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08 novembre 2006

Philo-Sophia - programme 2006-2007





Le Cercle
Philo-sophia


Place Sophie Laffitte - Salle BERENY
le vendredi, entre 12h15 et 13h45



Président Fondateur :
Vincent-Paul TOCCOLI
Bureau : - direction :
Jean-François MATTEI
- programmation : Eve DEPARDIEU
- intervenants :
Bruno Giuliani, Roland POUPIN, Elie-Léo GUEZ, Pierre GOUIRAND, Vincent-Paul TOCCOLI, Eve DEPARDIEU.
CONTACT : evedepardieu@aol.com
04.93.13.01.45





OCTOBRE 2006 – JUIN 2007 : VENDREDI, 12h15-13h45, place Sophie LAFFITTE, salle BERENY, SOPHIA-ANTIPOLIS.

- 13/10/06 Séance d'ouverture avec Eve DEPARDIEU
- 20/10/06 Bruno GIULIANI
L'éthique ou la philosophie du bonheur, des origines à nos jours

- 10/11/06 Roland POUPIN
La république survivra-t-elle aux colonies ? I – 1492-1685
- 24/11/06 Elie-Léo GUEZ
Construction d'une échelle des valeurs pour construire un coaching spirituel

- 1/12/06 Pierre GOUIRAND
Philoxénologie, la théorie de l'accueil
- 8/12/06 Vincent-Paul TOCCOLI
De l'insolence : nécessité de la question permanente
- 15/12/06 Eve DEPARDIEU
Nos représentations, en crise ? I – Etats Généraux

- 22/12/06 Elie-Léo GUEZ
Approche mystique de la sagesse hébraïque (la Kabbale) et son rapport avec le développement de la conscience morale

*****************************************************

- 12/01/07 Vincent-Paul TOCCOLI
De l'exigence : nécessité de la transgression permanente

Dans le cadre : modifications récentes du programme annoncé :

19/01/07

Bruno GIULIANI

SPINOZA précurseur de la révolution scientifico-éthico-politique à venir

26/01/07

Eve DEPARDIEU

Nos représentations, en crise ? II - Entre apparences et illusions

 

 

 

 2/02/07

Pierre GOUIRAND

Xénopraxie : la pratique de l'accueil

 9/02/07

Vincent-Paul TOCCOLI

De la frugalité : la nécessité de l'indifférence pratique

16/02/07

Robert MATHIS

TEILHARD de CHARDIN : hominisation et/ou mondialisation ?

*23/02/07

 

 

 

 

 

16/03/07

Pierre GOUIRAND

Le Royalisme



- 23/03/07 Vincent-paul TOCCOLI
Du songe : la nécessité de l'impossible
- 30/03/07 Roland POUPIN
La république survivra-t-elle aux colonies ? II – 1794-1802

- 13/04/07 Roland POUPIN
La république survivra-t-elle aux colonies ? III – 1848-1931

- 4/05/07 Elie-Léo GUEZ
Introduction à la logothérapie, l'analyse existentielle de Victor FRANCKL

- 11/05/07 Elie-Léo GUEZ
La question du sens et de l'éthique dans l'entreprise
- 25/05/07 Roland POUPIN
La république survivra-t-elle aux colonies ? IV – 1945-2006

- 1/06/07 Vincent-paul TOCCOLI
De l'illusion : la nécessité de la profanation et du blasphème

- 8/06/07

- 15/06/07 Séance de clôture-bilan avec Eve DEPARDIEU




 

06 novembre 2006

"Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu."






Le cœur de la Loi
et la proximité du Royaume de Dieu
 











Marc 12, 28-34
28  Un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter [de la résurrection] et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?"
29  Jésus répondit: "Le premier, c’est: Ecoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur;
30  tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.
31  Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là."
32  Le scribe lui dit: "Très bien, Maître, tu as dit vrai: Il est unique et il n’y en a pas d’autre que lui,
33  et l’aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices."
34  Jésus, voyant qu’il avait répondu avec sagesse, lui dit: "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger.


*  


« Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices » a dit le scribe à Jésus.

