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05 février 2006
Tout à tous
« JE ME SUIS FAIT TOUT À TOUS »
1 Corinthiens 9, 16-23
16 Annoncer l’Évangile n’est pas pour moi un sujet de gloire, car la nécessité m’en est imposée; malheur à moi si je n’annonce l’Évangile!
17 Si je le fais de bon gré, j’en ai la récompense; mais si je le fais malgré moi, c’est une charge qui m’est confiée.
18 Quelle est donc ma récompense ? C’est, en évangélisant, d’annoncer gratuitement l’Évangile, sans user du droit que l’Évangile me donne.
19 Car, bien que je sois libre à l’égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre.
20 Avec les Juifs, j’ai été comme Juif, afin de gagner les Juifs; avec ceux qui sont sous la loi, comme sous la loi — et pourtant je ne suis pas moi-même sous la loi — afin de gagner ceux qui sont sous la loi;
21 avec ceux qui sont sans loi, comme sans loi — et pourtant je ne suis pas moi-même sans la loi de Dieu, mais sous la loi de Christ — afin de gagner ceux qui sont sans loi.
22 J’ai été faible avec les faibles, afin de gagner les faibles. Je me suis fait tout à tous, afin d’en sauver de toute manière quelques-uns.
23 Je fais tout à cause de l’Évangile, afin d’y avoir part.
Marc 1, 29-39
29 Juste en sortant de la synagogue, ils allèrent, avec Jacques et Jean, dans la maison de Simon et d’André.
30 Or la belle-mère de Simon était couchée, elle avait de la fièvre; aussitôt on parle d’elle à Jésus.
31 Il s’approcha et la fit lever en lui prenant la main: la fièvre la quitta et elle se mit à les servir.
32 Le soir venu, après le coucher du soleil, on se mit à lui amener tous les malades et les démoniaques.
33 La ville entière était rassemblée à la porte.
34 Il guérit de nombreux malades souffrant de maux de toutes sortes et il chassa de nombreux démons; et il ne laissait pas parler les démons, parce que ceux-ci le connaissaient.
35 Au matin, à la nuit noire, Jésus se leva, sortit et s’en alla dans un lieu désert; là, il priait.
36 Simon se mit à sa recherche, ainsi que ses compagnons,
37 et ils le trouvèrent. Ils lui disent: "Tout le monde te cherche."
38 Et il leur dit: "Allons ailleurs, dans les bourgs voisins, pour que j’y proclame aussi l’Evangile: car c’est pour cela que je suis sorti."
39 Et il alla par toute la Galilée; il y prêchait dans les synagogues et chassait les démons.
*
La guérison par Jésus de la belle-mère de Pierre, nous dit l’évangile selon Marc, fait que sa réputation se répand, et il est amené à guérir beaucoup de monde alentour…
Trouve-t-on une explication de cela dans le récit biblique connu sous le nom de "jugement de Salomon" (1er livre des Rois, ch. 3, v. 16-28) ? Souvenez-vous : deux femmes habitant la même maison ont chacune un enfant. Un des enfants meurt. Les femmes, affirmant chacune que c’est le sien qui est resté en vie, demandent le jugement de Salomon, qui tranche — si l’on peut dire — en ces termes : « "Coupez en deux l'enfant vivant, et donnez-en une moitié à l'une et une moitié à l'autre." La femme dont le fils était le vivant dit au roi, car ses entrailles étaient émues au sujet de son fils: "Pardon, mon seigneur! Donnez-lui le bébé vivant, mais ne le tuez pas!" Tandis que l'autre disait: "Il ne sera ni à moi ni à toi! Coupez!" Alors le roi prit la parole et dit: "Donnez à la première le bébé vivant, ne le tuez pas; c'est elle qui est la mère." »
Une sagesse qui a fait école : quelques millénaires plus tard, « au XIXe siècle, dans un petit village de Russie, deux familles cherchaient à marier leurs filles. Elles ont réussi à faire venir deux jeunes gens de très loin. Pendant leur voyage, le train est attaqué par des cosaques, et l'un des deux jeunes gens est tué. Finalement le rescapé arrive. Les deux mères s'écrient chacune que c'est bien le jeune homme destiné à sa fille. On décide de s'en remettre au jugement du rabbin.
