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03 juillet 2006

« Jeune fille, lève-toi »





 

  « Je dormais mais je m'éveille »   





 




Louange Psaume 30 :
1 Chant pour la dédicace de la maison de David.
Je veux proclamer ta grandeur, Seigneur, car tu m’as relevé, Tu n’as pas laissé mes ennemis se réjouir à mon sujet.
2 Seigneur mon Dieu, je t’ai appelé à l’aide et tu m’as guéri.
3 Tu m’as fait remonter du monde des morts; j’avais un pied dans la tombe, mais tu m’as rendu la vie, Seigneur.
4 Célébrez le Seigneur par vos chants, vous ses fidèles. Louez-le en rappelant qu’il est Dieu.
5 Pour un instant sous sa colère, toute une vie dans sa faveur. Le soir s’attardent les pleurs, mais au matin crie la joie.
6 Je me croyais tranquille et je disais: "Rien ne me mettra jamais en danger."
7 Seigneur, dans ta bienveillance, tu m’avais assuré une forte position. Mais tu as caché ta face, et me voilà plongé dans le désarroi.
8 Seigneur, je t’appelle à mon secours; toi qui es mon Maître, je t’implore.
9 Que gagnes-tu à ma mort, à ma descente en la tombe? Te loue-t-elle, la poussière ? Proclame-t-elle ta fidélité?
10 Seigneur, écoute, accorde-moi ton appui; Seigneur, viens à mon secours.
11 Tu as changé ma plainte en danse de joie, tu m’as ôté mon vêtement de deuil, tu l’as remplacé par un habit de fête.
12 Alors, de tout mon cœur je n’en finirai pas de célébrer ta gloire par mes chants. Seigneur mon Dieu, je te louerai toujours.



 *


Marc 5, 21-43
21 Quand Jésus eut regagné en barque l'autre rive, une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer.
22 Arrive l'un des chefs de la synagogue, nommé Jaïros : voyant Jésus, il tombe à ses pieds
23 et le supplie avec insistance en disant : "Ma petite fille est près de mourir ; viens lui imposer les mains pour qu'elle soit sauvée et qu'elle vive."
24 Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait.


25 Une femme, qui souffrait d'hémorragies depuis douze ans
26 - elle avait beaucoup souffert du fait de nombreux médecins et avait dépensé tout ce qu'elle possédait sans aucune amélioration ; au contraire, son état avait plutôt empiré,
27 cette femme, donc, avait appris ce qu'on disait de Jésus. Elle vint par-derrière dans la foule et toucha son vêtement.
28 Elle se disait : "Si j'arrive à toucher au moins ses vêtements, je serai sauvée."
29 À l'instant, sa perte de sang s'arrêta et elle ressentit en son corps qu'elle était guérie de son mal.
30 Aussitôt Jésus s'aperçut qu'une force était sortie de lui. Il se retourna au milieu de la foule et il disait : "Qui a touché mes vêtements ?"
31 Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?
32 Mais il regardait autour de lui pour voir celle qui avait fait cela.
33 Alors la femme, craintive et tremblante, sachant ce qui lui était arrivé, vint se jeter à ses pieds et lui dit toute la vérité.
34 Mais il lui dit : "Ma fille, ta foi t'a sauvée ; va en paix et sois guérie de ton mal."

35 Il parlait encore quand arrivent, de chez le chef de la synagogue, des gens qui disent : "Ta fille est morte ; pourquoi ennuyer encore le Maître ?"
36 Mais, sans tenir compte de ces paroles, Jésus dit au chef de la synagogue : "Sois sans crainte, crois seulement."
37 Et il ne laissa personne l'accompagner, sauf Pierre, Jacques et Jean, le frère de Jacques.
38 Ils arrivent à la maison du chef de la synagogue. Jésus voit de l'agitation, des gens qui pleurent et poussent de grands cris.
39 Il entre et leur dit : "Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? L'enfant n'est pas morte, elle dort."
40 Et ils se moquaient de lui. Mais il met tout le monde dehors et prend avec lui le père et la mère de l'enfant et ceux qui l'avaient accompagné. Il entre là où se trouvait l'enfant,
41 il prend la main de l'enfant et lui dit : "Talitha qoum", ce qui veut dire : "Fillette, je te le dis, réveille-toi !"
42 Aussitôt la fillette se leva et se mit à marcher, — car elle avait douze ans. Sur le coup, ils furent tout bouleversés.
43 Et Jésus leur fit de vives recommandations pour que personne ne le sache, et il leur dit de donner à manger à la fillette.



*



Ce texte intercale un récit à un autre pour une raison bien précise. La clé de cela est dans la précision "douze ans" : la femme est atteinte d'une perte de sang depuis douze ans. La jeune fille a atteint ses douze ans. C'est l'âge où dans la tradition biblique un enfant atteint la maturité, la responsabilité, par la bar-mitsva, pour un garçon comme Jésus revendiquant à douze ans son autonomie devant Dieu face à ses parents ; l'équivalent pour une fille comme le montre notre récit. Or cela est une véritable mort pour les parents, ici pour le père Jaïros, appelé à être une sorte de Jephté laissant sa fille à Dieu seul — la perdant en la consacrant, mais pour qu’elle vive.

Le fait que Jésus croise cette femme qui perd son sang depuis douze ans, l'âge de la jeune fille, n'est pas dû au hasard. C'est pour Jésus, en chemin vers la fillette, un signe de ce qui va se passer. Cela dans le cadre de la solidarité des êtres humains. La femme devient comme la mère, au sens large, de la fillette. Comme pour dire, en écho anticipé d’une parole qui retentira plus tard : « femme voici ta fille, fille, voici ta mère ». Il s’agit déjà de rien moins que d’une résurrection !