Où le scribe a-t-il trouvé cela ? — : Le Talmud annonce que dans le Royaume de Dieu, les sacrifices seront abolis — sauf le sacrifice d’action de grâce ; action de grâce adressée à Dieu. Or qu’est-ce qui nourrit l’amour ? L’action de grâce ! En effet, si vous voulez aimer, demandez-vous le bien que vous recevez de qui vous voulez aimer. Si vous entretenez les récriminations, vous allez finir par trouver celui ou celle contre qui vous récriminez désagréable ! Rendez grâce, c’est-à-dire, comptez les bienfaits — vous connaissez le cantique — vous obtiendrez l’effet inverse : comment aimer Dieu ? Vous connaissez la réponse…

Reprenons le texte au début : « un scribe s’avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: "Quel est le premier de tous les commandements?" »

De quoi « les » a-t-il entendus discuter ? Jésus vient de discuter avec les Sadducéens de la résurrection des morts ; et donc du Royaume de Dieu, dans la perspective du scribe — Royaume dans lequel pour le scribe subsiste, comme seul sacrifice, l’action de grâce. D’où la question du scribe à Jésus. Rien d’anodin en tout cela. Il veut aller un peu plus loin quant à savoir ce qu’en dit Jésus, de ce Royaume. Ou n’y a-t-il que théorie dans son discours ?

Et voilà donc Jésus en plein accord avec les scribes. Ce qui ne devrait pas nous surprendre : il est question ici du fond des choses. Point de désaccord à ce niveau.

Il est question du texte du Deutéronome qui est au cœur de la foi juive : le « Sh’ma Israël » qui est l’appel fondateur, énoncé quotidiennement, écrit symboliquement sur la main, le front, les portes de la maison. Point de discussion évidemment là-dessus.

Quant au second commandement, qui lui est semblable, il est lui aussi au cœur de la Torah, Lévitique 19, 18, au cœur d’un passage qui commence par « vous serez saints, car je suis saint, moi, le Seigneur, votre Dieu » (Lv 19, 1).

« Tu aimeras ton prochain comme toi-même », littéralement « pour ton prochain comme pour toi-même », est donc naturellement perçu par les scribes comme central — au point qu’en Luc (ch. 10), ce n’est pas Jésus qui énonce le double commandement comme ici, mais un scribe. Et ici, on voit donc qu’il n’y a pas débat. Le scribe interroge Jésus pour savoir s’il est bien au courant, dans le foisonnement des préceptes de la Torah (on sait que Maimonide, au XIIe siècle, en dénombrera 613) — de ce qui en est le cœur.

Chérir Dieu de tout son cœur, c’est-à-dire du fond de son être ; de toute son âme ou, autre traduction, de toute sa vie ; de toute sa pensée, ou intelligence — ce qui rend non seulement vaine, mais impie cette idée selon laquelle un croyant serait censé faire abstraction de son intelligence ! Non, l’intelligence est appelée à être cultivée, ce qui demande un vrai travail certes, un effort, qui permet de soupçonner de paresse intellectuelle cette façon de dire que ce qui concerne Dieu devrait être simple, pour ne pas dire simpliste. L’amour de Dieu est commandé aussi à notre pensée. Forme intense de prière, où la prière est aussi prière de l’intelligence, combat intellectuel, travail sérieux de la raison appliquée à tous les domaines, la méditation de la Loi, des Écritures, et des événements où Dieu se dévoile ; y compris la méditation de la création de Dieu, car comment chérir Dieu de toute son intelligence, sans le louer dans la contemplation, la recherche étendue à toute sa création, bref, la science… Et tout cela, cet amour de Dieu, se vit avec toute sa force — autre traduction : tous ses moyens. Tu chériras le Seigneur ton Dieu de tous tes moyens, y compris, naturellement, financiers. Ce qui se comprend tout seul : comment peut-on prétendre aimer le Nom de Dieu, et s’arranger pour le faire passer pour mesquin, doté d’institutions qui vivotent, d’une Église qui vivote, a fortiori quand on est dans une société d’abondance…

Où aussi, l’idée devient naturelle que le second commandement est semblable au premier. Dieu, on ne le voit pas, on ne prononce même pas son Nom. Aussi, on le chérira dans ce qui le représente : on cherche Dieu avec son intelligence en étudiant ce qui parle de lui dans sa création et sa Loi.

On chérira Dieu donc, dans ce qui le représente, et en premier lieu celui que Dieu place proche de nous, le prochain, cet être humain fait selon son image.

Comment prétendre aimer Dieu qu’on ne voit pas si l’on n’aime pas le prochain, le frère, que l’on voit ? demandera la 1ère épître de Jean (1 Jn 4, 20). C’est ainsi que Paul, lui, résume toute la loi à cette seconde partie : « la Loi tout entière trouve son accomplissement en cette unique parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Galates, 5, 14).

