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19 juin 2006

Rites…




 

SYMBOLES ET CÉRÉMONIES

 

 

 

 

 

 



 

Exode 24, 3 & 7-8
3  Moïse vint raconter au peuple toutes les paroles du SEIGNEUR et toutes les règles. Tout le peuple répondit d’une seule voix: "Toutes les paroles que le SEIGNEUR a dites, nous les mettrons en pratique."
[…]

7  Il prit le livre de l’alliance et en fit lecture au peuple. Celui-ci dit: "Tout ce que le SEIGNEUR a dit, nous le mettrons en pratique, nous l’entendrons."
8  Moïse prit le sang, en aspergea le peuple et dit: "Voici le sang de l’alliance que le SEIGNEUR a conclue avec vous, sur la base de toutes ces paroles."  


Hébreux 9, 11-15
11  […] Christ est survenu, grand prêtre des biens à venir. C'est par une tente plus grande et plus parfaite, qui n'est pas oeuvre des mains - c'est-à-dire qui n'appartient pas à cette création-ci,
12  et par le sang, non pas des boucs et des veaux, mais par son propre sang, qu'il est entré une fois pour toutes dans le sanctuaire et qu'il a obtenu une libération définitive.
13  Car si le sang de boucs et de taureaux et si la cendre de génisse répandue sur les êtres souillés les sanctifient en purifiant leur corps,
14  combien plus le sang du Christ, qui, par l'esprit éternel, s'est offert lui-même à Dieu comme une victime sans tache, purifiera-t-il notre conscience des oeuvres mortes pour servir le Dieu vivant.
15  Voilà pourquoi il est médiateur d'une alliance nouvelle, d'un testament nouveau; sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés peuvent recevoir l'héritage éternel déjà promis.


Marc 14, 12-24
12  Le premier jour des pains sans levain, où l’on immolait la Pâque, ses disciples […] disent [à Jésus] : "Où veux-tu que nous allions faire les préparatifs pour que tu manges la Pâque?"
13  Et il envoie deux de ses disciples et leur dit: "Allez à la ville ; […]
15  […] c’est là que vous ferez les préparatifs pour nous."
16  Les disciples partirent et allèrent à la ville […] et ils préparèrent la Pâque. 
17  Le soir venu, il arrive avec les Douze. […]

22  Pendant le repas, il prit du pain et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit, le leur donna et dit: "Prenez, ceci est mon corps."
23  Puis il prit une coupe et, après avoir rendu grâce, il la leur donna et ils en burent tous.
24  Et il leur dit: "Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude."
 

 

*

 

Les rites divers, et plus particulièrement, sans doute, les sacrifices, ont pour fonction de graver en notre conscience le fait que tout rapprochement de Dieu coûte, coûte de la douleur, exprimée dans le sang versé des sacrifices, et divers rites marquant douleur et brisement. Ne croyons pas que de tels rites aient disparu. Ils existent aujourd’hui, sous une autre forme. Symbolique, aujourd’hui comme hier. Les anciens étaient comme nous conscients de la dimension symbolique de leurs rites.  

Nous avons sans doute accentué ce côté symbolique puisque des rites comme les sacrifices sont devenus plus rares, ou ont pris d'autres aspects. Et puisque nous avons inventé des moyens d'échange symboliques — l'argent à la place du troc —, le sacrifice est pour nous souvent d'argent. Cela dit, au prix du boucher, imaginez-vous offrant un bœuf, ou simplement un bouc.  

Vous souvenez-vous de cette publicité télévisuelle pour un serveur Internet gratuit où l'on voyait un touriste occidental marchander avec un commerçant arabe pour pouvoir payer l'objet artisanal qu'il voulait acheter, plus cher que ce que le commerçant lui proposait ?! Le message était « si ça vous rassure de payer, vous pouvez toujours nous envoyer vos chèques ». Le concepteur de cette publicité avait bien saisi ce qu'il en est. Effectivement, payer peut rassurer.  

C'est sur cela — ils nous le disent — que les psychanalystes ont mis en place leurs tarifs sans proportion apparente avec leur travail... Si chaque fois que, comme pasteurs, nous avions un entretien d'un quart d'heure avec un paroissien, nous lui demandions 100 €,... peut-être les églises seraient-elles plus pleines ! Enfin, si ça vous rassure de payer, chez le psychanalyste, pour paraphraser la publicité pour Internet (je précise que je n’entends pas, comme pasteur, les concurrencer ou me substituer à eux !).  

Reste que ce qu’ils ont compris, c’est que pour ce qui est important dans nos vies, ça nous rassure évidemment de payer parce qu'on sait bien au fond de nous que nous rapprocher de la vérité de nous-même, ou nous rapprocher de Dieu, cela coûte. Cela ne se fait pas n'importe comment. C'est là la vérité fondamentale de la pratique des sacrifices. Les anciens, de Moïse à l'auteur de l'Épître aux Hébreux, le savaient aussi bien que les psychanalystes. Ils étaient en tout cas apparemment très conscients du fait que nous avons besoin de pratiques de ce type. C'est au cœur du message l'Épître aux Hébreux :  

On est alors au tournant de la destruction du Temple de Jérusalem par les Romains. Il va donc falloir s'en passer, et se passer, donc, des sacrifices. Ce qui n'est pas bon au plan de notre relation avec la vérité de nous-mêmes, au plan de notre relation avec Dieu. Alors l'Épître aux Hébreux insiste sur la dimension symbolique du sacrifice : ce n'est pas le sang des boucs et des taureaux qui guérit nos souffrances intérieures, notre éloignement d’avec Dieu.  

De même que ce n'est pas le fait même de soulager notre portefeuille chez le psychanalyste qui nous soulage en soi du poids de nos douleurs. C'est là un geste symbolique, disent les psychanalystes.  

Et c'est peut-être pour cela qu'on ne fait pas payer les entretiens pastoraux : pour bien dire, avec l'auteur de l'Épître aux Hébreux que c'est là une chose symbolique, au risque de faire imaginer, ce qui serait faux, qu'il n'y a pas besoin de sacrifices, de coût en argent et autres symboles. Si nos contemporains entendaient l'Épître aux Hébreux, peut-être nos temples seraient-ils plus pleins...  

C'est que notre besoin de nous rapprocher de Dieu est immense, aujourd'hui comme antan, à tout prix. Ce besoin est à proportion de l'ignorance que nous en avons. La détresse peut être telle que nous ne nous en rendions même plus compte. Pour illustrer cela, je rapporterai le témoignage d'un philosophe contemporain, Cioran. Il raconte à ce sujet une expérience qu'il a vécue. Je le cite : « A la frontière espagnole, quelques centaines de touristes, la plupart scandinaves, attendaient devant la douane. On apporte un télégramme à une dame forte, visiblement ibérique. Elle apprend, en l'ouvrant, le décès de sa mère et se met aussitôt à pousser des rugissements. Quelle aubaine, me disais-je, de pouvoir ainsi se décharger aussitôt de son chagrin, au lieu de le dissimuler, de le stocker, comme aurait fait n'importe lequel de ces blondasses qui regardaient ahuris et qui, victimes de leur discrétion et de leur tenue, se ruineront un jour chez le psychanalyste » (Cioran, Écartèlement, p. 123). C'est une simple illustration, il y en aurait bien d'autres, de cette détresse que connaissent les psychanalystes, on l'a dit, ou les concepteurs de publicité dont on a parlé, ou encore les entrepreneurs de pompes funèbres qui s’occuperont et de l’Espagnole en deuil et des touristes qui la regardent.

Une détresse liée à notre perte du sens de notre valeur, perte du contact avec le fond de nous-même, la vérité de nous-mêmes, ce que nous sommes réellement ; manque de contact avec Dieu, avec ce qui n'est pas passager et vain, avec ce qui « n'est pas de cette création ».  