L'accession de la fillette de sa vie d’enfant devant Jaïros à sa vie de femme devant Dieu suppose ce signe : la guérison de la femme ; le double miracle sera pour une guérison des deux femmes de la servitude de la biologie, de la chair, pour accéder à la vie de l’Esprit ; et pour la fillette, libération de sa dépendance de son père, Jaïros, chef de communauté religieuse de plus. La jeune fille revit, droite devant Dieu, exorcisée de toute peur.

Connaissez-vous le conte La belle au bois dormant, de Charles Perrault — lui-même connaissait-il ce récit de l'Évangile ?

Il était une fois un roi et une reine qui étaient si fâchés de n'avoir point d'enfants, si fâchés qu'on ne saurait dire. Enfin pourtant la reine devint grosse, et accoucha d'une fille : on donna pour marraines à la petite princesse toutes les fées qu'on pût trouver dans le pays (il s'en trouva sept), afin que chacune d'elles lui faisant un don, comme c'était la coutume des fées en ce temps-là, la princesse eût par ce moyen toutes les perfections imaginables.

La fée, les fées, comme un monde spirituel et mystérieux ; un monde ambigu que ce monde où la fillette n'est pas entrée, monde dangereux, qui attend la proclamation de la victoire du Christ.

Après les cérémonies du baptême, la compagnie revint au palais du roi, où il y avait un grand festin pour les fées. On mit devant chacune d'elles un couvert magnifique, avec un étui d'or massif, où il y avait une cuiller, une fourchette, et un couteau de fin or, garni de diamants et de rubis. Mais comme chacun prenait sa place à table, on vit entrer une vieille fée qu'on n'avait point priée parce qu'il y avait plus de cinquante ans qu'elle n'était sortie d'une tour et qu'on la croyait morte, ou enchantée. Le roi lui fit donner un couvert, mais il n'y eut pas moyen de lui donner un étui d'or massif, comme aux autres, parce que l'on n'en avait fait faire que sept pour les sept fées. La vieille crut qu'on la méprisait, et grommela quelques menaces entre ses dents.

Voilà une fée blessée, qui ne se remet pas d'un cycle de la vie qui va bientôt l'en exclure. Elle vieillit. La naissance de la fillette en est le signe. Sa féminité est blessée. Sa féminité en saigne continuellement : on ne se guérit pas de l'irrémédiable, le temps qui blesse, se ruinerait-on auprès des médecins et souffrirait-on beaucoup de leur fait, comme le dit le texte de l’Évangile quant à la femme. — Exclue, impure, selon la Loi, comme une mauvaise fée, une sorcière, son contact souille ce qu’elle touche. Mais, chose miraculeuse, le contact de Jésus, plus fort, purifie ce qu’il touche ! Jésus la guérira au prix de sa renonciation à sa blessure anonyme, renonciation qui renverse sa transgression, quant à l’impureté, en acte de foi. Elle l'a touché, il l'a su, sa guérison publiée la sort de l'anonymat de sa blessure. Mais on n'en est pas encore là.

Une des jeunes fées qui se trouva auprès d'elle l'entendit grommeler, et jugeant qu'elle pourrait donner quelque fâcheux don à la petite princesse, alla, dès qu'on fut sorti de table, se cacher derrière la tapisserie, afin de parler la dernière, et de pouvoir réparer autant qu'il lui serait possible le mal que la vieille aurait fait.
Cependant les fées commencèrent à faire leurs dons à la princesse. La plus jeune lui donna pour don qu'elle serait la plus belle du monde, celle d'après qu'elle aurait de l'esprit comme un ange, la troisième qu'elle aurait une grâce admirable à tout ce qu'elle ferait, la quatrième qu'elle danserait parfaitement bien, la cinquième qu'elle chanterait comme un rossignol, et la sixième qu'elle jouerait de toutes sortes d'instruments à la perfection. Le rang de la vieille fée étant venu, elle dit en branlant la tête, encore plus de dépit que de vieillesse, que la princesse se percerait la main d'un fuseau, et qu'elle en mourrait.


Préfiguration de la croix — au temps de la venue du sang, ici sang comme celui de la femme qui perd son sang — ou de la blessure d'un fuseau —, l'enfant meurt, ou plutôt, dit Jésus, elle dort.

Ce terrible don fit frémir toute la compagnie, et il n'y eut personne qui ne pleurât. Dans ce moment la jeune fée sortit de derrière la tapisserie, et dit tout haut ces paroles : "Rassurez-vous, roi et reine, votre fille n'en mourra pas : il est vrai que je n'ai pas assez de puissance pour défaire entièrement ce que mon ancienne a fait. La princesse se percera la main d'un fuseau ; mais au lieu d'en mourir, elle tombera seulement dans un profond sommeil qui durera cent ans, au bout desquels le fils d'un roi viendra la réveiller."

"Pourquoi cette agitation et ces pleurs ? — dit Jésus. L'enfant n'est pas morte, elle dort." L’enfant de la chair s’en va, l’enfant de Dieu qu'elle est va s'éveiller.
"Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon chéri qui frappe", dit le Cantique des Cantiques (ch.5, v.2) — "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite ; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."

Le roi — disons Jaïros —, pour tâcher d'éviter le malheur annoncé par la vieille, fit publier aussitôt un édit, par lequel il défendait à tous de filer au fuseau, ni d'avoir des fuseaux chez soi sous peine de mort.

Que ne ferait pas un père, ou une mère, pour conserver enfant son enfant.

