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06 août 2006

La Transfiguration







"
ÉCOUTEZ-LE"... 










2 Pierre 1, 16-19
16  […] Ce n’est pas en nous mettant à la traîne de fables sophistiquées que nous vous avons fait connaître la venue puissante de notre Seigneur Jésus Christ, mais pour l’avoir vu de nos yeux dans tout son éclat.
17  Car il reçut de Dieu le Père honneur et gloire, quand la voix venue de la splendeur magnifique de Dieu lui dit: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir."
18  Et cette voix, nous-mêmes nous l’avons entendue venant du ciel quand nous étions avec lui sur la montagne sainte.
19  De plus, nous avons la parole des prophètes qui est la solidité même, sur laquelle vous avez raison de fixer votre regard comme sur une lampe brillant dans un lieu obscur, jusqu’à ce que luise le jour et que l’étoile du matin se lève dans vos cœurs. 


Marc 9, 2-20
2  … Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène seuls à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux,
3  et ses vêtements devinrent éblouissants, si blancs qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir ainsi.
4  Elie leur apparut avec Moïse; ils s’entretenaient avec Jésus.
5  Intervenant, Pierre dit à Jésus: "Rabbi, il est bon que nous soyons ici; dressons trois tentes: une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie."
6  Il ne savait que dire car ils étaient saisis de crainte.
7  Une nuée vint les recouvrir et il y eut une voix venant de la nuée: "Celui-ci est mon Fils bien-aimé. Ecoutez-le!"
8  Aussitôt, regardant autour d’eux, ils ne virent plus personne d’autre que Jésus, seul avec eux.
9  Comme ils descendaient de la montagne, il leur recommanda de ne raconter à personne ce qu’ils avaient vu, jusqu’à ce que le Fils de l’homme ressuscite d’entre les morts.
10  Ils observèrent cet ordre, tout en se demandant entre eux ce qu’il entendait par "ressusciter d’entre les morts"


*


Une semaine après que Pierre ait reconnu la messianité de Jésus et que Jésus ait annoncé aux disciples la manifestation prochaine du Royaume de Dieu (avant même la mort de quelques-uns d'entre eux), — a lieu cet événement qui inaugure l'étape décisive du ministère de Jésus et révèle à trois disciples sa nature profonde, que les autres ne connaîtrons que lors de sa résurrection.

En même temps, comme en filigrane de cette expérience, il va leur révéler, à travers l'absence qui suivra ce moment de présence intense, l'espace intérieur de leur propre relation avec Dieu.


La nature de la transfiguration

Il n'est point, à l'origine, de terme technique pour désigner la transfiguration. La tradition grecque se contente de dire "le taborion", faisant référence au lieu supposé de l'événement, le mont Thabor — lieu que ne mentionnent pas les Évangiles.

Le terme utilisé ici signifie littéralement "métamorphose", indiquant un changement profond, et que le latin a rendu par "transfiguration". De ces diverses façons s'exprime une profonde réalité quant à la nature de la relation du Christ et de son Père, qui ne sera manifestée à nouveau que lors de sa résurrection et lors de sa venue en gloire — mentionnée dans ce contexte du rappel de la transfiguration par la 2e Épître de Pierre (1, 16-19).

C'est d'un privilège insigne que bénéficient alors les trois disciples Pierre, Jacques et Jean, souvent favorisés de l'intimité de Jésus. Jésus qui prie toujours tout seul (les disciples ne savent pas comment il prie : ils le lui demandent quand Jésus leur enseigne le Notre Père — Lc 11:1-4) les gratifie parfois de sa compagnie en ces moments. Ce sera le cas au Gethsémané, c'est le cas ici. Il ne faut toutefois pas exagérer cette proximité : on voit au Gethsémané qu'il les maintient à quelque distance. Le privilège n'en est pas moins considérable. Ici, ce privilège va déboucher sur un privilège plus grand encore : la vision de Jésus glorifié. Car c'est bien de cela qu'il est question dans la transfiguration.

C'est de ce fait que la transfiguration est à rapprocher de l'annonce que fait Jésus de la venue prochaine du règne du Fils de l'Homme, sans qu'il faille y voir strictement l'accomplissement de cette prophétie. L'accomplissement est probablement à trouver dans les événements de 70, la destruction du Temple et la ruine de Jérusalem, lus comme le dévoilement de la présence de Dieu promise jusqu'au cœur de la détresse, cela à la lumière de la gloire du Christ telle qu'elle se relie à sa mort.

