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17 janvier 2006

Troubadours et cathares

 

 

 

Troubadours et Cathares
Actes du colloque de Chancelade

 

Auteurs : Anne Brenon, Gwendoline Hancke
Éditions : L'Hydre
Collection : Domaine historique
ISBN : 2-913703-41-0
Format : broché, couv. Quadri 
 

22 €, port compris

 

 

 

Troubadours et cathares... un couple qui a fait couler beaucoup d'encre et suscité bien des théories, certaines tout à fait fantaisistes. Mais au fond, la vraie question demeure celle-ci : parce que ces deux phénomènes historiques furent contemporains, furent-ils forcément liés d'un point de vue doctrinal ? Les Actes de ce colloque de Chancelade ont le mérite d'avoir réuni autour de ce problème les plus grands spécialistes du catharisme, des troubadours, enfin de la langue et de la société occitane médiévale... Tous abordent le sujet avec le sérieux qu'on leur connaît et le lecteur trouvera ici bon nombre de réponses aux nombreuses questions que soulève la coexistence historique du catharisme et de la culture des troubadours.

Colloque organisé par Novelum section périgorde de l'Institut d'Estudis Occitans.
Textes recueillis par Richard Bordes.
Débats enregistrés par Jean-Louis Gasc avec la participation de : Anne Brenon, josé Dupré, Gwendoline Hancke, Bernard Lesfalgues, Roland Poupin, Julien Roche, Jean Roux, Francesco Zambon.

   

 

 

    

15:50 Écrit par rolpoup dans Publications | Lien permanent | Commentaires (0)

11 janvier 2006

Porte de la liberté

 

 

 

Il progressait en sagesse,

en stature et en grâce,

devant Dieu

et devant les hommes...

 

 

 

 



Luc 2, 40-52 :
40 Cependant l’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui.
41 Ses parents allaient chaque année à Jérusalem pour la fête de la Pâque.
42 Quand il eut douze ans, comme ils y étaient montés suivant la coutume de la fête
43 et qu'à la fin des jours de fête ils s'en retournaient, le jeune Jésus resta à Jérusalem sans que ses parents s'en aperçoivent.
44 Pensant qu'il était avec leurs compagnons de route, ils firent une journée de chemin avant de le chercher parmi leurs parents et connaissances.
45 Ne l'ayant pas trouvé, ils retournèrent à Jérusalem en le cherchant.
46 C'est au bout de trois jours qu'ils le retrouvèrent dans le temple, assis au milieu des maîtres, à les écouter et les interroger.
47 Tous ceux qui l'entendaient s'extasiaient sur l'intelligence de ses réponses.
48 En le voyant, ils furent frappés d'étonnement et sa mère lui dit: "Mon enfant, pourquoi as-tu agi de la sorte avec nous? Vois, ton père et moi, nous te cherchons tout angoissés."
49 Il leur dit: "Pourquoi donc me cherchiez-vous? Ne saviez-vous pas qu'il me faut être chez mon Père?"
50 Mais eux ne comprirent pas ce qu'il leur disait.
51 Puis il descendit avec eux pour aller à Nazareth; il leur était soumis; et sa mère retenait tous ces événements dans son cœur.

52 Jésus progressait en sagesse et en taille, et en faveur auprès de Dieu et auprès des hommes.


*

Jean 8, 12 : Jésus leur parla de nouveau et dit: Moi, je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie.


*

 

C'est la Pâque. Le pèlerinage le plus important du judaïsme. On monte en masse à Jérusalem. On marche longtemps sur les routes poussiéreuses — depuis la Galilée, pour Marie et Joseph. On part en groupe, on se découvre en route.

Au retour de la fête, on a lié solidement connaissance. Comme une grande famille. Les enfants circulent d'un groupe à l'autre. Le voyage est long. On fait halte, on bivouaque tous ensemble.

Dans cette joyeuse cohue, Jésus, peuvent se dire ses parents, est quelque part avec ses copains, et comme eux, il est sous telle ou telle tente. Rien que de très normal. Puis on découvre qu’il n'est pas là du tout !
Pour que toutefois le lecteur ne se trompe pas sur ce qui se passe, Luc précise que Jésus « était soumis » à ses parents.
Mais Jésus pourtant est mûr désormais, douze ans, à peu près l'âge de la responsabilité devant Dieu, autour de laquelle l'histoire du judaïsme a forgé le rite de la bar-mitsva.