Au bout de quinze ou seize ans — en fait douze ans, on le sait —, il arriva que la jeune princesse courant un jour dans le château, et montant de chambre en chambre, alla jusqu'au haut d'un donjon, où une bonne vieille était seule à filer sa quenouille. Cette bonne femme n'avait point entendu parler des défenses que le roi avait faites de filer au fuseau.
— "Que faites-vous là, ma bonne femme ?" dit la princesse.
— "Je file, ma belle enfant" lui répondit la vieille qui ne la connaissait pas.
— "Ha ! que cela est joli" reprit la princesse, "comment faites-vous ? Donnez-moi que je voie si j'en ferais bien autant."
Elle n'eut pas plus tôt pris le fuseau, que comme elle était fort vive, un peu étourdie, et que d'ailleurs l'arrêt des fées l'ordonnait ainsi, elle s'en perça la main, et tomba évanouie.
Alors le roi se souvint de la prédiction des fées, et jugeant bien qu'il fallait que cela arrivât, puisque les fées l'avaient dit, fit mettre la princesse dans le plus bel appartement du palais, sur un lit en broderie d'or et d'argent.
La bonne fée qui lui avait sauvé la vie en fut avertie. La fée partit aussitôt, et on la vit au bout d'une heure arriver dans un chariot tout de feu, traîné par des dragons. Le roi lui alla présenter la main à la descente du chariot. Elle approuva tout ce qu'il avait fait; mais comme elle était grandement prévoyante, elle pensa que quand la princesse viendrait à se réveiller, elle serait bien embarrassée toute seule dans ce vieux château.
Voici ce qu'elle fit : elle toucha de sa baguette tout ce qui était dans ce château (hors le roi et la reine), gouvernantes, filles d'honneur, femmes de chambre, gentilshommes, officiers. Il crût dans un quart d'heure tout autour du parc une si grande quantité de grands arbres et de petits, de ronces et d'épines entrelacées les unes dans les autres, que bête ni homme n'y aurait pu passer : en sorte qu'on ne voyait plus que le haut des tours du château, encore n'était-ce que de bien loin. On ne douta point que la fée n'eût encore fait là un tour de son métier, afin que la princesse, pendant qu'elle dormirait, n'eût rien à craindre des curieux.
Au bout de cent ans, le fils du roi qui régnait alors, et qui était d'une autre famille que la princesse endormie, étant allé à la chasse de ce côté-là, demanda ce que c'était que ces tours qu'il voyait au-dessus d'un grand bois fort épais. Un vieux paysan prit la parole, et lui dit :
— "Mon prince, il y a plus de cinquante ans que j'ai entendu dire de mon père qu'il y avait dans ce château une princesse, la plus belle du monde ; qu'elle devait y dormir cent ans, et qu'elle serait réveillée par le fils d'un roi, à qui elle était réservée."
Le jeune prince résolut de voir sur-le-champ ce qu'il en était. A peine s'avança-t-il vers le bois, que tous ces grands arbres, ces ronces et ces épines s'écartèrent d'eux-mêmes pour le laisser passer
:

Jésus s'en alla avec lui ; une foule nombreuse le suivait et l'écrasait. Ses disciples lui disaient : "Tu vois la foule qui te presse et tu demandes : Qui m'a touché ?

Il marche vers le château qu'il voyait au bout d'une grande avenue où il entra, et ce qui le surprit un peu, il vit que personne de ses gens ne l'avait pu suivre, parce que les arbres s'étaient rapprochés dès qu'il avait été passé. Il continua donc son chemin. Il entra dans une grande avant-cour où tout ce qu'il vit d'abord était capable de le glacer de crainte : c'était un silence affreux, l'image de la mort s'y présentait partout, et ce n'était que des corps étendus d'hommes et d'animaux, qui paraissaient morts. Il traverse plusieurs chambres pleines de gentilshommes et de dames, dormant tous, les uns debout, les autres assis ; il entre dans une chambre toute dorée, et il vit sur un lit, dont les rideaux étaient ouverts de tous côtés, le plus beau spectacle qu'il eût jamais vu : une princesse qui paraissait avoir quinze ou seize ans — douze ans, en fait, on le sait.
Alors comme la fin de l'enchantement était venue, la princesse s'éveilla ; et le regardant avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre : "Est-ce vous, mon prince ? lui dit-elle, vous vous êtes bien fait attendre."

Ici, on quitte le conte où le prince épouse la princesse. On le quitte de la façon suivante : c’est dans un tout autre monde que celui qui était prévu par les fées que Jésus fait entrer la fillette. Jésus lui disant "Talitha qoum, jeune fille lève-toi", la fait se lever du sommeil de son enfance, de l’enfance spirituelle, à sa réalité d’enfant de Dieu, passant de la mort à l'ouverture vers la vie. Ce qu’on appelle un saut qualitatif, que même Jaïros n’avait pas prévu !

C'est à la liberté de l'Évangile à laquelle d'autres femmes ont accédé à Pâques, que Jésus nous donne, à nous tous, par ces femmes, d'accéder aujourd'hui. Il nous dépouille tous du sommeil de nos dépendances, comme la jeune fille ; de nos fausses espérances, comme celles, peut-être, de Jaïros avant ; de l'amertume de ce que nous aurions perdu, comme la femme qu'il guérit ; et nous dit à tous, dit à nos âmes ensommeillées dans l'oubli de leur Dieu, "jeune fille, lève-toi" : "Je dormais mais je m'éveille : j'entends mon chéri qui frappe !" (Lui) "Ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma colombe, ma parfaite; car ma tête est pleine de rosée ; mes boucles, des gouttes de la nuit."


R.P.,
Antibes,
2 juillet 2006


 

17:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

19 juin 2006

Rites…




 

SYMBOLES ET CÉRÉMONIES

 

 

 

 

 

 



 

Exode 24, 3 & 7-8
3  Moïse vint raconter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes les règles. Tout le peuple répondit d’une seule voix: "Toutes les paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique."
[…]

7  Il prit le livre de l’alliance et en fit lecture au peuple. Celui-ci dit: "Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous l’entendrons."
8  Moïse prit le sang, en aspergea le peuple et dit: "Voici le sang de l’alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous, sur la base de toutes ces paroles."  


