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28 janvier 2006
Laisse aller mon peuple
« Let my people go »
Exode 5, 1 :
Moïse et Aaron vinrent dire au Pharaon: "Ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël: Laisse partir mon peuple et qu’il fasse au désert un pèlerinage en mon honneur."
Lévitique 25, 10 :
Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.
Luc 4, 17-21 :
17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez."
*
L’Exode est la libération des esclaves — « laisse aller mon peuple » —, que l’on devra commémorer, et reproduire le cas échéant. Commémorer, c’est ce que signifient le Shabbat et la Pâque ; commémorer et reproduire, c’est ce que signifie le Jubilé, la 50e année, qui annonce donc le Royaume de Dieu.
Et voilà que Jésus lisant, pour la prédication inaugurale de son ministère, le texte d'Ésaïe annonçant ce grand Jubilé, affirme l'accomplissement de la Parole du prophète. Aujourd'hui s'inaugure l'année jubilaire, l'an de grâce du Seigneur, avec toutes ses conséquences.
Voilà une parole bien étrange que les auditeurs de Nazareth ont de la peine à recevoir. Ils attendront, comme Pharaon face à Moïse, un miracle, pour croire. Et on peut les comprendre. Ce Jubilé, cet an de grâce, on en voudrait tout de même des signes pour le croire.
Et si ce Jubilé est bien le dessillement des yeux aveuglés de ceux qui baignent dans les ténèbres de l'esprit de la captivité, on n'hésitera pas à attendre comme signe que les aveugles recouvrent la vue, selon la lettre de la traduction grecque de la parole du prophète : après tout le Royaume de Dieu n'implique-t-il pas la guérison totale de toutes nos souffrances ; d'où la façon dont les habitants de Nazareth apostrophent Jésus : "médecin guéris-toi toi-même" (Lc 4:23), et ton peuple avec toi.
*
Le Royaume ? Jusqu’à ce que l’on en voie la réalisation concrète, paroles que tous cela ! Comme pour Moïse arrivant en libérateur ! D’autant plus qu’on le connaît celui-là. On l’a vu grandir. À présent, on attend ce qu’il va dire. Et puis voilà que tombe cette parole : "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez." Passe — comme un ange passe — le temps de la réalisation de ce qu’on vient d’entendre. Puis : il l’a bien dit : il instaure aujourd’hui le Royaume !…
*
Car le Jubilé annoncé par Ésaïe est bien l'inauguration du Royaume... Si un seul Shabbat était respecté, le Royaume viendrait, selon le Talmud.
Et la prise au sérieux du Shabbat, commémorant la création, mais aussi l’Exode (Dt 5), commence par la mise en œuvre du Jubilé — qui indique tout ce qu'implique concrètement la prise au sérieux de la Loi que signifie par le Shabbat. Le Jubilé marque l'espérance de ce jour où le Shabbat devient éternel, ce jour à partir duquel il devient définitivement possible de dire : "c'est aujourd'hui de jour du Shabbat" (Hé 4). Cela est chargé de sens en ce qui concerne les relations humaines, enfin empreintes de sagesse et de grâce. Mais on aimerait le voir, tout cela !
Or voilà : comme face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de la prédication ; voilà, en ce qui concerne la grâce, que face à la recherche de miracles, qui n’ont pas converti Pharaon, Dieu a opposé la foi miraculeuse à la faiblesse apparente d’un Messie qui sera finalement crucifié.
Sans besoin de signe fracassant, celui qui a reconnu dans le Christ humble la gloire de Dieu saura croire ce propos étrange : aujourd'hui cette parole du prophète Ésaïe est accomplie : ici commence le nouvel Exode, le Jubilé, le grand Shabbat, l'an de grâce qui inaugure le Royaume.
Le croyons-nous ? Croyons-nous cette parole de Jésus selon laquelle la promesse faite à Ésaïe dans le souvenir de l’Exode est accomplie ? « Laisse aller mon peuple. »
Car cette parole même est cette folie de Dieu plus sage que les hommes et cette faiblesse de Dieu plus forte que les hommes. Folie et faiblesse selon lesquelles Dieu a choisi les choses folles et faibles de ce monde pour confondre les sages et fortes (1 Co 1). Or ces choses folles et faibles sont ceux et celles qui sont appelés par l'Évangile pour être sagesse et justice en Jésus-Christ. C'est nous, si nous avons entendu cet appel.
Alors est aussi venu le jour de la confusion de ce monde injuste qui, contre l'Évangile entend se glorifier devant Dieu. Qu'en est-il parmi nous de cette confusion par laquelle Jésus a laissé pantois les habitants de Nazareth voulant le réduire à leur merci ? Comme Moïse confondait le Pharaon… Mais plus d’autre signe que celui de Jonas dorénavant : le tombeau vide.
Croyons-nous que le Royaume a été inauguré ce jour-là selon la parole de Jésus ? Ou sommes-nous de ceux qui lui demandent encore des miracles pour le croire ? Nous le croyons disons-nous... Eh bien, il ne nous reste plus qu’à vivre ce que nous croyons ! Qu’à en vivre la liberté !
Si nous croyons que le Jubilé est advenu, si nous sommes dans l'an de grâce du Seigneur, plus rien ne manque pour que nous en appliquions les modalités : à savoir la liberté ; et la proclamation de la liberté : remise des dettes, annonce de ce que la délivrance des captifs, et des captifs du péché, a eu lieu, proclamation de la libération des victimes de toutes les oppressions possibles, à défaut de guérir des aveugles ; car si nous n'avons pas forcément le don de faire des miracles... nous avons tous celui de remettre les dettes à notre égard, de partager ce que Dieu nous a octroyé, de remettre pour notre part les compteurs à zéro.
