27 novembre 2006
À l'approche de Noël
Noël : de l’éternité à la crèche
Dieu est très proche de nous, nous sommes loin de lui. Alors il s’est approché de nous : c’est Noël.
*
Un chrétien anglican du XXe siècle, C.S. Lewis, l’auteur de Narnia, a écrit un essai qui s'appelle « Le Mythe devenu Fait ».
À Noël, le mythe devient réalité. Qu’est qu’un mythe ? — C’est une histoire imaginaire qui porte des vérités. Le mythe de Noël le plus connu est celui du Père Noël. Qu’est-ce qu’il dit ce mythe ? — Qu’il est possible de donner secrètement et gratuitement, par amour.
Nous avons entendu il y a un mois, un autre mythe, intitulé « le Mythe de la Caverne », écrit par Platon : un homme venu de la lumière descendait dans la nuit d’une caverne pour y porter la lumière aux hommes dans la nuit.
Ce mythe est devenu réalité à Noël : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne meure pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jean 3, 16). C’est le grand cadeau de Noël. Dans la nuit de notre hiver — pensez à l’hiver perpétuel du mythe de Narnia — descend celui qui est la lumière du monde.
Un chrétien célèbre qui vivait aux IV-Ve siècles, connaissait bien les livres de Platon. Ce chrétien s’appelait Augustin, plus connu comme saint Augustin.
Voici ce qu’écrit Augustin — Confessions, livre VII, ch. 9 — :
« Dans plusieurs livres platoniciens, j’ai lu, non en propres termes, […] "qu’au commencement était la Parole ; que la Parole était en Dieu, et que la Parole était Dieu; qu’elle était au commencement en Dieu, que tout a été fait par elle et rien sans elle : que ce qui a été fait a vie en elle ; que la vie est la lumière, des hommes, que cette lumière luit dans les ténèbres, et que les ténèbres ne l’ont point comprise." Et que l’âme de l’homme, "tout en rendant témoignage de la lumière, n’est pas elle-même la lumière, mais que la Parole de Dieu, Dieu lui-même, est la vraie lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde ;" et "qu’elle était dans le monde, et que le monde a été fait par elle, et que le monde ne l’a point connue. Mais qu’elle soit venu chez elle, que les siens ne l’aient pas reçue, et qu’à ceux qui l’ont reçue elle ait donné le pouvoir d’être faits enfants de Dieu, à ceux-là qui croient en son nom ;" c’est ce que je n’ai pas lu dans ces livres. J’y ai lu encore : "Que la Parole-Dieu est née non de la chair, ni du sang, ni de la volonté de l’homme, ni de la volonté de la chair ; qu’elle est née de Dieu." Mais "que la Parole se soit faite chair, et qu’elle ait habité parmi nous (Jean, I, 1-14)," c’est ce que je n’y ai pas lu. »
À présent, en Jésus, à Noël, le mythe est devenu fait.
Le même Augustin pourra alors dire : « Deus intimior intimo meo » — ce qui veut dire : Dieu est plus proche de moi que je ne suis proche de moi-même.
Dieu est très proche de nous, nous sommes loin de lui. Alors il s’est approché de nous : c’est Noël.
R.P., KT, Antibes, 25.11.06
08:35 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
14 octobre 2006
Lumière...
Lumière du monde
Louange :
Jésus dit : Moi, je suis la lumière du monde; celui qui me suit ne marchera point dans les ténèbres, mais il aura la lumière de la vie. (Jean 8:12)
Confession du péché :
En chemin, Jésus voit un homme qui était aveugle depuis sa naissance.
Quelques-uns demandent: "Sommes-nous des aveugles, nous aussi?"
Jésus leur répond: "Si vous étiez aveugles, vous ne seriez pas coupables; mais comme vous dites: Nous voyons, vous restez coupables." (Jean 9 v.1 & 40-41)
Paroles de grâce :
Jésus Il dit à l’homme aveugle : "Va te laver à la piscine de l’Envoyé". L’aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait. (Jean 9 v. 7)
Volonté de Dieu :
Pendant qu’il fait jour, nous devons accomplir les oeuvres de celui qui m’a envoyé. La nuit s’approche, où personne ne peut travailler. (Jean 9 v. 4)
*
Jean 1, 1-9
1 Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu.
2 Elle était au commencement avec Dieu.
3 Tout a été fait par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle.
4 En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes.
5 La lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont pas accueillie.
6 Il y eut un homme envoyé par Dieu, du nom de Jean.
7 Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.
8 Il n’était pas la lumière, mais (il vint) pour rendre témoignage à la lumière.
9 C’était la véritable lumière qui, en venant dans le monde, éclaire tout homme.
*
« Imagine des hommes dans un endroit souterrain, en forme de caverne, ayant sur toute sa largeur une entrée ouverte à la lumière. Ces hommes sont là depuis leur enfance, les jambes et le cou enchaînés ; ils ne peuvent ni bouger ni voir ailleurs que devant eux : la chaîne les empêche de tourner la tête.
La lumière leur vient d'un feu allumé sur une hauteur, au loin. Entre le feu et les prisonniers passe une route sur la hauteur : imagine au long de cette route un petit mur, un peu comme celui qui est devant un théâtre de marionnettes et au-dessus duquel on les fait bouger.
Imagine maintenant le long de ce petit mur des hommes portant des objets de toute sorte, qui dépassent le mur, et des statuettes d'hommes et d'animaux, en pierre en bois ou autre chose ; parmi ces porteurs, les uns parlent et les autres se taisent.
Voilà un étrange tableau et d'étranges prisonniers.
Penses-tu que dans une telle situation ils aient jamais vu autre chose d'eux-mêmes et de leurs voisins que les ombres projetées par le feu sur la paroi de la caverne qui leur fait face?
Comment feraient-ils s'ils sont forces de rester la tête immobile durant toute leur vie ?
Et pour les objets qui défilent, auraient-il vu autre chose que leur ombre?
Eh bien, non !
Si ils parlaient de cela ensemble, est-ce qu’il ne prendraient pas pour des objets réels les ombres qu'ils voient ?
Si.
Et si la paroi du fond de la prison avait un écho, chaque fois que l'un des porteurs parlerait, est-ce qu’ils croiraient entendre autre chose que l'ombre qui passe devant eux?
Non !
De tels hommes ne croiront vraies que les ombres des objets. Imagine maintenant ce qui leur arrivera si on les délivre de leurs chaînes et qu'on leur permette de voir la réalité. Qu'on détache l'un de ces prisonniers, qu'on le force à se dresser immédiatement, à tourner la tête, à marcher, à lever les yeux vers la lumière.
En faisant tous ces mouvements, il souffrira et l'éblouissement l'empêchera de bien voir ces objets dont tout à l'heure il voyait les ombres. Que crois-tu qu'il répondra si quelqu'un lui vient dire qu'il n'a vu jusqu'alors que des ombres, mais qu'à présent, plus près de la réalité et tourné vers les choses réelles, il voit plus juste ?
Et si, en lui montrant chacune des choses qui passent, on l'oblige à force de questions, à dire ce que c'est ? Ne penses-tu pas qu'il sera embarrassé ? Est-ce que les ombres qu'il voyait tout à l'heure ne lui paraîtront pas plus vraies que les objets qu'on lui montre maintenant ? Si on le force à regarder en pleine lumière, ses yeux n'en seront-ils pas blessés ? N'en fuira-t-il pas la vue pour retourner aux choses qu'il peut regarder, et ne croira-t-il pas que ces dernières sont réellement plus distinctes que celles qu'on lui montre?