Hébreux 9, 11-15
11  […] Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C'est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n'est pas oeuvre des mains - c'est-à-dire qui n'appartient pas à cette création-ci,
12  et par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu'il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu'il a obtenu une libération définitive.
13  Car si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps,
14  combien plus le sang du Christ, qui, par l'esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour servir le Dieu vivant.
15  Voilà pourquoi il est médiateur d'une alliance nouvelle, d'un testament nouveau; sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l'héritage éternel déjà promis.


Marc 14, 12-24
12  Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque, ses disciples […] disent [à Jésus] : "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?"
13  Et il envoie deux de ses disciples et leur dit: "Allez à la ville ; […]
15  […] c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous."
16  Les disciples partirent et allèrent à la ville […] et ils préparèrent la Pâque. 
17  Le soir venu, il arrive avec les Douze. […]

22  Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: "Prenez, ceci est mon corps."
23  Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous.
24  Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude."
 

 

*

 

Les rites divers, et plus particulièrement, sans doute, les sacrifices, ont pour fonction de graver en notre conscience le fait que tout rapprochement de Dieu coûte, coûte de la douleur, exprimée dans le sang versé des sacrifices, et divers rites marquant douleur et brisement. Ne croyons pas que de tels rites aient disparu. Ils existent aujourd’hui, sous une autre forme. Symbolique, aujourd’hui comme hier. Les anciens étaient comme nous conscients de la dimension symbolique de leurs rites.  

Nous avons sans doute accentué ce côté symbolique puisque des rites comme les sacrifices sont devenus plus rares, ou ont pris d'autres aspects. Et puisque nous avons inventé des moyens d'échange symboliques — l'argent à la place du troc —, le sacrifice est pour nous souvent d'argent. Cela dit, au prix du boucher, imaginez-vous offrant un bœuf, ou simplement un bouc.  

Vous souvenez-vous de cette publicité télévisuelle pour un serveur Internet gratuit où l'on voyait un touriste occidental marchander avec un commerçant arabe pour pouvoir payer l'objet artisanal qu'il voulait acheter, plus cher que ce que le commerçant lui proposait ?! Le message était « si ça vous rassure de payer, vous pouvez toujours nous envoyer vos chèques ». Le concepteur de cette publicité avait bien saisi ce qu'il en est. Effectivement, payer peut rassurer.  

C'est sur cela — ils nous le disent — que les psychanalystes ont mis en place leurs tarifs sans proportion apparente avec leur travail... Si chaque fois que, comme pasteurs, nous avions un entretien d'un quart d'heure avec un paroissien, nous lui demandions 100 €,... peut-être les églises seraient-elles plus pleines ! Enfin, si ça vous rassure de payer, chez le psychanalyste, pour paraphraser la publicité pour Internet (je précise que je n’entends pas, comme pasteur, les concurrencer ou me substituer à eux !).  

Reste que ce qu’ils ont compris, c’est que pour ce qui est important dans nos vies, ça nous rassure évidemment de payer parce qu'on sait bien au fond de nous que nous rapprocher de la vérité de nous-même, ou nous rapprocher de Dieu, cela coûte. Cela ne se fait pas n'importe comment. C'est là la vérité fondamentale de la pratique des sacrifices. Les anciens, de Moïse à l'auteur de l'Épître aux Hébreux, le savaient aussi bien que les psychanalystes. Ils étaient en tout cas apparemment très conscients du fait que nous avons besoin de pratiques de ce type. C'est au cœur du message l'Épître aux Hébreux :  

On est alors au tournant de la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Il va donc falloir s'en passer, et se passer, donc, des sacrifices. Ce qui n'est pas bon au plan de notre relation avec la vérité de nous-mêmes, au plan de notre relation avec Dieu. Alors l'Épître aux Hébreux insiste sur la dimension symbolique du sacrifice : ce n'est pas le sang des boucs et des taureaux qui guérit nos souffrances intérieures, notre éloignement d’avec Dieu.  

De même que ce n'est pas le fait même de soulager notre portefeuille chez le psychanalyste qui nous soulage en soi du poids de nos douleurs. C'est là un geste symbolique, disent les psychanalystes.  

Et c'est peut-être pour cela qu'on ne fait pas payer les entretiens pastoraux : pour bien dire, avec l'auteur de l'Épître aux Hébreux que c'est là une chose symbolique, au risque de faire imaginer, ce qui serait faux, qu'il n'y a pas besoin de sacrifices, de coût en argent et autres symboles. Si nos contemporains entendaient l'Épître aux Hébreux, peut-être nos temples seraient-ils plus pleins...  

C'est que notre besoin de nous rapprocher de Dieu est immense, aujourd'hui comme antan, à tout prix. Ce besoin est à proportion de l'ignorance que nous en avons. La détresse peut être telle que nous ne nous en rendions même plus compte. Pour illustrer cela, je rapporterai le témoignage d'un philosophe contemporain, Cioran. Il raconte à ce sujet une expérience qu'il a vécue. Je le cite : « A la frontière espagnole, quelques centaines de touristes, la plupart scandinaves, attendaient devant la douane. On apporte un télégramme à une dame forte, visiblement ibérique. Elle apprend, en l'ouvrant, le décès de sa mère et se met aussitôt à pousser des rugissements. Quelle aubaine, me disais-je, de pouvoir ainsi se décharger aussitôt de son chagrin, au lieu de le dissimuler, de le stocker, comme aurait fait n'importe lequel de ces blondasses qui regardaient ahuris et qui, victimes de leur discrétion et de leur tenue, se ruineront un jour chez le psychanalyste » (Cioran, Écartèlement, p. 123). C'est une simple illustration, il y en aurait bien d'autres, de cette détresse que connaissent les psychanalystes, on l'a dit, ou les concepteurs de publicité dont on a parlé, ou encore les entrepreneurs de pompes funèbres qui s’occuperont et de l’Espagnole en deuil et des touristes qui la regardent.