Pas des miracles fracassants que Jésus lui-même a refusé de donner ce jour-là. Pas de grande Révolution immédiate. Plutôt quelque chose de l’ordre de la semence et de la germination. De simples signes de ce que nous croyons ce qu’il a dit. Alors, le nouvel Exode a commencé.
Où prend tout son sens notre prière, face aux puissants d’un côté, aux victimes de l’autre, aux opprimés et humiliés, aux victimes de toutes les violences et esclavages, au racisme, etc. Telle est pour notre part notre proclamation du Jubilé inauguré par le Christ. « Laisse aller mon peuple. »
Si le Jubilé dont nous croyons que Jésus l'a inauguré devient, par notre présence, comme visible, alors la confusion des arrogants et des oppresseurs devient réalité. Dieu nous invite à entrer de plein-pied dans le Jubilé, dans le temps de la grâce et dans sa liberté, en place dès aujourd'hui en Jésus-Christ. « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »
R.P.
28.01.06, Antibes, KT
20:30 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
22 janvier 2006
Le temps est accompli
LE TEMPS EST ACCOMPLI
Marc 1, 14-20
14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Évangile de Dieu et disait :
15 "Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile."
16 Comme il passait le long de la mer de Galilée, il vit Simon et André, le frère de Simon, en train de jeter le filet dans la mer : c’étaient des pêcheurs.
17 Jésus leur dit : "Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes."
18 Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent.
19 Avançant un peu, il vit Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, qui étaient dans leur barque en train d’arranger leurs filets.
20 Aussitôt, il les appela. Et laissant dans la barque leur père Zébédée avec les ouvriers, ils partirent à sa suite.
*
Nous voilà au bout d’une longue marche : « le temps est accompli ». Une longue marche, commencée au début de la Création, comme projet de Dieu, et pour nous humains, un projet à accompagner, à développer — car c’est nous que Dieu envoie pour dire son salut au monde. Un projet de sortie des ténèbres et du chaos vers la lumière de la gloire de la Cité future.
Figurez-vous que, à côté de l’Évangile de ce jour où la vocation des disciples qui commence par cette affirmation de ce Jésus sur le temps qui est accompli — à côté de ce texte du jour, les textes qui sont proposés à notre méditation pour cette semaine de prière pour l’unité des chrétiens nous situent précisément dans la perspective de ce pèlerinage dans lequel Dieu lance dès les origines l’humanité pour l’accomplissement de son projet.
Ce projet qui prend forme pour l’humanité comme sortie, comme Exode, nous envoie dans les lectures de cette semaine de l’Unité, à ce départ qui est le livre biblique de l’Exode, et à la promesse de la Cité De Dieu du livre de Apocalypse, où il prend sa forme finale :
Lisons ces textes :
Exode 40, 1-4 & 34-38
1 Le SEIGNEUR adressa la parole à Moïse:
2 "Au premier mois, le premier jour du mois, tu dresseras la demeure de la tente de la rencontre.
3 Tu y mettras l’arche de la charte et tu masqueras l’arche derrière le voile.
4 Tu apporteras la table et tu en arrangeras la disposition. Tu apporteras le chandelier et tu allumeras ses lampes.
34 La nuée couvrit la tente de la rencontre et la gloire du SEIGNEUR remplit la demeure.
35 Moïse ne pouvait pas entrer dans la tente de la rencontre, car la nuée y demeurait, et la gloire du SEIGNEUR remplissait la demeure.
36 Quand la nuée s’élevait au-dessus de la demeure, les fils d’Israël prenaient le départ pour chacune de leurs étapes.
37 Mais si la nuée ne s’élevait pas, ils ne partaient pas avant le jour où elle s’élevait de nouveau.
38 Car la nuée du SEIGNEUR était sur la demeure pendant le jour mais, pendant la nuit, il y avait en elle du feu, aux yeux de toute la maison d’Israël, à toutes leurs étapes.
Apocalypse 22, 1-5
1 Puis il me montra un fleuve d’eau vive, brillant comme du cristal, qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau.
2 Au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve, est un arbre de vie produisant douze récoltes. Chaque mois il donne son fruit, et son feuillage sert à la guérison des nations.
3 Il n’y aura plus de malédiction. Le trône de Dieu et de l’agneau sera dans la cité, et ses serviteurs lui rendront un culte,
4 ils verront son visage et son nom sera sur leurs fronts.
5 Il n’y aura plus de nuit, nul n’aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront aux siècles des siècles.
*
Dans le temps de notre pèlerinage, signifié par la pérégrination de l’Exode, vers la réconciliation du monde, cette réconciliation promise dans l’Apocalypse — dans ce temps de pèlerinage, Dieu nous est présent, pèlerin avec nous, dans la Tente de la rencontre.
Il nous est présent de façon voilée, comme dans une nuée qui nous accompagne, et depuis laquelle nous sommes guidés, comme par la lumière du chandelier de la Tente de la rencontre.
On retrouve ce chandelier dans l’Apocalypse, qui souligne ce qu’il signifie. Je cite : Apoc 4, 5 « Devant le trône brûlent sept lampes ardentes, qui sont les sept esprits de Dieu. » C’est ainsi que le livre de l’Apocalypse nous apprend que le chandelier à sept branches accompagne, comme le peuple juif, le peuple chrétien dans sa marche ; il est au cœur du culte de l’Église primitive, symbole de l’Esprit saint qui nous guide :
La Gloire de Dieu est présente, au cœur de notre provisoire édifice, comme édifice de toile, celui de notre vie passagère. Le Royaume de Dieu comme caché, mais tout proche.
La gloire de Dieu nous dirige, nous fait avancer, nous reposer et avancer encore. Mais comme Moïse ne pouvait pas entrer au cœur brûlant de la Gloire du Seigneur, nous n’avons pas accès au cœur du mystère de notre être, comme au cours d’un pèlerinage… Personne n’a jamais vu Dieu. Seul le Fils unique est dans le sein du Père pour nous le fait connaître.