Si, probablement !
Et si on le fait sortir de sa caverne de force, qu'on lui fasse gravir la montée rude et escarpée, et qu'on ne le lâche pas avant de l'avoir traîné jusqu'à la lumière du soleil, est-ce qu’il ne souffrira pas vivement ? Est-ce qu’il ne se plaindra pas de cette brutalité ? Et lorsqu'il sera parvenu à la lumière, pourra-t-il, les yeux tout éblouis par son éclat, distinguer une seule des choses que maintenant nous appelons vraies ?
Il ne le pourra pas, du moins pas tout de suite.
Il aura besoin d'habitude pour voir les objets en pleine lumière. D'abord, ce seront les ombres qu'il distinguera le plus facilement, puis les images des hommes et des autres objets qui se reflètent dans les eaux, ensuite les objets eux-mêmes.
Après cela, il pourra, affrontant la clarté des astres et de la lune, contempler plus facilement pendant la nuit les corps célestes et le ciel lui-même, que pendant le jour le soleil et sa lumière.
A la fin on peut imaginer, ce sera dans la lumière du soleil — non ses images réfléchies dans les eaux ou en quelque autre endroit — mais dans la lumière du soleil lui-même, qu'il pourra voir les choses telles qu'elles sont.
Sûrement !
Après cela, il en viendra à conclure au sujet du soleil, que c'est lui qui détermine les saisons et les années, qui éclaire les choses dans le monde visible, et qui, d'une certaine manière, est la cause de tout ce qu'il voyait avec ses compagnons dans la caverne. Alors, se souvenant de sa première demeure, de ce que l'on y enseigne, et de ceux qui furent ses compagnons de captivité, ne crois-tu pas qu'il se réjouira du changement et plaindra ces derniers?
Si, certes.
Et s'ils se décernaient entre eux des prix et des félicitations, s'ils avaient des récompenses pour celui qui saisissait de l’œil le plus vif le passage des ombres, qui se rappelait le mieux celles qui avaient coutume de venir les premières ou les dernières, ou de marcher ensemble,
et qui par là était le plus habile à deviner leur apparition, penses-tu que notre homme serait jaloux de ces distinctions, qu'il envierait ceux qui, parmi les prisonniers, sont honorés et respectés ? Ou est-ce qu’il ne préféra pas mille fois un pauvre et un serviteur, et souffrir tout dans la vraie réalité plutôt que de revenir vivre dans les ténèbres de son ancienne caverne ?
Je suis de ton avis, il préfèrera tout souffrir plutôt que de vivre de cette façon là.
Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne et aille s'asseoir à son ancienne place : n'aura-t-il pas les yeux aveuglés par les ténèbres en venant brusquement du plein soleil? Et s'il lui faut entrer de nouveau en compétition, pour juger ces ombres, avec les prisonniers qui n'ont point quitté leurs chaînes, dans le moment où sa vue est encore confuse et avant que ses yeux ne se soient remis (or l'accoutumance à l'obscurité demandera un temps assez long), n'apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens, et ne diront-ils pas qu'étant allé là-haut, il en est revenu avec la vue ruinée, de sorte que ce n'est même pas la peine d'essayer d'y monter?
Et si quelqu'un essaie de les délier et de les conduire en haut, et qu'ils puissent le tenir en leurs mains et le tuer, ne le tueront-ils pas ?
C’est bien probable.
Maintenant, il faut appliquer point par point cette image et comparer le monde que nous voyons au séjour de la prison et la lumière du feu qui l'éclaire, à la puissance du soleil.
Quant à la montée dans la région supérieure et à la contemplation de ses objets, si tu la considères comme la vraie vie, tu ne te tromperas pas, puisque tu désires la connaître. Dieu sait si elle est vraie.
La vraie vie, qui est lumière, est difficile à imaginer, mais en la recevant, on découvrira la cause de tout ce qu'il y a de vrai et de beau en toutes choses ; ce qui, dans le monde visible, a donné la lumière de la vérité. » […]
« La Caverne de Platon », extrait et adapté de Platon, La République - Livre VII.
*
Jean 1, 10-18
10 La véritable lumière était dans le monde, et le monde a été fait par elle, et le monde ne l’a pas connue.
11 Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçue;
12 mais à tous ceux qui l’ont reçue, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient en son nom
13 et qui sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu.
14 La Parole a été faite chair, et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme celle du Fils unique venu du Père.
15 Jean lui a rendu témoignage et s’est écrié: C’est celui dont j’ai dit: Celui qui vient après moi m’a précédé car il était avant moi.
16 Et nous avons tous reçu de sa plénitude, et grâce pour grâce,
17 car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ.
18 Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu (le Fils) unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître.
*
Confession de foi :
Jésus vint alors trouver l’homme qui avait été aveugle et lui dit: "Crois-tu, toi, au Fils de l’homme?"
Et lui de répondre: "Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?"
Jésus lui dit: "Eh bien! Tu l’as vu, c’est celui qui te parle."
L’homme dit: "Je crois, Seigneur" et il se prosterna devant lui. (Jean 9, v. 35-38)
R.P.,
KT, Antibes, 14.10.06
19:45 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
03 juin 2006
I have a Dream
« Je fais un rêve »
Ésaïe 65, 17-19
17 Voici : Je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, si bien qu’on n’évoquera plus le ciel ancien, la terre ancienne; on n’y pensera plus.
18 Réjouissez-vous plutôt, et ne vous arrêtez pas de crier votre enthousiasme pour ce que je vais créer: une Jérusalem enthousiaste et son peuple débordant de joie.
19 Moi aussi, je suis enthousiasmé par cette Jérusalem, et débordant de joie en pensant à mon peuple. On n’entendra plus chez lui ni bruits de pleurs, ni cris d’appel.
Je fais un rêve (I have a Dream)
de Martin Luther King
(texte adapté. Original anglais audio et texte ici.)
Washington, 18 août 1963 :
« Il y a un siècle de cela, l’esclavage était aboli. Cette proclamation historique faisait, comme un grand phare, briller la lumière de l'espérance aux yeux de millions d'esclaves noirs marqués au feu d'une brûlante injustice. Ce fut comme l'aube joyeuse qui mettrait fin à la longue nuit de leur captivité.
Mais cent ans ont passé et le Noir n'est pas encore libre. Cent ans ont passé et l'existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination; cent ans ont passé et le Noir vit encore sur l'île solitaire de la pauvreté, dans un vaste océan de prospérité matérielle; cent ans ont passé et le Noir languit toujours dans les marges de la société et se trouve en exil dans son propre pays.
En traçant les mots magnifiques qui forment notre constitution, les architectes de notre république signaient une promesse dont héritaient chacun. Aux termes de cet engagement, tous les hommes, les Noirs, oui, aussi bien que les Blancs, se verraient garantir leurs droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur.
Il est aujourd'hui évident cette promesse n’a pas abouti en ce qui concerne ses citoyens non-Blancs. Il s’agit à présent d’obtenir les fruits de cette promesse.
Il n'est plus temps de se laisser aller au luxe d'attendre ni de pendre les tranquillisants des demi-mesures. Le moment est maintenant venu de réaliser les promesses de la démocratie; le moment est venu d'émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation entre Noirs et Blancs pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale;
le moment est venu de tirer notre nation des sables mouvants de l'injustice raciale pour la hisser sur le roc solide de la fraternité; le moment est venu de réaliser la justice pour tous les enfants de Dieu. Il serait fatal à notre nation d'ignorer qu'il y a péril en la demeure. Cet étouffant été du légitime mécontentement des Noirs ne se terminera pas sans qu'advienne un automne vivifiant de liberté et d'égalité.