Une détresse liée à notre perte du sens de notre valeur, perte du contact avec le fond de nous-même, la vérité de nous-mêmes, ce que nous sommes réellement ; manque de contact avec Dieu, avec ce qui n'est pas passager et vain, avec ce qui « n'est pas de cette création ».  

Manque de contact avec la vérité dévoilée dans la résurrection du Christ, le Christ parvenu à une réalité qui ne passe pas. Parvenu à cette réalité avec son sang, dit l’Épître. Où l'on revient au prix, ce symbole, qui nous manque. Nous savons que nous sommes loin de Dieu, de notre vérité, à laquelle nous ne pouvons revenir qu'à grand prix. Au prix du rite, au prix de ce qui coûte, et qui coûte d'ailleurs infiniment plus que nous ne pouvons donner.  

La femme endeuillée qui crie à la frontière espagnole accomplit un rite en criant et en se débattant, ne nous y trompons pas, elle n'est pas dupe. Un rite qui, comme tout rite, lui coûte : cela lui coûte d'abord le regard méprisant des touristes discrets qui se disent : « qu'est ce que cette sauvage incapable de discrétion ? » Cela est aussi pour elle le point de départ d'une cérémonie funèbre qui sera coûteuse en argent, puis d'un temps de deuil en noir qui sera coûteux au plan des relations sociales et de leurs joies.  

Un rituel long, cher à plusieurs niveaux, mais qui met cette femme en relation avec elle-même, avec la vérité d'elle-même, ce qui est la fonction-même du rite, que les touristes qui se croient plus évolués se contentent de mépriser, comme ils mépriseront les objets artisanaux qu'ils estimeront avoir payé fort peu cher. Cela aura effectivement coûté peu, aussi bien leurs deuils que les objets exotiques qui orneront les meubles de leur salon. Mais cela reviendra très cher finalement, chez le psychanalyste, dit en raccourci Cioran.  

Eh bien tout cela est le prix, notamment des cultes que nous avons abandonnés à force de croire en avoir compris la dimension symbolique. Le culte au cœur du rituel de la vie. Le culte qui coûte. Qui coûte des dimanches matins de grasse matinée, qui coûte les cotisations de son entretien et de celui de la vie de l’Église et de la solidarité, car dans les sacrifices dont nous avons besoins, il est ici aussi question d'argent, évidemment.  

Le culte aussi coûte l'astreinte d'une pratique dont on ne voit plus très bien à quoi elle sert. C'est le prix de l'insistance sur la dimension symbolique, et donc sur le fait que pour un pragmatique, si c'est symbolique, cela ne sert à rien.  

L'auteur de l'Épître aux Hébreux en était tellement conscient qu'après avoir rappelé que tout cela est symbolique, donc qu'au plan pratique, cela ne sert à rien, il termine en insistant pour dire aux rares fidèles : « n'abandonnez pas vos assemblées comme c'est la coutume de quelques-uns ». Ce n'est pas parce que vous avez compris que c'est symbolique, ce que nous savons tous, qu'il faut l'abandonner.  

Cet abandon de ce qui ne sert à rien vous coûterait finalement beaucoup plus que vous ne croyez, en argent aussi — lorsque l'Église ayant disparu faute de combattants n'offrirait plus les rites que l'on réclame à corps et à cri aux tournants difficiles de la vie, et qu'il faudrait les chercher ailleurs, plus cher. Ce jour est peut-être proche. Mais déjà il est là dans le malheur d'une solitude que notre Espagnole savait rompre par ses cris. Et qui fait que les pays où l'on connaît une vraie présence au temple sont aussi ceux où existe une vraie vie sociale qui nous manque tant, mais qui coûte, tôt ou tard.  

La solitude de la vieillesse, par exemple, qui est celle de nos sociétés sans rites, risque fort d'augmenter. « Honore ton père et ta mère afin que ta vie se prolonge dans le pays que Dieu te donne », dit la loi de la liberté.  

Et figurez-vous, les pays du Sud, plus au sud que l'Espagne, qui depuis l'époque où écrivait notre philosophe a rejoint le silence de ses touristes — les pays du Sud qui connaissent des temples pleins et des vieux honorés, nous plaignent, pas par ignorance comme celle des touristes qui ignoraient la vérité de dame endeuillée, pas par ignorance, mais par connaissance concrète de l'utilité, de l'indispensable de l'inutile qui coûte.  

Ceux qui sont fidèles au culte, connaissent-ils leur bonheur ? Ce bonheur qui ne rend par meilleur que les autres comme le croient les ignorants, mais qui est de toucher la vérité. C'est pourquoi je dis à ceux qui délaissent le culte au prétexte que, me disent-ils, ceux qui y participent ne sont en général pas exemplaires, je réponds habituellement que c'est précisément pour cela qu'ils y viennent. S'ils étaient parfaits comme vous, ils n'auraient pas besoin de venir.  

Nous venons prendre contact avec le Ressuscité, avec celui qui nous a rejoints dans notre détresse pour nous conduire à la vérité de nous-même, à la vérité promise dans sa résurrection, le fond de notre être qui n'est pas de cette création.  

Je parlais du prix plus considérable que celui que nous pouvons payer, le prix du sang qu'exprimait certes merveilleusement les sacrifices, et dont témoigne aujourd'hui le rite de la Ste Cène.  

Les sacrifices d'antan disaient le coût de la rencontre avec Dieu et le fond de nous-même. La Cène nous fait remémorer la même chose. Le coût de la rencontre, coût pour Dieu aussi, tant il est vrai que toute rencontre coûte aux deux parties, coût à travers lequel dans la participation de Jésus à notre détresse jusqu'à sa mort, il nous fait accéder à ce fond de nous-même qui n'est pas de cette création, auquel il a accédé dans sa résurrection, à travers sa mort, donc.  

