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06 mars 2006

Carême





 « La Descente aux Enfers »   






 

1 Pierre 3:18-22

18  Le Christ lui-même a souffert pour les péchés, une fois pour toutes, lui juste pour les injustes, afin de vous présenter à Dieu, lui mis à mort en sa chair, mais rendu à la vie par l’Esprit.
19  Ce que par cet Esprit, il est aussi allé proclamer aux esprits en prison,
20  aux rebelles d’autrefois, quand se prolongeait la patience de Dieu aux jours où Noé construisait l’arche, dans laquelle peu de gens, huit personnes, furent sauvés par l’eau.
21  C’était l’image du baptême qui vous sauve maintenant: il n’est pas la purification des souillures du corps, mais l’engagement envers Dieu d’une bonne conscience; il vous sauve par la résurrection de Jésus Christ,
22  qui, parti pour le ciel, est à la droite de Dieu, et à qui sont soumis anges, autorités et puissances.
 
Marc 1, 12-15
12  Aussitôt l’Esprit pousse Jésus au désert.
13  Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.
14  Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l’Évangile de Dieu et disait:
15  "Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché: convertissez-vous et croyez à l’Évangile."
 


*

 
L’Évangile de Marc est très sobre dans le récit de la tentation qui ouvre le ministère de Jésus : quelques brèves notes qui font écho : le désert, les bêtes sauvages, les quarante jours…
 
Avec en regard naturel, la traversée du désert par le peuple de l’Exode, et en arrière-plan plus lointain, le tohu-bohu, le chaos initial des premiers versets de la Genèse. Où s’annonce et se préfigure que l’on est en présence de celui qui va conduire la Création à son achèvement et à sa plénitude comme nouvelle Création : les anges le servaient.
 
Mais avant cela, il va s’agir de confronter le chaos, de le mater, ce chaos où la Création est en risque permanent de retourner, comme par le Déluge ; ce chaos du désert des bêtes sauvages, ce chaos qui vise à nous envahir jusque depuis notre intériorité pour nous empêcher d’advenir comme êtres à l’image de Dieu, comme ressuscités. Il s’agit donc d’être confronté avec cette part de soi-même : tel est le sens du Carême comme passage au désert.
 
Et pour Jésus, cela se traduit par une confrontation au Principe même du refus de la Création de Dieu, le satan, pour une victoire de Jésus d’où va sortir enfin la Création nouvelle. C’est tout ce que nous donne l’Évangile de Marc.
 
Le terme de ce conflit contre ce chaos remontant aux temps initiaux, aux temps antédiluviens, nous sera donné dans le texte de la première Épître de Pierre que nous avons lu.
 
1 Pierre 3:18-22, ou — bien que l’expression ne soit pas dans le texte — la descente aux enfers, ce sur quoi on se penchera un moment.
 
La descente aux enfers, un thème fécond, qui a inspiré depuis l'art dramatique jusqu'aux concepteurs d'attractions foraines, en passant par le cinéma fantastique.
 
Ici aussi, toute une série d’échos, d’une autre nature. On connaît le mythe fondamental derrière cette fameuse descente aux enfers des artistes, qui est évidemment celui d'Orphée. Orphée descendant aux enfers chercher sa bien-aimée Eurydice. Un thème qui, du coup, n'a pas forcément grand chose à voir avec la descente aux enfers du Christ, me direz-vous peut-être.
 
Sauf à l’entendre comme C.S Lewis, l’auteur de Narnia à présent connu grâce à Walt Disney. Théologien anglican, connu aussi comme philologie de l’Université d’Oxford, C.S. Lewis, estime que le Christ accomplit dans sa chair ce que les mythes avaient dessiné en images.
 
Un des plus célèbres de ces mythes est celui de la caverne de Platon où il est question d'un homme venu du monde de la lumière qui descend dans la caverne où nous vivons tous, et où nous prenons pour la réalité les ombres que la lumière de l'extérieur projette sur les murs. Et lorsque l'homme de la lumière leur dit la vérité, les hommes de la caverne, scandalisés par la vérité, se proposent de le mettre à mort. La crucifixion du Christ porteur de lumière a été souvent perçue comme l'accomplissement de cela.
 
Eh bien, figurez-vous que le mythe d'Orphée trouve peut-être son accomplissement dans le thème la descente aux enfers de Jésus. Reste à savoir la signification de tout cela.
 
Le mythe d'Orphée concernait les Titans, ces personnages mythologiques qui s'étaient révoltés contre Dieu et avaient été enfermés au fond des enfers, dans le Tartare. Orphée avait subi on ne peut plus cruellement cette révolte, puisque lui-même, fils de Zeus, avait été dévoré par les Titans… Depuis en fermés au Tartare, le cercle le plus bas des enfers.
 
