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03 septembre 2006

Cérémonies…





 

... Rites et intériorité  












Invocation :

« Donne un petit instant à Dieu et repose-toi en lui. Entre dans la chambre de ton esprit ; n’y laisse entrer aucune pensée, hormis celle de Dieu, et tout ce qui peut t’aider à le chercher ; ferme la porte et mets-toi à sa recherche. Parle, à présent, ô mon cœur ! Parle à Dieu et dis-lui : "Je cherche ton visage, c’est ton visage que je cherche." Et maintenant, Seigneur mon Dieu, viens apprendre à mon cœur où et comment de chercher, où et comment te trouver. » (Anselme de Canterbury, Proslogion.)


*


Lectures :

Deutéronome 4, 1-2
1  Et maintenant, Israël, écoute les lois et les coutumes que je vous apprends moi-même à mettre en pratique: ainsi vous vivrez et vous entrerez prendre possession du pays que vous donne le SEIGNEUR, le Dieu de vos pères.
2  Vous n’ajouterez rien aux paroles des commandements que je vous donne, et vous n’y enlèverez rien, afin de garder les commandements du SEIGNEUR votre Dieu que je vous donne.
 

*

Marc 7, 1-23
1  Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus.
2  Ils voient que certains de ses disciples prennent leurs repas avec des mains impures, c’est-à-dire sans les avoir lavées.
3  En effet, les Pharisiens, comme tous les Judéens, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ;
4  en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavages rituels des coupes, des cruches et des plats.
5  Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus : "Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas conformément à la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures ?"
6  Il leur dit : "Ésaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, car il est écrit : Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi ;
7  c’est en vain qu’ils me rendent un culte car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes.
8  Vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes."
9  Il leur disait : "Vous repoussez bel et bien le commandement de Dieu pour garder votre tradition.
10  Car Moïse a dit : Honore ton père et ta mère, et encore : Celui qui insulte père ou mère, qu’il soit puni de mort.
11  Mais vous, vous dites : Si quelqu’un dit à son père ou à sa mère : le secours que tu devais recevoir de moi est qorbân, c’est-à-dire offrande sacrée…
12  vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère :
13  vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre."
14  Puis, appelant de nouveau la foule, il leur disait : "Écoutez-moi tous et comprenez.
15  Il n’y a rien d’extérieur à l’homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur."
16  [Si quelqu’un a des oreilles pour entendre, qu’il entende.]
17  Lorsqu’il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l’interrogeaient sur cette parole énigmatique.
18  Il leur dit : "Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence ? Ne savez-vous pas que rien de ce qui pénètre de l’extérieur dans l’homme ne peut le rendre impur,
19  puisque cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s’en va dans la fosse ?" Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
20  Il disait : "Ce qui sort de l’homme, c’est cela qui rend l’homme impur.
21  En effet, c’est de l’intérieur, c’est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres,
22  adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison.
23  Tout ce mal sort de l’intérieur et rend l’homme impur."

 

*



Voilà un des textes les plus délicats concernant les rapports du Nouveau Testament avec la religion juive. Comme d’habitude, je vais défendre les pharisiens. Je propose d’aborder ce texte par ce constat qu’il pose :

« Certains disciples » de Jésus ne se lavent pas les mains.

Ce « certains » doit nous mettre la puce à l’oreille. Il suppose : « pas tous » — d’autres disciples se les lavent. Ce détail permet de comprendre l’arrière-plan de la controverse. Et la raison pour laquelle il faut traduire ici, comme souvent, le mot grec
ioudaïoï par
« Judéens » (à savoir de la région de Judée) plutôt que « juifs » (de la religion juive) ; sachant que le mot a les deux significations.

Je m’explique. Reprenons le propos : « 
les pharisiens, comme tous les ioudaïoï, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains », explique le texte ; cela contrairement à ce que font « certains
des disciples » de Jésus. Inutile de préciser qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’hygiène ! Il s’agit d’une purification rituelle ; un geste par lequel on dit que le repas est placé devant Dieu, un des aspects de l’action de grâce. Le repas est lieu de communion avec Dieu. Un rite, donc, incontestablement respectable, et que la Torah requiert des prêtres.

En Judée, donc, contrairement à ce que font certains disciples de Jésus, qui eux sont Galiléens, on reprend la pratique.

Mais l’épisode se passe en Galilée, c’est-à-dire hors Judée. Ainsi le texte a précisé d’entrée : « les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem »… À savoir de la Judée, dont Jérusalem est la capitale. On a affaire à des Judéens en déplacement. L’Évangile explique donc que ces représentants de la Judée que sont, dans ce cadre, les pharisiens, font comme on fait en Judée : ils sacrifient au rite du lavement des mains, contrairement à certains des disciples de Jésus qui sont juifs aussi, mais Galiléens, pas Judéens !… Et qui ne sacrifient pas à ce rite judéen.