Liberté : c'est bien de l'entrée dans la liberté, la liberté intérieure dont rien ne peut priver ceux qui l'ont reçue, qu’il s'agit. La liberté que nous a acquise le Christ nous rejoignant dans notre mort pour nous faire accéder à sa vie, dans une liberté que le tombeau même ne peut pas enfermer. Et c'est cela que les rites, avant comme après Jésus veulent inscrire dans nos vies.  

Si nous avions les yeux pour voir rayonner la lumière du ressuscité, j'imagine que non seulement nous ne manquerions pas la libération qui est de venir le rencontrer le dimanche matin, mais que peut-être nous regretterions qu'il n'y ait qu'un dimanche par semaine.  

Cela dit, nos rites restent symboliques, désignant une vérité qui les dépasse, qu'ils ne font que signifier. Ils sont des signes. Ce qu'on ne comprend bien que si on les pratique. Pour donner un exemple de cela, en ces temps de « mondial » : qui mieux qu'un amateur de football — fût-ce de football/bière/fauteuil — qui mieux que lui peut comprendre que la victoire de quelques milliardaires en culotte courte qu'il ne connaît pas puisse procurer une telle joie du seul fait qu'ils portent le maillot d'un pays dans lequel il se reconnaît ? Si ce n'est pas symbolique ! Et pourtant cela procure un effet réel, en joie, quoique incompréhensible.  

Ou encore : combien d'incroyants qui s'abstenant de toute pratique religieuse, réclament instamment du rite, du symbole, aux moments difficiles de leur vie. Et on pourrait multiplier les exemples. Des symboles certes. L'Épître aux Hébreux s'adresse à des lecteurs qui ont suffisamment fréquenté le Temple pour avoir compris que les sacrifices qu'ils y offraient étaient des symboles d'une réalité plus haute. De même, nos prédécesseurs dans la foi, en France sous l'Ancien Régime persécuteur, avaient suffisamment écouté la parole de Dieu, été suffisamment assidus aux sacrements célébrés au prix de risques considérables, pour savoir que le Christ ressuscité était présent au-delà de ces symboles, même lorsqu'ils sont venus à manquer. Ils ont ainsi pu transmettre la foi au temps du désert. Que Dieu nous accorde à nous aussi de le découvrir sous les signes qu'il nous donne et de recevoir Sa consolation.

 

 

R.P.,
Antibes, 18 juin 2006

 

 

 

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14 juin 2006

La Bible, le Vin, la Vigne...

 

 

 

 

Un Vin d'avant

la Création de la Vigne
  




 

 

 

  

 

« Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne. »  Ainsi commence un poème arabe, la Khamriya, de 'Omar Ibn al-Faridh. Plus loin dans son poème Ibn al-Faridh écrit : « heureux les gens du monastère, combien ils se sont enivrés de ce vin, et pourtant, ils ne l'ont pas bu, mais ils ont eu l'intention de le boire. » (Ses commentateurs le signalent, par « gens du monastère », Ibn al-Faridh désigne simplement les chrétiens.) Voilà donc un vin vieux, plus ancien que la création de la vigne, qui procure une bienheureuse ivresse à ceux qui vivent dans sa proximité sans l'avoir bu, par leur seule espérance.  

On a alors un des moments culminants de la compréhension du vin dans les traditions issues de la Bible — moment qui se noue dans le Cantique des Cantiques et dans l'histoire des lectures qui en ont été faites. Mais avant que l'on en arrive là, il y a tout un cheminement à travers l'ambiguïté d'un signe aussi riche que troublant. Car le signe, le vin, la vigne, est ambigu.  

On peut même dire que dans la Bible, ça commence mal. La première mention du vin concerne l'ivresse de Noé et son déshonneur qui s'en suit (Genèse 9, 20-27).  

Déshonneur qui ne concerne pas que Noé, puisque le vin de l’épisode a saoulé jusqu’à ses exégètes ! — qui ont vu noircir la figure du petit-fils de Noé, Canaan ! Où le vin réveille jusqu’aux passions enfouies, dans l’orgueil ridicule des ivrognes, et ici cet orgueil des imbéciles, le racisme. Des commentateurs — blancs —, juifs aussi bien que chrétiens, comme en proie eux-mêmes à une ivresse honteuse et au vin de Noé, n’ont-ils pas décrété que puisque Canaan (nom des habitants de la Palestine ancienne), petit-fils de Noé, était en proie à l’esclavage du fait de l’impudeur de son père Cham face à Noé ivre et nu, il était donc… noir ?! — belle justification d’une injustice, l’esclavage raciste, justification par l’ébriété d’exégètes de café du commerce !… Mais ne nous appesantissons pas sur ce premier texte.  

Le second texte qui apparaît, mettant en scène Abraham et Melchisédech, nous place au cœur d'une promesse, comme un fil rouge qui traverse toute l'Histoire biblique ; il nous place au cœur de l'Alliance. C'est comme la première Sainte Cène, pour une alliance universelle entre Abraham, qui représente le peuple de Dieu, et Melchisédech, qui représente les autres peuples. Entre ces deux textes, la honte de Noé, et l'Alliance entre Abraham et Melchisédech, est toute la richesse du signe. Le second moment vient comme un rachat du premier. Car, enfin c'est bien Noé qui est présenté comme le premier viticulteur, celui qui plante une vigne, signe permanent de bénédiction, figure du peuple de Dieu, du Fils de Dieu même, cela pour un premier et immédiat dérapage.  

Le décor biblique quant au vin et à la vigne est dès lors planté : fruit de bénédiction, mais jusqu'à la joie du vin nouveau — du vin nouveau et éternel, source de joie avant même la création de la vigne —, jusqu'à ce vin du Royaume de Dieu, il est toujours en passe de glisser à l'ambiguïté.  