Mais cependant, tout au long de ce pèlerinage il est là, silencieux, mystérieux, qui préside à nos marches et à nos haltes, nuée pendant le jour, flambeau durant nos nuits.
Comment signifierons-nous au monde cette présence que nul n’a jamais vue, qui nous guide mais ne se voit pas, qui ne se verra pas — sinon par l’unité de notre marche à son ombre et à sa lumière ?
*
Au livre de l’Apocalypse nous est dévoilée l’espérance de la plénitude de la lumière. Le terme du pèlerinage de notre Exode est atteint. La terre promise, Jérusalem, est atteinte, d’où sourd la vie, comme un fleuve d’eau vive.
L’arbre de vie, notre nourriture, est enfin dévoilé. Quelle est, jusque là, cette nourriture de notre unité ?
Le Seigneur Dieu est présent au cœur de la Cité éternelle, lui qui est dès les origines est au cœur de nos êtres.
De ce cœur la Cité rayonne sa lumière qui rend désormais inutile toute autre lumière… Mais nul ne le voit — sinon dans la figure de « l’agneau qui est au milieu du trône », figure symbolique de celui, Jésus, qui est seul venu dévoiler celui dont la lumière empêche de le voir — « Personne n’a jamais vu Dieu ; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé » (Jn 1, 18).
*
Un agneau, rappel de "l'agneau de Dieu qui ôte le péché du monde", réminiscence d'Ésaïe 53. Mais plus que ce seul texte, c'est l'essentiel du contenu des chants du Serviteur d'Ésaïe, qui pour une large part, s'accomplit en Jésus, l'Agneau de Dieu.
« Agneau de Dieu. » C'est en s'identifiant au peuple pécheur, que Jésus ôte le péché du monde. C'est en être faible et sans force (Es 49:4) au sein d'un peuple opprimé, affaibli, sans force, que le Serviteur du livre d'Ésaïe reçoit de la faveur de Dieu, qui est sa force (v.5), l'investiture qui en fait son porte-parole jusqu'aux extrémités de la Terre (Es 49:5-6).
*
Un agneau, rappel, par-delà Ésaïe, du repas de la Pâque où s’origine notre Exode vers la rencontre. Repas de communion, ainsi en celui qui seul dévoile le Père que nul n’a jamais vu.
Repas signe de vie éternelle, de ce fruit de l’arbre de vie qui guérit les nations. C’est le repas espéré de notre unité scellée.
Quand saurons-nous le prendre ensemble, ce repas que nous avons pris ensemble aux origines, comme peuple au sortir de la captivité pour sa marche vers la terre promise. Puis les chemins ont divergé — les aléas de la route.
Mais des pas s’accomplissent… Déjà anglicans, qui ont reçu la Réforme certes, mais dont l’Église est de structure catholique classique, anglicans et réformés sont en inter-communion. Nous avons changé notre vocabulaire pour désigner les différentes façons de dire le Christ des Églises orientales. D’autres Églises encore ont avancé sur ce chemin cahoteux… Un accord sur la justification à été conclu en 1999 entre luthériens et catholiques. Nous sommes ensemble aujourd’hui dans une cathédrale catholique. Aurait-ce été possible il n’y a que quelques années ?
Nous sommes encore au temps des carrefours et des intersections.
Si nous savons cela, si nous y réfléchissons, nos divergences peuvent devenir le moteur et le signe de notre prière — celle de Jésus : « que tous soient un » — pour que nos chemins, qui convergent de toute façon vers l’unique Terre promise, nous permettent bientôt de partager le repas qui dessine notre espérance de la Table future du Royaume de Dieu.
*
Mais je viens de donner l’impression que tout cela nous renvoie au futur, à un futur plus ou moins hypothétique !
« Là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18, 20) — tel est le mot d’ordre à côté des textes de l’Exode et de l’Apocalypse pour la prière de l’unité de cette année 2006. Que nous dit Jésus de la sorte ? Est-ce du seul futur que relève sa promesse ?
« Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile. » Aujourd’hui, aujourd’hui précisément. Le Royaume de Dieu s’est approché. C’est ce qu’il s’agit de dire. « Le temps se fait court — la figure de ce monde passe» dira Paul aux Corinthiens (1 Co 7, 29 & 31).
C’est bien ce qu’ont entendu les premiers disciples : Simon et André : « Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent ». Puis Jacques et Jean : « il les appela. Et laissant la barque de leur père, ils partirent à sa suite »…
C’est en ces termes que la vocation adressée aux premiers disciples nous est adressée à notre tour : « Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché : convertissez-vous et croyez à l’Évangile. »
Entendrons-nous cet appel, qui nous presse à présent à l’unité — ou resterons nous chacun dans sa barque et à nos filets ? « Laissant aussitôt leurs filets, ils le suivirent. » — « Laissant la barque de leur père, ils partirent à sa suite »… À nous à présent…
R.P.
Semaine de prière pour de l’unité des chrétiens,
21-22.01.2006
09:55 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
18 janvier 2006
L'Ange
« L’ange de
l’Éternel
campe
autour
de ceux
qui le
craignent,
Et il les
délivre. »
(Psaume 34, 7)
12:45 Écrit par rolpoup dans Silence & paroles | Lien permanent | Commentaires (1)
17 janvier 2006
Troubadours et cathares
Troubadours et Cathares
Actes du colloque de Chancelade
Auteurs : Anne Brenon, Gwendoline Hancke
Éditions : L'Hydre
Collection : Domaine historique
ISBN : 2-913703-41-0
Format : broché, couv. Quadri
22 €, port compris
Troubadours et cathares... un couple qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité bien des théories, certaines tout à fait fantaisistes. Mais au fond, la vraie question demeure celle-ci : parce que ces deux phénomènes historiques furent contemporains, furent-ils forcément liés d'un point de vue doctrinal ? Les Actes de ce colloque de Chancelade ont le mérite d'avoir réuni autour de ce problème les plus grands spécialistes du catharisme, des troubadours, enfin de la langue et de la société occitane médiévale... Tous abordent le sujet avec le sérieux qu'on leur connaît et le lecteur trouvera ici bon nombre de réponses aux nombreuses questions que soulève la coexistence historique du catharisme et de la culture des troubadours.