Dans la tradition biblique, dès les temps les plus anciens, les enfants au tournant par lequel ils deviennent jeunes adultes, sont déclarés responsables devant Dieu — responsables de ce qu'ils ont entendu jusque là. Responsabilité, c'est-à-dire capacité de répondre ; de répondre à, de répondre de — et notamment répondre de la parole reçue.

C'est là ce que le judaïsme appelle « bar-mitsva », ce qui signifie « enfant du commandement » — et que nous faisons correspondre approximativement, dans l’Église réformée, à ce qu’on appelle parfois, assez improprement d’ailleurs, « confirmation ».

La bar-mitsva dit que la circoncision, dans le judaïsme, requerra aussi la circoncision du cœur.
Comme dans l’Église réformée, où l’on a conservé du rite juif le baptême qui y accompagne la circoncision des non-juifs : et puisque les croyants d’origine non-juive sont autorisés en Actes 15 à ne pas être circoncis, on ne garde que le baptême. Cela dit, comme pour la circoncision qui ne présume pas de la grâce qui fait naître d’Esprit, le baptême n’empêche pas que Dieu seul peut susciter des enfants à Abraham, comme dit Jean Baptiste, ou, a fortiori, Dieu seul peut susciter des enfants de Dieu. Dans notre enfance, nos parents sont responsables de notre relation avec Dieu. Puis nous accédons au temps où nous-mêmes devenons seuls responsables devant lui. C'est le passage à l'âge de la majorité religieuse, le sens du rite de la bar-mitsva qui est derrière notre texte.

Jésus a douze ans dans notre épisode. C'est approximativement l'âge où l'on va devenir bar-mitsva. Jésus passera aussi par là. Déjà il se situe devant la parole de Dieu en présence des docteurs de la Loi étonnés.

Ses parents sont montés à Jérusalem pour la Pâque. Tout le début de l'Évangile de Luc les montre observant strictement la Tora. Depuis la visite de Marie au prêtre Zacharie, en passant par la circoncision de son fils et les rites de purification, jusqu'à cet épisode.

Scène ordinaire de la vie religieuse juive. Simplement ici Jésus, atteignant l’âge de la bar-mitsva, va exprimer dans tout son sens, ce qu'est devenir adulte devant Dieu, unique devant Dieu, par soi-même et non plus par ses parents.
Cela correspond à sa parole : « il faut que je m'occupe des affaires de mon Père » : ce qui est une leçon pour ses parents, et aussi pour nous-mêmes — et comme parents et comme enfants.

Dépouillé, comme unique devant Dieu. Jésus s'occupe des affaires de son Père.
Et c'est ce que Dieu nous demande aussi. Tous devons devenir adultes par rapport à ceux que nous recevons comme modèles.

Il s’agit de vivre dans la lumière, la lumière de la parole de Dieu que l’on a appris à écouter… Comme Jésus. Et pour nous autres, par lui. Jean 8, 12 : « Jésus leur parla de nouveau et dit: Moi, je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. »

Comme Jésus et, pour nous, par lui. Puisque comme l’annonçait Jean 1, 9 & 12-13 :
Il est « la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
[…] à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. »

C’est ce qui est être éduqué, « conduit hors de » — hors de l’enfance, et de l’enfance spirituelle, pour être devant Dieu.

Et en parallèle, comme parents, laisser être eux-mêmes, face au commandement qu'ils ont appris à connaître, tous ceux que nous tendons à maintenir dans notre dépendance, prolongeant leur enfance, j'ai parlé bien sûr de nos enfants naturels ; cela vaut aussi des enfants spirituels — et cela est vrai aussi concernant tout ce qui peut devenir une chaîne.

Ici, il faut commencer par rompre, symboliquement, d'avec ceux avec qui nous sommes liés, nos proches, nos parents — et aussi nos maîtres, et tout ce qu’on peut imaginer, jusqu’à nos biens et nos propres vies. Rupture sans laquelle il n'est qu'esclavage dans nos relations, et même dans la relation avec nous-mêmes.