En tout cela, Jésus et le scribe qui l’interroge sont d‘accord. Et Jésus va aller un peu plus loin, avec cette sentence qui fait que « personne n’osait plus l’interroger » : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu », dit-il au scribe sur la base de ce qu’il professe son accord avec lui sur le cœur de la Loi. Parole centrale de notre texte : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu ».


*


Qu’est-ce à dire que cette sentence de Jésus — « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » — et l’effet — « personne n’osait plus l’interroger » — qu’elle a sur ses auditeurs ?

C’est que Jésus s’inscrivant dans l’espérance pharisienne du scribe, quant au cœur de la Loi au jour du Royaume : subsiste l’action de grâce — Paul le dit en ces termes : une seule chose demeure : l’amour — ; Jésus est en train de dire tout simplement que le Royaume s’est approché : « Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu » n’est point ici une parole banale !

Où on regarde forcément Jésus d’une façon particulière : « personne n’osait plus l’interroger » !

Allons un peu plus loin. Comment en est-on arrivé à cela dans la réflexion juive ? À ce sur quoi Jésus et le scribe s’accordent : « Aimer Dieu de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices ».

Eh bien c’est là un fruit de la prière de l’intelligence (tu aimeras le Seigneur ton Dieu de toute ton intelligence).

Un fruit de la réflexion priante suite à l’événement de l’exil, dès 587 av. J.C., cette perte de souveraineté d’Israël, et de la destruction du Temple, perte, alors provisoire, de la possibilité de sacrifier. Cette perte deviendra définitive en 70 — jusqu’au Royaume où subsiste comme seul sacrifice, la seule action de grâce.

Le retour de l’exil de 587 à Babylone laissera le pays sous la souveraineté de la Perse, puis des divers empires, malgré quelques moments de résistance glorieux comme sous les Grecs. Mais pas de réintégration totale et définitive de la souveraineté. Plus de royaume (et surtout pas en 1948, avec la création d’un État laïque d’Israël !). Plus de royaume, au point que Jean-Baptiste annonce encore, au temps romain, la fin de l’exil (qui n’a donc pas vraiment eu lieu) et la venue du Royaume. Au point qu’au début du livre des Actes des Apôtres, les disciples interrogent encore le Ressuscité sur le jour de la restauration du Royaume d’Israël !

Il n’y aura pas de reprise de souveraineté politique au nom de Dieu d’un État, ni a fortiori d’une Église ! C’est l’erreur des chrétientés médiévales byzantine et latine (auxquelles l’islam d’alors a emboîté le pas) que d’avoir cru le contraire. La suzeraineté politique a été retirée au peuple de Dieu en 587, et ne sera pas ré-octroyée. (Il n’est pas inutile de souligner cela en ce dimanche de l’Église persécutée : nul n’a le pouvoir ni le droit de dire un délit d’opinion, et a fortiori de poursuivre, de persécuter, pour un délit d’opinion !)

La dynastie légitime alliée avec Dieu, celle de David, trouve son dernier représentant dans le Messie, seul souverain du Royaume de Dieu, Roi-prêtre selon l’ordre de Melchisédech, selon l’Épître aux Hébreux citant le Psaume 110. Un Royaume dont la Loi est inscrite dans les cœurs, et qui n’a donc pas d’institutions pénales d’un État souverain, comme avant 587. En 587, ce domaine de la Torah prend fin.

Les auteurs du Nouveau Testament, à l’instar des scribes pharisiens, ont tiré eux aussi cette conséquences qui s’imposent de la perte de souveraineté politique et du royaume d’Israël : pas de royaume, jusqu’à la venue du Royaume du Messie. Cela le scribe le sait. Les auditeurs de ce dialogue aussi. Et voilà que Jésus affirme que le Royaume s’est approché : « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu." Et personne n’osait plus l’interroger. »

La dynastie sacerdotale, elle, qui s’est maintenue pendant le premier exil à Babylone, a repris ses fonctions après le retour de Babylone. Le Temple a été rebâti. Il est encore en activité à l’époque du Nouveau Testament — géré par la caste sacerdotale des Sadducéens. Ce second Temple, on le sait, sera détruit, comme l’annonçait Jésus, en 70, par les Romains.

Alors disparaîtront, et la dynastie sacerdotale des Sadducéens (qui viennent d’interroger Jésus sur la résurrection), et les sacrifices — reste l’action de grâce. Le domaine sacrificiel sacerdotal de la Torah prend fin en 70 — étant désormais au seul pouvoir du Roi-prêtre selon Melchisédech. Ici a eu lieu la fin de ce temps, annoncée par Jésus pour sa génération.