Colloque organisé par Novelum section périgorde de l'Institut d'Estudis Occitans.
Textes recueillis par Richard Bordes.
Débats enregistrés par Jean-Louis Gasc avec la participation de : Anne Brenon, josé Dupré, Gwendoline Hancke, Bernard Lesfalgues, Roland Poupin, Julien Roche, Jean Roux, Francesco Zambon.
15:50 Écrit par rolpoup dans Publications | Lien permanent | Commentaires (0)
11 janvier 2006
Porte de la liberté
Il progressait en sagesse,
en stature et en grâce,
devant Dieu
et devant les hommes...
Luc 2, 40-52 :
40 Cependant l’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui.
41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans, comme ils y étaient montés suivant la coutume de la fête
43 et qu'à la fin des jours de fête ils s'en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent.
44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem en le cherchant.
46 C'est au bout de trois jours qu'ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger.
47 Tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur l'intelligence de ses réponses.
48 En le voyant, ils furent frappés d'étonnement et sa mère lui dit: "Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés."
49 Il leur dit: "Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon Père?"
50 Mais eux ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth; il leur était soumis; et sa mère retenait tous ces événements dans son cœur.
52 Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes.
*
Jean 8, 12 : Jésus leur parla de nouveau et dit: Moi, je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.
*
C'est la Pâque. Le pèlerinage le plus important du judaïsme. On monte en masse à Jérusalem. On marche longtemps sur les routes poussiéreuses — depuis la Galilée, pour Marie et Joseph. On part en groupe, on se découvre en route.
Au retour de la fête, on a lié solidement connaissance. Comme une grande famille. Les enfants circulent d'un groupe à l'autre. Le voyage est long. On fait halte, on bivouaque tous ensemble.
Dans cette joyeuse cohue, Jésus, peuvent se dire ses parents, est quelque part avec ses copains, et comme eux, il est sous telle ou telle tente. Rien que de très normal. Puis on découvre qu’il n'est pas là du tout !
Pour que toutefois le lecteur ne se trompe pas sur ce qui se passe, Luc précise que Jésus « était soumis » à ses parents.
Mais Jésus pourtant est mûr désormais, douze ans, à peu près l'âge de la responsabilité devant Dieu, autour de laquelle l'histoire du judaïsme a forgé le rite de la bar-mitsva.
Dans la tradition biblique, dès les temps les plus anciens, les enfants au tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes, sont déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu'ils ont entendu jusque là. Responsabilité, c'est-à-dire capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de — et notamment répondre de la parole reçue.
C'est là ce que le judaïsme appelle « bar-mitsva », ce qui signifie « enfant du commandement » — et que nous faisons correspondre approximativement, dans l’Église réformée, à ce qu’on appelle parfois, assez improprement d’ailleurs, « confirmation ».
La bar-mitsva dit que la circoncision, dans le judaïsme, requerra aussi la circoncision du cœur.
Comme dans l’Église réformée, où l’on a conservé du rite juif le baptême qui y accompagne la circoncision des non-juifs : et puisque les croyants d’origine non-juive sont autorisés en Actes 15 à ne pas être circoncis, on ne garde que le baptême. Cela dit, comme pour la circoncision qui ne présume pas de la grâce qui fait naître d’Esprit, le baptême n’empêche pas que Dieu seul peut susciter des enfants à Abraham, comme dit Jean Baptiste, ou, a fortiori, Dieu seul peut susciter des enfants de Dieu. Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C'est le passage à l'âge de la majorité religieuse, le sens du rite de la bar-mitsva qui est derrière notre texte.
Jésus a douze ans dans notre épisode. C'est approximativement l'âge où l'on va devenir bar-mitsva. Jésus passera aussi par là. Déjà il se situe devant la parole de Dieu en présence des docteurs de la Loi étonnés.
Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque. Tout le début de l'Évangile de Luc les montre observant strictement la Tora. Depuis la visite de Marie au prêtre Zacharie, en passant par la circoncision de son fils et les rites de purification, jusqu'à cet épisode.
Scène ordinaire de la vie religieuse juive. Simplement ici Jésus, atteignant l’âge de la bar-mitsva, va exprimer dans tout son sens, ce qu'est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.
Cela correspond à sa parole : « il faut que je m'occupe des affaires de mon Père » : ce qui est une leçon pour ses parents, et aussi pour nous-mêmes — et comme parents et comme enfants.
Dépouillé, comme unique devant Dieu. Jésus s'occupe des affaires de son Père.
Et c'est ce que Dieu nous demande aussi. Tous devons devenir adultes par rapport à ceux que nous recevons comme modèles.
Il s’agit de vivre dans la lumière, la lumière de la parole de Dieu que l’on a appris à écouter… Comme Jésus. Et pour nous autres, par lui. Jean 8, 12 : « Jésus leur parla de nouveau et dit: Moi, je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »
Comme Jésus et, pour nous, par lui. Puisque comme l’annonçait Jean 1, 9 & 12-13 :
Il est « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
[…] à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »
C’est ce qui est être éduqué, « conduit hors de » — hors de l’enfance, et de l’enfance spirituelle, pour être devant Dieu.
