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01 mars 2006

La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin





La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin



 

On perçoit plus aisément les lignes de continuité de l’histoire du christianisme que ses ruptures. Ainsi, on comprend plus volontiers Thomas d’Aquin comme un continuateur de ses prédécesseurs en théologie, que comme un véritable réformateur de la pensée de son temps. Or, il y introduit une vision radicalement nouvelle de la nature, vision reçue des philosophes arabes.

En atténuant la profondeur de ce bouleversement, l’Histoire a souvent fait l’impasse sur ce que la perception cathare du monde était largement celle de tout un chacun au Moyen-Age. Et on a inventé pour le catharisme des origines manichéennes, voire zoroastriennes, qu’il ignorait totalement. Les cathares, chrétiens protestataires d’héritage patristique, origénien et augustinien, n’ont pas pu, comme tant d’autres chrétiens médiévaux, accepter le scandale que constituait le pouvoir total, et donc temporel, de la papauté.

Un refus des plus radicaux, en ce qui concerne le catharisme, qui apparaît alors aux yeux d’un Thomas d’Aquin comme un symptôme exacerbé du dualisme commun, partagé finalement jusqu’à une papauté qui se sent dotée par son instrument, le pouvoir temporel, de la respon­sabilité de dompter ce qu’elle perçoit comme un chaos qui lui fait face.

Vision éminemment dualiste, que Thomas d’Aquin, en valorisant l’idée de nature, va ébranler définitivement.

Ce livre est l’édition d’une thèse de théologie, intitulée L’héritage de St Sylvestre, la crise cathare et la réforme de Thomas d’Aquin, soutenue à l’Université de Strasbourg en 1988, récompensée par le prix ADRERUS en 1989.


Roland Poupin, La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin, Toulouse, Loubatières, 2000.

 

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Considérer le catharisme comme un phénomène ponctuel d’un moment donné du Moyen Age, comme une sorte de… détail : une approche courante, qui fonctionne comme un serpent qui se mort la queue. Elle se nourrit de ce qu’elle relègue le catharisme sur les marges du christianisme, attribuant le dualisme ambiant à l’époque à une sorte d’importation iranienne/manichéenne. Ce faisant le christianisme non-cathare apparaît comme ayant toujours été celui que l’on ne connaît que depuis Thomas d’Aquin, un christianisme développant une valorisation de la nature.

Si le catharisme était telle quantité négligeable, voire simple fantasme de ses contemporains, qu’était-il besoin pour la papauté de déclencher contre ses protecteurs une Croisade, et de créer contre lui l’Inquisition pontificale ? Qu’était-il besoin pour Dominique de Guzman de fonder un ordre religieux visant l’éradication de l’hérésie ? Qu’était-il besoin pour Thomas d’Aquin de rejoindre cet ordre à force d’être travaillé par la préoccupation de l’hérésie, pour aller chercher chez un philosophe arabe, Averroès, des idées étrangères, au risque d’être soupçonné lui-même d’hérésie, et même condamné pour cela (à Paris en 1277) ? Qu’était-il besoin pour Thomas d’Aquin, en pleine période des Croisades en Orient, d’importer une philosophie d’origine musulmane sous prétexte qu’elle était plus favorable à la nature ? Qu’était-il besoin encore, pour les autorités universitaires de conseiller cette nouvelle philosophie à Toulouse alors qu’elles l’interdisaient à Paris ?

Si avant cela, le christianisme romain était si favorable à la nature qu’on le dit, pourquoi par exemple avait-il interdit le mariage des prêtres en plein XIe siècle, au moment où un « pré-catharisme » commençait à faire parler de lui ? Interdiction relevant d’une raison finalement dualiste : cela est largement ignoré de nos jours - où on ne sait plus comment faire pour se débarrasser de cette interdiction si étrange pour notre christianisme favorable à la nature -, mais le mariage des clercs était alors interdit au prétexte explicite que le contact du prêtre avec le Christ est incompatible avec le contact d’une épouse.

Autant de questions qu’on évite d’autant plus facilement que l’on fait du catharisme une religion indo-iranienne, un peu New-Age, religion de la réincarnation à des années-lumière de l’enseignement chrétien. C’est ainsi que se rejoignent d’une part les partisans d’un catharisme d’autant plus hétérogène à la chrétienté médiévale qu’il est plus réincarnationiste, et d’autre part ceux qui pensent qu’il faut réviser, minimiser l’importance des violences de la Croisade et de la persécution, voire les justifier au regard de la menace que l’hérésie aurait représenté pour la civilisation européenne d’alors.

Deux livres qui s’efforcent de restituer le catharisme dans son époque, comme un christianisme radical, qui dérange, qui menace les pouvoirs en place ; d’où la violence terrible exercée contre lui et ceux qui le protégeaient. Les cathares, l’âme et la réincarnation se propose de restituer le catharisme comme religion chrétienne, et non pas quelque anachronique philosophie du New-Age. La papauté, les cathares et Thomas d’Aquin entend montrer combien la nouvelle théologie introduite par Thomas d’Aquin bouleverse le paysage des idées, renvoyant le christianisme antérieur, romain comme cathare, dans un monde désormais périmé. Tout cela pouvant embarrasser plus qu’on ne croit, et jusqu’aujourd’hui un édifice catholique qui connaît toujours plus de difficultés à justifier ses pratiques d’origine dualiste.


R.P.




19:05 Écrit par rolpoup dans Publications | Lien permanent | Commentaires (0)

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