1963 n'est pas une fin mais un commencement. Ceux qui espèrent que le Noir avait seulement besoin de laisser fuser la vapeur et se montrera désormais satisfait se préparent à un rude réveil si le pays retourne à ses affaires comme devant.
Il n'y aura plus ni repos ni tranquillité tant que le Noir n'aura pas obtenu ses droits de citoyen.
Les tourbillons de la révolte continueront d'ébranler les fondations de notre nation jusqu'au jour où naîtra l'aube brillante de la justice.
Mais il est une chose que je dois dire à mon peuple, debout sur le seuil accueillant qui mène au palais de la justice : en nous assurant notre juste place, ne nous rendons pas coupables d'agissements répréhensibles.
Ne cherchons pas à étancher notre soif de liberté en buvant à la coupe de l'amertume et de la haine. Livrons toujours notre bataille sur les hauts plateaux de la dignité et de la discipline. Il ne faut pas que notre revendication créatrice dégénère en violence physique. Encore et encore, il faut nous dresser sur les hauteurs majestueuses où nous opposerons les forces de l'âme à la force matérielle.
Le merveilleux militantisme qui s'est nouvellement emparé de la communauté noire ne doit pas nous conduire à nous méfier de tous les Blancs. Nombre de nos frères de race blanche ont compris que leur destinée est liée à notre destinée. Ils ont compris que leur liberté est inextricablement liée à notre liberté. Nous ne pouvons avancer seuls. Et au cours de notre progression, il faut nous engager à continuer d'aller de l'avant ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il en est qui demandent aux tenants de nos droits : "Quand serez vous enfin satisfaits ?" Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que le Noir sera victime des indicibles horreurs de la brutalité policière.
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos corps recrus de la fatigue du voyage ne trouveront pas un abris dans les motels des grand routes ou les hôtels des villes.
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que la liberté de mouvement du Noir ne lui permettra guère que d'aller d'un petit ghetto à un ghetto plus grand.
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos enfants seront dépouillés de leur identité et privés de leur dignité par des pancartes qui indiquent : "Seuls les Blancs sont admis." Nous ne pourrons être satisfaits tant qu'un Noir du Mississippi ne pourra pas voter et qu'un Noir de New York croira qu'il n'a aucune raison de voter. Non, nous ne sommes pas satisfaits, et nous ne serons pas satisfaits tant que le droit ne jaillira pas comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable.
Je n'ignore pas que certains d'entre vous ont été conduits ici par un excès d'épreuves et de tribulations. D'aucuns sortent à peine de l'étroite cellule d'une prison. D'autres viennent de régions où leur quête de liberté leur a valu d'être battus par les tempêtes de la persécution, secoués par les vents de la brutalité policière. Vous êtes les pionniers de la souffrance créatrice. Poursuivez votre tache, convaincus que cette souffrance imméritée vous sera rédemption.
Retournez au Mississippi; retournez en Alabama; retournez en Caroline du Sud; retournez en Géorgie; retournez en Louisiane, retournez à vos taudis et à vos ghettos dans les villes du Nord, en sachant que, d'une façon ou d'une autre cette situation peut changer et changera. Ne nous vautrons pas dans les vallées du désespoir.
Je vous le dis ici et maintenant, mes amis : même si nous devons affronter des difficultés aujourd'hui et demain, je fais pourtant un rêve. Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : "Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux."
Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité.
Je rêve que, un jour, l'État du Mississippi lui-même, tout brûlant des feux de l'injustice, tout brûlant des feux de l'oppression, se transformera en oasis de liberté et de justice.
Je rêve que mes quatre petits enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère. Je fais aujourd'hui un rêve !
Je rêve que, un jour, même en Alabama où le racisme est vicieux, un jour, justement en Alabama, les petits garçons et petites filles noirs, les petits garçons et petites filles blancs, pourront tous se prendre par la main comme frères et sœurs. Je fais aujourd'hui un rêve !
Je rêve que, un jour, tout vallon sera relevé, toute montagne et toute colline seront rabaissés, tout éperon deviendra une pleine, tout mamelon une trouée, et la gloire du Seigneur sera révélée à tous les êtres faits de chair tout à la fois.
Telle est mon espérance.
Avec une telle foi nous serons capables de distinguer, dans les montagnes de désespoir, un caillou d'espérance. Avec une telle foi nous serons capables de transformer la cacophonie de notre nation discordante en une merveilleuse symphonie de fraternité.
Avec une telle foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d'aller en prison ensemble, de nous dresser ensemble pour la liberté, en sachant que nous serons libres un jour. Ce sera le jour où les enfants de Dieu pourront chanter ensemble cet hymne auquel ils donneront une signification nouvelle -"Mon pays c'est toi, douce terre de liberté, c'est toi que je chante, pays où reposent nos pères, orgueil du pèlerin, au flanc de chaque montagne que sonne la cloche de la liberté.
Aussi faites sonner la cloche de la liberté sur chaque colline et chaque montagne.
Quand nous ferons en sorte que la cloche de la liberté puisse sonner, quand nous la laisserons carillonner dans chaque village et chaque hameau, dans chaque État et dans chaque cité, nous pourrons hâter la venue du jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les païens, les catholiques et les protestants, pourront se tenir par la main et chanter les paroles du vieux "spiritual" noir : "Libres enfin. Libres enfin. Merci Dieu tout-puissant, nous voilà libres enfin." »
KT Antibes
3 juin 2006
23:00 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
20 mai 2006
Signe de l'Alliance
L'emplacement
du Temple
Après l’exil, le nouveau Temple se bâtit. On est entre joie et tristesse, avec une question : où est la gloire du Temple, c’est-à-dire son vrai sens?…
Esdras 3, 10-12
10 Lorsque les constructeurs posèrent les fondations du temple du Seigneur, on fit avancer les prêtres, en vêtements de cérémonie, avec des trompettes, et les lévites, descendants d’Assaf, avec des cymbales, pour acclamer le Seigneur selon les prescriptions de David, roi d’Israël.
11 Ils acclamèrent et louèrent le Seigneur en chantant à tour de rôle ce refrain: "Le Seigneur est bon, et son amour pour Israël n’a pas de fin!" Le peuple aussi faisait une ovation au Seigneur en poussant de grandes acclamations, parce que l’on posait les fondations de son temple.
12 Un grand nombre de prêtres, de lévites et de chefs de famille, assez âgés pour avoir connu le temple d’autrefois, pleuraient bruyamment pendant qu’on posait sous leurs yeux les fondations du nouveau temple;
Aggée 2, 3-9
3 "Y a-t-il encore parmi vous quelqu’un qui se rappelle quelle était la gloire du Temple d’autrefois? Or que constatez-vous maintenant? Ne voyez-vous pas que sa splendeur a été réduite à néant?
4 C’est pourquoi, moi, le Seigneur, je vous dis: Reprenez courage ! […] Mettez-vous au travail, je serai avec vous, je vous le promets, moi, le Seigneur de l’univers.
5 J’ai pris cet engagement lorsque vous êtes sortis du pays d’Égypte. Mon Esprit sera présent au milieu de vous. Vous n’avez rien à craindre!
6 Oui, moi le Seigneur de l’univers, je le déclare, dans peu de temps je vais ébranler le ciel et la terre, les mers et les continents.
