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16 octobre 2006

L’homme riche



 

  

« Alors qui peut être sauvé? »



 


 
 

   

 



Marc 10:17-31

17  Comme il se mettait en route, quelqu’un vint en courant et se jeta à genoux devant lui; il lui demandait: "Bon Maître, que dois-je faire pour recevoir la vie éternelle en partage?"
18  Jésus lui dit: "Pourquoi m’appelles-tu bon? Nul n’est bon que Dieu seul.
19  Tu connais les commandements: Tu ne commettras pas de meurtre, tu ne commettras pas d’adultère, tu ne voleras pas, tu ne porteras pas de faux témoignage, tu ne feras de tort à personne, honore ton père et ta mère."
20  L’homme lui dit: "Maître, tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse."
21  Jésus le regarda et se prit à l’aimer; il lui dit: "Une seule chose te manque; va, ce que tu as, vends-le, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens, suis-moi."
22  Mais à cette parole, il s’assombrit et il s’en alla tout triste, car il avait de grands biens.
23  Regardant autour de lui, Jésus dit à ses disciples: "Qu’il sera difficile à ceux qui ont les richesses d’entrer dans le Royaume de Dieu!"
24  Les disciples étaient déconcertés par ces paroles. Mais Jésus leur répète: "Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume de Dieu!
25  Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu."
26  Ils étaient de plus en plus impressionnés; ils se disaient entre eux: "Alors qui peut être sauvé?"
27  Fixant sur eux son regard, Jésus dit: "Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu."
28  Pierre se mit à lui dire: "Eh bien! nous, nous avons tout laissé pour te suivre."
29  Jésus lui dit: "En vérité, je vous le déclare, personne n’aura laissé maison, frères, sœurs, mère, père, enfants ou champs à cause de moi et à cause de l’Evangile,
30  sans recevoir au centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons, frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec des persécutions, et dans le monde à venir la vie éternelle.
31  Beaucoup de premiers seront derniers et les derniers seront premiers."



*



L'homme et les commandements

Renvoyé à Dieu seul ! L'homme riche en appelle à Jésus qu'il sait à si juste titre pouvoir considérer comme "bon Maître". Jésus le renvoie à Dieu seul en lui rappelant le résumé de la Loi : ses responsabilités à l'égard de ses prochains. Seul responsable devant Dieu. Voilà qui semble ne pas l’aider !

Et l'homme d’affirmer alors s'en être tenu aux commandements dès sa jeunesse ; ce qui renvoie au temps où il a appris à connaître la Loi, le temps de la "bar mitsvah", âge de la responsabilité devant Dieu.

Matthieu et Luc l'ont souligné en parlant d'un jeune homme riche, le titre courant de notre passage.

Marc, lui, ne parle jamais de la jeunesse de l'homme, malgré ce que nos habitudes lui attribuent, ce qui nous permet de bien saisir que cela nous concerne évidemment tous, quel que soit notre âge.

Nous connaissons les commandements de Dieu, source de la libération, nous connaissons l'Évangile de la liberté, à nous de vivre cette liberté. Responsables devant sa Loi, et appelés à la liberté.

Dieu ne cesse de nous appeler hors de notre esclavage pour nous accorder une liberté qui nous coûtera nécessairement cher — le texte parlera carrément de persécutions —, cher donc, y compris sur le plan strictement financier.


L'homme et la liberté

Et là on va passer du premier plan de notre texte, la relation aux commandements qui nous place dans la responsabilité, celle de servir, à un second plan, celui où en même temps le commandement nous dépouille de notre volonté d'être servis, comme des riches ; un plan où il nous met dans l'humilité devant Dieu, en nous disant l'exigence qui est celle de l'obéissance.

Face au commandement reconnu, nous sommes à nu, dans une radicale humilité, disponibles à être aimés. Jésus l'aima, dit le texte à propos de l'homme en question.

Dépouillés, seuls devant Dieu. C'est ce que Dieu nous demande à tous.

Rupture d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. Rupture notamment, donc, d'avec nos biens, et même d’avec nos proches et puis d’avec nous-mêmes. Au devant de cela, il est question de nos biens. C'est là le test décisif. C'est là que Jésus rend le problème de son interlocuteur visible. Les parents, les proches, il y revient après, avec ses disciples.

