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30 octobre 2006

Dimanche de la Réformation







«Ma maison sera appelée

maison de prière

pour toutes les nations»
  










 


Marc 11, 15-18
15  Ils arrivent à Jérusalem. Entrant dans le temple, Jésus se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes,
16  et il ne laissait personne traverser le temple en portant quoi que ce soit.
17  Et il les enseignait et leur disait : "N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits."
18  Les grands prêtres et les scribes l’apprirent et ils cherchaient comment ils le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement.


*


C’est aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Martin Luther proclamait il y a près de cinq siècles le salut par la grâce seule par le moyen de la foi seule. Un refus de tout ce qui vient se mettre en Dieu et nous fondait le protestantisme. 

Le geste de Jésus au Temple ressemble bien un geste de réformation...

Réformation. Ou refus de l'idolâtrie… Mais, cela dit, n'est-ce pas aussi ce que voulaient garantir les coreligionnaires de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ? Car nous allons voir que c'était bien leur intention.

Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique et la pousse au bout de son sens. Car au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe  — du change à l'entrée du Temple.

Rappelons donc en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème. On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Lc 2, 24).

Lorsque des pèlerins montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est leur cas, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux (de Galilée ou d’ailleurs, plus loin encore souvent).

Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles, en tout cas. Alors à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.

Or, il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Il est incorrect que de telles figures d'idoles entrent dans le trésor du Temple, ou même y transitent. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie. On change donc auparavant la monnaie idolâtre en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.

Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité.


*


Résumons avant d’aller plus loin. — 1) Pour tous les juifs pieux d’alors, la monnaie frappée d’une idole, ici César, ne peut en aucun cas servir pour le culte du vrai Dieu, et surtout pas entrer au Temple. Jusque là, tout me monde est d’accord. Jésus aussi. — 2) C’est de là que s’autorise la présence dans le Temple de changeurs. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre, croit-on, en tout cas sans idole frappée dessus.

Et c’est là que Jésus ne suit plus. C’est précisément cette certitude que cette monnaie-là n’est pas idolâtre que Jésus remet en cause en chassant les changeurs du Temple. Au fond, la monnaie du Temple n’est–elle pas elle-même idolâtre ? demande-t-il par son geste.

N’y a-t-il pas au fond quelque dérive idolâtre derrière la pratique du change ? En ceci : est-ce que vous vous imaginez qu’en enlevant l’idole qui est sur la pièce, on enlève du même coup l’idolâtrie ? Est-ce que l’on peut mettre en banque de la même façon les avoirs de Dieu et ceux de César, chacun sa monnaie ? Sa figure pour l’un, le chandelier à sept branches pour l’autre ? Et cette idole qu’est Mammon, alors, l’argent comme idole ?

Puisque la réponse de Jésus à cette question est pour lui acquise, il réagit avec la violence que suppose ce qui pour lui est dès lors l’entrée de l’idolâtrie dans le Temple. Et c’est par son geste même, par la violence de son geste, que Jésus dévoile cette idolâtrie cachée. Dieu et César chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change, un peu comme les euros qui reçoivent les symboles souverains de chaque État européen.

Mammon est derrière, de toute façon. Dieu est au-delà, et tout lui appartient, Mammon et César y compris, d’ailleurs. Adorez Dieu seul.


*


Voilà donc un témoignage contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Lequel a pour cela exaspéré Jésus.

En donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point qu'il entre dans l'inaccessible.


*


Eh bien, la radicalité de la justification par la foi proclamée par Luther relève de la même problématique. Exprimée ici en ces termes : l’impossibilité de la justification par les œuvres.

Loin de se séparer de l’aspiration des autres religieux de son temps, Luther pousse leur logique à son terme. Que veulent-ils tous ces chrétiens pieux de son temps ? Que veulent les meilleurs d’entre eux ? La perfection ! Ils savent que Dieu est saint et qu’il ne supporte pas le péché ; dont ils voient bien aussi que la racine est en eux.

Alors que faire ? Plusieurs « solutions » sont mises en œuvre en parallèle, en complément les unes des autres. Tel moine désireux de perfection se flagelle — Luther a connu cela. Pratique qui vise à châtier la tendance inhérente au mal. Tel autre s’engage à un pèlerinage, à tel ou tel vœu. Luther a connu aussi. Telle ou telle pratique qui vise pour le pécheur à obtenir l’indulgence de l’Église.

