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11 février 2006

Au désert

 

 

« Je parlerai à son cœur. »

 

 

« Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. »

(Osée 2, 16)



Le désert comme temps d’épreuve, est aussi temps de la promesse du Royaume et comme tel, c’est un temps d’apprivoisement réciproque — Dieu et nous, un temps, même, de séduction : « je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. » Dieu séduisant son peuple comme l’amoureux séduit sa belle !

*
 

C’est comme l’histoire du petit prince, au désert lui aussi, avec le renard. Souvenez-vous :
"- Bonjour, dit le renard.
- Bonjour, répondit poliment le petit prince, qui se retourna mais ne vit rien.
- Je suis là, dit la voix, sous le pommier...
- Qui es-tu ? dit le petit prince. Tu es bien joli...
- Je suis un renard, dit le renard.
- Viens jouer avec moi, lui proposa le petit prince. Je suis tellement triste...
- Je ne puis pas jouer avec toi, dit le renard. Je ne suis pas apprivoisé.
- Ah ! pardon, fit le petit prince.
Mais, après réflexion, il ajouta :
- Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- Tu n'es pas d'ici, dit le renard, que cherches-tu ?
- Je cherche les hommes, dit le petit prince. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser" ?
- Les hommes, dit le renard, ils ont des fusils et ils chassent. C'est bien gênant ! Ils élèvent aussi des poules. C'est leur seul intérêt. Tu cherches des poules ?
- Non, dit le petit prince. Je cherche des amis. Qu'est-ce que signifie "apprivoiser"?
- C'est une chose trop oubliée, dit le renard. Ca signifie "créer des liens..."
- Créer des liens ?
- Bien sûr, dit le renard. Tu n'es encore pour moi qu'un petit garçon tout semblable à cent mille petits garçons. Et je n'ai pas besoin de toi. Et tu n'as pas besoin de moi non plus. Je ne suis pour toi qu'un renard semblable à mille autres renards. Mais, si tu m'apprivoises, nous aurons besoin l'un de l'autre. Tu seras pour moi unique au monde. Je serai pour toi unique au monde..."

 

*
 

« Les brebis suivent le berger, nous dit Jésus, parce qu'elles connaissent sa voix ». Il existe entre elles et lui une relation d'intimité ; c'est-à-dire qu'elles sont apprivoisées. Celui-là est différent. « je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur », dit Dieu. Comme le renard saura reconnaître le petit prince l'ayant apprivoisé d'avec les chasseurs.

 

 *
 

"- Je commence à comprendre, dit le petit prince. Il y a une fleur... je crois qu'elle m'a apprivoisé...
- C'est possible, dit le renard. On voit sur la terre toutes sortes de choses...
- Oh ! ce n'est pas sur la Terre, dit le petit prince.
Le renard parut très intrigué :
- Sur une autre planète ?
- Oui.
- Il y a des chasseurs, sur cette planète-là ?
- Non.
- Ça c'est intéressant ! Et des poules ?
- Non.
- Rien n'est parfait, soupira le renard.
Mais le renard revint à son idée :
- Ma vie est monotone. Je chasse les poules, les hommes me chassent. Toutes les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent.
Je m'ennuie donc un peu. Mais si tu m'apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée.
Je connaîtrai un bruit de pas qui sera différent de tous les autres. Les autres pas me font entrer sous terre. Le tien m'appellera hors du terrier, comme une musique. Et puis, regarde ! Tu vois là-bas, les champs de blé ? Je ne mange pas de pain. Le blé est pour moi inutile. Les champs de blé ne me rappellent rien. Et ça, c'est triste ! Mais tu as des cheveux couleur d'or. Alors ce sera merveilleux quand tu m'auras apprivoisé ! Le blé, qui est doré, me fera souvenir de toi. Et j'aimerai le bruit du vent dans le blé...
Le renard se tut et regarda longtemps le petit prince :
- S'il te plaît... apprivoise-moi, dit-il !
- Je veux bien, répondit le petit prince, mais je n'ai pas beaucoup de temps. J'ai des amis à connaître.
- On ne connaît que les choses que l'on apprivoise, dit le renard. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !
- Que faut-il faire ? dit le petit prince.
- Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l’œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Le lendemain revint le petit prince.
- Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens par exemple, à quatre heures de l'après-midi, dès trois heures je commencerai à être heureux. Plus l'heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m'agiterai et m'inquiéterai : je découvrirai le prix du bonheur ! Mais si tu viens n'importe quand, je ne saurai jamais à quelle heure m'habiller le cœur... Il faut des rites.
- Qu'est-ce qu'un rite ? dit le petit prince.
- C'est quelque chose de trop oublié, dit le renard. C'est ce qui fait qu'un jour est différent des autres jours, une heure, des autres heures. Il y a un rite, par exemple, chez mes chasseurs. Ils dansent le jeudi avec les filles du village. Alors le jeudi est jour merveilleux ! Je vais me promener jusqu'à la vigne. Si les chasseurs dansaient n'importe quand, les jours se ressembleraient tous, et je n'aurais point de vacances."