Rupture d'avec tout ce qui nous fait exister à nos propres yeux. C'est qu'il n'est de vie à l'image du Christ, de vie en vérité, que sous le regard de Dieu. Et cela suppose, tôt ou tard, l'abandon de tout autre regard dont notre vie serait censée dépendre, pas seulement le regard des parents, mais ce que peut conférer un statut social, ou une position dans la société ou dans l’Église, dans nos assemblées. C’est une devise de la foi réformée : « coram Deo sola fide vivere » — vivre devant Dieu par la foi seule.

C'est de cela que Jésus montre l'exemple dans ce texte qui nous le présente au Temple à douze ans. Il vit dans sa chair cet exemple-là, et dévoile par la même occasion qui il est : le Fils de Dieu. Il est par nature ce que nous sommes tous appelés à devenir par adoption.

Ici les trois jours de sa disparition revêtent un second sens, annonçant sa résurrection : « proclamé Fils de Dieu par sa résurrection d’entre les morts », selon les mots de Paul.

Comme Jésus nous en donne l'exemple, devenir enfant de Dieu, c'est-à-dire adulte en Christ, requiert la fin, la mort, de toute dépendance, y compris du regard d'autrui, dans la famille et hors de la famille, hors de l’Église et dans l’Église. C’est le départ de la libération par l’Évangile. Cela concerne aussi, comme les parents, les dirigeants spirituels —, se refusant à maintenir leurs enfants spirituels dans la dépendance, y compris morale et psychologique. La rupture est certes difficile, mais nécessaire : « celui qui aime fils ou fille plus que moi n'est pas digne de moi ».

Cette libération possible est le fruit de la lumière qu’est l’instruction, toute instruction, et tout particulièrement l’instruction dans la parole de Dieu. La lumière — devant sa loi : ce qui induit aussi la transparence, signe de l’être adulte en Christ.
Cela vaut pour nos relations les uns avec les autres, nos relations d’Église à Église. Savons-nous être transparents les uns avec les autres, ne pas croire les rumeurs, avoir les uns avec les autres des relations honnêtes ? C’est un signe du statut d’enfants de Dieu, c’est-à-dire du statut d’adulte en Christ.

Comme Jésus, il faut croître non seulement en stature, mais en sagesse, et en grâce. Et il n'est pas facile de se résoudre à se suffire de la grâce, ou de se résoudre à laisser à Dieu ceux qu'il nous a confiés, à lui passer le relais pour qu'il ouvre leur liberté.

C'est là un acte de la foi, qui est œuvre miraculeuse de la grâce. Se résoudre à assumer et promouvoir ces ruptures est une façon de recevoir sa propre mort, renoncer à toute possession ; mort à soi-même indispensable pour la naissance d'en haut, la naissance à la liberté. Alors, un monde nouveau, prémisse des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, devient possible, un monde de relations humaines reconnaissant l'autre pour lui-même, d’une valeur infinie, être créé selon l'image de Dieu, manifestée en Christ. Un prochain qui n’est pas limité à nos schémas. Voilà tout un programme, qui n'est pas facultatif : abandonner autrui à Dieu. Et, pour cela, nous y abandonner nous-mêmes.

Et dans le cadre de notre thème — défi Michée — cela vaut pour nos relations avec nos prochains, jusqu’à ceux des pays lointains. La possibilité de l’instruction en est la base.
Et déjà de l’instruction au sens le plus naturel du terme : apprendre à lire et à écrire. Les protestants dans la France de l’Ancien régime, persécutés, ont survécu par leur culture.
Ils savaient lire, ils apprenaient à lire dans la Bible dès l’enfance, et l’héritage s’est transmis ainsi, sous la persécution, pour parvenir jusqu’à nous.

Et un jour cette parole doit éclore, comme la semence de la parabole. C’est ce que dit pour nous Jésus ce jour-là. Il s’agit d’offrir à Dieu ce qui n'appartient qu'à Dieu. Nous verrons alors si selon sa promesse, une part abondante de liberté et de bonheur, comme un grand bol d'air, ne vient pas sur nous, sur nos Églises et sur le monde.