Eh bien, selon la seconde épître de Pierre, les esprits qui se sont rebellés au temps de Noé, dont il est question dans notre texte, ces esprits rebelles à Dieu ont été justement enfermés dans le Tartare. Je lis le passage : avant de préciser (2 P 2: 5) que Dieu "n'a pas épargné non plus l'ancien monde, mais il préserva, lors du déluge dont il submergea le monde des impies, Noé, le huitième des survivants, lui qui proclamait la justice" ; 2 Pierre 2:4 note : "Dieu n'a pas épargné les anges coupables, mais les a plongés, les a livrés aux antres ténébreux du Tartare, les gardant en réserve pour le jugement." Coïncidence intéressante, non ?
 
Qu'est-il donc allé faire dans cette galère, Jésus ? "Prêcher aux esprits rebelles", qu'est-ce à dire ? Les commentateurs de l'Écriture, les grands théologiens à travers l'Histoire et autres pères de l'Église, en ont usé de l'encre et de la salive sur cette question.
 
"Prêcher aux esprits emprisonnés". Est-ce pour leur permettre d'être sauvés eux aussi ? Certains l'ont envisagé ; dérivant parfois vers les zones les plus farfelues des mythes, vers des croyances bizarres, que l'on retrouve dans les films sur les maisons hantées ou les théories brinquebalantes des spirites voulant des médiums capables de soulager les pauvres fantômes qui errent avec chaînes et boulets pour expier leurs péchés passés.
 
Si certains ont imaginé cela, d'autres ont préféré s'en tenir plus rigoureusement au texte. Le terme traduit par "prêcher" signifie littéralement "proclamer".
 
Ce qui ne veut pas forcément dire une prédication avec appel, imaginant Jésus invitant les mauvais esprits, démons, et autres anges rebelles au repentir, tel un Jean-Baptiste des enfers.
 
Littéralement, proclamer parle d'une annonce. C'est le terme exact qui est employé pour les premières annonces de la résurrection. Les Apôtres proclament la victoire du Christ sur la mort. Telle est la prédication de sa résurrection.
 
C'est ainsi que ceux qui si l’on s’attache au sens strict des mots, et ici du mot "proclamer", la descente aux enfers de ce passage marque le tournant de la victoire totale du Christ. C'est la résurrection proclamée jusqu'aux abîmes les plus sombres de l'univers. Le Christ est vainqueur total. Il n'est aucun lieu, aucun temps, qui ne soit vaincu par le Ressuscité. La descente aux enfers est le scellement premier de la résurrection. Cette proclamation du Christ est cette victoire qui est la sienne, la résurrection.
 
Rendu à la vie par l'Esprit, dit même le texte, c'est alors qu'il est allé prêcher aux esprits en prison. Ressuscité. Ce qui nous place à côté de la question d’une sorte de chronologie : mort, descente aux enfers, puis résurrection : il s’agit de la proclamation de sa victoire par le ressuscité. Au-delà des temps, puisqu’elle concerne jusqu’aux jours d’antan, et aux esprits rebelles des origines...
 
Proclamation intemporelle. C'est la victoire d'une résurrection qui fait éclater la reddition de notre temps chargé de douleur et de mort, cette mort que, nous dit le texte, Jésus a porté en sa chair, lui juste pour les injustes.
 
C'est pourquoi le Ressuscité est le sauveur même de Noé, l'homme par lequel le monde a traversé le temps des esprits rebelles. L'épître aux Hébreux (11:7) le dit ainsi : "Par la foi, Noé [fut] divinement averti de ce que l'on ne voyait pas encore", de sorte que le déluge devient, selon notre texte, la figure du baptême, qui est participation symbolique à la résurrection du Christ. Comme pour une irisation de lumière éternelle qu'annonçait cet autre signe de l'alliance, l'arc-en-ciel.
 
Si la victoire est intemporelle, le combat du vainqueur, Jésus, l'est aussi.
 
C'est pourquoi l'on nous donne à juste titre aujourd'hui le texte sur sa tentation en même temps que celui de la descente aux enfers. Le combat de Jésus est celui de la tentation qui inaugure son ministère et qui le taraude encore à la fin, au Gethsémani et à la croix. C'est pourquoi Calvin considérait que la descente aux enfers nous situait en fait en ces moments là. Au moment où le Christ juste souffre le plus intensément pour les injustes.
 