De la Loi qui ne passera pas jusqu’à ce que passent les cieux et la terre, subsiste alors, jusqu’à la venue des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, sa dimension morale, sous tous ses angles, selon tous les usages que l’on en peut faire. En son cœur, l’action de grâce, où s’établit l’amour pour Dieu. Subsiste donc cet essentiel de la Loi énoncé ici par le scribe et Jésus, et où l’amour du prochain est le cœur d’un code révélé de sainteté : « tu aimeras pour ton prochain comme pour toi-même », c’est-à-dire : « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse, fais a autrui ce que tu voudrais qu’il te fasse ».

Bref, le Royaume s’est approché, et que dit Jésus au scribe ? — « "Tu n’es pas loin du Royaume de Dieu". Et personne n’osait plus l’interroger » !

Avec ce texte — qui suit immédiatement celui où Jésus enseigne ce qu’il en est de la résurrection, dont il est l’initiateur —, on comprend à quel point il annonce que le Royaume s’est approché ; Royaume de la résurrection déjà advenue au milieu de nous, et dont la règle est l’inscription de la loi dans les cœurs. Oui décidément le scribe n’est pas loin du Royaume de Dieu, et de sa promesse : « vous serez saints car je suis saint ».

Le Royaume est au milieu, au-dedans de vous, sa règle est résumée par l’Épître aux Hébreux (9, 16-20), citant le prophète Jérémie (ch. 33) : « Voici l’alliance par laquelle je m’allierai avec eux après ces jours-là, a déclaré le Seigneur : mes lois, c’est dans leurs cœurs et dans leur pensée que je les inscrirai, et de leurs péchés et de leurs injustices je ne me souviendrai plus. Or, là où il y a eu pardon, on ne fait plus d’offrande pour le péché. Nous avons ainsi, frères, pleine assurance d’accéder au sanctuaire par le sang de Jésus. Nous avons là une voie nouvelle et vivante, qu’il a inaugurée à travers le voile, c’est-à-dire dans sa chair. »

 

R.P.,
Antibes, 5 novembre 2006

 



08:20 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

30 octobre 2006

Dimanche de la Réformation







«Ma maison sera appelée

maison de prière

pour toutes les nations»
  










 


Marc 11, 15-18
15  Ils arrivent à Jérusalem. Entrant dans le temple, Jésus se mit à chasser ceux qui vendaient et achetaient dans le temple; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes,
16  et il ne laissait personne traverser le temple en portant quoi que ce soit.
17  Et il les enseignait et leur disait : "N’est-il pas écrit : Ma maison sera appelée maison de prière pour toutes les nations ? Mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits."
18  Les grands prêtres et les scribes l’apprirent et ils cherchaient comment ils le feraient périr. Car ils le redoutaient, parce que la foule était frappée de son enseignement.


*


C’est aujourd’hui le dimanche de la Réformation. Martin Luther proclamait il y a près de cinq siècles le salut par la grâce seule par le moyen de la foi seule. Un refus de tout ce qui vient se mettre en Dieu et nous fondait le protestantisme. 

Le geste de Jésus au Temple ressemble bien un geste de réformation...

Réformation. Ou refus de l'idolâtrie… Mais, cela dit, n'est-ce pas aussi ce que voulaient garantir les coreligionnaires de Jésus à travers cette institution du change à l'entrée du Temple ? Car nous allons voir que c'était bien leur intention.

Eh bien, Jésus s'inscrit en fait dans cette logique et la pousse au bout de son sens. Car au fond, son geste montre qu'il est bel et bien d'accord — avec le principe  — du change à l'entrée du Temple.

Rappelons donc en effet ce qu'il en est. C'est là le cœur du problème. On vient au Temple pour sacrifier. Jésus lui-même, selon l'évangile de Luc, a été au bénéfice de cette pratique à l'occasion de sa présentation au Temple. Conformément à la Loi, ses parents ont sacrifié à cette occasion "un couple de tourterelles ou deux petits pigeons" (Lc 2, 24).

Lorsque des pèlerins montent de Galilée à Jérusalem, comme c'est leur cas, il est peu vraisemblable qu'ils amènent les animaux du sacrifice avec eux (de Galilée ou d’ailleurs, plus loin encore souvent).