Tel sacrifice financier obtiendra éventuellement le même effet. L’indulgence dès lors peut « légitimement » se monnayer. On comprend ainsi que le problème que rencontre Luther, la pratique que dénonce Luther, part d’une bonne intention, d’un désir d’honorer Dieu par une vie sainte, jusqu’à la consécration de son argent ; sainteté dont on voit bien par ailleurs qu’elle est loin d’être à portée de main.

Et la paix avec Dieu reste loin de tous. On s’escrime à s’imposer pénitence sur pénitence. Les sans scrupule de la hiérarchie romaine s’en frottent les mains, ponctionnant allègrement les pauvres en mal de perfection. Et ils savent bien aussi que leurs proches décédés n’ont pas satisfait à la sainteté de Dieu ; souffrant ainsi, croient-il en purgatoire. Et les voilà en désir de les racheter, financièrement, selon ce que prônent les mêmes sans scrupules.

Et voilà donc Mammon, l’idole de l’argent, qui règne, sous prétexte de désir de sainteté de ses victimes, comme au Temple d’antan sous prétexte de désir de sainteté sous la forme du refus de l’idolâtrie.

Que découvre Luther ? Il découvre que lui et ses contemporains ont succombé à une forme terrible d’idolâtrie, celle qui prétend accéder à Dieu à force de sainteté, de capacité à se sanctifier soi-même, ce qui revient à rien d’autre qu’à le mettre de côté sous prétexte de l’honorer, et finalement à mettre Mammon dans le Temple spirituel de Dieu.

Alors que fait Luther ? — Il entreprend de chasser à son tour, suite à son maître, les marchands du Temple. C’est qu’il a découvert entre temps — et c’est pour cela qu’il peut entreprendre ce qu’il a entrepris — ; il a découvert que l’on n’honore pas Dieu, au contraire, en prétendant se faire valoir devant lui, fût-ce avec les meilleures intentions du monde.

On honore Dieu en lui faisant confiance, en s’en remettant à lui avec foi ; en croyant à sa promesse : « celui qui est juste par la foi vivra » (Habacuc 2, 4).

On est très proche du geste de Jésus au Temple : le Temple, maison de prière pour toutes les nations.

Cela conformément aux paroles de consécration du Temple au temps de Salomon. Souvenez-vous de cette prière de consécration (1 Rois 8, 46-50) :
« Quand les fils d’Israël auront péché contre toi, car il n’y a pas d’homme qui ne pèche, que tu te seras irrité contre eux, que tu les auras livrés à l’ennemi et que leurs vainqueurs les auront emmenés captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche, si, dans le pays où ils sont captifs, ils réfléchissent, se repentent et t’adressent leur supplication dans le pays de leurs vainqueurs en disant : Nous sommes pécheurs, nous sommes fautifs, nous sommes coupables, s’ils reviennent à toi de tout leur cœur, de toute leur âme, dans le pays des ennemis où ils auront été emmenés et s’ils prient vers toi, en direction de leur pays, le pays que tu as donné à leurs pères, en direction de la ville que tu as choisie et de la Maison que j’ai bâtie pour ton nom, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, écoute leur prière et leur supplication, et fais triompher leur droit. Pardonne à ton peuple qui a péché envers toi, pardonne toutes leurs révoltes contre toi […]. »

Et 1 Rois 8, 41-43 :
« Même l’étranger, lui qui n’appartient pas à Israël, ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton nom — car on entendra parler de ton grand nom, de ta main forte et de ton bras étendu — s’il vient prier vers cette Maison, toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, agis selon tout ce que t’aura demandé l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom, et que, comme Israël, ton peuple, ils te craignent et qu’ils sachent que ton nom a été prononcé sur cette Maison que j’ai bâtie. »

Bref, la justice du pécheur ne consiste pas à se faire valoir devant Dieu, mais à se reconnaître pécheur et à recevoir de lui la promesse renouvelée sans cesse depuis le lieu où on le célèbre, promesse que tout peut être recommencé. Il nous accueille comme nous sommes, plein de sa tendresse de Père envers ses enfants qui lui font confiance. Que cette promesse renouvelée soit notre assurance en ce jour de fête de la Réformation.