Et en parallèle, comme parents, laisser être eux-mêmes, face au commandement qu'ils ont appris à connaître, tous ceux que nous tendons à maintenir dans notre dépendance, prolongeant leur enfance, j'ai parlé bien sûr de nos enfants naturels ; cela vaut aussi des enfants spirituels — et cela est vrai aussi concernant tout ce qui peut devenir une chaîne.
Ici, il faut commencer par rompre, symboliquement, d'avec ceux avec qui nous sommes liés, nos proches, nos parents — et aussi nos maîtres, et tout ce qu’on peut imaginer, jusqu’à nos biens et nos propres vies. Rupture sans laquelle il n'est qu'esclavage dans nos relations, et même dans la relation avec nous-mêmes.
Rupture d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. C'est qu'il n'est de vie à l'image du Christ, de vie en vérité, que sous le regard de Dieu. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout autre regard dont notre vie serait censée dépendre, pas seulement le regard des parents, mais ce que peut conférer un statut social, ou une position dans la société ou dans l’Église, dans nos assemblées. C’est une devise de la foi réformée : « coram Deo sola fide vivere » — vivre devant Dieu par la foi seule.
C'est de cela que Jésus montre l'exemple dans ce texte qui nous le présente au Temple à douze ans. Il vit dans sa chair cet exemple-là, et dévoile par la même occasion qui il est : le Fils de Dieu. Il est par nature ce que nous sommes tous appelés à devenir par adoption.
Ici les trois jours de sa disparition revêtent un second sens, annonçant sa résurrection : « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts », selon les mots de Paul.
Comme Jésus nous en donne l'exemple, devenir enfant de Dieu, c'est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin, la mort, de toute dépendance, y compris du regard d'autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. C’est le départ de la libération par l’Évangile. Cela concerne aussi, comme les parents, les dirigeants spirituels —, se refusant à maintenir leurs enfants spirituels dans la dépendance, y compris morale et psychologique. La rupture est certes difficile, mais nécessaire : « celui qui aime fils ou fille plus que moi n'est pas digne de moi ».
Cette libération possible est le fruit de la lumière qu’est l’instruction, toute instruction, et tout particulièrement l’instruction dans la parole de Dieu. La lumière — devant sa loi : ce qui induit aussi la transparence, signe de l’être adulte en Christ.
Cela vaut pour nos relations les uns avec les autres, nos relations d’Église à Église. Savons-nous être transparents les uns avec les autres, ne pas croire les rumeurs, avoir les uns avec les autres des relations honnêtes ? C’est un signe du statut d’enfants de Dieu, c’est-à-dire du statut d’adulte en Christ.
Comme Jésus, il faut croître non seulement en stature, mais en sagesse, et en grâce. Et il n'est pas facile de se résoudre à se suffire de la grâce, ou de se résoudre à laisser à Dieu ceux qu'il nous a confiés, à lui passer le relais pour qu'il ouvre leur liberté.
C'est là un acte de la foi, qui est œuvre miraculeuse de la grâce. Se résoudre à assumer et promouvoir ces ruptures est une façon de recevoir sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté. Alors, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, devient possible, un monde de relations humaines reconnaissant l'autre pour lui-même, d’une valeur infinie, être créé selon l'image de Dieu, manifestée en Christ. Un prochain qui n’est pas limité à nos schémas. Voilà tout un programme, qui n'est pas facultatif : abandonner autrui à Dieu. Et, pour cela, nous y abandonner nous-mêmes.
Et dans le cadre de notre thème — défi Michée — cela vaut pour nos relations avec nos prochains, jusqu’à ceux des pays lointains. La possibilité de l’instruction en est la base.
Et déjà de l’instruction au sens le plus naturel du terme : apprendre à lire et à écrire. Les protestants dans la France de l’Ancien régime, persécutés, ont survécu par leur culture.
Ils savaient lire, ils apprenaient à lire dans la Bible dès l’enfance, et l’héritage s’est transmis ainsi, sous la persécution, pour parvenir jusqu’à nous.
Et un jour cette parole doit éclore, comme la semence de la parabole. C’est ce que dit pour nous Jésus ce jour-là. Il s’agit d’offrir à Dieu ce qui n'appartient qu'à Dieu. Nous verrons alors si selon sa promesse, une part abondante de liberté et de bonheur, comme un grand bol d'air, ne vient pas sur nous, sur nos Églises et sur le monde.
R.P.
09.01.2006
Semaine de prière de l’Alliance évangélique
10:30 Écrit par rolpoup dans Silence & paroles | Lien permanent | Commentaires (0)
08 janvier 2006
Épiphanie
DES MAGES
Matthieu 2, 1-12
1 Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2 et demandèrent : "Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3 A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4 Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5 "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète :
6 Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7 Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8 et les envoya à Bethléem en disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage."
9 Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10 À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11 Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12 Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.
*
Les Mages. Ils disent la manifestation de Dieu, en l’occurrence manifestation aux nations, à tous, “manifestation” selon le sens du terme issu du grec, “épiphanie”. Commémoration de la naissance de la lumière à Noël : la voilà comme à son zénith. Le Royaume, ici, se fait plus proche.
Les Mages et l'Histoire
On sait ce qu'il en est de ces Mages. Les Mages étaient la caste sacerdotale dans l’Empire perse (donc prêtres plutôt que rois — ils sont devenus rois, "rois-mages", au regard des textes des Psaumes et d’Ésaïe —, et pas nécessairement trois — ça, ça vient du nombre de leurs cadeaux, avant de désigner les trois continents — le monde entier d’alors — qu’ils en viendront à représenter : Afrique, Asie, Europe). Des prêtres, au départ, de la caste sacerdotale des Mages, chez les Perses, de religion mazdéenne — comme les Lévites pour les Hébreux.