Manque de contact avec la vérité dévoilée dans la résurrection du Christ, le Christ parvenu à une réalité qui ne passe pas. Parvenu à cette réalité avec son sang, dit l’Épître. Où l'on revient au prix, ce symbole, qui nous manque. Nous savons que nous sommes loin de Dieu, de notre vérité, à laquelle nous ne pouvons revenir qu'à grand prix. Au prix du rite, au prix de ce qui coûte, et qui coûte d'ailleurs infiniment plus que nous ne pouvons donner.  

La femme endeuillée qui crie à la frontière espagnole accomplit un rite en criant et en se débattant, ne nous y trompons pas, elle n'est pas dupe. Un rite qui, comme tout rite, lui coûte : cela lui coûte d'abord le regard méprisant des touristes discrets qui se disent : « qu'est ce que cette sauvage incapable de discrétion ? » Cela est aussi pour elle le point de départ d'une cérémonie funèbre qui sera coûteuse en argent, puis d'un temps de deuil en noir qui sera coûteux au plan des relations sociales et de leurs joies.  

Un rituel long, cher à plusieurs niveaux, mais qui met cette femme en relation avec elle-même, avec la vérité d'elle-même, ce qui est la fonction-même du rite, que les touristes qui se croient plus évolués se contentent de mépriser, comme ils mépriseront les objets artisanaux qu'ils estimeront avoir payé fort peu cher. Cela aura effectivement coûté peu, aussi bien leurs deuils que les objets exotiques qui orneront les meubles de leur salon. Mais cela reviendra très cher finalement, chez le psychanalyste, dit en raccourci Cioran.  

Eh bien tout cela est le prix, notamment des cultes que nous avons abandonnés à force de croire en avoir compris la dimension symbolique. Le culte au cœur du rituel de la vie. Le culte qui coûte. Qui coûte des dimanches matins de grasse matinée, qui coûte les cotisations de son entretien et de celui de la vie de l’Église et de la solidarité, car dans les sacrifices dont nous avons besoins, il est ici aussi question d'argent, évidemment.  

Le culte aussi coûte l'astreinte d'une pratique dont on ne voit plus très bien à quoi elle sert. C'est le prix de l'insistance sur la dimension symbolique, et donc sur le fait que pour un pragmatique, si c'est symbolique, cela ne sert à rien.  

L'auteur de l'Épître aux Hébreux en était tellement conscient qu'après avoir rappelé que tout cela est symbolique, donc qu'au plan pratique, cela ne sert à rien, il termine en insistant pour dire aux rares fidèles : « n'abandonnez pas vos assemblées comme c'est la coutume de quelques-uns ». Ce n'est pas parce que vous avez compris que c'est symbolique, ce que nous savons tous, qu'il faut l'abandonner.  

Cet abandon de ce qui ne sert à rien vous coûterait finalement beaucoup plus que vous ne croyez, en argent aussi — lorsque l'Église ayant disparu faute de combattants n'offrirait plus les rites que l'on réclame à corps et à cri aux tournants difficiles de la vie, et qu'il faudrait les chercher ailleurs, plus cher. Ce jour est peut-être proche. Mais déjà il est là dans le malheur d'une solitude que notre Espagnole savait rompre par ses cris. Et qui fait que les pays où l'on connaît une vraie présence au temple sont aussi ceux où existe une vraie vie sociale qui nous manque tant, mais qui coûte, tôt ou tard.  

La solitude de la vieillesse, par exemple, qui est celle de nos sociétés sans rites, risque fort d'augmenter. « Honore ton père et ta mère afin que ta vie se prolonge dans le pays que Dieu te donne », dit la loi de la liberté.  

Et figurez-vous, les pays du Sud, plus au sud que l'Espagne, qui depuis l'époque où écrivait notre philosophe a rejoint le silence de ses touristes — les pays du Sud qui connaissent des temples pleins et des vieux honorés, nous plaignent, pas par ignorance comme celle des touristes qui ignoraient la vérité de dame endeuillée, pas par ignorance, mais par connaissance concrète de l'utilité, de l'indispensable de l'inutile qui coûte.  

Ceux qui sont fidèles au culte, connaissent-ils leur bonheur ? Ce bonheur qui ne rend par meilleur que les autres comme le croient les ignorants, mais qui est de toucher la vérité. C'est pourquoi je dis à ceux qui délaissent le culte au prétexte que, me disent-ils, ceux qui y participent ne sont en général pas exemplaires, je réponds habituellement que c'est précisément pour cela qu'ils y viennent. S'ils étaient parfaits comme vous, ils n'auraient pas besoin de venir.  

Nous venons prendre contact avec le Ressuscité, avec celui qui nous a rejoints dans notre détresse pour nous conduire à la vérité de nous-même, à la vérité promise dans sa résurrection, le fond de notre être qui n'est pas de cette création.  

Je parlais du prix plus considérable que celui que nous pouvons payer, le prix du sang qu'exprimait certes merveilleusement les sacrifices, et dont témoigne aujourd'hui le rite de la Ste Cène.  

Les sacrifices d'antan disaient le coût de la rencontre avec Dieu et le fond de nous-même. La Cène nous fait remémorer la même chose. Le coût de la rencontre, coût pour Dieu aussi, tant il est vrai que toute rencontre coûte aux deux parties, coût à travers lequel dans la participation de Jésus à notre détresse jusqu'à sa mort, il nous fait accéder à ce fond de nous-même qui n'est pas de cette création, auquel il a accédé dans sa résurrection, à travers sa mort, donc.  

Liberté : c'est bien de l'entrée dans la liberté, la liberté intérieure dont rien ne peut priver ceux qui l'ont reçue, qu’il s'agit. La liberté que nous a acquise le Christ nous rejoignant dans notre mort pour nous faire accéder à sa vie, dans une liberté que le tombeau même ne peut pas enfermer. Et c'est cela que les rites, avant comme après Jésus veulent inscrire dans nos vies.  

Si nous avions les yeux pour voir rayonner la lumière du ressuscité, j'imagine que non seulement nous ne manquerions pas la libération qui est de venir le rencontrer le dimanche matin, mais que peut-être nous regretterions qu'il n'y ait qu'un dimanche par semaine.  

Cela dit, nos rites restent symboliques, désignant une vérité qui les dépasse, qu'ils ne font que signifier. Ils sont des signes. Ce qu'on ne comprend bien que si on les pratique. Pour donner un exemple de cela, en ces temps de « mondial » : qui mieux qu'un amateur de football — fût-ce de football/bière/fauteuil — qui mieux que lui peut comprendre que la victoire de quelques milliardaires en culotte courte qu'il ne connaît pas puisse procurer une telle joie du seul fait qu'ils portent le maillot d'un pays dans lequel il se reconnaît ? Si ce n'est pas symbolique ! Et pourtant cela procure un effet réel, en joie, quoique incompréhensible.  

Ou encore : combien d'incroyants qui s'abstenant de toute pratique religieuse, réclament instamment du rite, du symbole, aux moments difficiles de leur vie. Et on pourrait multiplier les exemples. Des symboles certes. L'Épître aux Hébreux s'adresse à des lecteurs qui ont suffisamment fréquenté le Temple pour avoir compris que les sacrifices qu'ils y offraient étaient des symboles d'une réalité plus haute. De même, nos prédécesseurs dans la foi, en France sous l'Ancien Régime persécuteur, avaient suffisamment écouté la parole de Dieu, été suffisamment assidus aux sacrements célébrés au prix de risques considérables, pour savoir que le Christ ressuscité était présent au-delà de ces symboles, même lorsqu'ils sont venus à manquer. Ils ont ainsi pu transmettre la foi au temps du désert. Que Dieu nous accorde à nous aussi de le découvrir sous les signes qu'il nous donne et de recevoir Sa consolation.