C’est donc assez simple : il s’agit d’une explication préalable pour que l’on saisisse le cadre du débat. Si en revanche, on traduit par « juifs », c’est-à-dire « les adeptes de la religion juive »,on ne comprend plus rien : qu’est-il besoin de préciser « les pharisiens comme tous les juifs » ? Répétition inutile ! Ou alors est-ce que les disciples de Jésus ne seraient pas juifs ? Si, naturellement, tout en n’étant pour la plupart pas Judéens, mais Galiléens. Et « 
certains
 » d’entre eux ne sacrifient pas au rite. C’est eux qui seront pris à partie.

Et l’on sait effectivement que le judaïsme de Galilée n’est pas exactement le même, considéré par les rigoristes comme moins pur, que celui de la Judée. Au point que dans la suite des temps, et déjà, à l’époque, en diaspora, dans le reste du monde, la Judée a donné son nom à la religion de Moïse : le judaïsme ; et ses habitants à ses adeptes : d’où le fait que le mot
ioudaïoï
en grec, peut se traduire par « Judéens » (connotation régionale), comme par « juifs » (connotation d’obédience religieuse), ainsi qu’on le comprend habituellement.

C’est pourquoi lorsqu’il s’agit du reste du bassin méditerranéen, comme pour les voyages de l’Apôtre Paul, il est tout à fait raisonnable de traduire « juifs ». Mais concernant la région d’Israël/Palestine, c’est-à-dire pour les évangiles, traduire
ioudaïoï par « juifs » a quelque chose d’un anachronisme. Ici la distinction n’est pas entre juifs et Grecs, ils sont tous juifs ; les distinctions sont entre les juifs de Judée et ceux de Galilée, voire gens de Samarie. Et ioudaïoï,
selon son sens premier d’ailleurs, désigne donc les Judéens, ce qui supprime bien des difficultés.

À commencer par ce qui sans cela apparaît constamment comme un anachronique antisémitisme du Nouveau Testament, comme en tout cas une potentialité antisémite — cela si la polémique permanente oppose juifs et chrétiens ! La polémique des évangiles est entre juifs — judéens d’un côté, et galiléens (autour de Jésus), de l’autre. (Il est significatif que les premiers chrétiens seront longtemps appelés « nazaréens », terme référant, entre autres, à Nazareth en Galilée.)

Et voici le départ de la polémique de notre texte : les pharisiens venus de Jérusalem en Judée, adeptes d’un judaïsme judéen de bonne observance, se lavent les mains, « comme tous les Judéens », ou : « selon la pratique judéenne ». La pratique galiléenne, du coup suspecte aux yeux des premiers, est plus floue. Les Galiléens, sont souvent accusés d’être semi-païens : on le voit bien dans les évangiles : moins grave que les Samaritains, mais pas très net quand même.

Or Jésus est Galiléen, comme ses disciples mis en cause. Et quand arrivent des gens de Jérusalem, des Judéens, c’est-à-dire dans un monde hiérarchisé (Jérusalem est la capitale !), des gens bien placés en matière de religion — ils font remarquer à Jésus le laisser-aller de certains des siens. Comme un appel du pied qui lui est lancé pour qu’il mette un peu d’ordre dans son troupeau et rappelle la droite observance !
 

*


Et voilà que contre toute attente, Jésus, non pas cependant qu’il donne raison à ses disciples, notez bien ; — mais Jésus vole dans les plumes des représentants de Jérusalem.

Mais attention, si ce qui est ici en vue est le rituel juif, ce n’est pas ce rituel-là en particulier qui est mis en cause. Sans quoi le texte évangélique serait un témoignage historique, intéressant certes, mais cantonné dans l’histoire, celle à laquelle renvoie l’épisode, celle dans laquelle écrit Marc, peut-être, et puis c’est tout. Une polémique datée. C’est de cette façon qu’on pointe les textes contre autrui, ici les juifs, et qu’on en évacue la pertinence.

Au-delà de sa signification dans son cadre d’origine, il faut se demander si l’interpellation de Jésus peut avoir un sens général, et donc un sens pour nous qui n’avons pas cette pratique judéenne. Quel est son sens concernant les rites, et nos rites inclus ?

Un rite a pour fonction de dessiner un espace symbolique, ou un temps, qui nous permette de nous extraire de nos agitations et de nos vanités, de nous axer sur l’essentiel ; qui n’est ni économique, ni commercial, ni politique… Nous axer sur ce que nous sommes devant Dieu. Un cadeau, même si nous en comprenons mal la valeur.

Un rite n’est rien d’autre que ce que nous faisons ce matin et qui au plan de l’efficacité et du rentable de nos sociétés ne sert à rien. Comme, souvent, un cadeau de valeur.

Un rite est une façon de dessiner dans nos agitations et nos vanités la dimension de la sainteté, de la mise à part. « Que ton nom soit sanctifié ! », mis à part, prions-nous… C’est ce que signifient les rites autour du repas auxquels sont attachés les Judéens de notre texte : faire du repas un moment extrait de la vanité, un cadeau, un moment à part, placé devant Dieu.

Cela correspond au fond à cette leçon de Jésus : « vous n’êtes pas de ce monde... je vous donne ma paix, paix que le monde ne connaît pas » — au-delà de toutes les agitations et les choses dites utiles.