7 Je mettrai toutes les nations étrangères sens dessus dessous. Leurs richesses afflueront ici et je redonnerai au temple une grande splendeur, je vous le déclare.
8 En effet, l’or et l’argent du monde entier m’appartiennent.
9 Ainsi la gloire du nouveau temple surpassera celle du premier. Et en ce lieu je vous accorderai la paix, c’est moi, le Seigneur de l’univers, qui le promets."
*
Revenons aux origines, pour retrouver les fondements de la vraie gloire du Temple…
« Le roi Salomon avait hérité de son père David de grandes richesses qu'il avait su, grâce à la sagesse de son gouvernement, faire prospérer. Chacun de ses desseins était toujours mené à bien, et sa gloire se répandait dans le monde entier. Mais, au fond de son cœur, Salomon demeurait attristé.
«A quoi me servent tous ces trésors, si les années s'écoulent sans que soit remplie la promesse faite à mon père? pensait-il avec amertume. J'ai fait édifier des dizaines de palais, mais le Temple en l'honneur de Dieu n'est toujours pas bâti. Le Seigneur m'est témoin que ce n'est pas mauvaise volonté de ma part si j'en diffère la construction. Comment cependant reconnaîtrais-je l'emplacement qui lui convient le mieux? La terre d'Israël est tout entière sainte, mais le sol où s'élèveront les murs du Temple devrait être le plus précieux à Dieu. »
Une nuit, Salomon songeait de nouveau à l'emplacement où il devait construire l'édifice. Son ancienne promesse lui pesait, et c'est en vain qu'il cherchait le sommeil. A minuit, ne dormant toujours pas, il décida de se lever et d'aller faire un tour. Il s'habilla rapidement et, sans bruit, afin de n'être pas vu des serviteurs, il se glissa hors du palais.
Il marcha dans Jérusalem endormie, passa à proximité de vastes jardins)et de bosquets qui murmuraient dans le vent et arriva finalement au pied du mont Moria. C'était juste après la moisson, et sur le flanc sud de la montagne se dressaient des gerbes de blé coupé.
Salomon s'adossa au tronc d'un olivier, ferma les yeux et dans son esprit se mirent à défiler les lieux les plus divers de son royaume. Il revit des collines, des vallées et des bois qui lui avaient semblé destinés au Temple, ainsi que des dizaines d'autres lieux où il était arrivé plein d'espoir, mais qu'il avait quittés déçu.
Soudain Salomon entendit des pas. Il ouvrit les yeux et aperçut dans le clair de lune un homme portant dans ses bras une gerbe de blé. «Un voleur!» pensa-t-il tout de suite.
Il s'apprêtait à sortir de sa cachette, dans l'ombre de l'arbre, mais se ravisa au dernier moment. «Attendons plutôt de voir ce que l'homme mijote», se dit-il.
Le visiteur nocturne travaillait vite et sans bruit. Il déposa la gerbe au bord du champ voisin, puis retourna en chercher d'autres, et continua ainsi jusqu'à ce qu'il eût cinquante gerbes. Puis, jetant un coup d’œil hésitant autour de lui pour s'assurer que personne ne l'avait vu, il s'en alla. .
-. «Charmant voisin, pensa Salomon. Le propriétaire du champ ne sait sans doute pas
pourquoi sa moisson diminue la nuit.»
Mais il n'eut pas le temps de réfléchir à la façon de punir le voleur: déjà, non loin de l'olivier sous lequel il s~trouvait, un autre homme arrivait. Il contourna les deux champs prudemment et, croyant.;être seul, prit une gerbe de blé qu'il emporta sur l'autre champ.
Il fit exactement comme le premier visiteur nocturne, si ce n'est qu'il portait le blé en sens inverse. Il reprit ainsi les cinquante gerbes, et repartit sans bruit.
«Ces voisins ne sont pas meilleurs l'un que l'autre, se dit Salomon. Je pensais qu'il n'yen avait qu'un qui volait, mais en fait le voleur lui-même est volé. »
Dès le lendemain, Salomon convoqua les deux propriétaires des champs. Il fit attendre le plus âgé dans une pièce contiguë et interrogea le plus jeune sévèrement: - Dis-moi de quel droit tu prends le blé du champ de ton voisin.
L'homme regarda Salomon avec surprise, et rougit de honte: - Seigneur, répondit-il, jamais je ne me permettrais pareille chose. Le blé que je transporte m'appartient, et je le dépose sur le champ de mon frère. Je souhaitais que personne ne le sache, mais puisque j'ai été surpris, je te dirai la vérité. Mon frère et moi avons hérité de notre pète un champ qui fut partagé en deux moitiés égales, bien que lui soit marié et ait trois enfants, alors que moi je vis seul. Mon frère a besoin de plus de froment que moi, mais il n'accepte pas que je lui donne le moindre épi. C'est pourquoi je lui apporte secrètement les gerbes. A moi, elles ne manquent pas, tandis que lui en a besoin.
Salomon fit passer l'homme dans la pièce contiguë et appela le propriétaire du second champ: -Pourquoi voles-tu ton voisin? s'enquit-il d'un ton rude. Je sais que tu lui prends du blé pendant la nuit.
- Dieu me garde de faire pareille chose, protesta l'homme, horrifié. C'est en vérité tout le contraire, Salomon. Mon frère et moi avons hérité de notre père deux parts égales d’un champ; mais, dans mon travail, je suis aidé par ma femme et mes trois enfants, tandis que lui est seul. Il doit faire venir le faucheur, le lieur et le batteur, de sorte qu'il perd plus d'argent que moi et sera plus tôt dans le besoin. Il ne veut pas accepter de moi un seul grain de blé; c'est pourquoi je lui apporte au moins ces quelques gerbes en secret. A moi, elles ne manquent pas, tandis que lui en a besoin.
Alors Salomon rappela le premier homme et, serrant avec émotion les deux frères dans ses bras, il dit : - J'ai vu bien des choses dans ma vie, mais jamais je n'ai rencontré de frères aussi désintéressés que vous. Pendant des années, vous vous êtes témoigné une bonté réciproque, que vous avez gardée secrète. Je tiens à vous exprimer toute mon affection et vous prie de me pardonner de vous avoir soupçonnés d'être des voleurs, quand vous êtes les hommes les plus nobles de la terre. A présent, j'ai une prière à vous adresser. Vendez-moi vos champs, que je fasse construire sur ce sol sanctifié par l'amour fraternel le Temple de Dieu. Aucun lieu n'en est plus digne, nulle part le Temple ne trouvera de fondements plus solides.
Les frères accédèrent volontiers au vœu de Salomon. Il lui laissèrent leur champ, et le roi d'Israël les en récompensa richement. En échange, il leur donna des terres plus fertiles et plus vastes, et fit annoncer dans tout le pays que l'emplacement pour le Temple de Dieu avait été trouvé. » (D’après Contes juifs, éditions Grund.)
Signe de ce que l’Alliance est solide, quoiqu’il arrive, son fondement symbolisé par ce conte est cette promesse :
“Quand les montagnes s’effondreraient, dit Dieu, Quand les collines chancelleraient, Ma bonté pour toi ne faiblira point et mon alliance de paix ne sera pas ébranlée. Je t’aime d’un amour éternel, et je te garde ma miséricorde” (Ésaïe 54,10).