La religion mazdéenne existe toujours, qui se réclame du prophète Zoroastre (ou Zarathoustra), prophète de Ahura Mazda (comme les mazdéens nomment Dieu). C’est la dynastie des Achéménides, rois des Mèdes et des Perses dont était le célèbre Cyrus, qui l’adopta. Sous son petit-fils Darius Ier (Ve siècle av. J.-C.), le zoroastrisme est la religion en place. Après lui, son fils Xerxès Ier, puis Artaxerxès Ier (qui régna de 465 à 425 av. J.-C.) en furent aussi des fidèles (tous ces rois sont mentionnés dans plusieurs livres de la Bible : Esdras, Néhémie, Daniel, Aggée, Zacharie, Esther…). Sous leurs règnes s'opéra sans doute une synthèse des enseignements de Zoroastre et de la tradition antécédente. Artaxerxès II (qui régna de 404 à 358 av. J.-C.) vénérait Ahura Mazda, Mithra et Anahita. Le mazdéisme est resté la religion de l’Iran durant douze siècles, jusqu’à sa conversion à l’islam à partir du VIIe siècle ap. J.-C.
Cette religion, en outre dualiste (où s’opposent le Bien — Ahura Mazda, ou Ormuzd, — et le Mal — Ahriman), et qui, suite à la réforme de Zoroastre, est globalement monothéiste ; cette religion a des racines communes avec l’hindouisme, et donc aussi le bouddhisme. Et ses prêtres, ainsi dotés d’une représentativité universelle, sont les Mages.
On voit donc dans notre texte ces Mages informés, apparemment au travers de pratiques astrologiques, de la venue en ce monde d'un roi des Judéens. L'aspect étrange semble s’épaissir : on sait que les premiers chrétiens, comme le judaïsme, rejettent l'astrologie, perçue comme déterministe et s'opposant donc à la liberté des enfants de Dieu.
(Aujourd'hui, de plus, après les progrès de l'astronomie moderne depuis Copernic, l'astrologie est dépouillée de tout crédit scientifique ; y compris sous l'angle où — ce depuis le XXe siècle — la science aussi rejette le "déterminisme", l'idée que les choses seraient déterminées à fonctionner de façon immuable et prévisible, ce qui rejoint les raisons qui étaient celles des premiers chrétiens pour rejeter l'astrologie).
Bref. Mais alors qu'en est-il de ce texte ?
Signe de miséricorde
Nulle justification de l'astrologie, évidemment : ici, c’est Dieu qui fait apparaître un reflet de sa gloire jusqu'aux parages confus d’une sagesse déficiente comme le sont finalement toutes les sagesses humaines. Comme l'a écrit Paul, par la folie de la croix, "Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?" (1 Co 1, 20).
Dieu condescend à faire luire un reflet de lumière, à donner un signe jusqu'aux marges de la confuse astrologie (marges, car en fait, ce n’est pas exactement d’astrologie, pas au sens où on l’entend aujourd’hui, qu’il s’agit, mais, on va le voir, de prophétie mazdéenne, qui incluait une référence aux astres). Un signe, que selon leur croyance, ces Mages discernent : un roi des Judéens est né.
Un roi des Judéens, les Mages vont donc chez Hérode : normal, il s'agit du roi de Judée en place, ils vont à la famille royale. Et c'est alors la prophétie de l'Écriture juive qui éclairera plus précisément leur chemin : ce sera Bethléem.
L'étoile réapparaît alors — v.10 : "à la vue de l'étoile, ils éprouvèrent une grande joie" — comme un dernier clin d’œil.
Mais attention, ici les choses, parlant de prophétie, prennent une tournure inattendue. Matthieu, on le sait, bâtit son récit de l’Enfance sur les prophéties de la Bible hébraïque. Et voilà que, chose étonnante, il y introduit une prophétie issue d’une autre religion !
Une autre prophétie
Des Mages aux prises avec un roi qui veut les utiliser — ici contre un rival royal potentiel. Des Mages conduits où ils ne voulaient pas aller, de Jérusalem à Bethléem…
Où l’on retrouve un épisode parallèle dans le livre des Nombres, et qui n’est pas sans éclairer celui des Mages : Balaam. Comme les Mages, "Balaam s'en alla et retourna dans son pays ; et Balaq s'en alla de son côté." (Nb 24, 25) — comme Hérode du sien. Balaam est un genre de devin, comme les Mages. Balaq lui demande de maudire Israël, comme Hérode qui dans la suite du texte, en massacrera les enfants. Et poussé par Dieu, que lui répond Balaam le devin ? — "Il n'y a pas d'augure en Jacob, ni de divination en Israël : en temps voulu il est dit à Jacob, à Israël, ce que Dieu fait." (Nombres 23, 23) Et voici ce qu’annonce Dieu par Balaam : "Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant; je l'observe, mais non de près: De Jacob monte une étoile, d'Israël surgit un sceptre" (Nombres 24, 17).
Étoile annoncée par Balaam, et que rencontrerons les Mages qui lui ressemblent sous l’angle où comme lui, ils sont des prophètes païens. Étoile qui est Jésus.
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C’est sans doute par ce type de biais qu’est introduit dans la tradition chrétienne ce qui est connu à l’époque comme une véritable prophétie étrangère, zoroastrienne.
L'Évangile arabe de l'Enfance, un texte apocryphe arabe de source syriaque affirme : —Zoroastre, qu’il identifie justement à Balaam — Zoroastre annonça, je cite (ch. 1, v.2), que :
"La vierge sera enceinte sans avoir connu d’homme [...]. Son enfant par la suite ressuscitera des morts ; et sa bonne nouvelle [sera connue] dans les sept climats de la terre" ; cela avec pour signe une étoile. Et plus loin, le même texte (ch. 5, v1) : "Des Mages arrivèrent d'Orient à Jérusalem, selon ce que Zoroastre avait prédit".