- Coupez-le en deux, conclut-il, et chaque jeune fille aura ainsi la moitié de son corps.
- Oh non ! s'écrie l'une des deux mères. Ne le tuez pas, ma fille en trouvera un autre !
- Si ! Si ! Coupez-le ! exige la seconde.
Le rabbin montre alors la seconde et conclut :
- C'est elle la belle-mère ! »
(M.-A. Ouaknin, D. Rotnemer, La bible de l'humour juif, Paris, Ramsay - J'ai lu, 1995, p.197).
La façon dont se répand la réputation de Jésus et du cercle des disciples serait-elle de cet ordre ? — Quel amour remarquable parmi eux, si on y guérit même les belles-mères !… Voilà décidément une communauté chrétienne où comme le dira Paul, on se fait « tous à tous ».
Au-delà de la blague… Paul aux Corinthiens : « Je me suis fait tout à tous ». C’est de là que je vous propose de partir pour une réflexion en forme de bilan : nous voilà au lendemain d’un mois de prière pour l’unité des chrétiens — de la semaine universelle de prière de l’Alliance évangélique à la semaine de prière pour l’unité des chrétiens.
Une sorte de mise en perspective n’est pas inutile — à la fois bilan, réflexion sur ce qui ressort de nos rencontres et sur où on en est ; réflexion sur où l’on va et comment on y va, etc.
Je vous propose pour cela de partir de ce que Paul écrit sur la question de l’unité de l’Église en son temps, puisque c’est de cela qu’il est question dans le texte de la première Épître aux Corinthiens qui nous est proposé ce matin.
À travers les faibles et les forts, ceux qui sont sans loi et ceux qui sont sous la loi, c’est bien de la question de la pluralité de l’Église qu’il est question, incluant les jugements des uns sur les autres que cela entraîne, les uns s’estimant forts face aux autres qu’ils jugent faibles. Notons que Paul qui reprend ce vocabulaire à plusieurs reprises, et spécifiquement, de façon bien développée, dans ses lettres aux Corinthiens et aux Romains, se garde bien de jamais dire qui sont les faibles et qui sont les forts — tant il va de soi que les forts c’est nous, et les faibles, c’est les autres.
Il est question quoiqu’il en soit de la pluralité, voire de la division dans l’Église — et cela autour de rites différents.
En l’occurrence autour de ce qu’on a le droit de manger — pour ceux qui sont sans loi (ou ailleurs chez Paul, les Grecs) — et de ce qu’on s’interdit de manger — pour les juifs, qui (à l’époque, c’était tout à fait possible sans poser de problème), fussent-ils croyants au Christ, n’en continuaient pas moins, selon la loi de Moïse, à manger casher.
Voilà qui posait un problème dans l’Église : peut-on communier ensemble, juifs et non-juifs, puisque devant être séparés par l’interdit alimentaire ?
Ce qui nous renvoie, pour s’en tenir à nos jours, au problème équivalent qui est le cœur de la division de nos Églises aujourd’hui, l’impossibilité de communier ensemble. Impossibilité qui est un fait (j’y reviens) et un signe. Signe de ce que notre communion n’est pas (encore) totale, même si elle existe — et, concernant les évangéliques avec lesquels elle est possible, elle n’est pas toujours sans arrière-pensées (sur qui est faible et qui est fort).
Signe de ce que notre communion n’est pas encore totale : cela concerne notamment, chez les évangéliques, ceux qui sont strictement baptistes, sans concession ; c’est-à-dire qui, niant la validité du baptême des enfants, en tirent la conséquence qu’ils ne peuvent pas communier avec ceux qui n’ont pas été baptisés sur profession personnelle de la foi, et, en outre, pour être précis sur cet aspect de la rigueur de ceux là, par immersion.