*
 

"Tu te reposera au septième jour", dit le décalogue. "Vous ferez ceci en mémoire de moi", dit Jésus.
Il est une spécificité de tel jour ou de tel repas, pourtant apparemment comme les autres. Mais ils signifient quelque chose de spécial.

C’est ce qui s’y passe, ce qui s’y est passé qui a donné ce sens spécial. C’est un jour particulier, ou un repas particulier, une personne particulière surtout, dans l’histoire de l’apprivoisement.

*
 

"Ainsi le petit prince apprivoisa le renard. Et quand l'heure du départ fut proche :
- Ah ! dit le renard... Je pleurerai.
- C'est ta faute, dit le petit prince, je ne te souhaitais point de mal, mais tu as voulu que je t'apprivoise...
- Bien sûr, dit le renard.
- Mais tu vas pleurer ! dit le petit prince.
- Bien sûr, dit le renard.
- Alors tu n'y gagnes rien !
- J'y gagne, dit le renard, à cause de la couleur du blé.
Puis il ajouta :
- Va revoir les roses. Tu comprendras que la tienne est unique au monde. Tu reviendras me dire adieu, et je te ferai cadeau d'un secret."
 

*
 

"Voici, je suis avec vous jusqu'à la fin du monde."
"Faites ceci en mémoire de moi."
"Le bon berger donne sa vie pour ses brebis."


*
 

"Le petit prince s'en fut revoir les roses :
- Vous n'êtes pas du tout semblables à ma rose, vous n'êtes rien encore, leur dit-il. Personne ne vous a apprivoisées et vous n'avez apprivoisé personne. Vous êtes comme était mon renard. Ce n'était qu'un renard semblable à cent mille autres. Mais j'en ai fait mon ami, et il est maintenant unique au monde.
Et les roses étaient bien gênées.
Vous êtes belles, mais vous êtes vides, leur dit-il. On ne peut pas mourir pour vous. Bien sûr, ma rose à moi, un passant ordinaire croirait quelle vous ressemble. Mais à elle seule elle est plus importante que vous toutes parce que je l'ai arrosée. Puisque c'est elle que j'ai mise sous globe.
Puisque c'est elle que j'ai abritée par le paravent. Puisque c'est elle dont j'ai tué les chenilles (sauf deux ou trois pour les papillons). Puisque c'est elle que j'ai écouté se plaindre, ou se vanter, ou même quelquefois se taire. Puisque c'est ma rose.

Et il revint vers le renard :
- Adieu, dit-il...
- Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu'avec le cœur. L'essentiel est invisible pour les yeux.
- L'essentiel est invisible pour les yeux, répéta le petit prince, afin de se souvenir.
- C'est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante."
 

*
 

« Je vais la séduire, je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur. »
« Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite. » (Jn 10, 27) — Apprivoisées.

*
 

"- C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de se souvenir.
- Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
- Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince, afin de se souvenir."
 

*
 

"- C'est le temps que j'ai perdu pour ma rose... fit le petit prince, afin de se souvenir.