Alors ils les achètent sur place, pour plusieurs d'entre les fidèles, en tout cas. Alors à l'entrée du Temple, dans la première partie, s'installent des marchands. On n'est pas dans la partie proprement sacrificielle du Temple, mais déjà dans son enceinte. Déjà dans un lieu sacré qu'il s'agit de ne pas profaner. Et surtout pas par l'idolâtrie.

Or, il faut bien les acheter, ces animaux à sacrifier. Et il se trouve que la monnaie courante, romaine, est ornée des idoles de l'Empire, à commencer par l'Empereur divinisé. Il est incorrect que de telles figures d'idoles entrent dans le trésor du Temple, ou même y transitent. Or le Temple a pouvoir de frapper monnaie. On change donc auparavant la monnaie idolâtre en monnaie du Temple pour acheter les animaux du sacrifice. Il n'est pas exclu que les parents de Jésus eux-mêmes aient fait ainsi.

Cette perspective, la légitimité du change et de la vente d'animaux, permet de bien comprendre le geste de Jésus. Le geste de Jésus ne contredit pas la perspective des prêtres du Temple, mais va dans son sens en lui donnant toute sa radicalité.


*


Résumons avant d’aller plus loin. — 1) Pour tous les juifs pieux d’alors, la monnaie frappée d’une idole, ici César, ne peut en aucun cas servir pour le culte du vrai Dieu, et surtout pas entrer au Temple. Jusque là, tout me monde est d’accord. Jésus aussi. — 2) C’est de là que s’autorise la présence dans le Temple de changeurs. N’entre au Temple, en présence de Dieu, qu’une monnaie non idolâtre, croit-on, en tout cas sans idole frappée dessus.

Et c’est là que Jésus ne suit plus. C’est précisément cette certitude que cette monnaie-là n’est pas idolâtre que Jésus remet en cause en chassant les changeurs du Temple. Au fond, la monnaie du Temple n’est–elle pas elle-même idolâtre ? demande-t-il par son geste.

N’y a-t-il pas au fond quelque dérive idolâtre derrière la pratique du change ? En ceci : est-ce que vous vous imaginez qu’en enlevant l’idole qui est sur la pièce, on enlève du même coup l’idolâtrie ? Est-ce que l’on peut mettre en banque de la même façon les avoirs de Dieu et ceux de César, chacun sa monnaie ? Sa figure pour l’un, le chandelier à sept branches pour l’autre ? Et cette idole qu’est Mammon, alors, l’argent comme idole ?

Puisque la réponse de Jésus à cette question est pour lui acquise, il réagit avec la violence que suppose ce qui pour lui est dès lors l’entrée de l’idolâtrie dans le Temple. Et c’est par son geste même, par la violence de son geste, que Jésus dévoile cette idolâtrie cachée. Dieu et César chacun à la tête de deux banques d’État qui fonctionnent en parallèle, avec possibilité de change, un peu comme les euros qui reçoivent les symboles souverains de chaque État européen.

Mammon est derrière, de toute façon. Dieu est au-delà, et tout lui appartient, Mammon et César y compris, d’ailleurs. Adorez Dieu seul.


*


Voilà donc un témoignage contre l'idolâtrie, qui subsiste évidemment, d'une façon cachée, jusque sous la pratique du change. Lequel a pour cela exaspéré Jésus.

En donnant toute sa radicalité et sa logique à la pratique courante, Jésus la rend concrètement et paradoxalement impossible. Non seulement le Temple n'est pas méprisé par Jésus, mais il est vénéré au point qu'il entre dans l'inaccessible.


*


Eh bien, la radicalité de la justification par la foi proclamée par Luther relève de la même problématique. Exprimée ici en ces termes : l’impossibilité de la justification par les œuvres.

Loin de se séparer de l’aspiration des autres religieux de son temps, Luther pousse leur logique à son terme. Que veulent-ils tous ces chrétiens pieux de son temps ? Que veulent les meilleurs d’entre eux ? La perfection ! Ils savent que Dieu est saint et qu’il ne supporte pas le péché ; dont ils voient bien aussi que la racine est en eux.

Alors que faire ? Plusieurs « solutions » sont mises en œuvre en parallèle, en complément les unes des autres. Tel moine désireux de perfection se flagelle — Luther a connu cela. Pratique qui vise à châtier la tendance inhérente au mal. Tel autre s’engage à un pèlerinage, à tel ou tel vœu. Luther a connu aussi. Telle ou telle pratique qui vise pour le pécheur à obtenir l’indulgence de l’Église.