Une précision : le thème de la descente aux enfers, dont on a entrevu un peu de sa richesse, ce thème biblique, au fond, n'est pas ce que nous confessons lorsque nous disons le Symbole des Apôtres, puisque le mot latin y est inferos, et non inferna. Inferos signifie tout simplement le séjour des morts, voulant dire que le Christ est réellement mort, mis au tombeau, descendu au séjour des morts. Cet aspect du Credo renvoie, non pas tant à notre texte d’aujourd’hui, où l’on ne trouve pas exactement le simple séjour des morts, qu’à d’autres textes du Nouveau Testament parlant du hadès, à savoir le shéol hébreu, bref du séjour des morts (Ac 2:27,31).
 
Cela dit, le carrefour de notre texte s'y retrouve en ce sens que la réelle mort du Christ est le fondement de toute la puissance de sa résurrection, de toute son universalité, concernant les sommets les plus sublimes des cieux et de la spiritualité et les zones les plus sombres de cette création, abîmée dans les griffes du malheur et de la mort.
 
Proclamons à nouveau cette victoire du Christ ressuscité, le Christ de la transfiguration. Proclamons-le tout à nouveau pour cette entrée en Carême. Proclamons-le à la face de l'univers et jusqu'au fond des abîmes du malheur : le Christ ressuscité, le victorieux, nous y accompagne et vient nous y racheter, comme Orphée son Eurydice. Pour nous, il n'est plus rien à craindre : il nous sauve par sa résurrection, il siège à la droite de Dieu, toutes les puissances lui sont soumises.


R.P.
 
 

 

17:35 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

04 mars 2006

"Signes des temps"

 

 

 

"Signes des temps"




 



Journée mondiale de prière

avec les femmes d'Afrique du Sud,
la "nation arc-en-ciel"


 


Prédication de Martine-Blanche Yéble Oga-Poupin




Matthieu 26, 1-13

1 Or, quand Jésus eut achevé toutes ces instructions, il dit à ses disciples: "Vous le savez, dans deux jours, c’est la Pâque:
2 le Fils de l’homme va être livré pour être crucifié."
3 Alors les grands prêtres et les anciens du peuple se réunirent dans le palais du Grand Prêtre, qui s’appelait Caïphe.
4 Ils tombèrent d’accord pour arrêter Jésus par ruse et le tuer.
5 Toutefois ils disaient: "Pas en pleine fête, pour éviter des troubles dans le peuple."
6 Comme Jésus se trouvait à Béthanie, dans la maison de Simon le lépreux,
7 une femme s’approcha de lui, avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de grand prix; elle le versa sur la tête de Jésus pendant qu’il était à table.
8 Voyant cela, les disciples s’indignèrent: "A quoi bon, disaient-ils, cette perte?
9 On aurait pu le vendre très cher et donner la somme à des pauvres."
10 S’en apercevant, Jésus leur dit: "Pourquoi tracasser cette femme? C’est une bonne oeuvre qu’elle vient d’accomplir envers moi.
11 Des pauvres, en effet, vous en avez toujours avec vous; mais moi, vous ne m’avez pas pour toujours.
12 En répandant ce parfum sur mon corps, elle a préparé mon ensevelissement.
13 En vérité, je vous le déclare: partout où sera proclamé cet Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait."


*


Les célébrations des JMP (Journée Mondiale de Prière) se succèdent au fil des ans et se ressemblent dans la continuité des textes soumis à notre méditation. L’année passée, le texte de méditation portait sur le passage de 2 Rois chapitre 5. Texte où Naaman, chef d’état major de l’armée Syrienne (si l’on peut ainsi l’appeler), Naaman, celui-là même qui a conçu le plan de guerre et conduit l’armée syrienne à la victoire face à un affrontement armé avec Israël, Naaman en question a été frappé par la lèpre. Et pour guérir de sa lèpre, il lui a fallu se rendre auprès d’Elisée, prophète d’Israël. En d’autres termes, c’est d’Israël, l’adversaire de la Syrie, le vaincu de la Syrie, que Naaman devait obtenir la guérison. Un texte qui nous enseigne le pardon infini. En effet, comment après avoir subi une défaite humiliante de la part de l’armée Syrienne, Israël pouvait accepter de cœur joie, d’octroyer la guérison à Naaman ; celui-là même qui, à la tête de l’armée syrienne, a conduit les opérations qui ont provoqué la défaite de l’armée d’Israël ? Le pardon infini. C’est ce que le prophète Elisée a accompli par la guérison de Naaman. Du coup, nos consciences sont interpellées. Nous qui ne pardonnons jamais les offenses de nos voisins, de nos parents proches. Parfois même de nos conjoints et qui faisons payer aux autres le moindre mal qu’ils nous ont fait. Nous qui passons notre temps à ruminer vengeance pour les moindres offenses subies. Le prophète Elisée et par delà Israël, nous donne un exemple de pardon infini devant le pire ennemi.