R.P.,
KT, Antibes,
20 mai 2006
19:45 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
08 mai 2006
Rois et prophètes
Les habits neufs du roi
1 Samuel 8, 4-22a
4 Tous les anciens [du peuple] se rassemblèrent et vinrent trouver Samuel [...].
5 Ils lui dirent: "Te voilà devenu vieux et tes fils ne marchent pas sur tes traces. Maintenant donc, donne-nous un roi pour nous juger comme toutes les nations."6 Il déplut à Samuel qu’ils aient dit: "Donne-nous un roi pour nous juger." Et Samuel intercéda auprès du SEIGNEUR.
7 Le SEIGNEUR dit à Samuel: "Ecoute la voix du peuple en tout ce qu’ils te diront. Ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi. Ils ne veulent plus que je règne sur eux.
8 Comme ils ont agi depuis le jour où je les ai fait monter d’Egypte jusqu’aujourd’hui, m’abandonnant pour servir d’autres dieux, ainsi agissent-ils aussi envers toi.
9 Maintenant donc, écoute leur voix. Mais ne manque pas de les avertir: apprends-leur comment gouvernera le roi qui régnera sur eux."
10 Samuel redit toutes les paroles du SEIGNEUR au peuple qui lui demandait un roi.
11 Il dit: "Voici comment gouvernera le roi qui régnera sur vous: il prendra vos fils pour les affecter à ses chars et à sa cavalerie, et ils courront devant son char.
12 Il les prendra pour s’en faire des chefs de millier et des chefs de cinquantaine, pour labourer son labour, pour moissonner sa moisson, pour fabriquer ses armes et ses harnais.
13 Il prendra vos filles comme parfumeuses, cuisinières et boulangères.
14 Il prendra vos champs, vos vignes et vos oliviers les meilleurs. Il les prendra et les donnera à ses serviteurs.
15 Il lèvera [l’impôt] sur vos grains et sur vos vignes et la donnera à ses eunuques et à ses serviteurs.
16 Il prendra vos serviteurs et vos servantes, les meilleurs de vos jeunes gens et vos ânes pour les mettre à son service.
17 Il lèvera [l’impôt] sur vos troupeaux. Vous-mêmes enfin, vous deviendrez ses esclaves.
18 Ce jour-là, vous crierez à cause de ce roi que vous vous serez choisi, mais, ce jour-là, le SEIGNEUR ne vous répondra point."
19 Mais le peuple refusa d’écouter la voix de Samuel. "Non, dirent-ils. C’est un roi que nous aurons.
20 Et nous serons, nous aussi, comme toutes les nations. Notre roi nous jugera, il sortira à notre tête et combattra nos combats."
21 Samuel écouta toutes les paroles du peuple et les répéta aux oreilles du SEIGNEUR.
22 Le SEIGNEUR dit alors à Samuel: "Ecoute leur voix et donne-leur un roi."
*
Il y a de longues années, vivait un roi qui aimait plus que tout les habits neufs, qui dépensait tout son argent pour être bien habillé. Il ne se souciait pas de ses soldats, ni du théâtre, ni de ses promenades dans les bois, si ce n'était pour faire montre de ses vêtements neufs. Il avait un costume pour chaque heure de chaque jour de la semaine et tandis qu'on dit habituellement d'un roi qu'il est au conseil, on disait toujours de lui: "Le roi est dans sa garde-robe!"
Dans la grande ville où il habitait, la vie était gaie et chaque jour beaucoup d'étrangers arrivaient. Un jour, arrivèrent deux escrocs qui affirmèrent être tisserands et être capables de pouvoir tisser la plus belle étoffe que l'on pût imaginer. Non seulement les couleurs et le motif seraient exceptionnellement beaux, mais les vêtements qui en seraient confectionnés posséderaient l'étonnante propriété d'être invisibles aux yeux de ceux qui ne convenaient pas à leurs fonctions ou qui étaient simplement idiots.
"Ce serait des vêtements précieux", se dit le roi. "Si j'en avais de pareils, je pourrais découvrir qui, de mes sujets, ne sied pas à ses fonctions et départager les intelligents des imbéciles ! Je dois sur-le-champ me faire tisser cette étoffe!" Il donna aux deux escrocs une avance sur leur travail et ceux-ci se mirent à l'ouvrage.
Ils installèrent deux métiers à tisser, mais ils firent semblant de travailler car il n'y avait absolument aucun fil sur le métier. Ils demandèrent la soie la plus fine et l'or le plus précieux qu'ils prirent pour eux et restèrent sur leurs métiers vides jusqu'à bien tard dans la nuit.
"Je voudrais bien savoir où ils en sont avec l'étoffe!", se dit le roi. Mais il se sentait mal à l'aise à l'idée qu'elle soit invisible aux yeux de ceux qui sont sots ou mal dans leur fonction. Il se dit qu'il n'avait rien à craindre pour lui-même, mais préféra dépêcher quelqu'un d'autre pour voir comment cela se passait. Chacun dans la ville connaissait les qualités exceptionnelles de l'étoffe et tous étaient avides de savoir combien leur voisin était inapte ou idiot.
"Je vais envoyer mon vieux et honnête ministre auprès des tisserands", se dit le roi. "Il est le mieux à même de juger de l'allure de l'étoffe; il est d'une grande intelligence et personne ne fait mieux son travail que lui!"
Le vieux et bon ministre alla donc dans l'atelier où les deux escrocs étaient assis, travaillant sur leurs métiers vides. "Que Dieu nous garde!", pensa le ministre en écarquillant les yeux. "Je ne vois rien du tout!" Mais il se garda bien de le dire.
Les deux escrocs l'invitèrent à s'approcher et lui demandèrent si ce n'étaient pas là en effet un joli motif et de magnifiques couleurs. Puis, ils lui montrèrent un métier vide. Le pauvre vieux ministre écarquilla encore plus les yeux, mais il ne vit toujours rien, puisqu'il n'y avait rien. "Mon Dieu, pensa-t-il, serais-je sot? Je ne l'aurais jamais cru et personne ne devrait le savoir! Serais-je inapte à mon travail? Non, il ne faut pas que je raconte que je ne peux pas voir l'étoffe."
"Eh bien, qu'en dites-vous ?", demanda l'un des tisserands.
"Oh, c'est ravissant, tout ce qu'il y a de plus joli !", répondit le vieux ministre, en regardant au travers de ses lunettes. "Ce motif et ces couleurs! Je ne manquerai pas de dire au roi que tout cela me plaît beaucoup!"
"Nous nous en réjouissons!", dirent les deux tisserands. Puis, ils nommèrent les couleurs et discutèrent du motif. Le vieux ministre écouta attentivement afin de pouvoir lui-même en parler lorsqu'il serait de retour auprès du roi; et c'est ce qu'il fit.
Les deux escrocs exigèrent encore plus d'argent, plus de soie et plus d'or pour leur tissage. Ils mettaient tout dans leurs poches et rien sur les métiers; mais ils continuèrent, comme ils l'avaient fait jusqu'ici, à faire semblant de travailler.
Le roi envoya bientôt un autre honnête fonctionnaire pour voir où en était le travail et quand l'étoffe serait bientôt prête. Il arriva à cet homme ce qui était arrivé au ministre: il regarda et regarda encore, mais comme il n'y avait rien sur le métier, il ne put rien y voir.
"N'est-ce pas là un magnifique morceau d'étoffe?", lui demandèrent les deux escrocs en lui montrant et lui expliquant les splendides motifs qui n'existaient tout simplement pas.