R.P.,
Cannes, 29 octobre 2006

 




13:00 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

23 octobre 2006

La demande des Zébédée

 

 




«SI QUELQU’UN VEUT ÊTRE
LE PREMIER»











Hébreux 4:14-16
14  Ayant un grand prêtre éminent, qui a traversé les cieux, Jésus, le Fils de Dieu, tenons ferme la confession de foi.
15  Nous n’avons pas, en effet, un grand prêtre incapable de compatir à nos faiblesses ; il a été éprouvé en tous points à notre ressemblance, mais sans pécher.
16  Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés en temps voulu.

Marc 10:35-45
35  Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s’approchent de Jésus et lui disent : "Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous allons te demander."
36  Il leur dit : "Que voulez-vous que je fasse pour vous ?"
37  Ils lui dirent : "Accorde-nous de siéger dans ta gloire l’un à ta droite et l’autre à ta gauche."
38  Jésus leur dit : "Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire, ou être baptisés du baptême dont je vais être baptisé ?"
39  Ils lui dirent : "Nous le pouvons." Jésus leur dit : "La coupe que je vais boire, vous la boirez, et du baptême dont je vais être baptisé, vous serez baptisés.
40  Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m’appartient pas de l’accorder: ce sera donné à ceux pour qui cela est préparé."
41  Les dix autres, qui avaient entendu, se mirent à s’indigner contre Jacques et Jean.
42  Jésus les appela et leur dit : "Vous le savez, ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tiennent sous leur pouvoir et les grands sous leur domination.
43  Il n’en est pas ainsi parmi vous. Au contraire, si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur.
44  Et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous.
45  Car le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude."


*


De nos jours, lorsque les élections approchent, certains font bloc autour de l'élu potentiel — ne suivez pas mon regard ! —, en vue d'avoir les meilleurs postes ministériels dans le futur gouvernement, Conseil, équipe dirigeante, ou que sais-je…

Au temps de notre épisode du Nouveau Testament, on approche des Rameaux : dans l’espérance des disciples, un nouveau gouvernement s'annonce ; le gouvernement messianique. Les disciples, comme leurs contemporains, sont empreints de l'espoir qui sera celui de la foule des Rameaux : ils attendent une prochaine intronisation de Jésus comme roi. Car Jésus semble de plus en plus proche de prendre le pouvoir, dans l'attente de plusieurs, en remplacement d’un roi impopulaire, Hérode, voire même en passe de chasser les Romains.

D'où la question des frères Zébédée : les frères Zébédée cherchent naturellement des porte-feuilles ministériels. Comme membres de l'entourage du futur dirigeant, ils sont en proie à « la fièvre des sondages » ; et s’inquiètent de savoir qui parmi eux est le plus grand, c'est-à-dire à qui seront distribués les meilleurs postes. De jour en jour, la fièvre monte.

Le texte d'aujourd'hui nous montre que la réponse de Jésus quelques chapitres auparavant ne les a pas apaisés : contrairement à ce qu’il en est dans ce monde, dans le Royaume de Dieu le premier est le dernier, leur avait-il dit après avoir placé un enfant au milieu d'eux. Et revoilà quelques épisodes plus loin, suite à une annonce renouvelée et précisée par Jésus de sa mort et de sa résurrection, à Jérusalem, la même interrogation par deux disciples, mais précisée, elle-aussi ; explicite cette fois.

Deux parmi les disciples, décidément persévérants, les fils de Zébédée, posent la question directement : « donne-nous d'être assis l'un à ta droite, l'autre à ta gauche dans ta gloire » (Mc 10, 37) : Premier ministre et ministre des finances.

D’emblée la demande des frères Zébédée provoque l'indignation des dix autres disciples : indignation qui peut-être n’a pas d’autre sens que la demande des Zébédée, d’ailleurs. Signifie-t-elle en effet autre chose que : « et nous alors ? »

Décidément, on apprend difficilement. Évidemment les disciples n'ont sans doute pas clairement compris, ici comme dans l'épisode précédent, que Jésus vient de leur parler de lui en mentionnant le Fils de l'Homme. Et ils n'ont pas reçu ses annonces de sa propre crucifixion, présentée comme la coupe et le baptême qu'il doit boire, de façon littérale.

