dans ce qui le représente : on cherche Dieu avec son intelligence en étudiant ce qui parle de lui dans sa création et sa Loi.

On chérira Dieu donc, dans ce qui le représente, et en premier lieu celui que Dieu place proche de nous, le prochain, cet être humain fait selon son image.

Comment prétendre aimer Dieu qu’on ne voit pas si l’on n’aime pas le prochain, le frère, que l’on voit ? demandera la 1ère épître de Jean (1 Jn 4, 20). C’est ainsi que Paul, lui, résume toute la loi à cette seconde partie : « la Loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates, 5, 14).

En tout cela, Jésus et le scribe qui l’interroge sont d‘accord. Et Jésus va aller un peu plus loin, avec cette sentence qui fait que « personne n’osait plus l’interroger » : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu », dit-il au scribe sur la base de ce qu’il professe son accord avec lui sur le cœur de la Loi. Parole centrale de notre texte : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».


*


Qu’est-ce à dire que cette sentence de Jésus — « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » — et l’effet — « personne n’osait plus l’interroger » — qu’elle a sur ses auditeurs ?

C’est que Jésus s’inscrivant dans l’espérance pharisienne du scribe, quant au cœur de la Loi au jour du Royaume : subsiste l’action de grâce — Paul le dit en ces termes : une seule chose demeure : l’amour — ; Jésus est en train de dire tout simplement que le Royaume s’est approché : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » n’est point ici une parole banale !

Où on regarde forcément Jésus d’une façon particulière : « personne n’osait plus l’interroger » !

Allons un peu plus loin. Comment en est-on arrivé à cela dans la réflexion juive ? À ce sur quoi Jésus et le scribe s’accordent : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices ».

Eh bien c’est là un fruit de la prière de l’intelligence (tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton intelligence).

Un fruit de la réflexion priante suite à l’événement de l’exil, dès 587 av. J.C., cette perte de souveraineté d’Israël, et de la destruction du Temple, perte, alors provisoire, de la possibilité de sacrifier. Cette perte deviendra définitive en 70 — jusqu’au Royaume où subsiste comme seul sacrifice, la seule action de grâce.

Le retour de l’exil de 587 à Babylone laissera le pays sous la souveraineté de la Perse, puis des divers empires, malgré quelques moments de résistance glorieux comme sous les Grecs. Mais pas de réintégration totale et définitive de la souveraineté. Plus de royaume (et surtout pas en 1948, avec la création d’un État laïque d’Israël !). Plus de royaume, au point que Jean-Baptiste annonce encore, au temps romain, la fin de l’exil (qui n’a donc pas vraiment eu lieu) et la venue du Royaume. Au point qu’au début du livre des Actes des Apôtres, les disciples interrogent encore le Ressuscité sur le jour de la restauration du Royaume d’Israël !

Il n’y aura pas de reprise de souveraineté politique au nom de Dieu d’un État, ni a fortiori d’une Église ! C’est l’erreur des chrétientés médiévales byzantine et latine (auxquelles l’islam d’alors a emboîté le pas) que d’avoir cru le contraire. La suzeraineté politique a été retirée au peuple de Dieu en 587, et ne sera pas ré-octroyée. (Il n’est pas inutile de souligner cela en ce dimanche de l’Église persécutée : nul n’a le pouvoir ni le droit de dire un délit d’opinion, et a fortiori de poursuivre, de persécuter, pour un délit d’opinion !)

La dynastie légitime alliée avec Dieu, celle de David, trouve son dernier représentant dans le Messie, seul souverain du Royaume de Dieu, Roi-prêtre selon l’ordre de Melchisédech, selon l’Épître aux Hébreux citant le Psaume 110. Un Royaume dont la Loi est inscrite dans les cœurs, et qui n’a donc pas d’institutions pénales d’un État souverain, comme avant 587. En 587, ce domaine de la Torah prend fin.

Les auteurs du Nouveau Testament, à l’instar des scribes pharisiens, ont tiré eux aussi cette conséquences qui s’imposent de la perte de souveraineté politique et du royaume d’Israël : pas de royaume, jusqu’à la venue du Royaume du Messie. Cela le scribe le sait. Les auditeurs de ce dialogue aussi. Et voilà que Jésus affirme que le Royaume s’est approché : « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger. »

La dynastie sacerdotale, elle, qui s’est maintenue pendant le premier exil à Babylone, a repris ses fonctions après le retour de Babylone. Le Temple a été rebâti. Il est encore en activité à l’époque du Nouveau Testament — géré par la caste sacerdotale des Sadducéens. Ce second Temple, on le sait, sera détruit, comme l’annonçait Jésus, en 70, par les Romains.

Alors disparaîtront, et la dynastie sacerdotale des Sadducéens (qui viennent d’interroger Jésus sur la résurrection), et les sacrifices — reste l’action de grâce. Le domaine sacrificiel sacerdotal de la Torah prend fin en 70 — étant désormais au seul pouvoir du Roi-prêtre selon Melchisédech. Ici a eu lieu la fin de ce temps, annoncée par Jésus pour sa génération.

De la Loi qui ne passera pas jusqu’à ce que passent les cieux et la terre, subsiste alors, jusqu’à la venue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, sa dimension morale, sous tous ses angles, selon tous les usages que l’on en peut faire. En son cœur, l’action de grâce, où s’établit l’amour pour Dieu. Subsiste donc cet essentiel de la Loi énoncé ici par le scribe et Jésus, et où l’amour du prochain est le cœur d’un code révélé de sainteté : « tu aimeras pour ton prochain comme pour toi-même », c’est-à-dire : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse, fais a autrui ce que tu voudrais qu’il te fasse ».

Bref, le Royaume s’est approché, et que dit Jésus au scribe ? — « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu". Et personne n’osait plus l’interroger » !

Avec ce texte — qui suit immédiatement celui où Jésus enseigne ce qu’il en est de la résurrection, dont il est l’initiateur —, on comprend à quel point il annonce que le Royaume s’est approché ; Royaume de la résurrection déjà advenue au milieu de nous, et dont la règle est l’inscription de la loi dans les cœurs. Oui décidément le scribe n’est pas loin du Royaume de Dieu, et de sa promesse : « vous serez saints car je suis saint ».

Le Royaume est au milieu, au-dedans de vous, sa règle est résumée par l’Épître aux Hébreux (9, 16-20), citant le prophète Jérémie (ch. 33) : « Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là, a déclaré le Seigneur : mes lois, c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai, et de leurs péchés et de leurs injustices je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché. Nous avons ainsi, frères, pleine assurance d’accéder au sanctuaire par le sang de Jésus. Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire dans sa chair. »

 

R.P.,
Antibes, 5 novembre 2006

 



08:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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