Et le texte de 2 Rois que nous avons médité au cours de la JMP l’année passé ne s’arrête pas seulement au niveau du pardon infini. Il va plus loin. En effet, Face au prophète Elisée qui lui demande d’aller se baigner sept fois dans le fleuve Jourdain pour retrouver une peau saine et pure, Naaman opposera une résistance farouche en évoquant les fleuves de Damas que sont l’Abana et le Parpar. Il interroge : Les fleuves de Damas, l’Abana et le Parpar, ne valent-ils pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? L’attitude de Naaman rappelle bien de nos attitudes et comportements envers les lois établies et envers l’évolution de nos sociétés. Face au progrès rapide et vertigineux de nos sociétés, devant les bouleversements sociaux dignes des sociétés en mutations, et face au dépaysement qui est nôtre, ne nous arrive-t-il pas de nous rebeller devant les nouveaux ordres qui nous bousculent dans nos certitudes séculaires et nos habitudes anciennes ? Combien de fois répétons-nous « de mon temps, on faisait ceci, on faisait cela, dans mon village, dans mon pays c’était plus beau et plus supportable...etc. »
Certes, mon frère, ma sœur, de ton temps, dans ton village, dans ton pays, tout était brillant. Mais maintenant, un nouveau monde se met en place. Une nouvelle dynamique de vie t’est offerte et tu es invité à t’y inscrire résolument à la manière de Naaman qui malgré tout, finira par accepter de se baigner sept fois dans le Jourdain. Et c'est à ce prix, que sa peau est devenue saine et pure. Ce commandement s’adresse aussi à toi ma sœur, à toi mon frère : va, baigne-toi dans le Jourdain sept fois. Et ta peau deviendra pure et saine. En d’autres termes, renonces à tes habitudes, répands-toi, crois au Seigneur Jésus et tu seras sauvé. C’était le message de la JMP de l’année passée.

Nous venons maintenant au texte de la JMP d’aujourd’hui. Ce texte de Matthieu 26,1-13 qui lui aussi, s’inscrit toujours dans la continuité des textes de la JMP. Ce passage de Mathieu 26, 1 à 13 est appelé « l’onction de Béthanie ».
Dans ce texte, alors que Jésus évoque le complot dont il va être victime, survient une femme, dont on ne mentionne pas le nom. Cette femme, d’après le texte, vient avec du parfum de grand prix et le verse sur la tête de Jésus. La scène se passe à Béthanie, le village de Lazare ressuscité trois jours après sa mort. Mais aussi, Béthanie, c’est le village de Marthe et Marie, les sœurs de Lazare. Le mot Béthanie en Hébreu, signifie lui-même « la maison du pauvre ». Si ce village porte bien son nom, c’est-à-dire que si il est effectivement la maison du pauvre, et donc un village où vivent des hommes et des femmes pauvres, entièrement démunis, on peut bien comprendre pourquoi les disciples se sont offusqués de ce qu’un parfum aussi cher ne soit pas vendu, avec les fonds de vente redistribués à ces pauvres. Mais là, ce n’est qu’une parenthèse. Nos préoccupations sur ce texte s’articulent autour de deux questions.
Première question : pourquoi ne connaît-on pas le nom de la femme qui a versé ce parfum si cher sur la tête de Jésus ?
Deuxième question : pourquoi les disciples se sont-ils offusqués devant l’attitude de cette femme apparemment généreuse ?
Essayons de répondre à la première question. L’oubli volontaire ou involontaire du nom de la femme qui a oint le Seigneur Jésus. Chose étrange. Comment peut-on ignorer le nom de l’auteur d’un récit d’une si grande importance ; récit dont Jésus lui-même a prévu qu’il serait fait mention partout où l’évangile serait annoncé ? Chose étrange, chose curieuse. Une Théologienne tente de nous apporter une réponse. De nationalité Allemande, cette Théologienne, du nom d’Elisabeth SCHÜSSLER Fiorenza affirme, et je cite : « Dans le récit de la Passion de l’évangile de Marc, trois disciples se distinguent avec netteté : d’une part, deux des douze –, Judas qui trahit Jésus et Pierre qui le renie -, d’autre part, la femme dont le nom nous est inconnu, qui parfume Jésus lors de ce qu’il est convenu d’appeler « l’onction de Béthanie ». Mais, tandis que l’histoire de Judas et celle de Pierre sont gravées dans la mémoire des chrétiens, l’histoire de cette femme est pratiquement oubliée. Bien que, chez Marc, Jésus affirme : « En vérité je vous le déclare, partout où sera proclamé l’Evangile dans le monde entier, on racontera aussi, en souvenir d’elle, ce qu’elle a fait. Le geste prophétique de cette femme ne fait pas partie de ce que la plupart des chrétiens ont retenu de l’Evangile. Et même le nom de cette femme a été perdu pour nous. Partout où l’Evangile est proclamé et l’eucharistie célébrée, une autre histoire nous est dite, celle de l’apôtre qui a trahi Jésus. On se rappelle le nom du traître, mais on a oublié le nom de cette disciple fidèle parce que c’est une femme. » fin de citation.
Mais mon frère, ma sœur, toi qui m’écoute aujourd’hui, pourquoi un tel oubli ? La réponse est simple. C’est parce que l’histoire de Jésus s’est déroulée dans un monde juif dominé par le patriarcat. Par la suite, cette histoire a été écrite et rédigée d’une manière à la rendre plus attrayante à un public gréco-romain lui aussi de mentalité patriarcale.