- Les hommes ont oublié cette vérité, dit le renard. mais tu ne dois pas l'oublier. Tu deviens responsable pour toujours de ce que tu as apprivoisé. Tu es responsable de ta rose...
- Je suis responsable de ma rose... répéta le petit prince, afin de se souvenir."
 

*

 

Responsable des brebis qu'il a apprivoisées, le bon berger donne sa vie pour ses brebis.

D'après A. de St-Exupéry,
R.P.
11.02.06, Antibes, KT



 

 

20:00 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)

28 janvier 2006

Laisse aller mon peuple




« Let my people go »

 



 

 



Exode 5, 1 :
Moïse et Aaron vinrent dire au Pharaon: "Ainsi parle le SEIGNEUR, Dieu d’Israël: Laisse partir mon peuple et qu’il fasse au désert un pèlerinage en mon honneur."

Lévitique 25, 10 :
Vous déclarerez sainte la cinquantième année et vous proclamerez dans le pays la libération pour tous les habitants; ce sera pour vous un jubilé; chacun de vous retournera dans sa propriété, et chacun de vous retournera dans son clan.

Luc 4, 17-21 :
17 On lui donna le livre du prophète Ésaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d’accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s’assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez."


*

L’Exode est la libération des esclaves — « laisse aller mon peuple » —, que l’on devra commémorer, et reproduire le cas échéant. Commémorer, c’est ce que signifient le Shabbat et la Pâque ; commémorer et reproduire, c’est ce que signifie le Jubilé, la 50e année, qui annonce donc le Royaume de Dieu.

Et voilà que Jésus lisant, pour la prédication inaugurale de son ministère, le texte d'Ésaïe annonçant ce grand Jubilé, affirme l'accomplissement de la Parole du prophète. Aujourd'hui s'inaugure l'année jubilaire, l'an de grâce du Seigneur, avec toutes ses conséquences.

Voilà une parole bien étrange que les auditeurs de Nazareth ont de la peine à recevoir. Ils attendront, comme Pharaon face à Moïse, un miracle, pour croire. Et on peut les comprendre. Ce Jubilé, cet an de grâce, on en voudrait tout de même des signes pour le croire.

Et si ce Jubilé est bien le dessillement des yeux aveuglés de ceux qui baignent dans les ténèbres de l'esprit de la captivité, on n'hésitera pas à attendre comme signe que les aveugles recouvrent la vue, selon la lettre de la traduction grecque de la parole du prophète : après tout le Royaume de Dieu n'implique-t-il pas la guérison totale de toutes nos souffrances ; d'où la façon dont les habitants de Nazareth apostrophent Jésus : "médecin guéris-toi toi-même" (Lc 4:23), et ton peuple avec toi.


*

Ceux du village de Jésus lui reprochent de s'intéresser aux étrangers. Et lui ne le nie pas : c'est là un aspect essentiel du Jubilé. Les anciens prophètes eux-mêmes se sont intéressés qui à une Libanaise, qui a un lépreux syrien. Les ancêtres étaient esclaves étrangers, en Égypte. Le Royaume de Dieu est aussi l'élargissement des horizons, et l'ouverture des frontières.

Le Royaume ? Jusqu’à ce que l’on en voie la réalisation concrète, paroles que tous cela ! Comme pour Moïse arrivant en libérateur ! D’autant plus qu’on le connaît celui-là. On l’a vu grandir. À présent, on attend ce qu’il va dire. Et puis voilà que tombe cette parole : "Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez." Passe — comme un ange passe — le temps de la réalisation de ce qu’on vient d’entendre. Puis : il l’a bien dit : il instaure aujourd’hui le Royaume !…


*

Car le Jubilé annoncé par Ésaïe est bien l'inauguration du Royaume... Si un seul Shabbat était respecté, le Royaume viendrait, selon le Talmud.

