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30 octobre 2006

Dimanche de la Réformation







«Ma maison sera appelée

maison de prière

pour toutes les nations»
  










 


Marc 11, 15-18
15  Ils arrivent à Jérusalem. Entrant dans le temple, Jésus se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes,
16  et il ne laissait personne traverser le temple en portant quoi que ce soit.
17  Et il les enseignait et leur disait : "N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits."
18  Les grands prêtres et les scribes l’apprirent et ils cherchaient comment ils le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement.


*


C’est aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Martin Luther proclamait il y a près de cinq siècles le salut par la grâce seule par le moyen de la foi seule. Un refus de tout ce qui vient se mettre en Dieu et nous fondait le protestantisme. 

Le geste de Jésus au Temple ressemble bien un geste de réformation...

Réformation. Ou refus de l'idolâtrie… Mais, cela dit, n'est-ce pas aussi ce que voulaient garantir les coreligionnaires de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ? Car nous allons voir que c'était bien leur intention.

Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique et la pousse au bout de son sens. Car au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe  — du change à l'entrée du Temple.

Rappelons donc en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème. On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Lc 2, 24).

Lorsque des pèlerins montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est leur cas, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux (de Galilée ou d’ailleurs, plus loin encore souvent).

Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles, en tout cas. Alors à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.

Or, il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Il est incorrect que de telles figures d'idoles entrent dans le trésor du Temple, ou même y transitent. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie. On change donc auparavant la monnaie idolâtre en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.

Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité.


*


Résumons avant d’aller plus loin. — 1) Pour tous les juifs pieux d’alors, la monnaie frappée d’une idole, ici César, ne peut en aucun cas servir pour le culte du vrai Dieu, et surtout pas entrer au Temple. Jusque là, tout me monde est d’accord. Jésus aussi. — 2) C’est de là que s’autorise la présence dans le Temple de changeurs. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre, croit-on, en tout cas sans idole frappée dessus.

Et c’est là que Jésus ne suit plus. C’est précisément cette certitude que cette monnaie-là n’est pas idolâtre que Jésus remet en cause en chassant les changeurs du Temple. Au fond, la monnaie du Temple n’est–elle pas elle-même idolâtre ? demande-t-il par son geste.

N’y a-t-il pas au fond quelque dérive idolâtre derrière la pratique du change ? En ceci : est-ce que vous vous imaginez qu’en enlevant l’idole qui est sur la pièce, on enlève du même coup l’idolâtrie ? Est-ce que l’on peut mettre en banque de la même façon les avoirs de Dieu et ceux de César, chacun sa monnaie ? Sa figure pour l’un, le chandelier à sept branches pour l’autre ? Et cette idole qu’est Mammon, alors, l’argent comme idole ?

Puisque la réponse de Jésus à cette question est pour lui acquise, il réagit avec la violence que suppose ce qui pour lui est dès lors l’entrée de l’idolâtrie dans le Temple. Et c’est par son geste même, par la violence de son geste, que Jésus dévoile cette idolâtrie cachée. Dieu et César chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change, un peu comme les euros qui reçoivent les symboles souverains de chaque État européen.

Mammon est derrière, de toute façon. Dieu est au-delà, et tout lui appartient, Mammon et César y compris, d’ailleurs. Adorez Dieu seul.


*


Voilà donc un témoignage contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Lequel a pour cela exaspéré Jésus.

En donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point qu'il entre dans l'inaccessible.


*


Eh bien, la radicalité de la justification par la foi proclamée par Luther relève de la même problématique. Exprimée ici en ces termes : l’impossibilité de la justification par les œuvres.

Loin de se séparer de l’aspiration des autres religieux de son temps, Luther pousse leur logique à son terme. Que veulent-ils tous ces chrétiens pieux de son temps ? Que veulent les meilleurs d’entre eux ? La perfection ! Ils savent que Dieu est saint et qu’il ne supporte pas le péché ; dont ils voient bien aussi que la racine est en eux.

Alors que faire ? Plusieurs « solutions » sont mises en œuvre en parallèle, en complément les unes des autres. Tel moine désireux de perfection se flagelle — Luther a connu cela. Pratique qui vise à châtier la tendance inhérente au mal. Tel autre s’engage à un pèlerinage, à tel ou tel vœu. Luther a connu aussi. Telle ou telle pratique qui vise pour le pécheur à obtenir l’indulgence de l’Église.