R.P.
09.01.2006
Semaine de prière de l’Alliance évangélique

 

 

 

10:30 Écrit par rolpoup dans Silence & paroles | Lien permanent | Commentaires (0)

08 janvier 2006

Épiphanie


 

L’ADORATION

DES MAGES  



 




Matthieu 2, 1-12
1  Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode, voici que des mages venus d'Orient arrivèrent à Jérusalem
2  et demandèrent : "Où est le roi des Judéens qui vient de naître ? Nous avons vu son astre à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage."
3  A cette nouvelle, le roi Hérode fut troublé, et tout Jérusalem avec lui.
4  Il assembla tous les grands prêtres et les scribes du peuple, et s'enquit auprès d'eux du lieu où le Messie devait naître.
5  "A Bethléem de Judée, lui dirent-ils, car c'est ce qui est écrit par le prophète :
6  Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n'es certes pas le plus petit des chefs-lieux de Juda : car c'est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël, mon peuple."
7  Alors Hérode fit appeler secrètement les mages, se fit préciser par eux l'époque à laquelle l'astre apparaissait,
8  et les envoya à Bethléem en disant : "Allez vous renseigner avec précision sur l'enfant; et, quand vous l'aurez trouvé, avertissez-moi pour que, moi aussi, j'aille lui rendre hommage."
9  Sur ces paroles du roi, ils se mirent en route; et voici que l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, avançait devant eux jusqu'à ce qu'il vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant.
10  À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie.
11  Entrant dans la maison, ils virent l'enfant avec Marie, sa mère, et, se prosternant, ils lui rendirent hommage ; ouvrant leurs coffrets, ils lui offrirent en présent de l'or, de l'encens et de la myrrhe.
12  Puis, divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin.



Les Mages. Ils disent la manifestation de Dieu, en l’occurrence manifestation aux nations, à tous, “manifestation” selon le sens du terme issu du grec, “épiphanie”. Commémoration de la naissance de la lumière à Noël : la voilà comme à son zénith. Le Royaume, ici, se fait plus proche.
 
 
Les Mages et l'Histoire
 
On sait ce qu'il en est de ces Mages. Les Mages étaient la caste sacerdotale dans l’Empire perse (donc prêtres plutôt que rois — ils sont devenus rois, "rois-mages", au regard des textes des Psaumes et d’Ésaïe —, et pas nécessairement trois — ça, ça vient du nombre de leurs cadeaux, avant de désigner les trois continents — le monde entier d’alors — qu’ils en viendront à représenter : Afrique, Asie, Europe). Des prêtres, au départ, de la caste sacerdotale des Mages, chez les Perses, de religion mazdéenne — comme les Lévites pour les Hébreux.
 
La religion mazdéenne existe toujours, qui se réclame du prophète Zoroastre (ou Zarathoustra), prophète de Ahura Mazda (comme les mazdéens nomment Dieu). C’est la dynastie des Achéménides, rois des Mèdes et des Perses dont était le célèbre Cyrus, qui l’adopta. Sous son petit-fils Darius Ier (Ve siècle av. J.-C.), le zoroastrisme est la religion en place. Après lui, son fils Xerxès Ier, puis Artaxerxès Ier (qui régna de 465 à 425 av. J.-C.) en furent aussi des fidèles (tous ces rois sont mentionnés dans plusieurs livres de la Bible : Esdras, Néhémie, Daniel, Aggée, Zacharie, Esther…). Sous leurs règnes s'opéra sans doute une synthèse des enseignements de Zoroastre et de la tradition antécédente. Artaxerxès II (qui régna de 404 à 358 av. J.-C.) vénérait Ahura Mazda, Mithra et Anahita. Le mazdéisme est resté la religion de l’Iran durant douze siècles, jusqu’à sa conversion à l’islam à partir du VIIe siècle ap. J.-C.
 
Cette religion, en outre dualiste (où s’opposent le Bien — Ahura Mazda, ou Ormuzd, — et le Mal — Ahriman), et qui, suite à la réforme de Zoroastre, est globalement monothéiste ; cette religion a des racines communes avec l’hindouisme, et donc aussi le bouddhisme. Et ses prêtres, ainsi dotés d’une représentativité universelle, sont les Mages.
 