Et la prise au sérieux du Shabbat, commémorant la création, mais aussi l’Exode (Dt 5), commence par la mise en œuvre du Jubilé — qui indique tout ce qu'implique concrètement la prise au sérieux de la Loi que signifie par le Shabbat. Le Jubilé marque l'espérance de ce jour où le Shabbat devient éternel, ce jour à partir duquel il devient définitivement possible de dire : "c'est aujourd'hui de jour du Shabbat" (Hé 4). Cela est chargé de sens en ce qui concerne les relations humaines, enfin empreintes de sagesse et de grâce. Mais on aimerait le voir, tout cela !

Or voilà : comme face à la recherche de la sagesse, Dieu a opposé la folie de la prédication ; voilà, en ce qui concerne la grâce, que face à la recherche de miracles, qui n’ont pas converti Pharaon, Dieu a opposé la foi miraculeuse à la faiblesse apparente d’un Messie qui sera finalement crucifié.

Sans besoin de signe fracassant, celui qui a reconnu dans le Christ humble la gloire de Dieu saura croire ce propos étrange : aujourd'hui cette parole du prophète Ésaïe est accomplie : ici commence le nouvel Exode, le Jubilé, le grand Shabbat, l'an de grâce qui inaugure le Royaume.

Le croyons-nous ? Croyons-nous cette parole de Jésus selon laquelle la promesse faite à Ésaïe dans le souvenir de l’Exode est accomplie ? « Laisse aller mon peuple. »

Car cette parole même est cette folie de Dieu plus sage que les hommes et cette faiblesse de Dieu plus forte que les hommes. Folie et faiblesse selon lesquelles Dieu a choisi les choses folles et faibles de ce monde pour confondre les sages et fortes (1 Co 1). Or ces choses folles et faibles sont ceux et celles qui sont appelés par l'Évangile pour être sagesse et justice en Jésus-Christ. C'est nous, si nous avons entendu cet appel.

Alors est aussi venu le jour de la confusion de ce monde injuste qui, contre l'Évangile entend se glorifier devant Dieu. Qu'en est-il parmi nous de cette confusion par laquelle Jésus a laissé pantois les habitants de Nazareth voulant le réduire à leur merci ? Comme Moïse confondait le Pharaon… Mais plus d’autre signe que celui de Jonas dorénavant : le tombeau vide.

Croyons-nous que le Royaume a été inauguré ce jour-là selon la parole de Jésus ? Ou sommes-nous de ceux qui lui demandent encore des miracles pour le croire ? Nous le croyons disons-nous... Eh bien, il ne nous reste plus qu’à vivre ce que nous croyons ! Qu’à en vivre la liberté !

Si nous croyons que le Jubilé est advenu, si nous sommes dans l'an de grâce du Seigneur, plus rien ne manque pour que nous en appliquions les modalités : à savoir la liberté ; et la proclamation de la liberté : remise des dettes, annonce de ce que la délivrance des captifs, et des captifs du péché, a eu lieu, proclamation de la libération des victimes de toutes les oppressions possibles, à défaut de guérir des aveugles ; car si nous n'avons pas forcément le don de faire des miracles... nous avons tous celui de remettre les dettes à notre égard, de partager ce que Dieu nous a octroyé, de remettre pour notre part les compteurs à zéro.

Pas des miracles fracassants que Jésus lui-même a refusé de donner ce jour-là. Pas de grande Révolution immédiate. Plutôt quelque chose de l’ordre de la semence et de la germination. De simples signes de ce que nous croyons ce qu’il a dit. Alors, le nouvel Exode a commencé.

Où prend tout son sens notre prière, face aux puissants d’un côté, aux victimes de l’autre, aux opprimés et humiliés, aux victimes de toutes les violences et esclavages, au racisme, etc. Telle est pour notre part notre proclamation du Jubilé inauguré par le Christ. « Laisse aller mon peuple. »

Si le Jubilé dont nous croyons que Jésus l'a inauguré devient, par notre présence, comme visible, alors la confusion des arrogants et des oppresseurs devient réalité. Dieu nous invite à entrer de plein-pied dans le Jubilé, dans le temps de la grâce et dans sa liberté, en place dès aujourd'hui en Jésus-Christ. « Aujourd’hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l’entendez. »


R.P.
28.01.06, Antibes, KT

 

 

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