Le texte nous dit qu’une femme inonde Jésus d’un parfum de grand prix. Cet incident provoque immédiatement des objections du côté des disciples. Quant à Jésus, non seulement, il désapprouve les disciples, mais encore, il justifie le geste de la femme. Nous en venons à notre deuxième question : mais, pourquoi les disciples ont mal perçu l’acte de la femme envers Jésus ; Est-ce vraiment par souci pour les pauvres comme ils l’ont laissé entendre ?
La réponse est non. Et Jésus connaît bien leurs pensées et voilà pourquoi il les désapprouve. De même, par la réaction des disciples, on est sûr que cette femme au nom inconnu n’a pas fait que verser l’huile sur les pieds de Jésus. Bien plus, elle a oint d’huile Jésus, en lui versant l’huile, non sur les pieds, mais sur la tête. C’est cela qui irrite les disciples. En effet, verser de l’huile sur la tête d’une personne dans la tradition juive est un acte significatif, voire un acte symbolique. Car, dans la tradition juive, il arrive que l’on verse du parfum sur les pieds de quelqu’un pour lui manifester un sentiment noble. Par exemple, le lavement des pieds comme le versement du parfum au pied d’une personne sont des gestes ordinaires et très courants dans la société juive. Gestes qui montrent l’amitié, la solidarité, la fraternité, la sympathie entre des amis, des parents ...etc. Par contre, le versement d’huile sur la tête d’une personne reste lui, un acte privilégié, réservé au strict usage des prophètes. Car c’est à travers l’onction d’huile sur la tête que les rois étaient désignés et les prophètes reconnus. Et dans l’ancien Testament, le prophète marquait de l’onction de la tête le roi d’Israël. Voilà pourquoi les disciples de Jésus étaient vexés et irrités de l’acte posé par la femme. Car, à travers son acte, la femme au nom inconnu a été la première personne à reconnaître et à attester officiellement la messianité de Jésus. Un homme, Pierre, fils de Zébédé, ancien pêcheur, a confessé la messianité de Jésus sans trop y croire. La femme, elle, non seulement l’a reconnue mais encore, elle l’a attestée par le sceau de l’onction !
Du coup, selon Elisabeth Schüssler Fiorenza et je cite : « Etant donné que dans l’Ancien Testament le prophète marquait de l’onction la tête du roi d’Israël, l’onction faite sur la tête de Jésus a dû être immédiatement comprise comme la reconnaissance prophétique de Jésus, l’Oint, le Messie, le Christ. Selon la tradition, c’était une femme qui devait nommer Jésus par un geste prophétique. C’était une histoire politiquement dangereuse. » fin de citation.
Devant une telle situation, il fallait brouiller les pistes, notamment par l’omission volontaire du nom de cette femme pour éviter qu’elle ne rentre dans l’histoire. Mais aussi, il fallait la rabrouer, la réprimer, la persécuter même à cause de sa prétention à vouloir réorienter le sens de l’histoire, en se substituant volontairement au prophète pour oindre Jésus de la tête. Car, de par sa prétention de vouloir se substituer au prophète, elle qui n’est qu’une femme c’est-à-dire, maillon faible de le société d’alors, elle bousculait la tradition. Ce qui est inacceptable pour les tenants rigoureux de cette tradition. Voilà pourquoi les disciples s’en sont pris à elle. Pourquoi n’a-t-on pas vendu un parfum aussi cher pour redistribuer les fonds aux pauvres ? Se sont-ils exclamés devant leur refus de voir leurs habitudes bousculées. Comme Naaman dans le livre des Rois : l’Abana et le Parpar à Damas ne valent-ils pas mieux que tous les fleuves d’Israël ?