Mais Jésus vient ainsi de leur donner une réponse, apparemment obscure, il est vrai. Elle concerne sa prochaine persécution. Pourront-ils la partager ? Plutôt que le triomphe, c’est le rejet qui les attend. Ils le partageront, il est vrai, chacun à sa façon, comme tous les disciples. Mais ce qu'ils demandent, ils l'ignorent, leur répète Jésus. On va y revenir, pour saisir mieux de quoi il s'agit en fait dans les « positions » à droite et à gauche de Jésus.

Comme tout au long de l'évangile, les disciples ont de la peine à comprendre et à accepter que Jésus va mourir, et mourir ainsi, crucifié — selon le châtiment que pratiquent les Romains — par des Romains que eux s’attendaient sans doute à voir renversés. Il leur semble tellement invraisemblable que Dieu veuille que celui en qui ils voient le Messie meure ainsi qu'ils n'arrivent pas à l'entendre même quand Jésus le leur répète de façon explicite. C'est qu'ils attendent un règne, l’élévation de Jésus dans la gloire divine, pas une vie humiliée, « brisée par la souffrance » ; pas une vie donnée en rançon pour beaucoup, pour reprendre les termes des prophètes que Jésus s’applique.

Évidemment donc, une fois encore les disciples n'ont pas compris ce que Jésus donnait en réponse aux frères Zébédée. Alors, il les éclaire à nouveau — un peu plus : le plus grand dans son Royaume est celui qui est serviteur de tous…

Mais que cela est lourd, sinon à saisir, du moins à vivre !

Et nous ? Quel poste revendiquons-nous dans les ministères de ce Royaume où il n'y a ni Juif ni païen, ni homme ni femme, ni esclave ni libre ? Quel service attendons-nous de celui ou celle vers qui Dieu nous envoie pour servir ?

Mais voilà — en un monde où prime la compétition — voilà qu’une autre dimension est offerte par le Christ, mystérieuse et cachée — la source d’un vrai apaisement ! Laisser à Dieu le soin de savoir ce qui revient à chacun. Et puis, ce que nous sommes vraiment, Dieu le sait, Dieu qui nous envoie servir, simplement, tel que nous sommes.

En attendant le Royaume donc, être simplement serviteurs : le trône du Christ est sa croix, sa couronne est d'épines. La coupe qu'il doit boire est son supplice, son baptême est son engloutissement dans les eaux sombres de la mort.

Voilà certes qui semble peu enviable, quand on espère des postes similaires à ceux des royaumes de ce monde. Mais mon Royaume n’est pas de ce monde dira bientôt Jésus à Pilate. Et du cœur de cela, je vous donne ma paix. Vous recevrez ce que Dieu vous prépare, le meilleur pour vous.

Il est donc vrai que les disciples recevront de toute façon la place qui leur est réservée dans le Royaume. Mais comme Dieu l'entendra — en fait à travers la souffrance partagée du Christ.

Concrètement il est aussi question des épreuves de nos vies (chose qui, on le sait, existe) mais transfigurées par lui ; ce qui n’est donc évidemment pas nécessairement dans un martyre personnel. Ce qu’il faut rappeler car, quant aux places à sa droite et à sa gauche, pour en parler maintenant, on saura alors bientôt ce qu’il en est : celles des brigands crucifiés de part et d’autre de Jésus (cf. Mc 15, 27).

Et puisque les postes à sa droite et à sa gauche sont ceux de ces hommes, point exemplaires, on le sait, qui l'entourent sur la croix, il est encore ici question d’humilité ; pas question non plus dès lors pour les disciples d’entrer dans les paradoxes de la folie, qui feraient de la mort une gloire, pour s'octroyer cette prétendue gloire du martyre ; au prix des pleurs et de la souffrance d’autrui.

Quoiqu’il arrive, c’est Dieu qui décide, et pour nous aussi ; pour certains disciples, comme pour Jésus (il parle à quelques jours du moment tragique que l’on sait) ; pour lui, pour certains aussi de ceux qui ont lutté par la suite pour notre liberté d’aujourd’hui, il faudra certes mourir. Mais rien à arracher dans je ne sais quel orgueil. Servir simplement, chose peut-être plus malaisée que le martyre !