"Je ne suis pas sot, se dit le fonctionnaire; ce serait donc que je ne conviens pas à mes fonctions? Ce serait plutôt étrange, mais je ne dois pas le laisser paraître!" Et il fit l'éloge de l'étoffe, qu'il n'avait pas vue, puis il exprima la joie que lui procuraient les couleurs et le merveilleux motif. "Oui, c'est tout à fait merveilleux!", dit-il au roi.
Dans la ville, tout le monde parlait de la magnifique étoffe, et le roi voulu la voir de ses propres yeux tandis qu'elle se trouvait encore sur le métier. Accompagné de toute une foule de dignitaires, dont le ministre et le fonctionnaire, il alla chez les deux escrocs, lesquels s'affairaient à tisser sans le moindre fil.
"N'est-ce pas magnifique?", dirent les deux fonctionnaires qui étaient déjà venus. "Que Votre Majesté admire les motifs et les couleurs!" Puis, ils montrèrent du doigt un métier vide, s'imaginant que les autres pouvaient y voir quelque chose.
"Comment!, pensa le roi, mais je ne vois rien! C'est affreux! Serais-je sot? Ne serais-je pas fait pour être roi? Ce serait bien la chose la plus terrible qui puisse jamais m'arriver."
"Magnifique, ravissant, parfait, dit-il finalement, je donne ma plus haute approbation!" Il hocha la tête, en signe de satisfaction, et contempla le métier vide; mais il se garda bien de dire qu'il ne voyait rien. Tous les membres de la suite qui l'avait accompagné regardèrent et regardèrent encore; mais comme pour tous les autres, rien ne leur apparût et tous dirent comme le roi: "C'est véritablement très beau !" Puis ils conseillèrent au roi de porter ces magnifiques vêtements pour la première fois à l'occasion d'une grande fête qui devrait avoir lieu très bientôt.
Merveilleux était le mot que l'on entendait sur toutes les lèvres, et tous semblaient se réjouir. Le roi décora chacun des escrocs d'une croix de chevalier qu'ils mirent à leur boutonnière et il leur donna le titre de gentilshommes tisserands.
La nuit qui précéda le matin de la fête, les escrocs restèrent à travailler avec seize chandelles. Tous les gens pouvaient se rendre compte du mal qu'ils se donnaient pour terminer les habits du roi. Les tisserands firent semblant d'enlever l'étoffe de sur le métier, coupèrent dans l'air avec de gros ciseaux, cousirent avec des aiguilles sans fils et dirent finalement: "Voyez, les habits neufs du roi sont à présent terminés !"
"Voyez, Majesté, voici le pantalon, voilà la veste, voilà le manteau!" et ainsi de suite. "C'est aussi léger qu'une toile d'araignée; on croirait presque qu'on n'a rien sur le corps, mais c'est là toute la beauté de la chose!"
"Oui, oui !", dirent tous les courtisans, mais ils ne pouvaient rien voir, puisqu'il n'y avait rien.
"Votre Majesté Impériale veut-elle avoir l'insigne bonté d'ôter ses vêtements afin que nous puissions lui mettre les nouveaux, là, devant le grand miroir !"
Le roi enleva tous ses beaux vêtements et les escrocs firent comme s'ils lui enfilaient chacune des pièces du nouvel habit qui, apparemment, venait tout juste d'être cousu. Le roi se tourna et se retourna devant le miroir.
"Dieu ! comme cela vous va bien. Quels dessins, quelles couleurs", s'exclamait tout le monde.
"Ceux qui doivent porter le dais au-dessus de Votre Majesté ouvrant la procession sont arrivés", dit le maître des cérémonies.
"Je suis prêt", dit le roi. "Est-ce que cela ne me va pas bien ? Et il en se tourna encore une fois devant le miroir, car il devait faire semblant de bien contempler son costume.
Les chambellans qui devaient porter la traîne du manteau de cour tâtonnaient de leurs mains le parquet, faisant semblant d'attraper et de soulever la traîne. Ils allèrent et firent comme s'ils tenaient quelque chose dans les airs; ils ne voulaient pas risquer que l'on remarquât qu'ils ne pouvaient rien voir.
C'est ainsi que le roi marchait devant la procession sous le magnifique dais, et tous ceux qui se trouvaient dans la rue ou aux fenêtre disaient: "Les habits neufs du roi sont admirables ! Quel manteau avec traîne de toute beauté, comme elle s'étale avec splendeur !" Personne ne voulait laisser paraître qu'il ne voyait rien, puisque cela aurait montré qu'il était incapable dans sa fonction ou simplement un sot. Aucun habit neuf du roi n'avait connu un tel succès.
"Mais il n'a pas d'habit du tout !", cria petit enfant dans la foule.
"Entendez la voix de l'innocence!", dit le père; et chacun murmura à son voisin ce que l'enfant avait dit.
Puis la foule entière se mit à crier: "Mais il n'a pas d'habit du tout!" Le roi frissonna, car il lui semblait bien que le peuple avait raison, mais il se dit: "Maintenant, je dois tenir bon jusqu'à la fin de la procession." Et le cortège poursuivit sa route et les chambellans continuèrent de porter la traîne, qui n'existait pas.
Conte de Hans Christian ANDERSEN
intitulé Les habits neufs de l'empereur, 1837
*
Jean 18, 36-37
36 Jésus répondit [à Pilate devant qui il comparaissait] : "Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, les miens auraient combattu pour que je ne sois pas livré [pour être condamné]. Mais ma royauté, maintenant, n’est pas d’ici."
37 Pilate lui dit alors: "Tu es donc roi?" Jésus lui répondit: "C’est toi qui dis que je suis roi. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité écoute ma voix."
R.P.
KT Antibes
6 mai 2006
15:10 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
25 mars 2006
N’allez pas croire...
"N’allez pas croire que
je sois venu abrogerla Loi ou les Prophètes"
Mt 5:17-19
17 « N’allez pas croire que je sois venu abroger la Loi ou les Prophètes: je ne suis pas venu abroger, mais accomplir.
18 Car, en vérité je vous le déclare, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un i, pas un point sur l’i ne passera de la loi, que tout ne soit arrivé.
19 Dès lors celui qui transgressera un seul de ces plus petits commandements et enseignera aux hommes à faire de même sera déclaré le plus petit dans le Royaume des cieux ; au contraire, celui qui les mettra en pratique et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux. »
*
[...] "Monsieur Seguin n'avait jamais eu de bonheur avec ses chèvres.
"Il les perdait toutes de la même façon ; un beau matin, elles cassaient leur corde, s'en allaient dans la montagne, et là-haut, le loup les mangeait. Ni les caresses de leur maître, ni la peur du loup, rien ne les retenait. C'étaient, paraît-il, des chèvres indépendantes, voulant à tout prix le grand air et la liberté.
"Le brave Monsieur Seguin, qui ne comprenait rien au caractère de ses bêtes, était consterné. Il disait :
"'C'est fini ; les chèvres s'ennuient chez moi, je n'en garderai pas une.'
"Cependant, il ne se découragea pas, et, après avoir perdu six chèvres de la même manière, il en acheta une septième...
[...] "Monsieur Seguin avait derrière sa maison un clos entouré d'aubépines. C'est là qu'il mit la nouvelle pensionnaire. Il l'attacha à un pieu au plus bel endroit du pré [...].
La chèvre se trouvait heureuse et broutait l'herbe de si bon cœur que Monsieur Seguin était ravi.
"'Enfin, pensait le pauvre homme, en voilà une qui ne s'ennuiera pas chez moi !'
"Monsieur Seguin se trompait, sa chèvre s'ennuya.