On voit donc dans notre texte ces Mages informés, apparemment au travers de pratiques astrologiques, de la venue en ce monde d'un roi des Judéens. L'aspect étrange semble s’épaissir : on sait que les premiers chrétiens, comme le judaïsme, rejettent l'astrologie, perçue comme déterministe et s'opposant donc à la liberté des enfants de Dieu.
 
(Aujourd'hui, de plus, après les progrès de l'astronomie moderne depuis Copernic, l'astrologie est dépouillée de tout crédit scientifique ; y compris sous l'angle où — ce depuis le XXe siècle — la science aussi rejette le "déterminisme", l'idée que les choses seraient déterminées à fonctionner de façon immuable et prévisible, ce qui rejoint les raisons qui étaient celles des premiers chrétiens pour rejeter l'astrologie).
 
Bref. Mais alors qu'en est-il de ce texte ?
 
 
Signe de miséricorde
 
Nulle justification de l'astrologie, évidemment : ici, c’est Dieu qui fait apparaître un reflet de sa gloire jusqu'aux parages confus d’une sagesse déficiente comme le sont finalement toutes les sagesses humaines. Comme l'a écrit Paul, par la folie de la croix, "Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?" (1 Co 1, 20).
 
Dieu condescend à faire luire un reflet de lumière, à donner un signe jusqu'aux marges de la confuse astrologie (marges, car en fait, ce n’est pas exactement d’astrologie, pas au sens où on l’entend aujourd’hui, qu’il s’agit, mais, on va le voir, de prophétie mazdéenne, qui incluait une référence aux astres). Un signe, que selon leur croyance, ces Mages discernent : un roi des Judéens est né.
 
Un roi des Judéens, les Mages vont donc chez Hérode : normal, il s'agit du roi de Judée en place, ils vont à la famille royale. Et c'est alors la prophétie de l'Écriture juive qui éclairera plus précisément leur chemin : ce sera Bethléem.
 
L'étoile réapparaît alors — v.10 : "à la vue de l'étoile, ils éprouvèrent une grande joie" — comme un dernier clin d’œil.
 
Mais attention, ici les choses, parlant de prophétie, prennent une tournure inattendue. Matthieu, on le sait, bâtit son récit de l’Enfance sur les prophéties de la Bible hébraïque. Et voilà que, chose étonnante, il y introduit une prophétie issue d’une autre religion ! 
 
 
Une autre prophétie
 
Des Mages aux prises avec un roi qui veut les utiliser — ici contre un rival royal potentiel. Des Mages conduits où ils ne voulaient pas aller, de Jérusalem à Bethléem…
 
Où l’on retrouve un épisode parallèle dans le livre des Nombres, et qui n’est pas sans éclairer celui des Mages : Balaam. Comme les Mages, "Balaam s'en alla et retourna dans son pays ; et Balaq s'en alla de son côté." (Nb 24, 25) — comme Hérode du sien. Balaam est un genre de devin, comme les Mages. Balaq lui demande de maudire Israël, comme Hérode qui dans la suite du texte, en massacrera les enfants. Et poussé par Dieu, que lui répond Balaam le devin ? — "Il n'y a pas d'augure en Jacob, ni de divination en Israël : en temps voulu il est dit à Jacob, à Israël, ce que Dieu fait." (Nombres 23, 23) Et voici ce qu’annonce Dieu par Balaam : "Je le vois, mais ce n'est pas pour maintenant; je l'observe, mais non de près: De Jacob monte une étoile, d'Israël surgit un sceptre" (Nombres 24, 17).
 
Étoile annoncée par Balaam, et que rencontrerons les Mages qui lui ressemblent sous l’angle où comme lui, ils sont des prophètes païens. Étoile qui est Jésus.



C’est sans doute par ce type de biais qu’est introduit dans la tradition chrétienne ce qui est connu à l’époque comme une véritable prophétie étrangère, zoroastrienne.
 
L'Évangile arabe de l'Enfance, un texte apocryphe arabe de source syriaque affirme : —Zoroastre, qu’il identifie justement à Balaam — Zoroastre annonça, je cite (ch. 1, v.2), que :
 
"La vierge sera enceinte sans avoir connu d’homme [...]. Son enfant par la suite ressuscitera des morts ; et sa bonne nouvelle [sera connue] dans les sept climats de la terre" ; cela avec pour signe une étoile. Et plus loin, le même texte (ch. 5, v1) : "Des Mages arrivèrent d'Orient à Jérusalem, selon ce que Zoroastre avait prédit".
 