Et pour ce qui nous concerne, vous et moi aujourd’hui : pourquoi faisons-nous ceci ou cela de nos jours alors que du temps de nos pères c’était ainsi ? Pourquoi mon voisin, ma voisine devrait-il avoir ceci ou cela et non moi ? Et pourquoi celui-là ou celle-là dont mes aïeuls ont colonisé puis évangélisé les ascendants devrait-il aujourd’hui m’enseigner moi la parole de Dieu ou même les valeurs républicaines ? Pourquoi un nègre ou un Arabe devrait-il se retrouver parmi les instances les plus hautes de la cité voire de la république ? Comment les descendants d’anciens esclaves devraient-ils exercer des fonctions administratives dans nos bureaux ; eux qui devraient faire du ménage à perpétuité ? Pourquoi les immigrés devraient-ils occuper les fonctions dévolues aux Français de souche ? Et pourquoi viennent-ils épouser nos filles et nos fils ; eux qui sont des sous-hommes ? D’ailleurs, que viennent-ils chercher chez nous alors qu’ils n’ont pas la même culture que nous ? Allons, chassons-les de chez nous ; ou alors, qu’ils restent chez nous, mais en clandestinité. Surtout, ne jamais les régulariser. De peur qu’ils n’occupent les emplois de nos enfants. D’ailleurs, ne leur louons pas nos appartements. Chez eux, ils ne dorment que dans les arbres.


De l’autre côté des anciens colonisés, ce n’est guère brillant. Ecoutons-les : pourquoi ceux et celles, c’est-à-dire les Blancs, dont les ascendants ont asservi nos ancêtres par le commerce triangulaire devraient-ils continuer à vivre dans nos pays et continuer de nous piller à la manière de nos ancêtres ? Que font-ils encore dans nos pays alors que nous avons acquis l’indépendance depuis des décennies et qu’on a plus besoin d’eux ? Pourquoi ne les poursuivons-nous pas devant les tribunaux compétents pour tout le mal que leurs ancêtres ont fait aux nôtres afin qu’ils nous dédommagent ? Ne nous ont-ils pas assez volé nos matières premières ? Comment se fait-il que nous qui sommes assis sur des gisements miniers, nous sommes dans la misère alors que ceux qui n’ont que la neige pour matière première se la coulent douce ? D’ailleurs, d’où vient tout ce fer qui a servi à bâtir la Tour Eiffel alors que la France n’a pas un seul fer dans son sous-sol ? Et pourquoi devraient-ils posséder des terres dans nos pays alors qu’ils sont des étrangers chez nous ? Allons, empêchons-les de continuer à nous piller. Exproprions-les de toutes les terres qu’ils nous ont volées. Qu’ils rentrent tous chez eux. Avec leurs mœurs dissolues, leurs perversions sexuelles.
Les faux prophètes renchérissent : puisque les missionnaires et les colonialistes ont débarqué dans le même bateau, renions l’évangile de Jésus qu’ils nous ont apporté et retournons à nos religions traditionnelles comme le Vaudou par exemple. Ou, devenons simplement athées pour devenir d’authentiques citoyens de nos pays.
Et çà, ce n’est que le tableau des relations entre l’Europe et l’Afrique. Que dire des relations entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud ? Entre la Russie et les peuples du Caucase ? La Chine et le Tibet ? L’Amérique et les terroristes Islamistes ? En Afrique du Sud même, thème de notre journée Mondiale de Prière aujourd’hui, c’était le cas jusqu’à une époque récente. Elle est longue. Trop longue même. La liste de nos plaintes et de nos frustrations face au monde qui évolue. Et l’Afrique du Sud est là, pour nous montrer par son exemple passé, comment ces frustrations peuvent occasionner parfois des situations incontrôlables, dramatiques et tragiques.

Naaman refuse de faire de l’ombre aux fleuves de Damas que sont l’Abana et le Parpar pour faire la publicité au fleuve du Jourdain. Quant aux disciples de Jésus, ils refusent d’être à l’ombre en tant qu’hommes, pour honorer une simple femme en lui accordant les pouvoirs de prophétesse à travers l’onction de Jésus. Seulement voilà, ils savent s’y prendre pour voiler leurs réelles intentions. C’est ainsi qu’ils donnent l’impression de se soucier des pauvres alors qu’il est question d’eux-mêmes.
Mon frère, ma sœur, réfléchissons nous-mêmes : combien de fois nous avons fait obstruction nous aussi au rayonnement de l’autre ? Combien de fois nous nous sommes mis en travers les bonnes actions, juste pour empêcher qu’elles ne profitent pas à ceux que nous ne portons pas dans nos cœurs ? Que n’avons-nous pas entendu ici et là lorsqu’il s’agissait d’aider le tiers-monde ? Toutes les raisons sont bonnes pour qu’on n’aide pas le plus nécessiteux. Par exemple, le fait qu’ils ne sont pas chrétiens comme nous, ou alors que nous ne croyions pas en la sincérité de leur foi en Jésus, ou même alors le fait que nous pensons qu’on a suffisamment fait pour eux et que maintenant, il faut penser à nos propres pauvres.