 

 

R.P.,
Antibes, 18 juin 2006

 

 

 

10:15 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

14 juin 2006

La Bible, le Vin, la Vigne...

 

 

 

 

Un Vin d'avant

la Création de la Vigne
  




 

 

 

  

 

« Nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne. »  Ainsi commence un poème arabe, la Khamriya, de 'Omar Ibn al-Faridh. Plus loin dans son poème Ibn al-Faridh écrit : « heureux les gens du monastère, combien ils se sont enivrés de ce vin, et pourtant, ils ne l'ont pas bu, mais ils ont eu l'intention de le boire. » (Ses commentateurs le signalent, par « gens du monastère », Ibn al-Faridh désigne simplement les chrétiens.) Voilà donc un vin vieux, plus ancien que la création de la vigne, qui procure une bienheureuse ivresse à ceux qui vivent dans sa proximité sans l'avoir bu, par leur seule espérance.  

On a alors un des moments culminants de la compréhension du vin dans les traditions issues de la Bible — moment qui se noue dans le Cantique des Cantiques et dans l'histoire des lectures qui en ont été faites. Mais avant que l'on en arrive là, il y a tout un cheminement à travers l'ambiguïté d'un signe aussi riche que troublant. Car le signe, le vin, la vigne, est ambigu.  

On peut même dire que dans la Bible, ça commence mal. La première mention du vin concerne l'ivresse de Noé et son déshonneur qui s'en suit (Genèse 9, 20-27).  

Déshonneur qui ne concerne pas que Noé, puisque le vin de l’épisode a saoulé jusqu’à ses exégètes ! — qui ont vu noircir la figure du petit-fils de Noé, Canaan ! Où le vin réveille jusqu’aux passions enfouies, dans l’orgueil ridicule des ivrognes, et ici cet orgueil des imbéciles, le racisme. Des commentateurs — blancs —, juifs aussi bien que chrétiens, comme en proie eux-mêmes à une ivresse honteuse et au vin de Noé, n’ont-ils pas décrété que puisque Canaan (nom des habitants de la Palestine ancienne), petit-fils de Noé, était en proie à l’esclavage du fait de l’impudeur de son père Cham face à Noé ivre et nu, il était donc… noir ?! — belle justification d’une injustice, l’esclavage raciste, justification par l’ébriété d’exégètes de café du commerce !… Mais ne nous appesantissons pas sur ce premier texte.  

Le second texte qui apparaît, mettant en scène Abraham et Melchisédech, nous place au cœur d'une promesse, comme un fil rouge qui traverse toute l'Histoire biblique ; il nous place au cœur de l'Alliance. C'est comme la première Sainte Cène, pour une alliance universelle entre Abraham, qui représente le peuple de Dieu, et Melchisédech, qui représente les autres peuples. Entre ces deux textes, la honte de Noé, et l'Alliance entre Abraham et Melchisédech, est toute la richesse du signe. Le second moment vient comme un rachat du premier. Car, enfin c'est bien Noé qui est présenté comme le premier viticulteur, celui qui plante une vigne, signe permanent de bénédiction, figure du peuple de Dieu, du Fils de Dieu même, cela pour un premier et immédiat dérapage.  

Le décor biblique quant au vin et à la vigne est dès lors planté : fruit de bénédiction, mais jusqu'à la joie du vin nouveau — du vin nouveau et éternel, source de joie avant même la création de la vigne —, jusqu'à ce vin du Royaume de Dieu, il est toujours en passe de glisser à l'ambiguïté.  

 

*  

 

Ambiguïté par la consolation même dont il est porteur. Car que de consolation dans cette coupe ! La Bible l'a chantée avant Baudelaire, ou, un autre poète arabe, le fameux 'Omar Khayyâm. Tout comme la Bible, au livre des Juges : « La vigne leur dit: Vais-je renoncer à mon vin qui réjouit les dieux et les hommes ? » (Juges 9:13). Car oui, « le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l'huile... » selon le Psaume (104:15).  

La Bible a chanté le vin avant Baudelaire ou 'Omar Khayyâm, qu'il faut, pour être justes, citer tout de même — ils ont frôlé de si près, eux et tant d'autres, le talent prophétique, ils ont su dire les choses en termes si prenants ! S'ils n'ont peut-être pas perçu aussi clairement qu'il l'aurait fallu le vin qui précède la vigne, s'ils ont pu ainsi manquer le but, c'est de bien peu :  

'Omar Khayyâm n'écrit-il pas ? — parlant du vin de nos coupes : « Bois ce vin, c'est la vie éternelle ; C'est ce qui reste en toi des juvéniles délices ; bois ! Il brûle comme le feu, mais les tristesses Il les change en une eau vitale ; bois ! » (Quatrain XC). Combien Khayyâm ici ne frôle-t-il pas la nostalgie d'Ibn al-Faridh ?  

De même Baudelaire. Nous nous souvenons tous de ses poèmes de notre temps de lycée : « Un soir, l'âme du vin chantait dans les bouteilles : "Homme vers toi je pousse, ô cher déshérité, Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles, Un chant plein de jeunesse et de fraternité !" » (Fleurs du Mal, CIV, « L'âme du vin ») Ou encore, chez ce même Baudelaire, le vin qui nous apostrophe : « En toi je tomberai, végétale ambroisie, Grain précieux jeté par l'éternel Semeur, Pour que de notre amour naisse la poésie Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! » (Ibid.). Que de bonheur dans la bouteille !  

Mais Baudelaire, comme le Livre biblique des Proverbes, le sait, la dérive guette : « Pour noyer la rancœur et bercer l'indolence, De tous ces vieux maudits qui meurent en silence, Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ; L'Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil ! » (Ibid., CV, « Le vin des chiffonniers »). Dérive jusqu'au délire — ultime consolation — du culte de la bouteille : « Tu verses en lui l'espoir, la jeunesse et la vie — Et l'orgueil, ce trésor de toute gueuserie, Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux ! » (Ibid., CVII, « Le vin du solitaire »).  

'Omar Khayyâm, lui aussi, trouve la consolation dans le vin. Lui y trouve jusqu'à la consolation de boire : « Je bois du vin, et quiconque boit comme moi en est digne. Si je bois, c'est chose bien légère devant Lui. Dieu savait, dès le premier jour, que je boirais du vin, Si je ne buvais pas, la science de Dieu serait vaine » (Quatrain LXXV). Et consolation définitive à nouveau : « Bois du vin, ton corps un jour sera poussière, Et de cette poussière on fera des coupes et des jarres... Sois sans souci du Ciel et de l'Enfer : Pourquoi le sage se troublerait-il de telles choses ? » (Quatrain LXXIX).  

On reconnaîtrait presque ce qu'en termes à peine moins éloquents, disent les insouciants qui en tous les temps de détresse, ne voient pas venir les déluges qui les menacent : « mangeons et buvons, car demain nous mourrons » (1 Corinthiens 15:32 ; Ésaïe 22:13 ; Luc 12:19-20).  

 

*  

 

Sans aller toujours du train de nos poètes, l'essentiel des textes bibliques sur le sujet présente bien le fruit de la vigne, et donc le vin, comme une bénédiction, on va y venir — mais rien dans l'Écriture n'est unilatéral. Ce serait manquer d'équilibre que de ne s'arrêter qu'au bon côté des choses, tel l'insouciant ou l'insensé du Livre des Proverbes. Car le vin procure la joie, mais aussi, cela les poètes l'ont su bien sûr, la gueule de bois. Ce qui est bon dans le vin, selon la Bible, en cela très simple, c'est la réjouissance qu'il apporte, ce qu'il a de mauvais c'est la gueule de bois qui risque de s'en suivre. N'importe qui d'entre nous l'aurait trouvé tout seul, me direz-vous. Certes ! Mais la Bible en tire toute une leçon, y fonde tout un message.  