Eh bien ! cette prophétie est connue par ailleurs. L’historien des religions Salomon Reinach, dans son Histoire Générale des Religions rappelle l'essentiel des croyances mazdéennes à ce sujet. Je cite : "À la fin des siècles, Ahura Mazda engagera une lutte décisive contre Ahriman et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors de Zoroastre un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts et d'abord le premier mort, l'homme primitif : Gayomart."
Les historiens précisent en outre qu'en Iran oriental des Mages astrologues se recueillaient chaque année sur une montagne pour y guetter durant trois jours — c’est une partie de leur culte — l'étoile du grand roi.
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Du coup, pour étrange qu'il nous apparaisse, notre récit sur les Mages prend tout un sens. Dans le cadre de leur attente mazdéenne, des zoroastriens à Jérusalem ? Eh bien, c’est tout à fait envisageable ! L'attente messianique juive dépassait alors largement les frontières d'Israël. Depuis longtemps, des contacts étaient noués entre Israël et les peuples où il a été dispersé. La Bible est alors traduite en grec depuis deux siècles !
Le contact est plus particulièrement étroit avec les pensées les plus proches de le religion du Dieu unique (ainsi Paul et les philosophes d'Athènes — Ac 17). Mais aussi une religion comme le zoroastrisme — la religion des Mages, donc.
Un signe des temps, ces temps annoncés par Ésaïe, et dont Paul deviendra le grand annonciateur. Voilà un Dieu qui accompagne ceux qui cherchent son salut, même païens, même de façon confuse, jusque dans leur démarche confuse. Un Dieu qui prend le risque de frayer sur les chemins de ce monde, qui prend le risque de l'Incarnation, pour mener ce monde, pour mener la chair, jusqu'à la folie de la rencontre d’un enfant, qui est en fait le fils de Dieu.
Un enfant humble de parents humbles chez qui entrent de prestigieux prêtres étrangers, déposant aux pieds de l'infini mystère la richesse de leur or, l'encens de leurs prières, et la myrrhe qui parfume les vivants et les morts. À nous de les y accompagner.
Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est le mystère que nous fêtons : Dieu est manifesté au monde. Il nous a accompagnés, et nous accompagne dans les méandres de nos réalités afin que nous vivions de sa seule grâce au cœur du monde où nous frayons.
Le chemin de Dieu
Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange.
Rappelez-vous (v.9-10) : « l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, […] vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. » « De Jacob monte une étoile » avait dit Balaam. Arrêtée au-dessus de l’enfant, l’étoile est le signe de sa provenance, céleste. Cet enfant vient des cieux à notre rencontre, sur nos chemins, même tortueux comme celui des Mages païens ; avec nous mystérieusement, comme la trace d’une étoile, jusqu’à ce carrefour où s’arrête l’étoile et où l’on repart « par un autre chemin ».
L’enfant était l’étoile, il est désormais le chemin. Nous n’avons pas eu le cheminement des Mages. Nous avons eu chacun les nôtres, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusque là. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, où nous sommes à présent envoyés avec lui... « un autre chemin »..
R.P.
12:55 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)
01 janvier 2006
Pour l'an nouveau
Gloire à Dieu dans les lieux très hauts,
Et paix sur la terre
Que le Seigneur te bénisse et te garde !
Que le Seigneur fasse rayonner sur toi son regard et t’accorde sa grâce !
Que le Seigneur porte sur toi son regard et te donne la paix !
(Nombres 6, 24-26)
Luc 2, 13-21 :
13 Et soudain il se joignit à l’ange une multitude de l’armée céleste, qui louait Dieu et disait:
14 "Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés."
15 Lorsque les anges se furent éloignés d’eux vers le ciel, les bergers se dirent les uns aux autres: Allons donc jusqu’à Bethléem, et voyons ce qui est arrivé, ce que le Seigneur nous a fait connaître.
16 Ils y allèrent en hâte et trouvèrent Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche.
17 Après l’avoir vu, ils racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant.
18 Tous ceux qui les entendirent furent dans l’étonnement de ce que leur disaient les bergers.
19 Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur.
20 Et les bergers s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit.
21 Quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception.
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux » ont chanté les anges — « multitude de l’armée céleste ». Il s’est passé là quelque chose d’extraordinaire, qui fait chanter toute la création visible et invisible, qui fait chanter jusqu’à toute la « gendarmerie céleste », pour employer le vocabulaire de Calvin parlant des anges.
Car il faut, en effet, se débarrasser de l’imagerie douceâtre qui traduit ces armées angéliques en figures d’angelots joufflus… Exténuant de la sorte le contraste extraordinaire que veut rendre l’Évangile : d’un côté toute la puissance — la Création et ses fondements célestes, toute la terreur, la sainte terreur, que cela peut inspirer ; de l’autre l’humilité de la crèche où naît le souverain de toutes les armées célestes. C’est sans doute le deuxième, pôle empreint de douceur, qu’a voulu rendre l’imagerie des angelots. Mais à quel prix ! Comme quoi nos représentations des réalités célestes, et terrestres, restent inadéquates, contraintes, elles aussi, à l’humilité !
Les armées célestes viennent de se joindre à l’ange annonciateur, et dès lors les bergers non plus ne s’y trompent pas. Ils n’y ont d’ailleurs, sans doute, pas été portés. Un ange, même annonciateur d’une bonne nouvelle, est impressionnant. Et alors, quand s’y joint toute la gendarmerie…
Mais voilà donc que la chose essentielle, celle qu’ils chantent là, s’est passée à Bethléem, s’est passée dans l’humilité, et concerne celui qui vaut que toutes les puissances de la Création y joignent leur louange.
Cela concerne les bergers, et nous concerne avec eux. Cela aussi les anges le clament ! C’est le deuxième aspect de leur chant de louange : « paix sur la terre parmi les hommes de la bienveillance ».