Le rite ne fait rien d’autre qu’ouvrir des moments et des lieux symboliques en vue de cette paix. Si notre monde connaissait la valeur de ce temps de gratuité qui coûte des Shabbatoth au juifs et des dimanches matins aux chrétiens !… Il y gagnerait probablement en santé morale par le bénéfice d’un vrai repos ! Mais… chut ! il ne faut pas trop le dire ! Il paraîtrait que ça culpabilise… Ça fait partie en tout cas de ce que l’on reproche aux pharisiens…

Alors, on continue à ne pas trouver de paix, en se donnant le prétexte que Jésus aurait dit de ne pas se laver les mains, de ne pas dessiner de moments symboliques comme les pharisiens. Or il ne l’a pas dit !

Je propose un dernier éclairage qui nous permette de bien le saisir, en comprenant l’intention des pharisiens ; cela à partir de cet équivalent dans le meilleur du christianisme : la pratique de l’intériorité précisément ; le retour à Dieu dans la liturgie de sanctification, avec confession des péchés et paroles de grâce ; le retour à Dieu dans la prière, selon, comme le dit saint Augustin, que Dieu m’est plus intime que ma propre intimité. Voilà le propos qui est dans le rituel du repas chez les pharisiens ! Est-ce hasard si les premières saintes Cènes se faisaient autour d’un repas ?

Alors au fond, n’y a-t-il que quiproquo entre Jésus et les Judéens ? Ou n’y a-t-il que volonté de Marc, qui rapporte l’épisode, de rattacher à Jésus l’abandon par les chrétiens d’origine païenne de la pratique juive concernant les interdits alimentaires ? Cela dans le cadre des débats autour de la Cène précisément, suite à la mission de Paul ? Ce serait aller au-delà de ce qu’a dit Jésus ici.


La teneur exacte, Marc vient de la citer : « ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort » ; cela illustré par l’aboutissement — aux latrines au cas où certains voudraient ne pas comprendre. « Ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort ». En d’autres termes : si le rite a valeur symbolique réelle, il n’est pas une fin en soi, ce en quoi Jésus rejoint l’interprétation de nombre de ses corréligionnaires. Ce que signifie lavement de mains ou autres
rites, c’est qu’il est des espaces et des temps de sainteté qu’il est bon de dessiner. « Venez un peu à l’écart et reposez-vous », dit-il lui aussi à ses disciples.

*


Cela est légitime, mais n’est pas une fin en soi. Cela n’est pas une fin en soi, au risque de voir cette signification légitime des rites se pervertir, parce que l’homme est prompt à tout pervertir. Ainsi le dit ce grand témoin de l’espace intérieur, l’Ecclésiaste : « Dieu a fait les hommes droits, mais ils ont cherché beaucoup de détours ».


Ici, le détour est dévoilé par Jésus à travers l’usage que certains font de la loi légitime et bonne du
qorbân, c’est-à-dire de la sanctification de tel ou tel bien pour un usage cultuel. Chose très bonne en soi, mais parfaitement perverse si elle devient un moyen de ne pas honorer ses parents, de transgresser donc, un autre commandement. Où la « pureté » serait dressée contre la charité!

Ainsi, ce n’est pas le judaïsme, ce ne sont pas les rites et ce qu’ils signifient qui sont mis en cause ; c’est le fait que
même cela
est utilisé par nos esprits retords pour ne pas obéir à Dieu.

Bref, vous connaissez l’histoire : « Seigneur, ne me dérange pas, je suis ne train de prier ! »
Que fait Jésus face aux Judéens qui veulent lui donner des leçons de direction de communauté concernant ses disciples — « rappelle-les à l’ordre quant au rite » — ? Il les renvoie à une autre question concernant le pur et l’impur :
« ce n’est pas ce qui entre en l’homme qui le souille, mais ce qui en sort »
. Bref, l’intériorité non plus n’est pas une garantie de pureté devant Dieu.

Vous vous croyez purs parce que vous accomplissez consciencieusement les rites ? Et si vous aviez tout bonnement — si nous avions, sans nous en rendre compte, donné occasion à nos faiblesses, paresses, conforts,… de tout fausser ? Si l'accès à un autre espace, qui est le sens du rite, de la culture de l’intériorité, devenue fin en soi, nous voyait alors rater sa signification : nous dégager de nous même et de nos agitations, nous rendre disponibles, pour découvrir ce pour quoi Dieu nous envoie ? C’est avec cette question que nous laisse ce texte.



R.P.
Antibes,
3 septembre 2006




« Tu es grand, Seigneur, et infiniment digne de louange : grande est ta force, et ta sagesse dépasse toute mesure. Et l'être humain, une parcelle de ta création. Tu le pousses, l'humain, qui porte en lui sa mortalité, qui porte avec lui le témoignage de son péché et le témoignage que tu résistes aux arrogants. Et pourtant, il veut te louer, l'humain, une parcelle de ta création. Tu le pousses à trouver plaisir à te louer, parce que tu nous as faits tournés vers toi et notre cœur est sans repos qu'il ne repose en toi. » (Augustin d'Hippone, Confessions.)






08:45 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)

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