Ainsi si le Psalmiste chante que « le vin réjouit le cœur des humains en faisant briller les visages plus que l'huile... » (Psaumes 104:15), le livre des Proverbes avertit : « Ne regarde pas le vin qui rougeoie, qui donne toute sa couleur dans la coupe et qui glisse facilement » (Pr 23:31). Et il précise : « Le vin est moqueur, l'alcool tumultueux ; quiconque se laisse enivrer par eux ne pourra être sage » (Proverbes 20:1). Aussi met-il en garde en ces termes : « L'amateur de plaisir est voué au dénuement, qui aime le vin et la bonne chère ne s'enrichit pas » (Pr 21:17). Le Livre des Proverbes préfère réserver à l'alcool des fonctions plus prosaïques : « Qu'on donne plutôt de l'alcool à celui qui va périr et du vin à qui est plongé dans l'amertume » (Proverbes 31:6).  

Mais le livre des Proverbes est célèbre pour ce côté prosaïque, justement. Il entend ne pas inviter au rêve. Il n'est pas prudent de trop dériver vers l'ivresse par rapport à la réalité plus concrète de nos vies. S'il est un vin à boire avec abondance, c'est celui de la Sagesse : « Allez, mangez de mon pain, buvez du vin que j'ai mêlé », dit-elle, cette Sagesse (Proverbes 9:5). Car il est un autre vin, non pas sagesse, mais folie, amer, celui-là ; il est une autre ivresse, celle qui fait dériver jusqu'à l'exil et l'égarement. Ici, ce n'est plus le vin signe la joie, qui enivre : « Soyez surpris et restez stupéfaits, dit Dieu, dans Ésaïe, devenez aveugles et restez-le, soyez ivres, mais non de vin, titubez, mais non sous l'effet de la boisson » (Ésaïe 29:9).  

C'est le temps de l'exil et de la douleur, le choc du réel, qui finit par nous rejoindre, terrible : « Finie, la joie délirante dans le vignoble et la campagne de Moab ! Je taris le vin dans les cuves : finis, les cris qui accompagnaient le foulage ! » dira le prophète Jérémie (48:33). Il y a donc bien une gueule de bois annoncée par la Bible, terrible, qui culmine au livre de l'Apocalypse : « De sa bouche sort un glaive acéré pour en frapper les nations. Il les mènera paître avec une verge de fer, il foulera la cuve où bouillonne le vin de la colère du Dieu tout-puissant » (19:15).  

Mais cette menace est suivie d'une promesse, magnifique, pour le jour de l'Alliance rétablie : « Comme ils seront heureux ! Comme ils seront beaux ! Le froment épanouira les jeunes gens, et le vin nouveau, les jeunes filles » (Zacharie 9:17). Comme le dit Jésus : « je le boirai avec vous, nouveau, ce fruit de la vigne, dans le Royaume de mon Père. » (Marc 14:25).  

 

*  

 

Comme en signe prophétique de cela, de l’ambivalence des temps, les officiants du culte biblique devaient s'abstenir de vin au moment du culte. À ce moment, on témoigne d'un exil dont on voudrait qu'il passe, on aspire à la rencontre et à la dégustation du vin nouveau, qui est aussi le plus vieux des vins vieux, celui qui précède la création de la vigne. Voilà un vin céleste, voilà une vigne qui le porte, et qui décidément nous hante... Et produit, en attendant le jour de la rencontre, la certitude que jusque là les temps ne sont décidément pas forcément à la fête...  

 

*  

 

Ils n'en sont pas moins, le vin et la vigne, dès à présent, essentiellement signes de bénédiction. Cultiver sa vigne, en boire le vin, tel est, pour une bonne part, le bonheur, selon la Bible. Ainsi l'Ecclésiaste le résume : « Va, mange avec joie ton pain et bois de bon cœur ton vin, car déjà Dieu a agréé tes œuvres » (Ecclésiaste 9:7).  

Où s'enseigne aussi une leçon sur la fragilité d'un bonheur passager. Vient le temps où « la vigne est étiolée, le figuier flétri ; grenadier, palmier, pommier, tous les arbres des champs sont desséchés. La gaieté, confuse, se retire d'entre les humains » (Joël 1:12). À travers la vigne et le vin, les prophètes conduisent à la réflexion, en lien avec l'exil et la destruction du Temple, en lien avec la nostalgie des jours du bonheur passé.  

S'esquisse alors le sens de cette nostalgie plus fondamentale qui a traversé notre propos. « Que je chante pour mon ami, dit le livre d'Ésaïe, le chant du bien-aimé et de sa vigne : Mon bien-aimé avait une vigne sur un coteau plantureux » (Ésaïe 5:1). Au-delà du regret de la vigne féconde des jours passés, au-delà de la joie du bon vin des jours qui s'en sont allés, se dessine la nostalgie de ce « vin qui nous a enivrés avant la création de la vigne », la nostalgie qui est aussi peut-être celle de Dieu, et par rapport à laquelle, précisément, il a créé la vigne, et cette vigne : son peuple. Nous voilà au cœur des chants bibliques sur le vin. 

Le Cantique des Cantiques, célébrant l'amour de Dieu pour son peuple, sa fiancée : « Que tes caresses sont belles, ma sœur, ô fiancée ! Que tes caresses sont meilleures que du vin, et la senteur de tes parfums, que tous les baumes ! » (Cantique 4:10). Ou encore : « Je viens à mon jardin, ma sœur, ô fiancée ; je récolte ma myrrhe avec mon baume ; je mange mon rayon avec mon miel ; je bois mon vin avec mon lait ! (et le Chœur :) "Mangez, compagnons ; buvez, enivrez-vous... !" » (Cantique 5:1). 

Car dès le départ, on a compris que ces textes célébraient l'amour de Dieu pour son peuple, et bientôt l'amour de Dieu, le Bien-Aimé, pour l'âme nostalgique, l'âme qui soupire après lui, ce bonheur qui nous échappe en notre quotidien, ce bonheur comme une ivresse d'un vin regretté, d'avant l'exil, notre exil à tous. Tous les nostalgiques y sont venus, depuis ceux des temps bibliques, jusqu'aux troubadours et aux mystiques du Moyen Age, en passant par les poètes comme Ibn al-Faridh, jusqu'aux poètes modernes. Je pense à un Jean de la Croix, qui écrit : « Sur tes traces les jeunes filles Vont légères par le chemin ; Sous la touche de l'étincelle, Le vin confit engendre en elles Des respirs embaumés, d'un arôme divin. Dans le cellier intérieur De mon Aimé j'ai bu ; alors Sortie en cette plaine immense, J'étais en complète ignorance, Je perdis le troupeau dont je suivais les pas » (Poèmes, XI, 25-26). Divine ivresse de l'âme égarée dans la nostalgie du vin du Bien-Aimé dont elle n'a pas bu. Ce que notait Ibn al-Faridh. 