 

*  

 

Ambiguïté par la consolation même dont il est porteur. Car que de consolation dans cette coupe ! La Bible l'a chantée avant Baudelaire, ou, un autre poète arabe, le fameux 'Omar Khayyâm. Tout comme la Bible, au livre des Juges : « La vigne leur dit: Vais-je renoncer à mon vin qui réjouit les dieux et les hommes ? » (Juges 9:13). Car oui, « le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l'huile... » selon le Psaume (104:15).  

La Bible a chanté le vin avant Baudelaire ou 'Omar Khayyâm, qu'il faut, pour être justes, citer tout de même — ils ont frôlé de si près, eux et tant d'autres, le talent prophétique, ils ont su dire les choses en termes si prenants ! S'ils n'ont peut-être pas perçu aussi clairement qu'il l'aurait fallu le vin qui précède la vigne, s'ils ont pu ainsi manquer le but, c'est de bien peu :  

'Omar Khayyâm n'écrit-il pas ? — parlant du vin de nos coupes : « Bois ce vin, c'est la vie éternelle ; C'est ce qui reste en toi des juvéniles délices ; bois ! Il brûle comme le feu, mais les tristesses Il les change en une eau vitale ; bois ! » (Quatrain XC). Combien Khayyâm ici ne frôle-t-il pas la nostalgie d'Ibn al-Faridh ?  

De même Baudelaire. Nous nous souvenons tous de ses poèmes de notre temps de lycée : « Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles : "Homme vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de jeunesse et de fraternité !" » (Fleurs du Mal, CIV, « L'âme du vin ») Ou encore, chez ce même Baudelaire, le vin qui nous apostrophe : « En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l'éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! » (Ibid.). Que de bonheur dans la bouteille !  

Mais Baudelaire, comme le Livre biblique des Proverbes, le sait, la dérive guette : « Pour noyer la rancœur et bercer l'indolence, De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ; L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil ! » (Ibid., CV, « Le vin des chiffonniers »). Dérive jusqu'au délire — ultime consolation — du culte de la bouteille : « Tu verses en lui l'espoir, la jeunesse et la vie — Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ! » (Ibid., CVII, « Le vin du solitaire »).  

'Omar Khayyâm, lui aussi, trouve la consolation dans le vin. Lui y trouve jusqu'à la consolation de boire : « Je bois du vin, et quiconque boit comme moi en est digne. Si je bois, c'est chose bien légère devant Lui. Dieu savait, dès le premier jour, que je boirais du vin, Si je ne buvais pas, la science de Dieu serait vaine » (Quatrain LXXV). Et consolation définitive à nouveau : « Bois du vin, ton corps un jour sera poussière, Et de cette poussière on fera des coupes et des jarres... Sois sans souci du Ciel et de l'Enfer : Pourquoi le sage se troublerait-il de telles choses ? » (Quatrain LXXIX).  

On reconnaîtrait presque ce qu'en termes à peine moins éloquents, disent les insouciants qui en tous les temps de détresse, ne voient pas venir les déluges qui les menacent : « mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Corinthiens 15:32 ; Ésaïe 22:13 ; Luc 12:19-20).  

 

*  

 

Sans aller toujours du train de nos poètes, l'essentiel des textes bibliques sur le sujet présente bien le fruit de la vigne, et donc le vin, comme une bénédiction, on va y venir — mais rien dans l'Écriture n'est unilatéral. Ce serait manquer d'équilibre que de ne s'arrêter qu'au bon côté des choses, tel l'insouciant ou l'insensé du Livre des Proverbes. Car le vin procure la joie, mais aussi, cela les poètes l'ont su bien sûr, la gueule de bois. Ce qui est bon dans le vin, selon la Bible, en cela très simple, c'est la réjouissance qu'il apporte, ce qu'il a de mauvais c'est la gueule de bois qui risque de s'en suivre. N'importe qui d'entre nous l'aurait trouvé tout seul, me direz-vous. Certes ! Mais la Bible en tire toute une leçon, y fonde tout un message.  

Ainsi si le Psalmiste chante que « le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l'huile... » (Psaumes 104:15), le livre des Proverbes avertit : « Ne regarde pas le vin qui rougeoie, qui donne toute sa couleur dans la coupe et qui glisse facilement » (Pr 23:31). Et il précise : « Le vin est moqueur, l'alcool tumultueux ; quiconque se laisse enivrer par eux ne pourra être sage » (Proverbes 20:1). Aussi met-il en garde en ces termes : « L'amateur de plaisir est voué au dénuement, qui aime le vin et la bonne chère ne s'enrichit pas » (Pr 21:17). Le Livre des Proverbes préfère réserver à l'alcool des fonctions plus prosaïques : « Qu'on donne plutôt de l'alcool à celui qui va périr et du vin à qui est plongé dans l'amertume » (Proverbes 31:6).  

Mais le livre des Proverbes est célèbre pour ce côté prosaïque, justement. Il entend ne pas inviter au rêve. Il n'est pas prudent de trop dériver vers l'ivresse par rapport à la réalité plus concrète de nos vies. S'il est un vin à boire avec abondance, c'est celui de la Sagesse : « Allez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai mêlé », dit-elle, cette Sagesse (Proverbes 9:5). Car il est un autre vin, non pas sagesse, mais folie, amer, celui-là ; il est une autre ivresse, celle qui fait dériver jusqu'à l'exil et l'égarement. Ici, ce n'est plus le vin signe la joie, qui enivre : « Soyez surpris et restez stupéfaits, dit Dieu, dans Ésaïe, devenez aveugles et restez-le, soyez ivres, mais non de vin, titubez, mais non sous l'effet de la boisson » (Ésaïe 29:9).  