*
« Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens "tu ne commettras pas de meurtre..." Mais moi je vous dis : quiconque se met en colère contre son frère sera passible du jugement » (Mt 5:21-22). Si la Loi n'est jamais qu'un enclos et qu'un pieu avec une corde, le désir d'autre chose finira par la ronger, et par sauter au-dessus de l'enclos. Cela est vrai aussi pour les autres commandements auxquels renvoie Jésus : la convoitise pour ce qui n’est pas nôtre, le mensonge pour le serment, la haine et la vengeance contre l'amour du prochain.
*
"Un jour, [la petite chèvre] se dit en regardant la montagne :
"'Comme on doit être bien là-haut ! Quel plaisir de gambader dans la bruyère sans cette maudite [corde] qui vous écorche le cou !... C'est bon pour l'âne ou le bœuf de brouter dans un clos !... Les chèvres, il leur faut du large.'
"À partir de ce moment, l'herbe du clos lui parut fade. L'ennui lui vint. Elle maigrit, son lait se fit rare [...]
"Monsieur Seguin s'apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c'était... Un matin, comme il achevait de la traire, la chèvre se retourna et lui dit dans son [langage] :
"'Écoutez, monsieur Seguin, je me languis chez vous, laissez-moi aller dans la montagne.
"- Ah ! [...] Elle aussi !' cria Monsieur Seguin stupéfait...
"'Comment Blanquette, tu veux me quitter !'
"Et Blanquette répondit :
"'Oui, Monsieur Seguin.
"- Est-ce que l'herbe te manque ici ?
"- Oh ! non, Monsieur Seguin.
"- Tu es peut-être attachée de trop court. Veux-tu que j'allonge la corde ?
"- Ce n'est pas la peine, monsieur Seguin.
"- Alors qu'est-ce qu'il te faut ? Qu’est-ce que tu veux ?
"- Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin.
"- Mais malheureuse, tu ne sais pas qu'il y a le loup dans la montagne... Que feras-tu quand il viendra ?...
"- Je lui donnerai des coups de corne, monsieur Seguin.
"- Le loup se moque bien de tes cornes. Il a mangé des biques autrement encornées que toi [...]
"- [...] Ca ne fait rien, monsieur Seguin, laissez-moi aller dans la montagne.
"- [...] Eh bien, non... Je te sauverai malgré toi...'
"Là-dessus Monsieur Seguin emporte la chèvre dans une étable toute noire, dont il ferma la porte à double tour. Malheureusement, il avait oublié la fenêtre, et à peine eut-il le dos tourné, que la petite s'en alla..."
*
Si la Loi n'est qu'une sombre étable pour nous garder prisonniers, il y aura toujours une fenêtre, par où nous laisser échapper nos frustrations.
*
"Quand la chèvre blanche arriva dans la montagne, ce fut un ravissement général. Jamais les vieux sapins n'avaient rien vu d'aussi joli. On la reçut comme une petite reine. [...] Toute la montagne lui fit fête.
"La chèvre blanche, à moitié saoule, se vautrait là-dedans [...,] roulait le long des talus [...].
"Elle franchissait d'un saut de grands torrents qui l'éclaboussaient au passage [...]. Alors toute ruisselante, elle allait s'étendre sur quelque roche plate et se faisait sécher par le soleil... Une fois, s'avançant au bord du plateau [...], elle aperçut en bas, tout en bas dans la plaine, la maison de Monsieur Seguin avec le clos derrière. Cela la fit rire aux larmes.
"'Que c'est petit ! dit-elle ; comment ai-je pu tenir là-dedans ?'
"Pauvrette ! de se voir aussi haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde...
"En somme, ce fut une bonne journée pour la chèvre de Monsieur Seguin [...].
"Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette ; c'était le soir...
"'Déjà !' dit la petite chèvre, et elle s'arrêta fort étonnée.
"[...] Elle écouta les clochettes d'un troupeau qu'on ramenait, et se sentit l'âme toute triste... [...] puis ce fut un hurlement dans la montagne :
[...] "Elle pensa au loup, de tout le jour la folle n'y avait pas pensé... Au même moment une trompe sonna bien loin dans la vallée. C'était ce bon M. Seguin qui tentait un dernier effort.
[...] "Blanquette eut envie de revenir ; mais en se rappelant le pieu, la corde, la haie du clos, elle pensa que maintenant elle ne pouvait plus se faire à cette vie, et qu'il valait mieux rester.
"La trompe ne sonnait plus...
*
"Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes. Je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir" (Mt 5:17). "Je serre ta promesse dans mon cœur afin de ne pas pécher contre toi" (Ps 119:11).
Celui qui ne se contente pas de la forme de son enclos, et de la raideur de son pieu et de sa corde, mais pour lequel la Loi et les Prophètes, secrètement, deviennent structure intime de son être intérieur ; celui-là est en passe d'être accompli ; celui-là, ne sera pas tenté de rompre une loi-carcan pour se retrouver désarmé dans le monde, mais armé du bouclier de la foi et de l'épée de l'Esprit (Ep 5:16-17), il n'aura pas à craindre la montagne.
D'après A. Daudet,
R.P.
25.03.06, Antibes, KT
16:20 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
11 février 2006
Au désert
« Je parlerai à son cœur. »
« Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. »
(Osée 2, 16)
Le désert comme temps d’épreuve, est aussi temps de la promesse du Royaume et comme tel, c’est un temps d’apprivoisement réciproque — Dieu et nous, un temps, même, de séduction : « je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » Dieu séduisant son peuple comme l’amoureux séduit sa belle !
*
C’est comme l’histoire du petit prince, au désert lui aussi, avec le renard. Souvenez-vous :
"- Bonjour, dit le renard.
- Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
- Je suis là, dit la voix, sous le pommier...
- Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli...
- Je suis un renard, dit le renard.
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
- Ah ! pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
- Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?
- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ca signifie "créer des liens..."
- Créer des liens ?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à mille autres renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde..."
*
« Les brebis suivent le berger, nous dit Jésus, parce qu'elles connaissent sa voix ». Il existe entre elles et lui une relation d'intimité ; c'est-à-dire qu'elles sont apprivoisées. Celui-là est différent. « je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur », dit Dieu. Comme le renard saura reconnaître le petit prince l'ayant apprivoisé d'avec les chasseurs.
*
"- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
- C'est possible, dit le renard. On voit sur la terre toutes sortes de choses...
- Oh ! ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince.
Le renard parut très intrigué :
- Sur une autre planète ?
- Oui.
- Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?
- Non.
- Ça c'est intéressant ! Et des poules ?
- Non.
- Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent.
Je m'ennuie donc un peu. Mais si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée.
Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font entrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis, regarde ! Tu vois là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé est pour moi inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
- S'il te plaît... apprivoise-moi, dit-il !
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Le lendemain revint le petit prince.
- Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai à être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai : je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur... Il faut des rites.
- Qu'est-ce qu'un rite ? dit le petit prince.
- C'est quelque chose de trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances."
*
"Tu te reposera au septième jour", dit le décalogue. "Vous ferez ceci en mémoire de moi", dit Jésus.
Il est une spécificité de tel jour ou de tel repas, pourtant apparemment comme les autres. Mais ils signifient quelque chose de spécial.
C’est ce qui s’y passe, ce qui s’y est passé qui a donné ce sens spécial. C’est un jour particulier, ou un repas particulier, une personne particulière surtout, dans l’histoire de l’apprivoisement.
*
"Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche :
- Ah ! dit le renard... Je pleurerai.
- C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
- Bien sûr, dit le renard.
- Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
- Bien sûr, dit le renard.
- Alors tu n'y gagnes rien !
- J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta :
- Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret."
*
"Voici, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde."
"Faites ceci en mémoire de moi."
"Le bon berger donne sa vie pour ses brebis."
*
"Le petit prince s'en fut revoir les roses :
- Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait quelle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes parce que je l'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe.
Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écouté se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.
Et il revint vers le renard :
- Adieu, dit-il...
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
- L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.
- C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante."
*
« Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. »
« Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite. » (Jn 10, 27) — Apprivoisées.
*
"- C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
- Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince, afin de se souvenir."
*
"- C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
- Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince, afin de se souvenir."
*
Responsable des brebis qu'il a apprivoisées, le bon berger donne sa vie pour ses brebis.
D'après A. de St-Exupéry,
R.P.
11.02.06, Antibes, KT
20:00 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)
28 janvier 2006
Laisse aller mon peuple
« Let my people go »
Exode 5, 1 :
Moïse et Aaron vinrent dire au Pharaon: "Ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël: Laisse partir mon peuple et qu’il fasse au désert un pèlerinage en mon honneur."
Lévitique 25, 10 :
Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.
Luc 4, 17-21 :
17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez."
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L’Exode est la libération des esclaves — « laisse aller mon peuple » —, que l’on devra commémorer, et reproduire le cas échéant. Commémorer, c’est ce que signifient le Shabbat et la Pâque ; commémorer et reproduire, c’est ce que signifie le Jubilé, la 50e année, qui annonce donc le Royaume de Dieu.
Et voilà que Jésus lisant, pour la prédication inaugurale de son ministère, le texte d'Ésaïe annonçant ce grand Jubilé, affirme l'accomplissement de la Parole du prophète. Aujourd'hui s'inaugure l'année jubilaire, l'an de grâce du Seigneur, avec toutes ses conséquences.
Voilà une parole bien étrange que les auditeurs de Nazareth ont de la peine à recevoir. Ils attendront, comme Pharaon face à Moïse, un miracle, pour croire. Et on peut les comprendre. Ce Jubilé, cet an de grâce, on en voudrait tout de même des signes pour le croire.
Et si ce Jubilé est bien le dessillement des yeux aveuglés de ceux qui baignent dans les ténèbres de l'esprit de la captivité, on n'hésitera pas à attendre comme signe que les aveugles recouvrent la vue, selon la lettre de la traduction grecque de la parole du prophète : après tout le Royaume de Dieu n'implique-t-il pas la guérison totale de toutes nos souffrances ; d'où la façon dont les habitants de Nazareth apostrophent Jésus : "médecin guéris-toi toi-même" (Lc 4:23), et ton peuple avec toi.
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Le Royaume ? Jusqu’à ce que l’on en voie la réalisation concrète, paroles que tous cela ! Comme pour Moïse arrivant en libérateur ! D’autant plus qu’on le connaît celui-là. On l’a vu grandir. À présent, on attend ce qu’il va dire. Et puis voilà que tombe cette parole : "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez." Passe — comme un ange passe — le temps de la réalisation de ce qu’on vient d’entendre. Puis : il l’a bien dit : il instaure aujourd’hui le Royaume !…
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Car le Jubilé annoncé par Ésaïe est bien l'inauguration du Royaume... Si un seul Shabbat était respecté, le Royaume viendrait, selon le Talmud.
Et la prise au sérieux du Shabbat, commémorant la création, mais aussi l’Exode (Dt 5), commence par la mise en œuvre du Jubilé — qui indique tout ce qu'implique concrètement la prise au sérieux de la Loi que signifie par le Shabbat. Le Jubilé marque l'espérance de ce jour où le Shabbat devient éternel, ce jour à partir duquel il devient définitivement possible de dire : "c'est aujourd'hui de jour du Shabbat" (Hé 4). Cela est chargé de sens en ce qui concerne les relations humaines, enfin empreintes de sagesse et de grâce. Mais on aimerait le voir, tout cela !
Or voilà : comme face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de la prédication ; voilà, en ce qui concerne la grâce, que face à la recherche de miracles, qui n’ont pas converti Pharaon, Dieu a opposé la foi miraculeuse à la faiblesse apparente d’un Messie qui sera finalement crucifié.
Sans besoin de signe fracassant, celui qui a reconnu dans le Christ humble la gloire de Dieu saura croire ce propos étrange : aujourd'hui cette parole du prophète Ésaïe est accomplie : ici commence le nouvel Exode, le Jubilé, le grand Shabbat, l'an de grâce qui inaugure le Royaume.
Le croyons-nous ? Croyons-nous cette parole de Jésus selon laquelle la promesse faite à Ésaïe dans le souvenir de l’Exode est accomplie ? « Laisse aller mon peuple. »
Car cette parole même est cette folie de Dieu plus sage que les hommes et cette faiblesse de Dieu plus forte que les hommes. Folie et faiblesse selon lesquelles Dieu a choisi les choses folles et faibles de ce monde pour confondre les sages et fortes (1 Co 1). Or ces choses folles et faibles sont ceux et celles qui sont appelés par l'Évangile pour être sagesse et justice en Jésus-Christ. C'est nous, si nous avons entendu cet appel.
Alors est aussi venu le jour de la confusion de ce monde injuste qui, contre l'Évangile entend se glorifier devant Dieu. Qu'en est-il parmi nous de cette confusion par laquelle Jésus a laissé pantois les habitants de Nazareth voulant le réduire à leur merci ? Comme Moïse confondait le Pharaon… Mais plus d’autre signe que celui de Jonas dorénavant : le tombeau vide.
Croyons-nous que le Royaume a été inauguré ce jour-là selon la parole de Jésus ? Ou sommes-nous de ceux qui lui demandent encore des miracles pour le croire ? Nous le croyons disons-nous... Eh bien, il ne nous reste plus qu’à vivre ce que nous croyons ! Qu’à en vivre la liberté !
Si nous croyons que le Jubilé est advenu, si nous sommes dans l'an de grâce du Seigneur, plus rien ne manque pour que nous en appliquions les modalités : à savoir la liberté ; et la proclamation de la liberté : remise des dettes, annonce de ce que la délivrance des captifs, et des captifs du péché, a eu lieu, proclamation de la libération des victimes de toutes les oppressions possibles, à défaut de guérir des aveugles ; car si nous n'avons pas forcément le don de faire des miracles... nous avons tous celui de remettre les dettes à notre égard, de partager ce que Dieu nous a octroyé, de remettre pour notre part les compteurs à zéro.
Pas des miracles fracassants que Jésus lui-même a refusé de donner ce jour-là. Pas de grande Révolution immédiate. Plutôt quelque chose de l’ordre de la semence et de la germination. De simples signes de ce que nous croyons ce qu’il a dit. Alors, le nouvel Exode a commencé.
Où prend tout son sens notre prière, face aux puissants d’un côté, aux victimes de l’autre, aux opprimés et humiliés, aux victimes de toutes les violences et esclavages, au racisme, etc. Telle est pour notre part notre proclamation du Jubilé inauguré par le Christ. « Laisse aller mon peuple. »
Si le Jubilé dont nous croyons que Jésus l'a inauguré devient, par notre présence, comme visible, alors la confusion des arrogants et des oppresseurs devient réalité. Dieu nous invite à entrer de plein-pied dans le Jubilé, dans le temps de la grâce et dans sa liberté, en place dès aujourd'hui en Jésus-Christ. « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »
R.P.
28.01.06, Antibes, KT
20:30 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)