Alors la vigne devient le signe, carrefour de la rencontre entre Dieu et son peuple. Dieu recueille la joie en son peuple, comme le peuple trouve la joie en son Dieu, une joie comme celle que procure le fruit de la vigne en un repas amical. La rencontre de la joie s'est faite en celui, Jésus, qui s'est appelé non seulement l'époux de cette noce joyeuse dont le peuple est la fiancée, mais le Cep. Il est lui-même la vigne qui réjouit Dieu, et par laquelle Dieu réjouit les siens. De lui s'écoule le vin nouveau promis, ce vin plus ancien que le monde et qui nous est donné comme signe de son sang qui irrigue l'univers, et nous fait vivre comme la sève coule du Cep dans les sarments, de sorte que nous portions nous-mêmes ce fruit qui réjouit Dieu dans l'Éternité, et qu'évoque le poète : « nous avons bu à la mémoire du Bien-Aimé un vin qui nous a réjouis avant la création de la vigne. »

  
 

R.P.
La Bible, le Vin, la Vigne
Fêtes de Printemps de
Vence et Antibes, Mai-juin 2006

 

 

 

11:05 Écrit par rolpoup dans Rencontres & Causeries | Lien permanent | Commentaires (0)

12 juin 2006

Trinité

 

 

 

 

Interroge les jours du début

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Deutéronome 4, 32a & 39-40

32  Interroge donc les jours du début, ceux d’avant toi, depuis le jour où Dieu créa l’humanité sur la terre, interroge d’un bout à l’autre du monde : […]
39  Reconnais-le aujourd’hui, et réfléchis : c’est le SEIGNEUR qui est Dieu, en haut dans le ciel et en bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre.
40  Garde ses lois et ses commandements que je te donne aujourd’hui pour ton bonheur et celui de tes fils après toi, afin que tu prolonges tes jours sur la terre que le SEIGNEUR ton Dieu te donne, tous les jours.

Romains 8, 14-17
14  […] Ceux-là sont fils de Dieu qui sont conduits par l’Esprit de Dieu :
15  vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions : Abba, Père.
16  Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
17  Enfants, et donc héritiers : héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.

Matthieu 28, 16-20
16  Quant aux onze disciples, ils se rendirent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre.
17  Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes.
18  Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : "Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre.
19  Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit,
20  leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps."

 

  *


« Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »… Trinité…, qui de nos jours, n’a pas toujours bonne presse. En ce dimanche dit « de la Trinité », justement, il n’est pas inutile de s’arrêter sur cet aspect des choses : confesser, ou non, la Trinité.

Et disons-le d’emblée : si l’on est chrétien, refuser la formule de la Trinité pourrait bien équivaloir à s’exposer à devoir inventer l’eau chaude….

Dès le Deutéronome, on est invité à considérer le passé ; ceux qui nous ont précédés — « interroge les jours du début ». Chose aujourd’hui assez étrange : écouter les anciens — pensez ! Eh bien ! quand on rejoint le peuple, par le baptême (Mt), c’est la même chose, on est héritier, gratifié du même héritage : fils adoptifs, cohéritiers (Ro). Un héritage qui remonte aux racines du peuple hébreu. Élargi dorénavant, depuis la mort de Jésus et la promesse de Pentecôte, aux autres nations. Notons à ce sujet que la formule baptismale concernant les premiers convertis des Actes des Apôtres est « au nom de Jésus » ;
cela malgré la fin de Luc, qui est le même auteur, et qui, juste avant le début des Actes envoie baptiser, comme Matthieu que nous venons de lire, « au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ». Malgré la fin de Luc, les premiers disciples des Actes sont baptisés « au nom de Jésus ».

On a beaucoup spéculé sur cette différence dans les formules. Eh bien ! remarquons simplement que ces premiers disciples sont juifs. C’est-à-dire qu’ils sont dans l’héritage du Père ; et vivent de son Esprit. Leur conversion est découverte de Jésus ressuscité, et de la plénitude du sens et de la vie dans l'Esprit. Et par lui, du Dieu signifié dans la formule trinitaire. Les païens, eux, ont tout l’héritage à recevoir : le Père, le Fils, et l’Esprit saint.

En commun, hériter : cela nous concerne tous. On entre dans une histoire. Y compris quant à la question de notre relation avec Dieu. On y entre par le baptême au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit.

En bref, et puisqu’on entre dans une histoire — que voulaient dire, concernant la Trinité, ceux qui nous ont précédés ? Ont-ils dit des choses inconsidérées ? Il est tentant de le penser…

Admettons toutefois que ce ne soit pas le cas. Et selon cette hypothèse, essayons d’entrer dans leur pensée. Ici la formulation de l’héritage remonte moins haut que le peuple de l’Exode. Elle remonte à l’Église ancienne. Il n’en est pas moins raisonnable de considérer cet héritage avec respect. Ceux qui nous ont précédés ont peut-être des choses à nous apprendre. C’est en tout cas la moindre des sagesses que de l’envisager, malgré la manie de la nouveauté qui affecte notre temps. Ou la bougeotte des inventeurs d’eau chaude.

Qu’en est-il du discours classique sur la Trinité ?…Voilà un Dieu que nul n’a jamais vu, qui est au-delà de notre capacité de compréhension. « Nul n’a jamais vu Dieu »… « Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, seul nous l’a fait connaître », dit le début de l’Évangile de Jean. Voila déjà qui est quelque peu trinitaire, tout de même.

Comme Jésus promettant à ses disciples l’envoi du Paraclet, l’Esprit de vérité, qui dit-il, vous conduira dans toute la vérité, qui vous rappellera ce que je vous ai fait connaître. Voilà qui est encore plus précis.

Bref, qu’ont su les anciens concernant la connaissance de Dieu comme Trinité, et qui semble nous échapper aujourd’hui ? — telle est la question. Alors, l’invitation « interroge les jours du début » — concernant Dieu — prend un autre sens, comporte plusieurs sens.

En fait, il s’agit de rien moins que du salut : connaître Dieu — « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ ». Ou, répondant à Philippe lui demandant « montre-nous le Père et cela nous suffit » — puisque c’est là le salut, Jésus, soulignant encore la dimension de la Trinité : « celui qui m’a vu a vu le Père ». Autant de paroles de parmi tant d’autres qui induisent que l’enjeu n’est pas négligeable.

C’est là l’héritage promis, dans lequel on entre par la participation à l’Esprit qui est celui du Christ. Cet Esprit qui nous conduit dans toute la vérité, qui nous rappelle intérieurement tout ce que Jésus a enseigné ; qui nous en dévoile des profondeurs que nous ne soupçonnions même pas.

Cohéritiers avec le Christ, qui seul dévoile le Père et ouvre le salut, bénéficiaires de ce dévoilement du Père, cohéritiers par la participation à son Esprit. Dieu, Père du Christ, devient ainsi notre Père, au sens fort, et pas simplement au sens vague de Créateur qui fait de toute chose, et même des animaux, voire des plantes des sortes d’enfants de Dieu. Ce n’est pas en ce sens que la Bible parle de Dieu comme notre Père : c’est en un sens équivalent à celui par lequel Jésus est Fils de Dieu. Et cela nous est donné par l’Esprit. C’est par l’Esprit que nous disons la prière « Notre Père », « Abba » en araméen, prière qui signe notre filiation divine, notre enfantement spirituel par Dieu.

Chose qui ne nous épargne pas les réalités de la vie, que le Christ lui-même a connues, les souffrances, les épreuves, etc. On le sait. Mais cela dit, cela prend un tout autre sens quand on a compris que cela devient par l’Esprit, le cheminement vers notre héritage, partagé avec le Christ confessé, héritage déjà promis au temps de Moïse.

Cette marche vers le salut qui est en soi Exode : ces paroles de salut sont invariablement des paroles de liberté : « vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves » vient de dire Paul (nous l’avons entendu). Et ailleurs : « c’est pour la liberté que le Christ vous a libérés ». Puis : « là où est l‘Esprit du Seigneur, là est la liberté ». Etc. Autant d’allusions à l’Exode, au premier signe du salut. C’est pourquoi dès ce temps, nous sommes invités à « interroger les jours du début ». Et on voit à quel point cela concerne aussi la question de la Trinité.