C'est le temps de l'exil et de la douleur, le choc du réel, qui finit par nous rejoindre, terrible : « Finie, la joie délirante dans le vignoble et la campagne de Moab ! Je taris le vin dans les cuves : finis, les cris qui accompagnaient le foulage ! » dira le prophète Jérémie (48:33). Il y a donc bien une gueule de bois annoncée par la Bible, terrible, qui culmine au livre de l'Apocalypse : « De sa bouche sort un glaive acéré pour en frapper les nations. Il les mènera paître avec une verge de fer, il foulera la cuve où bouillonne le vin de la colère du Dieu tout-puissant » (19:15).  

Mais cette menace est suivie d'une promesse, magnifique, pour le jour de l'Alliance rétablie : « Comme ils seront heureux ! Comme ils seront beaux ! Le froment épanouira les jeunes gens, et le vin nouveau, les jeunes filles » (Zacharie 9:17). Comme le dit Jésus : « je le boirai avec vous, nouveau, ce fruit de la vigne, dans le Royaume de mon Père. » (Marc 14:25).  

 

*  

 

Comme en signe prophétique de cela, de l’ambivalence des temps, les officiants du culte biblique devaient s'abstenir de vin au moment du culte. À ce moment, on témoigne d'un exil dont on voudrait qu'il passe, on aspire à la rencontre et à la dégustation du vin nouveau, qui est aussi le plus vieux des vins vieux, celui qui précède la création de la vigne. Voilà un vin céleste, voilà une vigne qui le porte, et qui décidément nous hante... Et produit, en attendant le jour de la rencontre, la certitude que jusque là les temps ne sont décidément pas forcément à la fête...  

 

*  

 

Ils n'en sont pas moins, le vin et la vigne, dès à présent, essentiellement signes de bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible. Ainsi l'Ecclésiaste le résume : « Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin, car déjà Dieu a agréé tes œuvres » (Ecclésiaste 9:7).  

Où s'enseigne aussi une leçon sur la fragilité d'un bonheur passager. Vient le temps où « la vigne est étiolée, le figuier flétri ; grenadier, palmier, pommier, tous les arbres des champs sont desséchés. La gaieté, confuse, se retire d'entre les humains » (Joël 1:12). À travers la vigne et le vin, les prophètes conduisent à la réflexion, en lien avec l'exil et la destruction du Temple, en lien avec la nostalgie des jours du bonheur passé.  

S'esquisse alors le sens de cette nostalgie plus fondamentale qui a traversé notre propos. « Que je chante pour mon ami, dit le livre d'Ésaïe, le chant du bien-aimé et de sa vigne : Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux » (Ésaïe 5:1). Au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine la nostalgie de ce « vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne », la nostalgie qui est aussi peut-être celle de Dieu, et par rapport à laquelle, précisément, il a créé la vigne, et cette vigne : son peuple. Nous voilà au cœur des chants bibliques sur le vin. 

Le Cantique des Cantiques, célébrant l'amour de Dieu pour son peuple, sa fiancée : « Que tes caresses sont belles, ma sœur, ô fiancée ! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes ! » (Cantique 4:10). Ou encore : « Je viens à mon jardin, ma sœur, ô fiancée ; je récolte ma myrrhe avec mon baume ; je mange mon rayon avec mon miel ; je bois mon vin avec mon lait ! (et le Chœur :) "Mangez, compagnons ; buvez, enivrez-vous... !" » (Cantique 5:1). 

Car dès le départ, on a compris que ces textes célébraient l'amour de Dieu pour son peuple, et bientôt l'amour de Dieu, le Bien-Aimé, pour l'âme nostalgique, l'âme qui soupire après lui, ce bonheur qui nous échappe en notre quotidien, ce bonheur comme une ivresse d'un vin regretté, d'avant l'exil, notre exil à tous. Tous les nostalgiques y sont venus, depuis ceux des temps bibliques, jusqu'aux troubadours et aux mystiques du Moyen Age, en passant par les poètes comme Ibn al-Faridh, jusqu'aux poètes modernes. Je pense à un Jean de la Croix, qui écrit : « Sur tes traces les jeunes filles Vont légères par le chemin ; Sous la touche de l'étincelle, Le vin confit engendre en elles Des respirs embaumés, d'un arôme divin. Dans le cellier intérieur De mon Aimé j'ai bu ; alors Sortie en cette plaine immense, J'étais en complète ignorance, Je perdis le troupeau dont je suivais les pas » (Poèmes, XI, 25-26). Divine ivresse de l'âme égarée dans la nostalgie du vin du Bien-Aimé dont elle n'a pas bu. Ce que notait Ibn al-Faridh. 

Alors la vigne devient le signe, carrefour de la rencontre entre Dieu et son peuple. Dieu recueille la joie en son peuple, comme le peuple trouve la joie en son Dieu, une joie comme celle que procure le fruit de la vigne en un repas amical. La rencontre de la joie s'est faite en celui, Jésus, qui s'est appelé non seulement l'époux de cette noce joyeuse dont le peuple est la fiancée, mais le Cep. Il est lui-même la vigne qui réjouit Dieu, et par laquelle Dieu réjouit les siens. De lui s'écoule le vin nouveau promis, ce vin plus ancien que le monde et qui nous est donné comme signe de son sang qui irrigue l'univers, et nous fait vivre comme la sève coule du Cep dans les sarments, de sorte que nous portions nous-mêmes ce fruit qui réjouit Dieu dans l'Éternité, et qu'évoque le poète : « nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin qui nous a réjouis avant la création de la vigne. »

  
 

R.P.
La Bible, le Vin, la Vigne
Fêtes de Printemps de
Vence et Antibes, Mai-juin 2006

 

 

 

11:05 Écrit par rolpoup dans Rencontres & Causeries | Lien permanent | Commentaires (0)