C'est fondamental, mais plus difficilement visible. La question de ses biens rend l'esclavage de l'homme clairement visible : il n'est pas face à Dieu, comme l'exige la "bar mitsvah", mais face à son statut social, à ce que l'on pense de lui, à la façon dont on le regarde, ou en termes de biens, face au crédit que lui donne sa richesse. Où le respect des commandements, réel, et utile — rien à dédaigner dans ce comportement d’un homme que Jésus apprécie — s’avère fonder son vrai sens, quant à la liberté.

Car en regard de ce qu’il en est pour cet homme de son statut et de son prestige, où ce respect des commandements devient un des éléments du prestige social  — s’il n’est question que de cet angle-là, l’homme y perd sa liberté, ou plutôt il ne l'a pas acquise : il a reçu du commandement non pas l'humilité qui libère et que crée l'exigence de l'obéissance, mais la prestance de celui qui est donné pour être en règle.

Où il perd la liberté de considérer les autres autrement que de haut ; dans notre texte, celle de considérer les pauvres comme dignes de bénéficier eux aussi de sa richesse, puisqu’il s’agit de la leur distribuer ; mais elle a trop d'importance pour sa vie !

Où l’on touche au cœur des choses ! Au point que — je crois pouvoir dire qu’en prédication (et Jésus prêche à ce moment-là pour cet homme) — c’est un lieu particulier de problème que de toucher concrètement ces questions-là. Ce qui semble traduire — le problème du coût de la grâce. Un malaise que peut percevoir tout prédicateur au point d’être tenté face à cela — c’est un aveu — de se laisser aller à nuancer d’Évangile, voire changer de sujet de prédication !

Je pense à plusieurs exemples de ces lieux de malaise : tel sujet de prédication faisant allusion à l’insignifiance des hiérarchies sociales pour Jésus quant au salut par exemple — voilà une confrontation (notamment en présence de notables) qui quand elle est concrète, coûte plus qu’on ne croit — ; tel autre sujet qui questionne le vrai coût, infini, de la grâce en comparaison de celui, bien moindre au fond, qu’indiquent pour symboliser la valeur de l’être de leurs patients psychanalystes, médecin — ou même à un tout autre plan, plombiers. Et l’on pourrait multiplier les exemples concernant la question du coût d’un vrai rapport avec Dieu, et la gêne de le mentionner. Comme aussi dire ce que sont prêts à payer les croyants des pays persécutés pour célébrer Dieu, à ce que, dans notre pays, on a accepté de payer aux temps des persécutions, aussi.

Quand on devient concret à ce point, celui du coût de la grâce, on risque toujours de se susciter une sourde résistance — sans compter celle qu’on sent en soi-même d’abord, sous la forme de la tentation : « nuance tout cela, arrondis l’Évangile, d’autant plus que tu te sens visé toi-même ». Une résistance qui se traduit de diverses façons : car on n’est attaqué que rarement de front à ce point-là. Cette résistance peut se traduire depuis des accusations de : « légalisme » à « trop compliqué » en passant par « trop simple », et par la question « où est l’Évangile dans tout cela ? ». Sous entendu : prêcher de la sorte n’est pas de l’Évangile !

Eh bien précisément l’Évangile est là et nulle part ailleurs ! Il ne nous rencontre que là. Ailleurs, il est abstrait, n’engage pas. Ce qu’a bien perçu l’homme de notre texte, d’où sa tristesse.

La grâce coûtera tout. Voilà ce que dit Jésus par ses propos à notre homme. Et c’est là ce que l’on évite en permanence, se contentant de l’Évangile comme scandale pour la raison — quand on aura dit les miracles et la résurrection — ; si encore on n’atténue pas même cela !

Mais le vrai scandale est plus que celui de la seule raison qui refuse ce qui n’est pas raisonnable. Le scandale de l’Évangile est en ce qu’il faut abandonner ! La parole de la croix, n‘est pas la peinture d’un crucifix. Prendre sa croix est suivre Jésus en abandonnant jusqu’à sa propre vie. On l’a à nouveau à la fin de notre texte, lorsque Jésus explique aux disciples ce qui s’est passé avec le riche triste. Tout abandonner, et cela concrètement…

Car les disciples ont compris l’enjeu : qui peut être sauvé, à ce compte ?

 

*



Revenons à notre homme. Il vit dans le mensonge de sa propre justice — apparente, quoique réelle. Il n'est dès lors pas libéré — non plus que de la dépendance des hommes, à commencer par le regard de ses proches. Il est, comme l'ont relevé Matthieu et Luc, un jeune homme, un perpétuel jeune homme, dont la "bar mitsvah" manque toujours de sa conséquence : la liberté.