Pour nous aussi il nous appartient simplement de servir, et c’est au fond cela qui est difficile quant à suivre de Jésus ; servir, non être servis, quelle qu’en soit la façon. C’est bien sûr le programme pour lequel nous sommes appelés, si nous voulons le suivre. Et nous en sommes bien incapables. D’où cette consolation — Hé 4, 14-16 : « il a été éprouvé en tous points comme nous, mais sans pécher — c’est-à-dire sans succomber à l’orgueil, fût-ce celui d’un martyre glorieux, à la corruption, à la facilité, etc. Avançons-nous donc avec pleine assurance vers le trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être aidés » quand nécessaire : il a été à notre place.



 


R.P.,
Vence, 22 octobre 2006





08:30 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

16 octobre 2006

L’homme riche



 

  

« Alors qui peut être sauvé? »



 


 
 

   

 



Marc 10:17-31

17  Comme il se mettait en route, quelqu’un vint en courant et se jeta à genoux devant lui; il lui demandait: "Bon Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage?"
18  Jésus lui dit: "Pourquoi m’appelles-tu bon? Nul n’est bon que Dieu seul.
19  Tu connais les commandements: Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne feras de tort à personne, honore ton père et ta mère."
20  L’homme lui dit: "Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse."
21  Jésus le regarda et se prit à l’aimer; il lui dit: "Une seule chose te manque; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens, suis-moi."
22  Mais à cette parole, il s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
23  Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples: "Qu’il sera difficile à ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu!"
24  Les disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète: "Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu!
25  Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu."
26  Ils étaient de plus en plus impressionnés; ils se disaient entre eux: "Alors qui peut être sauvé?"
27  Fixant sur eux son regard, Jésus dit: "Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu."
28  Pierre se mit à lui dire: "Eh bien! nous, nous avons tout laissé pour te suivre."
29  Jésus lui dit: "En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Evangile,
30  sans recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle.
31  Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers."



*



L'homme et les commandements

Renvoyé à Dieu seul ! L'homme riche en appelle à Jésus qu'il sait à si juste titre pouvoir considérer comme "bon Maître". Jésus le renvoie à Dieu seul en lui rappelant le résumé de la Loi : ses responsabilités à l'égard de ses prochains. Seul responsable devant Dieu. Voilà qui semble ne pas l’aider !

Et l'homme d’affirmer alors s'en être tenu aux commandements dès sa jeunesse ; ce qui renvoie au temps où il a appris à connaître la Loi, le temps de la "bar mitsvah", âge de la responsabilité devant Dieu.

Matthieu et Luc l'ont souligné en parlant d'un jeune homme riche, le titre courant de notre passage.

Marc, lui, ne parle jamais de la jeunesse de l'homme, malgré ce que nos habitudes lui attribuent, ce qui nous permet de bien saisir que cela nous concerne évidemment tous, quel que soit notre âge.

Nous connaissons les commandements de Dieu, source de la libération, nous connaissons l'Évangile de la liberté, à nous de vivre cette liberté. Responsables devant sa Loi, et appelés à la liberté.

Dieu ne cesse de nous appeler hors de notre esclavage pour nous accorder une liberté qui nous coûtera nécessairement cher — le texte parlera carrément de persécutions —, cher donc, y compris sur le plan strictement financier.


L'homme et la liberté

Et là on va passer du premier plan de notre texte, la relation aux commandements qui nous place dans la responsabilité, celle de servir, à un second plan, celui où en même temps le commandement nous dépouille de notre volonté d'être servis, comme des riches ; un plan où il nous met dans l'humilité devant Dieu, en nous disant l'exigence qui est celle de l'obéissance.

Face au commandement reconnu, nous sommes à nu, dans une radicale humilité, disponibles à être aimés. Jésus l'aima, dit le texte à propos de l'homme en question.

Dépouillés, seuls devant Dieu. C'est ce que Dieu nous demande à tous.

Rupture d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. Rupture notamment, donc, d'avec nos biens, et même d’avec nos proches et puis d’avec nous-mêmes. Au devant de cela, il est question de nos biens. C'est là le test décisif. C'est là que Jésus rend le problème de son interlocuteur visible. Les parents, les proches, il y revient après, avec ses disciples.

C'est fondamental, mais plus difficilement visible. La question de ses biens rend l'esclavage de l'homme clairement visible : il n'est pas face à Dieu, comme l'exige la "bar mitsvah", mais face à son statut social, à ce que l'on pense de lui, à la façon dont on le regarde, ou en termes de biens, face au crédit que lui donne sa richesse. Où le respect des commandements, réel, et utile — rien à dédaigner dans ce comportement d’un homme que Jésus apprécie — s’avère fonder son vrai sens, quant à la liberté.