Le signe de cette participation au salut, à l’héritage du salut, est le baptême au nom de la Trinité. C’est pour cela que Jésus envoie ses disciples et nous enseigne à garder les paroles de liberté qu’il nous a transmises, paroles qui se résument dans les dix paroles de l’Exode, traçant la route du salut sur laquelle le baptême nous a placés à notre tour, « au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ». C’est de la sorte — en la présence du Père qu’il a dévoilé, présence par l’Esprit — que Jésus nous donne sa parole de consolation : « je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps ».

Je terminerai par une citation de Dante contemplant la Trinité : « L'effet de ce spectacle miraculeux est tel, qu'il est impossible de consentir à toute autre pensée. Le bien qu'on désire est tout en cette lumière : hors d'elle, tout est rempli de défauts ; dans elle, tout est doué de la perfection. Pour décrire ce dont je peux me souvenir, ma langue sera donc plus impuissante que celle d'un enfant à la mamelle. Ce n'est pas qu'il y eût dans cette vive lumière que je regardais, plus qu'un aspect unique, car il est toujours tel qu'il était auparavant : mais pour ma vue qui se fortifiait à mesure, que je le regardais, ce seul aspect s'altérait à cause du changement qui s'opérait en moi. Dans la claire et profonde subsistance de la haute lumière, il me sembla que je distinguais trois cercles de trois couleurs qui n'en formaient qu'un seul : le premier était réfléchi par le second, comme Iris réfléchit Iris ; le troisième paraissait un feu qui brillait de la lumière des deux autres. Que mes paroles sont vaines ! qu'elles sont molles pour exprimer ce que je conçois ! et ce que je conçois n'est plus rien, si je le compare à ce que j'ai vu. Ô lumière éternelle, qui ne reposes qu'en toi, qui seule peux t'entendre, et qui souris après t'être entendue, fortunée d'être seule à t'entendre, le second cercle qui brillait en toi, et que lu réfléchissais, lorsque je l'eus bien considéré, me parut d'une couleur qui approchait de celle de notre corps, et qui en même temps n'avait pas perdu la sienne propre. J'étais, devant cette vue nouvelle, semblable à ce géomètre qui s'efforce de mesurer le cercle, et cherche en vain dans sa pensée le principe qui lui manque. Je voulais savoir comment le cercle et notre image pouvaient s'accorder, et comment s'opère l'union des deux natures ; mais pour comprendre un tel mystère, mes forces n'étaient pas suffisantes : alors je fus éclairé d'une splendeur de la divine grâce, et mon noble désir fut satisfait. Ici la puissance manqua à mon imagination qui voulait garder le souvenir d'un si liant spectacle ; et ainsi que deux roues obéissent à une même action, ma pensée et mon désir, dirigés avec un même accord, furent portés ailleurs par l'amour sacré qui met en mouvement le soleil et les autres étoiles. » Dante Aligheri, La Divine Comédie, Le Paradis, XXXIII, (trad. De Montor). 

 

 

R.P.,
Vence, 11 juin 2006

 

 

  

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05 juin 2006

Pentecôte


 


 

« Si je ne m'en vais pas,

l’Esprit Saint ne viendra pas »

  
 


 





Actes 2
2  Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel comme le souffle d’un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut toute remplie;
3  alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux.
4  Ils furent tous remplis d’Esprit Saint et se mirent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur donnait de s’exprimer.
5  Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux, venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6  A la rumeur qui se répandait, la foule se rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa propre langue.
 
Jean 15
26  "Lorsque viendra le Consolateur que je vous enverrai d’auprès du Père, l’Esprit de vérité qui procède du Père, il rendra lui-même témoignage de moi;
27  et à votre tour, vous me rendrez témoignage, parce que vous êtes avec moi depuis le commencement.

Jean 16
5  Mais maintenant je vais à celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous ne me pose la question: Où vas-tu?
6  Mais parce que je vous ai dit cela, l’affliction a rempli votre cœur.
7  Cependant je vous ai dit la vérité: c’est votre avantage que je m’en aille; en effet, si je ne pars pas, le Consolateur ne viendra pas à vous; si, au contraire, je pars, je vous l’enverrai.
[…]
13  Lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière. […]
14  Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera.



*

« Si je ne m'en vais pas, l’Esprit Saint ne viendra pas » (Jn 16:7).
 
Quelques cinquante jours avant Pentecôte, le départ du Christ annoncé dans ce texte est sa mort, sa crucifixion, donnée comme ascension. Le Christ est « élevé » et, par là, « enlevé » à ses disciples. « Vous ne me verrez plus », disait ici Jésus. Et il annonce l’envoi de l’Esprit saint, qui nous le dévoile, pour nous envoyer à notre tour. Cet envoi de l’Esprit saint est ce que nous fêtons aujourd’hui.
 
L'Histoire du “départ de Dieu”
 
Cela commence donc par une chose étrange. Dans le départ du Christ, c’est cette réalité étonnante de la vie de Dieu avec le monde qui est exprimée : son retrait, son absence. Car si Dieu est présent partout, et si le Christ ressuscité est lui-même corporellement présent — il est ici —, il est aussi étrangement absent, caché, comme l’est aussi le Père — nous ne le voyons pas.
 
Cette absence a plusieurs sens. Elle est d'abord le signe de son règne, de ce que l'on n'a point de mainmise sur lui, un peu comme ces princes antiques qui exerçaient leur pouvoir en restant toujours cachés de tous, sauf à quelques occasions réservées à leurs proches — cachés derrière une série de voiles. Le rituel biblique exprime cela par le voile du Tabernacle, puis celui du Temple, derrière lequel ne vient, et qu'une fois l'an, le grand prêtre.
 
Ce lieu très saint a son équivalent céleste, comme nous l'explique l'Épître aux Hébreux (8:5) lisant l'Exode (25:40). Temple céleste dans lequel officie le Christ.
 
C'est dans ce lieu très saint céleste qu'il est entré par son départ, départ avéré à sa mort — ce qui est signifié dans sa Résurrection et son Ascension. Le Christ entre dans son règne et se retire, voilé dans une nuée. Sa croix est alors, comme il l’annonçait, sa glorification: « l’Esprit de vérité vous conduira dans toute la vérité; [...] Il me glorifiera, parce qu’il prendra de ce qui est à moi, et vous l’annoncera » (Jn 16, 13-14).
 
Un Dieu qui nous laisse la place
 
Le départ de Jésus est donc en relation précise avec la venue de l'Esprit, qui le glorifie en justifiant sa mission  : « si je ne m'en vais pas, l’Esprit saint ne viendra pas » (Jn 16:7).
 
Le don de l'Esprit est alors la présence de celui qui ne se laisse plus voir, et le partage de sa vie. Jésus présent de façon visible, Jésus dans ce monde, est celui qu’on voulait fixer sur un trône palpable, lors des Rameaux, il est celui qu'on croyait fixer, par la crucifixion ; ou celui dont on voudrait se faire un Dieu commode, saisissable, visible, en somme.
 
Or Jésus manifeste le Dieu insaisissable, invisible, celui qui nous échappe, qui échappe à nos velléités de nous en fixer la forme, d'en faire une idole ! C’est là l’Esprit du monde.
 
Mais le Saint Esprit est celui qui nous communique cette impalpable, imperceptible présence au delà de l'absence, et nous met dans la communion de l'insaisissable. C'est pourquoi sa venue est liée au départ de Jésus.
Nous laissant la place, il nous permet alors de devenir par l'Esprit saint ce à quoi Dieu nous destine, ce pourquoi il nous a créés.
 
Venue du Royaume et communication de l'Esprit
 
Cela nous enseigne en parallèle ce qu'il nous appartient de faire en ces temps d'absence : devenir ce à quoi nous sommes destinés, en marche vers le Royaume ; accomplissement de la Création.
 