L'homme frustré

L’homme est à présent face au Christ auquel il s'est adressé au départ, mais frustré. C'est qu'il n'est d'être à l'image du Christ, d'être vrai, que devant Dieu seul, seul bon. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout ce dont notre vie serait censée dépendre, à commencer bien sûr par les parents et tous les proches — Jésus le dira à ses disciples, et jusqu'à tout ce qui peut donner un statut social, et notamment par la richesse. Et là c’est concret. Que cela paraît difficile !

Mais il n'est en dehors de cela pas de liberté possible, pas de libération évangélique, pas d'être digne du Christ. Pas plus d'entrée dans le Royaume de Dieu qu'il n'est pour un chameau de passage à travers un trou d'aiguille. Impossible, donc, comme le remarquent les disciples.

Impossible aux hommes !… mais pas à Dieu. Encore le même retour : se placer sous son regard, hors du mensonge.

Sans quoi reste la tristesse d'être toujours dépendant, toujours frustré, de passer sa vie à s'en repartir tout triste.

Il faut en fait « abandonner père, mère, ses biens, etc., pour être digne de moi », dit Jésus. Cela pour mettre fin à la frustration de n'être jamais soi-même. Et Jésus l’a dit concrètement à l’homme triste : « tes biens ! » Car çà, c’est concret, pour lui. On sait en effet très bien qu’abandonner se proches ne veut pas dire partir au désert et les laisser se débrouiller. Ici l’abandon est en quelque sorte symbolique : par exemple se préparer à l’inéluctable. Comme pour sa propre vie : il faudra partir… Mais en son temps. Donc tout va bien pour le moment. Mais pour notre homme, Jésus a eu l’occasion de dire ce qu’il en est concrètement : la grâce gratuite te coûtera tout, tôt ou tard. Tu devras tout laisser, et donc le savoir, l’accomplir, dès maintenant. Ce à quoi tu veux t’engager en me posant ta question, celle du salut, je te dis à présent ce qu’il en est. Tu veux connaître le salut ? Mais ça va tout te coûter. Tout. Dieu ne te laissera rien. Alors va, vends tout, distribue tout.

« Ce salut est impossible », ont dit les disciples. « C’est vrai ! » répond Jésus. Alors, « comptez sur Dieu… Suivez son appel avec confiance, jour après jours, sachant que cela vous coûtera tout. » Tout !

Et cela nous vaudra de recevoir dès cette vie, au centuple ce qu'il nous a semblé si dur de lâcher. Cela coûte tout, jusqu'à la persécution : déjà celle de subir la moquerie, pour prix de n'être pas comme un mouton.

Il n'est pas facile de se résoudre à recevoir ce qui ressemble à sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté.


Un monde nouveau

Alors seulement, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, peut advenir. Un monde de relations humaines basées sur la reconnaissance de l'autre pour lui-même, être créé selon l'image de Dieu manifestée en Christ. Où l’on voit que c’est bien là l’Évangile, ou sa réception concrète.

S’ouvre alors une réelle possibilité d'accueil du prochain (n’oublions pas, il est question des commandements dans ce texte) ; accueil du prochain, celui qui s’approche, tel qu'il nous est donné sous le regard de Dieu, tel qu'il est, un regard qui nous en dévoile la valeur infinie. Les proches, Jésus y revient avec ses disciples. Un prochain radicalement autre, personnellement à l'image de Dieu, c'est-à-dire irréductible à ce à quoi nous voudrions le limiter. Le fruit de ce que dit Jésus au riche : « distribuer ses biens aux pauvres ». Qu'elle est dure, la liberté !


*



Voilà tout un programme, et qui n'est pas facultatif — qui est le salut. Qui permet une réelle découverte de Dieu et de notre prochain ! Cette découverte de ce prochain, riche en Dieu face à nous-mêmes — à commencer par ces prochains que sont nos enfants, nos parents… —, et de nous-mêmes, ne se fera qu'à travers la rupture que le Christ opère entre eux et nous, entre nous et nous. Qu'à travers notre abandon à Dieu ! Et concrètement, il s’agit d’abord bel et bien, de nos biens, de tous nos biens.



R.P.,
Antibes, 15 octobre 2006

       




11:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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