Car en regard de ce qu’il en est pour cet homme de son statut et de son prestige, où ce respect des commandements devient un des éléments du prestige social  — s’il n’est question que de cet angle-là, l’homme y perd sa liberté, ou plutôt il ne l'a pas acquise : il a reçu du commandement non pas l'humilité qui libère et que crée l'exigence de l'obéissance, mais la prestance de celui qui est donné pour être en règle.

Où il perd la liberté de considérer les autres autrement que de haut ; dans notre texte, celle de considérer les pauvres comme dignes de bénéficier eux aussi de sa richesse, puisqu’il s’agit de la leur distribuer ; mais elle a trop d'importance pour sa vie !

Où l’on touche au cœur des choses ! Au point que — je crois pouvoir dire qu’en prédication (et Jésus prêche à ce moment-là pour cet homme) — c’est un lieu particulier de problème que de toucher concrètement ces questions-là. Ce qui semble traduire — le problème du coût de la grâce. Un malaise que peut percevoir tout prédicateur au point d’être tenté face à cela — c’est un aveu — de se laisser aller à nuancer d’Évangile, voire changer de sujet de prédication !

Je pense à plusieurs exemples de ces lieux de malaise : tel sujet de prédication faisant allusion à l’insignifiance des hiérarchies sociales pour Jésus quant au salut par exemple — voilà une confrontation (notamment en présence de notables) qui quand elle est concrète, coûte plus qu’on ne croit — ; tel autre sujet qui questionne le vrai coût, infini, de la grâce en comparaison de celui, bien moindre au fond, qu’indiquent pour symboliser la valeur de l’être de leurs patients psychanalystes, médecin — ou même à un tout autre plan, plombiers. Et l’on pourrait multiplier les exemples concernant la question du coût d’un vrai rapport avec Dieu, et la gêne de le mentionner. Comme aussi dire ce que sont prêts à payer les croyants des pays persécutés pour célébrer Dieu, à ce que, dans notre pays, on a accepté de payer aux temps des persécutions, aussi.

Quand on devient concret à ce point, celui du coût de la grâce, on risque toujours de se susciter une sourde résistance — sans compter celle qu’on sent en soi-même d’abord, sous la forme de la tentation : « nuance tout cela, arrondis l’Évangile, d’autant plus que tu te sens visé toi-même ». Une résistance qui se traduit de diverses façons : car on n’est attaqué que rarement de front à ce point-là. Cette résistance peut se traduire depuis des accusations de : « légalisme » à « trop compliqué » en passant par « trop simple », et par la question « où est l’Évangile dans tout cela ? ». Sous entendu : prêcher de la sorte n’est pas de l’Évangile !

Eh bien précisément l’Évangile est là et nulle part ailleurs ! Il ne nous rencontre que là. Ailleurs, il est abstrait, n’engage pas. Ce qu’a bien perçu l’homme de notre texte, d’où sa tristesse.

La grâce coûtera tout. Voilà ce que dit Jésus par ses propos à notre homme. Et c’est là ce que l’on évite en permanence, se contentant de l’Évangile comme scandale pour la raison — quand on aura dit les miracles et la résurrection — ; si encore on n’atténue pas même cela !

Mais le vrai scandale est plus que celui de la seule raison qui refuse ce qui n’est pas raisonnable. Le scandale de l’Évangile est en ce qu’il faut abandonner ! La parole de la croix, n‘est pas la peinture d’un crucifix. Prendre sa croix est suivre Jésus en abandonnant jusqu’à sa propre vie. On l’a à nouveau à la fin de notre texte, lorsque Jésus explique aux disciples ce qui s’est passé avec le riche triste. Tout abandonner, et cela concrètement…

Car les disciples ont compris l’enjeu : qui peut être sauvé, à ce compte ?

 

*



Revenons à notre homme. Il vit dans le mensonge de sa propre justice — apparente, quoique réelle. Il n'est dès lors pas libéré — non plus que de la dépendance des hommes, à commencer par le regard de ses proches. Il est, comme l'ont relevé Matthieu et Luc, un jeune homme, un perpétuel jeune homme, dont la "bar mitsvah" manque toujours de sa conséquence : la liberté.