Eh bien ! cette prophétie est connue par ailleurs. L’historien des religions Salomon Reinach, dans son Histoire Générale des Religions rappelle l'essentiel des croyances mazdéennes à ce sujet. Je cite : "À la fin des siècles, Ahura Mazda engagera une lutte décisive contre Ahriman et l'emportera grâce à l'archange Sraoscha (l'obéissant), vainqueur du démon Ashéma. Une Vierge concevra alors de Zoroastre un Messie, le Victorieux, le second Zoroastre qui fera ressusciter les morts et d'abord le premier mort, l'homme primitif : Gayomart."
 
Les historiens précisent en outre qu'en Iran oriental des Mages astrologues se recueillaient chaque année sur une montagne pour y guetter durant trois jours — c’est une partie de leur culte — l'étoile du grand roi.


*


Du coup, pour étrange qu'il nous apparaisse, notre récit sur les Mages prend tout un sens. Dans le cadre de leur attente mazdéenne, des zoroastriens à Jérusalem ? Eh bien, c’est tout à fait envisageable ! L'attente messianique juive dépassait alors largement les frontières d'Israël. Depuis longtemps, des contacts étaient noués entre Israël et les peuples où il a été dispersé. La Bible est alors traduite en grec depuis deux siècles !
 
Le contact est plus particulièrement étroit avec les pensées les plus proches de le religion du Dieu unique (ainsi Paul et les philosophes d'Athènes — Ac 17). Mais aussi une religion comme le zoroastrisme — la religion des Mages, donc.
 
Un signe des temps, ces temps annoncés par Ésaïe, et dont Paul deviendra le grand annonciateur. Voilà un Dieu qui accompagne ceux qui cherchent son salut, même païens, même de façon confuse, jusque dans leur démarche confuse. Un Dieu qui prend le risque de frayer sur les chemins de ce monde, qui prend le risque de l'Incarnation, pour mener ce monde, pour mener la chair, jusqu'à la folie de la rencontre d’un enfant, qui est en fait le fils de Dieu.
 
Un enfant humble de parents humbles chez qui entrent de prestigieux prêtres étrangers, déposant aux pieds de l'infini mystère la richesse de leur or, l'encens de leurs prières, et la myrrhe qui parfume les vivants et les morts. À nous de les y accompagner.
 
Le message de Dieu a rompu les frontières : c'est le mystère que nous fêtons : Dieu est manifesté au monde. Il nous a accompagnés, et nous accompagne dans les méandres de nos réalités afin que nous vivions de sa seule grâce au cœur du monde où nous frayons.
 
 
Le chemin de Dieu
 
Car voilà que face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de sa présence dans un enfant ; la foi miraculeuse à la faiblesse d’un enfant. À ce point, c’est à nous d’emboîter le pas des Mages et de leur histoire étrange.
 
Rappelez-vous (v.9-10) : « l'astre, qu'ils avaient vu à l'Orient, […] vînt s'arrêter au-dessus de l'endroit où était l'enfant. À la vue de l'astre, ils éprouvèrent une très grande joie. » « De Jacob monte une étoile » avait dit Balaam. Arrêtée au-dessus de l’enfant, l’étoile est le signe de sa provenance, céleste. Cet enfant vient des cieux à notre rencontre, sur nos chemins, même tortueux comme celui des Mages païens ; avec nous mystérieusement, comme la trace d’une étoile, jusqu’à ce carrefour où s’arrête l’étoile et où l’on repart « par un autre chemin ».
 
L’enfant était l’étoile, il est désormais le chemin. Nous n’avons pas eu le cheminement des Mages. Nous avons eu chacun les nôtres, ceux de nos espérances, de nos étoiles confuses, de nos religiosités, de nos soucis, de nos fardeaux, jusqu’à l’enfant, qui mystérieusement, nous a guidés et accompagnés jusque là. À présent l’étoile s’arrête, dévoilant l’enfant, nouveau chemin, lumineux, où nous sommes à présent envoyés avec lui... « un autre chemin »..

R.P.


 

 

12:55 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)