C’est à présent, dans cette perspective, l’ultime étape du projet de Dieu : l’effusion de l’Esprit promise par les prophètes — « comme l’eau couvre le fond des mers », une effusion générale (Jl 3/Ac 2), et plus seulement sur Israël, mais sur tous les peuples (Ac 8 & 10). C'est là la nouveauté fondamentale, cette universalité, car en Israël, les fidèles connaissaient la vie de l'Esprit auparavant (cf. par ex. Lc 2:25) — et des temps d'effusion, de Réveil. Dorénavant, dans cette nouvelle effusion, tous les peuples sont au bénéfice du don de Dieu : « élevé de la terre », le Christ « attire tous les hommes à lui » (Jn 12:32).
 
Cela pour une connaissance partagée du Père, ce qui est la vie éternelle : « la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17:3). Cette connaissance, cette consolation, n'est autre que la communion à son humilité, à son entrée dans la condition de l'esclave, que nous sommes conviés à faire nôtre (Ph 2:4-6).
 
C’est une dépossession à laquelle nous sommes appelés. La dépossession que suppose le don de l'Esprit saint est la dépossession de toute sagesse et puissance qu'a connue Jésus crucifié (1 Co 2:1-11 ; Ph 2:7). Dépossession qui doit aussi être notre part.
 
Ce n’est pas une incitation à l’irresponsabilité, mais une mise en garde contre une façon de s’imaginer régner, une façon de refuser d’être dépossédé comme le Christ l’a été. Cette façon de croire qu’on est mieux placé qu’autrui pour démêler ses problèmes ; une façon de s’arroger la place de Dieu, là où le Christ, lui s’en est dépossédé.
 
Or cette dépossession correspond précisément à l'action mystérieuse de Dieu dans la création. On lit dans la Genèse que Dieu est entré dans son repos. Dieu s'est retiré pour que nous puissions être, comme le Christ s'en va — et c’est sa glorification — pour que vienne l'Esprit qui nous fasse advenir nous-mêmes en Dieu.
 
Il y a là une puissante parole d’encouragement pour nous tous. L’Esprit saint remplit de sa force de vie quiconque, étant dépossédé, jusqu’à être abattu, en appelle à lui en reconnaissant cette faiblesse et cette incapacité. L’Esprit saint ne remplit par un peuple ou un individu plein de lui-même.
 
C’est au contraire quant nous sommes sans force, que tout devient possible. « Ma grâce te suffit car ma puissance s’accomplit dans la faiblesse », est–il dit à Paul (2 Co 12). Ou Pierre qui vient de renier Jésus, faiblesse immense, est à la veille de recevoir la puissance qui va l’envoyer, plein de la seule force de Dieu, jusqu’aux extrémités de la terre.
 
Et de même tous les disciples, dont la faiblesse, la dépossession de toute capacité, a été la porte du déferlement de l’Esprit saint. Il me semble qu’il y a là un message très actuel pour nous tous, pour nous, Église faible, en perte de capacités, en un peuple affaibli.
 
S’il y avait là un signe pour nous d’un proche déferlement nouveau ?
À nous, à présent, de reconnaître notre faiblesse et notre abattement et d’en appeler dès lors à celui-là seul par qui tout est possible, et sans qui nous ne pouvons rien faire.
 
L'achèvement de la création
 
Nous sommes, 2000 ans après, toujours dans la période qui a suivi cet événement de Pentecôte ; où en quelque sorte, l'étape ultime de la création se met en place. Le jour s'approche de l’entrée de la Création dans le repos de Dieu, le jour de l'apaisement qu'appellent les prières du peuple de Dieu dans la liturgie divine dans laquelle s'inscrivent aussi les Apôtres (v.14).
 
En se retirant, ultime humilité à l'image de Dieu, le Christ, Dieu créant le monde, nous laisse la place pour qu'en nous retirant à notre tour, nous devenions, par l'Esprit, par son souffle mystérieux, ce que nous sommes de façon cachée. Non pas ce que nous projetons de nous-mêmes, non pas ce que nous croyons être en nous situant dans le regard des autres.
 
Devenir ce que nous sommes en Dieu qui s'est retiré pour que nous puissions être, par le Christ qui s’est retiré pour nous faire advenir dans la liberté de l’Esprit saint, suppose que nous nous retirions à notre tour de tout ce que nous avons pris l'habitude de croire de nous-mêmes, suppose que nous nous retirions de l'image qu'ont forgée de nous nos parents, nos maîtres, nos amis ou ennemis ; que nous nous retirions de la volonté de leur plaire, de les séduire ; que nous nous retirions aussi de notre volonté de nous différencier d'eux.
 
L'Esprit de Dieu est celui qui insuffle en nous la liberté de n'être rien de ce dont nous aurions la maîtrise, de ne plus rechercher ce que nos habitudes nous ont rendu désirable, de ne plus aimer, ni haïr en réaction, ce que croyaient ou faisaient nos parents ou nos maîtres, ou ce qu'ils continuent de croire ou de faire.
 
Cela vaut aussi pour notre projet d’Église, pour les raisons de notre désir d’annoncer tout à nouveau l’Évangile. Précisément il s’agit là aussi de dépossession. Qu’il n’y ait en ce projet aucune raison autre que la gratuité de l’envoi de l’Esprit saint.
 
Le Christ lui-même s'est retiré pour nous laisser notre place, pour que l'Esprit vienne nous animer, cela à l'image de Dieu se retirant dans son repos pour laisser le monde être. À combien plus forte raison, devons-nous voir se retirer tous nos modèles et nos anti-modèles, tous nos désirs de plaire, ou nos volontés de nous démarquer, ou de perpétuer ce que nous prétendons être.
 
C'est dans ce renoncement seulement que se complète notre création à l'image de Dieu. C'est là seulement qu'est notre entrée avec le Christ dans le Temple éternel qu’est appelé à devenir ce monde. Hors cela il n'est que stérile agitation et poursuite de la vanité.
 
N’oublions pas que le texte d’aujourd’hui où Jésus annonce l’Esprit saint suit celui sur le Cep et les sarments, où Jésus dit ces choses en ces termes : « Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron. Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l’enlève, et tout sarment qui porte du fruit, il l’émonde, afin qu’il en porte davantage encore. Déjà vous êtes émondés par la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi comme je demeure en vous! De même que le sarment, s’il ne demeure sur le cep, ne peut de lui-même porter du fruit, ainsi vous non plus si vous ne demeurez en moi. Je suis le cep, vous êtes les sarments: celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là portera du fruit en abondance car en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire. » (Jean 15:1-5)
 
Que ce jour soit pour nous une prière de retrait en Dieu. De sorte que l'Esprit de Dieu que nous envoie le Christ se retirant, déferle en nous comme la sève dans le Cep, et soit le souffle qui nous permettant de nous retirer de nous-mêmes, nous fasse alors accéder à la liberté de devenir enfants de Dieu et au sens de notre mission.
  



R.P.
Antibes
Pentecôte 04.06.2006
 
 
 

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03 juin 2006

I have a Dream

 

 

« Je fais un rêve »

 

 




Ésaïe 65, 17-19
17 Voici : Je vais créer un ciel nouveau et une terre nouvelle, si bien qu’on n’évoquera plus le ciel ancien, la terre ancienne; on n’y pensera plus.
18  Réjouissez-vous plutôt, et ne vous arrêtez pas de crier votre enthousiasme pour ce que je vais créer: une Jérusalem enthousiaste et son peuple débordant de joie.
19  Moi aussi, je suis enthousiasmé par cette Jérusalem, et débordant de joie en pensant à mon peuple. On n’entendra plus chez lui ni bruits de pleurs, ni cris d’appel.