Mon frère, ma sœur, devant nos folies, nos attitudes insensées et nos propensions retrogrades, voire nos comportements indignes d’enfants de Dieu, voici l’attitude de Dieu et c’est la bible qui nous la révèle : « Dieu du haut des cieux, regarde les fils de l’homme pour voir s’il y en a qui pratiquent le bien. Il n’y a aucun salut pour les hommes. Car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. » Voilà pourquoi le Psalmiste prie en ces termes : « Seigneur, si tu comptes nos fautes, qui pourra subsister ? Ta justice est trop haute, qui pourra résister ? Mais, le pardon se trouve auprès de toi Seigneur. Pour que nos cœurs éprouvent, la crainte de leur rois. » Psaume 130.

Pourquoi le Jourdain et non l’Abana et le Parpar ; demande Naaman. Et pourquoi ne vent-on pas ce parfum si cher pour aider les pauvres ; questionnent les disciples.
Quant à nous aujourd’hui : c’est, pourquoi un ou une telle et ses enfants, et non pas moi et mes enfants ? Mais pourquoi devons-nous faire ceci plutôt que cela ?
Mon frère, ma sœur, devant toutes ces questions que nous nous posons face aux changements de nos sociétés, changements de nos sociétés qui font souvent vivre ensemble ceux que l’histoire a séparés hier, Jésus a une seule réponse « aime ton prochain comme toi-même. »

Et devant nos refus de voir changer les anciennes habitudes comme Naaman et les disciples de Jésus, voici ce que le Seigneur Jésus nous dit : « Que votre cœur ne se trouble point. Croyez en Dieu et en moi. Il y a plusieurs demeures au ciel dans la maison de mon père. Si cela n’était pas, je vous l’aurais dit. Je vais vous préparer une place. Et, lorsque je m’en serai allé, et que je vous aurai préparé une place, je reviendrai, et je vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous y soyez aussi. Vous savez où je vais, et vous en savez le chemin » Jn 14. Mon frère, ma sœur, un monde nouveau se met en place pour toi et pour moi. C’est Dieu qui le met en place par son fils Jésus. Nous n’y pouvons rien. Car, Dieu ne tient pas compte de notre avis. Il ne dépend pas de ce que nous sommes mais bien de ce qu’il peut et veut faire de nous. Un nouveau monde se met en place. Pour toi et pour moi. Sachons en lire les signes. Hier, l’Afrique du Sud était un peuple morcelée, meurtrie et brisée. Aujourd’hui, elle est une nation unie, la Nation Arc en Ciel. Ne serait-elle pas la préfiguration du monde nouveau qui vient, et se qui se met en place ? Sachons lire les signes du temps. Car, ainsi parle le Seigneur Jésus : « Quand vous verrez toutes ces choses, sachez que le blé est mûr et le temps de la moisson proche. » Paroles du Seigneur. Amen.


Martine-Blanche Yéble Oga-Poupin
Prédication de la JMP (Journée Mondiale de prière)
Antibes, vendredi 03 mars 2006

 

 

19:40 Écrit par rolpoup dans Silence & paroles | Lien permanent | Commentaires (1)

01 mars 2006

La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin





La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin



 

On perçoit plus aisément les lignes de continuité de l’histoire du christianisme que ses ruptures. Ainsi, on comprend plus volontiers Thomas d’Aquin comme un continuateur de ses prédécesseurs en théologie, que comme un véritable réformateur de la pensée de son temps. Or, il y introduit une vision radicalement nouvelle de la nature, vision reçue des philosophes arabes.

En atténuant la profondeur de ce bouleversement, l’Histoire a souvent fait l’impasse sur ce que la perception cathare du monde était largement celle de tout un chacun au Moyen-Age. Et on a inventé pour le catharisme des origines manichéennes, voire zoroastriennes, qu’il ignorait totalement. Les cathares, chrétiens protestataires d’héritage patristique, origénien et augustinien, n’ont pas pu, comme tant d’autres chrétiens médiévaux, accepter le scandale que constituait le pouvoir total, et donc temporel, de la papauté.