Tel sacrifice financier obtiendra éventuellement le même effet. L’indulgence dès lors peut « légitimement » se monnayer. On comprend ainsi que le problème que rencontre Luther, la pratique que dénonce Luther, part d’une bonne intention, d’un désir d’honorer Dieu par une vie sainte, jusqu’à la consécration de son argent ; sainteté dont on voit bien par ailleurs qu’elle est loin d’être à portée de main.

Et la paix avec Dieu reste loin de tous. On s’escrime à s’imposer pénitence sur pénitence. Les sans scrupule de la hiérarchie romaine s’en frottent les mains, ponctionnant allègrement les pauvres en mal de perfection. Et ils savent bien aussi que leurs proches décédés n’ont pas satisfait à la sainteté de Dieu ; souffrant ainsi, croient-il en purgatoire. Et les voilà en désir de les racheter, financièrement, selon ce que prônent les mêmes sans scrupules.

Et voilà donc Mammon, l’idole de l’argent, qui règne, sous prétexte de désir de sainteté de ses victimes, comme au Temple d’antan sous prétexte de désir de sainteté sous la forme du refus de l’idolâtrie.

Que découvre Luther ? Il découvre que lui et ses contemporains ont succombé à une forme terrible d’idolâtrie, celle qui prétend accéder à Dieu à force de sainteté, de capacité à se sanctifier soi-même, ce qui revient à rien d’autre qu’à le mettre de côté sous prétexte de l’honorer, et finalement à mettre Mammon dans le Temple spirituel de Dieu.

Alors que fait Luther ? — Il entreprend de chasser à son tour, suite à son maître, les marchands du Temple. C’est qu’il a découvert entre temps — et c’est pour cela qu’il peut entreprendre ce qu’il a entrepris — ; il a découvert que l’on n’honore pas Dieu, au contraire, en prétendant se faire valoir devant lui, fût-ce avec les meilleures intentions du monde.

On honore Dieu en lui faisant confiance, en s’en remettant à lui avec foi ; en croyant à sa promesse : « celui qui est juste par la foi vivra » (Habacuc 2, 4).

On est très proche du geste de Jésus au Temple : le Temple, maison de prière pour toutes les nations.

Cela conformément aux paroles de consécration du Temple au temps de Salomon. Souvenez-vous de cette prière de consécration (1 Rois 8, 46-50) :
« Quand les fils d’Israël auront péché contre toi, car il n’y a pas d’homme qui ne pèche, que tu te seras irrité contre eux, que tu les auras livrés à l’ennemi et que leurs vainqueurs les auront emmenés captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche, si, dans le pays où ils sont captifs, ils réfléchissent, se repentent et t’adressent leur supplication dans le pays de leurs vainqueurs en disant : Nous sommes pécheurs, nous sommes fautifs, nous sommes coupables, s’ils reviennent à toi de tout leur cœur, de toute leur âme, dans le pays des ennemis où ils auront été emmenés et s’ils prient vers toi, en direction de leur pays, le pays que tu as donné à leurs pères, en direction de la ville que tu as choisie et de la Maison que j’ai bâtie pour ton nom, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, écoute leur prière et leur supplication, et fais triompher leur droit. Pardonne à ton peuple qui a péché envers toi, pardonne toutes leurs révoltes contre toi […]. »

Et 1 Rois 8, 41-43 :
« Même l’étranger, lui qui n’appartient pas à Israël, ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton nom — car on entendra parler de ton grand nom, de ta main forte et de ton bras étendu — s’il vient prier vers cette Maison, toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, agis selon tout ce que t’aura demandé l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom, et que, comme Israël, ton peuple, ils te craignent et qu’ils sachent que ton nom a été prononcé sur cette Maison que j’ai bâtie. »

Bref, la justice du pécheur ne consiste pas à se faire valoir devant Dieu, mais à se reconnaître pécheur et à recevoir de lui la promesse renouvelée sans cesse depuis le lieu où on le célèbre, promesse que tout peut être recommencé. Il nous accueille comme nous sommes, plein de sa tendresse de Père envers ses enfants qui lui font confiance. Que cette promesse renouvelée soit notre assurance en ce jour de fête de la Réformation.



R.P.,
Cannes, 29 octobre 2006

 




13:00 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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