Je fais un rêve (I have a Dream)
de Martin Luther King
(texte adapté. Original anglais audio et texte ici.)
Washington, 18 août 1963 :

« Il y a un siècle de cela, l’esclavage était aboli. Cette proclamation historique faisait, comme un grand phare, briller la lumière de l'espérance aux yeux de millions d'esclaves noirs marqués au feu d'une brûlante injustice. Ce fut comme l'aube joyeuse qui mettrait fin à la longue nuit de leur captivité. 
Mais cent ans ont passé et le Noir n'est pas encore libre. Cent ans ont passé et l'existence du Noir est toujours tristement entravée par les liens de la ségrégation, les chaînes de la discrimination; cent ans ont passé et le Noir vit encore sur l'île solitaire de la pauvreté, dans un vaste océan de prospérité matérielle; cent ans ont passé et le Noir languit toujours dans les marges de la société et se trouve en exil dans son propre pays. 
En traçant les mots magnifiques qui forment notre constitution, les architectes de notre république signaient une promesse dont héritaient chacun. Aux termes de cet engagement, tous les hommes, les Noirs, oui, aussi bien que les Blancs, se verraient garantir leurs droits inaliénables à la vie, à la liberté et à la recherche du bonheur. 
Il est aujourd'hui évident cette promesse n’a pas abouti en ce qui concerne ses citoyens non-Blancs. Il s’agit à présent d’obtenir les fruits de cette promesse.
Il n'est plus temps de se laisser aller au luxe d'attendre ni de pendre les tranquillisants des demi-mesures. Le moment est maintenant venu de réaliser les promesses de la démocratie; le moment est venu d'émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation entre Noirs et Blancs pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale;
le moment est venu de tirer notre nation des sables mouvants de l'injustice raciale pour la hisser sur le roc solide de la fraternité; le moment est venu de réaliser la justice pour tous les enfants de Dieu. Il serait fatal à notre nation d'ignorer qu'il y a péril en la demeure. Cet étouffant été du légitime mécontentement des Noirs ne se terminera pas sans qu'advienne un automne vivifiant de liberté et d'égalité. 
1963 n'est pas une fin mais un commencement. Ceux qui espèrent que le Noir avait seulement besoin de laisser fuser la vapeur et se montrera désormais satisfait se préparent à un rude réveil si le pays retourne à ses affaires comme devant. 
Il n'y aura plus ni repos ni tranquillité tant que le Noir n'aura pas obtenu ses droits de citoyen. 
Les tourbillons de la révolte continueront d'ébranler les fondations de notre nation jusqu'au jour où naîtra l'aube brillante de la justice. 
Mais il est une chose que je dois dire à mon peuple, debout sur le seuil accueillant qui mène au palais de la justice : en nous assurant notre juste place, ne nous rendons pas coupables d'agissements répréhensibles. 
Ne cherchons pas à étancher notre soif de liberté en buvant à la coupe de l'amertume et de la haine. Livrons toujours notre bataille sur les hauts plateaux de la dignité et de la discipline. Il ne faut pas que notre revendication créatrice dégénère en violence physique. Encore et encore, il faut nous dresser sur les hauteurs majestueuses où nous opposerons les forces de l'âme à la force matérielle. 
Le merveilleux militantisme qui s'est nouvellement emparé de la communauté noire ne doit pas nous conduire à nous méfier de tous les Blancs. Nombre de nos frères de race blanche ont compris que leur destinée est liée à notre destinée. Ils ont compris que leur liberté est inextricablement liée à notre liberté. Nous ne pouvons avancer seuls. Et au cours de notre progression, il faut nous engager à continuer d'aller de l'avant ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière. Il en est qui demandent aux tenants de nos droits : "Quand serez vous enfin satisfaits ?" Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que le Noir sera victime des indicibles horreurs de la brutalité policière. 
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos corps recrus de la fatigue du voyage ne trouveront pas un abris dans les motels des grand routes ou les hôtels des villes.
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que la liberté de mouvement du Noir ne lui permettra guère que d'aller d'un petit ghetto à un ghetto plus grand. 
Nous ne pourrons jamais être satisfaits tant que nos enfants seront dépouillés de leur identité et privés de leur dignité par des pancartes qui indiquent : "Seuls les Blancs sont admis." Nous ne pourrons être satisfaits tant qu'un Noir du Mississippi ne pourra pas voter et qu'un Noir de New York croira qu'il n'a aucune raison de voter. Non, nous ne sommes pas satisfaits, et nous ne serons pas satisfaits tant que le droit ne jaillira pas comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable. 
Je n'ignore pas que certains d'entre vous ont été conduits ici par un excès d'épreuves et de tribulations. D'aucuns sortent à peine de l'étroite cellule d'une prison. D'autres viennent de régions où leur quête de liberté leur a valu d'être battus par les tempêtes de la persécution, secoués par les vents de la brutalité policière. Vous êtes les pionniers de la souffrance créatrice. Poursuivez votre tache, convaincus que cette souffrance imméritée vous sera rédemption. 
Retournez au Mississippi; retournez en Alabama; retournez en Caroline du Sud; retournez en Géorgie; retournez en Louisiane, retournez à vos taudis et à vos ghettos dans les villes du Nord, en sachant que, d'une façon ou d'une autre cette situation peut changer et changera. Ne nous vautrons pas dans les vallées du désespoir. 
Je vous le dis ici et maintenant, mes amis : même si nous devons affronter des difficultés aujourd'hui et demain, je fais pourtant un rêve. Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : "Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux.
Je rêve que, un jour, sur les rouges collines de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d'esclaves pourront s'asseoir ensemble à la table de la fraternité. 
Je rêve que, un jour, l'État du Mississippi lui-même, tout brûlant des feux de l'injustice, tout brûlant des feux de l'oppression, se transformera en oasis de liberté et de justice. 
Je rêve que mes quatre petits enfants vivront un jour dans un pays où on ne les jugera pas à la couleur de leur peau mais à la nature de leur caractère. Je fais aujourd'hui un rêve ! 
Je rêve que, un jour, même en Alabama où le racisme est vicieux, un jour, justement en Alabama, les petits garçons et petites filles noirs, les petits garçons et petites filles blancs, pourront tous se prendre par la main comme frères et sœurs. Je fais aujourd'hui un rêve ! 
Je rêve que, un jour, tout vallon sera relevé, toute montagne et toute colline seront rabaissés, tout éperon deviendra une pleine, tout mamelon une trouée, et la gloire du Seigneur sera révélée à tous les êtres faits de chair tout à la fois. 
Telle est mon espérance.
Avec une telle foi nous serons capables de distinguer, dans les montagnes de désespoir, un caillou d'espérance. Avec une telle foi nous serons capables de transformer la cacophonie de notre nation discordante en une merveilleuse symphonie de fraternité. 
Avec une telle foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d'aller en prison ensemble, de nous dresser ensemble pour la liberté, en sachant que nous serons libres un jour. Ce sera le jour où les enfants de Dieu pourront chanter ensemble cet hymne auquel ils donneront une signification nouvelle -"Mon pays c'est toi, douce terre de liberté, c'est toi que je chante, pays où reposent nos pères, orgueil du pèlerin, au flanc de chaque montagne que sonne la cloche de la liberté. 
Aussi faites sonner la cloche de la liberté sur chaque colline et chaque montagne. 
Quand nous ferons en sorte que la cloche de la liberté puisse sonner, quand nous la laisserons carillonner dans chaque village et chaque hameau, dans chaque État et dans chaque cité, nous pourrons hâter la venue du jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les juifs et les païens, les catholiques et les protestants, pourront se tenir par la main et chanter les paroles du vieux "spiritual" noir : "Libres enfin. Libres enfin. Merci Dieu tout-puissant, nous voilà libres enfin." »

 

KT Antibes
3 juin 2006

 

 

 

23:00 Écrit par rolpoup dans Pause caté | Lien permanent | Commentaires (0)