Un refus des plus radicaux, en ce qui concerne le catharisme, qui apparaît alors aux yeux d’un Thomas d’Aquin comme un symptôme exacerbé du dualisme commun, partagé finalement jusqu’à une papauté qui se sent dotée par son instrument, le pouvoir temporel, de la respon­sabilité de dompter ce qu’elle perçoit comme un chaos qui lui fait face.

Vision éminemment dualiste, que Thomas d’Aquin, en valorisant l’idée de nature, va ébranler définitivement.

Ce livre est l’édition d’une thèse de théologie, intitulée L’héritage de St Sylvestre, la crise cathare et la réforme de Thomas d’Aquin, soutenue à l’Université de Strasbourg en 1988, récompensée par le prix ADRERUS en 1989.


Roland Poupin, La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin, Toulouse, Loubatières, 2000.

 

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Il est inconcevable que l’on continue de considérer le catharisme comme un phénomène ponctuel d’un moment donné du Moyen Age, comme une sorte de… détail. Cette approche invraisemblable fonctionne comme un serpent qui se mort la queue. Elle se nourrit de ce qu’elle relègue le catharisme sur les marges du christianisme, attribuant le dualisme ambiant à l’époque à une sorte d’importation iranienne/manichéenne. Ce faisant le christianisme non-cathare apparaît comme ayant toujours été celui que l’on ne connaît que depuis Thomas d’Aquin, un christianisme développant une valorisation de la nature.

Si le catharisme était telle quantité négligeable, voire simple fantasme de ses contemporains, qu’était-il besoin pour la papauté de déclencher contre ses protecteurs une Croisade, et de créer contre lui l’Inquisition pontificale ? Qu’était-il besoin pour Dominique de Guzman de fonder un ordre religieux visant l’éradication de l’hérésie ? Qu’était-il besoin pour Thomas d’Aquin de rejoindre cet ordre à force d’être travaillé par la préoccupation de l’hérésie, pour aller chercher chez un philosophe arabe, Averroès, des idées étrangères, au risque d’être soupçonné lui-même d’hérésie, et même condamné pour cela (à Paris en 1277) ? Qu’était-il besoin pour Thomas d’Aquin, en pleine période des Croisades en Orient, d’importer une philosophie d’origine musulmane sous prétexte qu’elle était plus favorable à la nature ? Qu’était-il besoin encore, pour les autorités universitaires de conseiller cette nouvelle philosophie à Toulouse alors qu’elles l’interdisaient à Paris ?

Si avant cela, le christianisme romain était si favorable à la nature qu’on le dit, pourquoi par exemple avait-il interdit le mariage des prêtres en plein XIe siècle, au moment où un « pré-catharisme » commençait à faire parler de lui ? Interdiction relevant d’une raison finalement dualiste : cela est largement ignoré de nos jours - où on ne sait plus comment faire pour se débarrasser de cette interdiction si étrange pour notre christianisme favorable à la nature -, mais le mariage des clercs était alors interdit au prétexte explicite que le contact du prêtre avec le Christ est incompatible avec le contact d’une épouse.

Autant de questions qu’on évite d’autant plus facilement que l’on fait du catharisme une religion indo-iranienne, un peu New-Age, religion de la réincarnation à des années-lumière de l’enseignement chrétien. C’est ainsi que se rejoignent d’une part les partisans d’un catharisme d’autant plus hétérogène à la chrétienté médiévale qu’il est plus réincarnationiste, et d’autre part ceux qui pensent qu’il faut réviser, minimiser l’importance des violences de la Croisade et de la persécution, voire les justifier au regard de la menace que l’hérésie aurait représenté pour la civilisation européenne d’alors.

Deux livres qui s’efforcent de restituer le catharisme dans son époque, comme un christianisme radical, qui dérange, qui menace les pouvoirs en place ; d’où la violence terrible exercée contre lui et ceux qui le protégeaient. Les cathares, l’âme et la réincarnation se propose de restituer le catharisme comme religion chrétienne, et non pas quelque anachronique philosophie du New-Age. La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin entend montrer combien la nouvelle théologie introduite par Thomas d’Aquin bouleverse le paysage des idées, renvoyant le christianisme antérieur, romain comme cathare, dans un monde désormais périmé. Tout cela pouvant embarrasser plus qu’on ne croit, et jusqu’aujourd’hui un édifice catholique qui connaît toujours plus de difficultés à justifier ses pratiques d’origine dualiste.


R.P.




19:05 Écrit par rolpoup dans Publications | Lien permanent | Commentaires (0)