Cela pour certains parmi les évangéliques avec lesquels nous avons prié ce mois de janvier — ce qui n’empêche par une réelle fraternité, au-delà de ces signes. Il en est de même concernant l’impossibilité de communier avec les catholiques. Ici, c’est un fait disciplinaire.
L’excommunication (qui veut dire précisément l’exclusion de la communion) portée par Rome au XVIe siècle sur les Réformateurs, nommément sur Luther et Calvin, et sur ceux qui les suivent (c’est-à-dire nous), cette excommunication n’a toujours pas été levée.
Certes on y travaille, c’est un aspect non-négligeable de l’œcuménisme, sans doute le combat actuel de l’œcuménisme, mais le travail n’est pas terminé. C’est la raison pour laquelle je préfère personnellement m’abstenir en attendant, en le regrettant, malgré l’accueil qui peut m’être offert comme occasionnellement. Il me semble que cela correspond à ce que propose Paul (on y vient). Cela tout en comprenant les protestants et parmi eux ceux de mes collègues pasteurs qui ont choisi le geste en quelque sorte prophétique de bousculer les impossibilités actuelles en en faisant volontairement fi. Il me semble que l’abstention présente l’avantage de signifier clairement l’état actuel de la question : là où on en est. Alors, où en est-on ?
Il y a en premier lieu des problèmes d’interprétation de la présence réelle du Christ à la Cène, quasiment résolus ceux-là :
nous nous accordons à admettre qu’en prenant de ce pain et en buvant de cette coupe après qu’aient été prononcées les paroles du Christ, nous avons communion à son corps et à son sang, qui ont été signifiés par ses paroles — qui requièrent qu’on les croie.
La façon dont s’effectue cette communion a été l’objet de longs débats philosophiques sur ce qu’est la substance, sur la façon dont on y a part (on connaît le vocabulaire : transsubstantiation, consubstantiation, présence réelle non locale, présence symbolique, etc.). On s’accorde plus ou moins aujourd’hui sur le fait que le débat et le vocabulaire relèvent largement de choix philosophiques qui n’ont pas grand chose à voir avec les textes du Nouveau Testament.
Les choses sont moins simples quant à la question de la « rémanence » : l’Église catholique considérant qu’une fois les paroles du Christ prononcées sur les éléments, ils demeurent corps et sang du Christ même après la cérémonie (d’où les tabernacles pour conserver les hosties dans les églises catholiques).
Mais le véritable point à dépasser, et qui n’est pas dépassé jusqu’à présent est celui du pouvoir de consacrer les éléments, qui pour l’Église catholique, n’appartient qu’à un prêtre en communion avec l’évêque de Rome, qui en reconnaît l’autorité et en reçoit pouvoir.
Dès lors l’Eucharistie consacrée par un ministre non-catholique romain n’est pas valable, et la foi requise aux paroles du Christ prononcées sur les éléments est aussi foi requise en l’autorité de l’Église romaine. Autrement dit, si un quidam prononçait les paroles de consécration, cela n’aurait aucun sens, même s’il avait des fidèles pour le croire.
Je n’ai parlé que de nos relations avec les évangéliques et les catholiques romains. Et concernant particulièrement ces derniers, du fait que le chemin de la réconciliation n’est pas achevé.
Il y a ailleurs des signes d’avancée non négligeable. Par exemple, il faut savoir que réformés et anglicans reconnaissent réciproquement la validité de leur consécration respective de l’Eucharistie ou de la Sainte Cène.
Avec les catholiques cela avance aussi. Cela a avancé sur bien des points, comme, en 1999, l’accord luthéro-catholique sur la justification, qui quoique imparfait, a le mérite d’exister. Et je ne désespère pas de voir des avancées rapides sur le point de la communion à la Cène que je viens d’évoquer : Dieu a toujours des ressources pour nous surprendre.