L'homme frustré

L’homme est à présent face au Christ auquel il s'est adressé au départ, mais frustré. C'est qu'il n'est d'être à l'image du Christ, d'être vrai, que devant Dieu seul, seul bon. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout ce dont notre vie serait censée dépendre, à commencer bien sûr par les parents et tous les proches — Jésus le dira à ses disciples, et jusqu'à tout ce qui peut donner un statut social, et notamment par la richesse. Et là c’est concret. Que cela paraît difficile !

Mais il n'est en dehors de cela pas de liberté possible, pas de libération évangélique, pas d'être digne du Christ. Pas plus d'entrée dans le Royaume de Dieu qu'il n'est pour un chameau de passage à travers un trou d'aiguille. Impossible, donc, comme le remarquent les disciples.

Impossible aux hommes !… mais pas à Dieu. Encore le même retour : se placer sous son regard, hors du mensonge.

Sans quoi reste la tristesse d'être toujours dépendant, toujours frustré, de passer sa vie à s'en repartir tout triste.

Il faut en fait « abandonner père, mère, ses biens, etc., pour être digne de moi », dit Jésus. Cela pour mettre fin à la frustration de n'être jamais soi-même. Et Jésus l’a dit concrètement à l’homme triste : « tes biens ! » Car çà, c’est concret, pour lui. On sait en effet très bien qu’abandonner se proches ne veut pas dire partir au désert et les laisser se débrouiller. Ici l’abandon est en quelque sorte symbolique : par exemple se préparer à l’inéluctable. Comme pour sa propre vie : il faudra partir… Mais en son temps. Donc tout va bien pour le moment. Mais pour notre homme, Jésus a eu l’occasion de dire ce qu’il en est concrètement : la grâce gratuite te coûtera tout, tôt ou tard. Tu devras tout laisser, et donc le savoir, l’accomplir, dès maintenant. Ce à quoi tu veux t’engager en me posant ta question, celle du salut, je te dis à présent ce qu’il en est. Tu veux connaître le salut ? Mais ça va tout te coûter. Tout. Dieu ne te laissera rien. Alors va, vends tout, distribue tout.

« Ce salut est impossible », ont dit les disciples. « C’est vrai ! » répond Jésus. Alors, « comptez sur Dieu… Suivez son appel avec confiance, jour après jours, sachant que cela vous coûtera tout. » Tout !

Et cela nous vaudra de recevoir dès cette vie, au centuple ce qu'il nous a semblé si dur de lâcher. Cela coûte tout, jusqu'à la persécution : déjà celle de subir la moquerie, pour prix de n'être pas comme un mouton.

Il n'est pas facile de se résoudre à recevoir ce qui ressemble à sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté.


Un monde nouveau

Alors seulement, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir. Un monde de relations humaines basées sur la reconnaissance de l'autre pour lui-même, être créé selon l'image de Dieu manifestée en Christ. Où l’on voit que c’est bien là l’Évangile, ou sa réception concrète.

S’ouvre alors une réelle possibilité d'accueil du prochain (n’oublions pas, il est question des commandements dans ce texte) ; accueil du prochain, celui qui s’approche, tel qu'il nous est donné sous le regard de Dieu, tel qu'il est, un regard qui nous en dévoile la valeur infinie. Les proches, Jésus y revient avec ses disciples. Un prochain radicalement autre, personnellement à l'image de Dieu, c'est-à-dire irréductible à ce à quoi nous voudrions le limiter. Le fruit de ce que dit Jésus au riche : « distribuer ses biens aux pauvres ». Qu'elle est dure, la liberté !


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Voilà tout un programme, et qui n'est pas facultatif — qui est le salut. Qui permet une réelle découverte de Dieu et de notre prochain ! Cette découverte de ce prochain, riche en Dieu face à nous-mêmes — à commencer par ces prochains que sont nos enfants, nos parents… —, et de nous-mêmes, ne se fera qu'à travers la rupture que le Christ opère entre eux et nous, entre nous et nous. Qu'à travers notre abandon à Dieu ! Et concrètement, il s’agit d’abord bel et bien, de nos biens, de tous nos biens.



R.P.,
Antibes, 15 octobre 2006

       




11:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)