« Parmi les hommes de bonne volonté » a traduit la version latine, la Vulgate, de Jérôme — le fameux saint Jérôme :
« Gloria in altissimis Deo et in terra pax in hominibus bonae voluntatis ».
(« Doxa en uqistoiv yew kai epi ghv eirhnh en anyrwpoiv eudokia ».)
La traduction n’est pas si mauvaise. Elle rend le terme grec littéralement, selon un des sens possibles… cela en posant une difficulté théologique — qui n’est pas sans intérêt.
Car, certes, la paix donnée aux hommes par Dieu en son Fils n’est pas payante, n’est pas réservée à ceux qui l’auraient méritée par leur bonne volonté ! Ou leur bienveillance ! (L’autre sens possible de l’expression grecque serait : « les élus » — paix sur la terre aux hommes de la bienveillance, du bon plaisir de Dieu, aux élus de Dieu.)
Mais justement l’ambiguïté doit alors nous interroger, comme tout propos qui heurte notre sens de l’ordre des choses.
Et si là, précisément, se disait aussi, comme avec les chants des armées célestes plutôt que des angelots, la dimension vertigineuse du contraste qu’il nous est donné de contempler.
Nous voilà au carrefour entre le Dieu créateur de toutes les choses visibles et invisibles, jusqu’aux puissances célestes, et la réalité de l’humanité qui chemine sous la bienveillance de ce Dieu Tout-puissant, exprimée au quotidien dans sa bienveillance à elle, humanité, une bienveillance tout humaine, et trop rare.
Le double sens possible de cette « bienveillance », de cette « bonne volonté » peut alors vouloir dire beaucoup de choses.
Cela rejoint Paul disant aux Romains : « vous êtes sauvés par la foi du Christ » — au double sens de foi en Christ et de foi exercée par le Christ. Double sens qui veut que le salut est en ce carrefour où l’on fait confiance en celui qui est fiable, et qui nous sauve par sa seule fiabilité, reçue dans l’humilité de la foi — salut qui donc dépend de sa foi à lui et non pas de la nôtre qui ne fait que le recevoir et croire.
Ce double sens rejoint aussi celui du « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés » — commenté en Matthieu 6, 15 par :
« Si vous ne pardonnez pas, votre Père non plus ne vous pardonnera pas ».
Parole terrible si l’on y voit un Dieu attendant de nous que nous fassions le premier pas vers autrui avant qu’il ne fasse un pas vers nous.
Le double sens ici aussi dit exactement le contraire : dans le pardon inconditionnel de Dieu se fonde votre capacité à pardonner, qui sera pour vous comme donnée en signe de la puissance et de la vérité du pardon reçu.
« Paix envers les hommes de la bienveillance ». La paix de Dieu, sa bienveillance accordée en plénitude, et signifiée ici dans l’humilité de l’enfant pour qui s’élève la louange de toute la Création, se donne à expérimenter dans la bienveillance qui en découle parmi les hommes, puis depuis les hommes qui deviennent par leur bienveillance autant de signes de ce que la bienveillance divine est effectivement octroyée — et qu’elle se répand.
Là est tout le contraste que nous donne ce chant de louange angélique entre la puissance divine dans la Création, la magnificence du Créateur, et l’humilité de l’enfant en lequel il vient à nous.
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À ce moment le récit entre dans toute son humilité, sa simplicité, ce que nous savons nous figurer : « Marie, Joseph, et le nouveau-né dans la crèche ». Là est tout le salut. « Après l’avoir vu, les bergers racontèrent ce qui leur avait été dit au sujet de ce petit enfant. » Rien de plus à dire !
Qu’à s’étonner, comme l’on fait les auditeurs des bergers, et à méditer, comme la mère de l’enfant : « Marie conservait toutes ces choses, et les repassait dans son cœur. »
Et reprendre nos chemins avec les bergers qui « s’en retournèrent en glorifiant et louant Dieu pour tout ce qu’ils avaient entendu et vu, conformément à ce qui leur avait été dit ».
L’enfant, lui aussi, poursuit sa route d’humilité, chemin des hommes. Déjà ses parents le mènent sur ce chemin et le présentent à sa circoncision : « quand le huitième jour fut accompli, il fut circoncis et fut appelé Jésus, du nom indiqué par l’ange avant sa conception ».
Signe extraordinaire à nouveau de ce qu’en lui est le salut des nations, qui selon les promesses des prophètes, découle de Jérusalem, ville du peuple de la circoncision, Cité des origines et demain Cité céleste.
Ce signe est en ce que l’Église, qui rassemble les nations autour de cet enfant, datera ses années, non pas du jour de sa naissance, mais du jour de sa circoncision : nous avons fêté sa naissance il y a huit jours. Aujourd’hui, 1er jour de l’année nouvelle, est commémoration de sa circoncision.
Le Créateur tout-puissant célébré par les armées célestes a bien répandu sa bienveillance, depuis le cœur de Jérusalem, envers toutes les nations, pour que comme en cascades cette bienveillance qui jaillit de la crèche de l’enfant jusqu’en sa résurrection, se répande désormais parmi les hommes et les femmes ce monde et par les hommes et les femmes de ce monde.
*
Et cela se donne dans ce simple dévoilement : « Christ, Dieu et homme, ne fait qu’une seule personne. Si je veux trouver Dieu, je vais le chercher dans l’humanité du Christ. Aussi, quand nous réfléchissons à Dieu, nous faut-il perdre de vue l’espace et le temps, car Notre-Seigneur Dieu, notre créateur est infiniment plus haut que l’espace, le temps et la création. » (J’ai cité Martin Luther, Propos de Table, Aubier 1992, p. 204.)
Dans et l’espace et le temps, il a donné ce signe de sa présence aux bergers, puis par eux à tous : l’humanité du Christ.
R.P.
13:35 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)