Tel sacrifice financier obtiendra éventuellement le même effet. L’indulgence dès lors peut « légitimement » se monnayer. On comprend ainsi que le problème que rencontre Luther, la pratique que dénonce Luther, part d’une bonne intention, d’un désir d’honorer Dieu par une vie sainte, jusqu’à la consécration de son argent ; sainteté dont on voit bien par ailleurs qu’elle est loin d’être à portée de main.

Et la paix avec Dieu reste loin de tous. On s’escrime à s’imposer pénitence sur pénitence. Les sans scrupule de la hiérarchie romaine s’en frottent les mains, ponctionnant allègrement les pauvres en mal de perfection. Et ils savent bien aussi que leurs proches décédés n’ont pas satisfait à la sainteté de Dieu ; souffrant ainsi, croient-il en purgatoire. Et les voilà en désir de les racheter, financièrement, selon ce que prônent les mêmes sans scrupules.

Et voilà donc Mammon, l’idole de l’argent, qui règne, sous prétexte de désir de sainteté de ses victimes, comme au Temple d’antan sous prétexte de désir de sainteté sous la forme du refus de l’idolâtrie.

Que découvre Luther ? Il découvre que lui et ses contemporains ont succombé à une forme terrible d’idolâtrie, celle qui prétend accéder à Dieu à force de sainteté, de capacité à se sanctifier soi-même, ce qui revient à rien d’autre qu’à le mettre de côté sous prétexte de l’honorer, et finalement à mettre Mammon dans le Temple spirituel de Dieu.

Alors que fait Luther ? — Il entreprend de chasser à son tour, suite à son maître, les marchands du Temple. C’est qu’il a découvert entre temps — et c’est pour cela qu’il peut entreprendre ce qu’il a entrepris — ; il a découvert que l’on n’honore pas Dieu, au contraire, en prétendant se faire valoir devant lui, fût-ce avec les meilleures intentions du monde.

On honore Dieu en lui faisant confiance, en s’en remettant à lui avec foi ; en croyant à sa promesse : « celui qui est juste par la foi vivra » (Habacuc 2, 4).

On est très proche du geste de Jésus au Temple : le Temple, maison de prière pour toutes les nations.

Cela conformément aux paroles de consécration du Temple au temps de Salomon. Souvenez-vous de cette prière de consécration (1 Rois 8, 46-50) :
« Quand les fils d’Israël auront péché contre toi, car il n’y a pas d’homme qui ne pèche, que tu te seras irrité contre eux, que tu les auras livrés à l’ennemi et que leurs vainqueurs les auront emmenés captifs dans un pays ennemi, lointain ou proche, si, dans le pays où ils sont captifs, ils réfléchissent, se repentent et t’adressent leur supplication dans le pays de leurs vainqueurs en disant : Nous sommes pécheurs, nous sommes fautifs, nous sommes coupables, s’ils reviennent à toi de tout leur cœur, de toute leur âme, dans le pays des ennemis où ils auront été emmenés et s’ils prient vers toi, en direction de leur pays, le pays que tu as donné à leurs pères, en direction de la ville que tu as choisie et de la Maison que j’ai bâtie pour ton nom, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, écoute leur prière et leur supplication, et fais triompher leur droit. Pardonne à ton peuple qui a péché envers toi, pardonne toutes leurs révoltes contre toi […]. »

Et 1 Rois 8, 41-43 :
« Même l’étranger, lui qui n’appartient pas à Israël, ton peuple, s’il vient d’un pays lointain à cause de ton nom — car on entendra parler de ton grand nom, de ta main forte et de ton bras étendu — s’il vient prier vers cette Maison, toi, écoute depuis le ciel, la demeure où tu habites, agis selon tout ce que t’aura demandé l’étranger, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom, et que, comme Israël, ton peuple, ils te craignent et qu’ils sachent que ton nom a été prononcé sur cette Maison que j’ai bâtie. »

Bref, la justice du pécheur ne consiste pas à se faire valoir devant Dieu, mais à se reconnaître pécheur et à recevoir de lui la promesse renouvelée sans cesse depuis le lieu où on le célèbre, promesse que tout peut être recommencé. Il nous accueille comme nous sommes, plein de sa tendresse de Père envers ses enfants qui lui font confiance. Que cette promesse renouvelée soit notre assurance en ce jour de fête de la Réformation.



R.P.,
Cannes, 29 octobre 2006

 




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