Mais on n’en est pas encore là. Et la question qui se pose donc en attendant, c’est que faire donc ? — surtout si on est légitimement pressé de voir ces querelles, qui ont parfois des allures de queues de cerises, prendre fin.
Que faire ? Eh bien à mon sens, il n’y a pas de recette, mais il y a quelques éléments d’orientation (et je ne parle pas du fond du travail œcuménique, mais du comportement concret en attendant ses aboutissements les plus concrets). Et des éléments d’orientation concernant nos comportements concrets en attendant me semblent se trouver, très pertinents, dans les indications de Paul.
« Je me suis fait tout à tous ». Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Paul nous l’indique dans le reste de son Épître lorsqu’il revient à cette question concernant les nourritures casher et les repas partagés (ch.11, développant son ch. 8 dont notre texte est une suite ; et il développe la même chose dans l’Épître aux Romains, ch. 14). Concrètement Paul invite à s’abstenir de nourriture non-casher, tout en expliquant qu’il n’y a aucun obstacle théorique à en consommer.
J’explique : la casherout est perçue par lui comme un pur symbole. Symbole du refus des idoles auxquelles sont consacrées les viandes courantes dans l’Empire romain d’alors : un romain, fût-il chrétien achète sur le marché des viandes consacrées et du vin offert en libations aux dieux romains, inexistants selon Paul — « il n’y a pas d’idoles » souligne-t-il (1 Co 8).
Ce refus des idoles est précisément une des choses que veut signifier la casherout, qui consiste à consacrer viandes et vin au Dieu unique. Du coup un juif, croirait-il au Christ, s’abstient de viandes non-casher.
Question : comment faire quand il s’agit de signifier l’unité juifs-païens à la Sainte Cène, partagée au cours d’un repas ? Paul reprochera à Pierre (dans son Épître aux Galates) — Pierre qui a donc manifestement tiré les mêmes conclusions que lui sur l’indifférence des nourritures non-casher —, Paul lui reprochera de participer aux repas, et donc à la communion, non-casher de païens d’un côté quand les juifs sont absents, et à celle casher de l’autre quand ils sont là.
Et on a là l’explication de l’invitation de Paul à s’abstenir : pour maintenir l’unité, juifs comme païens, mangez donc toujours casher en sachant que vous pourriez théoriquement faire le contraire. Abstenez-vous par égard pour ceux qui sont convaincus de devoir s’abstenir, qui seraient donc de fait « excommuniés », par une Cène célébrée au cours d’un repas non-casher.
Cela dit, que celui qui mange non-casher ne juge pas celui qui ne mange pas, et que celui qui ne mange pas, c’est-à-dire qui ne mange que casher, ne condamne pas celui qui mange non-casher.
Bref, si l’on transpose aujourd’hui, le « je me suis fait tout à tous » pourrait se traduire ainsi : dans la mesure où l’excommunication n’est pas levée, et même si ça me gêne, je m’abstiens, par solidarité, par égard pour le quotidien ordinaire où les choses fonctionnent ainsi, mais ne jugez pas défavorablement, ne condamnez pas ceux qui, par souci de bousculer le statu quo,… font comme si l’excommunication était déjà levée en communiant malgré tout. (D’autant plus que pour Paul, s’abstenir débouchait concrètement sur la possibilité de communier ensemble, tandis qu’aujourd’hui c’est l’inverse !)
Bref. Il n’y a pas de quoi en faire un fromage — après communion et avant dessert. Il s’agit simplement de savoir clairement comment on fait, et de le faire dans la fraternité et sans juger ni a fortiori condamner quiconque. Cela en sachant que tant que les choses ne seront pas réglées au niveau… « disciplinaire », les choses resteront compliquées. Il s’agit donc de faire pression œcuménique, et notamment sur la hiérarchie catholique, puisque côté protestant, la position officielle est celle de la table ouverte, pour que la communion spirituelle puisse être enfin signifiée dans le repas qui est censée la signifier !
R.P.
Après les prières pour l'Unité de janvier
12:35 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)