Sa gloire, celle de la résurrection, est en rapport tel avec sa mort, qu'en Jean, il parle, comme on sait, de sa mort comme d'une élévation (Jn 12:32-33). Par sa mort, Jésus s'identifie aux souffrances de son peuple, conformément à la prophétie d'Ésaïe (ch.53). C'est ainsi que ses propres souffrances sont une promesse de la transfiguration du peuple souffrant, situé dès lors dans le triomphe dans la faiblesse. Et c'est ainsi que le Royaume est présent dans l'accomplissement, en 70, de la prophétie selon laquelle la génération à laquelle il s'adressait quelque quarante ans avant ne passerait pas qu'elle ne l'ait vu, comme quelques disciples restés vivants. Et la transfiguration est une première manifestation de la gloire du Christ ressuscité, dont témoignent Moïse et Élie en qui sont représentés la Loi et les Prophètes.

Devant les mystères éclatants qu'ils sont en train de contempler, face à la joie, les disciples ne sont pas en mesure de saisir cette dimension des choses, qui leur a déjà été et leur sera encore scandaleuse : le Messie doit souffrir et mourir, il doit partir ; pour un départ dont Jésus précise en Jean qu'il est à l'avantage des siens (Jn 16:7). C'est ce départ qu'en ce jour de la transfiguration, les trois disciples refusent.


La réaction des disciples

Cette vérité est difficile à accepter. Peut-être, pour les disciples, d'autant plus difficile à accepter qu'ils ont été gratifiés de cette vision. Ce qui peut-être, cependant, les aidera à ne pas parler de cela avant la résurrection du Maître, comme Jésus le leur demande.

Pour les disciples, cette réalité glorieuse dont ils sont les témoins doit perdurer, la nuit doit cesser, engloutie dans la lumière. Que cette joie ne cesse jamais ! D'où le propos de Pierre : tout cela est si bon : que cela perdure ! Que tout se fige en cet instant ! Car Pierre tremble de crainte, sans doute, mais aussi de bonheur, de plénitude. Et il veut bâtir des tabernacles, puisque c'est le mot. Le même mot que Jean emploie pour parler de l'Incarnation : "il a tabernaclé parmi nous" — mais nécessairement provisoirement.

Et ce côté provisoire est désespérant. C'est pourquoi les tabernacles deviennent facilement des Temples, qui ont vocation au définitif. Le tabernacle : le lieu où se signifie la présence de Dieu parmi nous, et que l'on voudrait fixer. Mais le Temple sera détruit, comme le sera le corps de Jésus, pour une révélation plus glorieuse encore : "il vous est avantageux que je m'en aille"... afin que vous connaissiez plus pleinement la Vérité dont je suis porteur... "car si je ne m'en vais pas, le Saint Esprit ne viendra pas".

La Vérité éternelle ne se fixe pas, on ne cerne pas Dieu. Et au lieu de tabernacles, c'est une nuée qui enveloppe la présence glorieuse, ainsi dérobée aux yeux des disciples.

Et c'est dans ce mystère, opaque, qu'est révélée la vérité profonde de l'événement : "celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le". Il n'est aucun moment à fixer : il n'est qu'une vérité profonde, celle de la relation d'intimité qui lie Jésus au Père : la filiation selon laquelle Jésus révèle ce qui se peut connaître de Dieu, par ses paroles, par son être, et cela dans sa mort, son départ.


Le signe de l'absence

Car c'est là que se révèle aux disciples le cœur de leur relation avec Dieu. Cet intense moment de présence de Dieu ne signifie aux disciples le cœur de leur relation à Dieu, n'est pour eux lieu d'effusion de l'Esprit que par l'absence qui le suit et lui donne sens.

Cette révélation n'a de sens, pour la vie des disciples, que par sa cessation. La plénitude qu'ils viennent de connaître leur révèle en effet leur manque, leur incomplétude totale, en laquelle ils sauront désormais que s'établit leur relation à Dieu. Et cela ne se dévoile que par le vide qui suit l'intensité de la présence.

Et ce retrait de la Gloire qui les a un moment comblés est même nécessaire pour que leur soit vraiment révélé le manque qu'elle leur signifie, et à partir duquel ils pourront poursuivre le chemin de leur accomplissement ; ce chemin qu'ils ont été tentés d'interrompre, pensant que leur être pouvait dorénavant se clore dans le sentiment de leur plénitude.

En dehors de l'entrée dans l'infini, au jour éternel de la manifestation, de la Parousie du Christ glorieux, au jour où "Dieu sera tout en tous", il n'est aucune présence de Dieu qui ne trouve son sens dans l'absence qui la suit : "si je ne m'en vais pas, le Saint Esprit ne viendra pas". Car toute présence qui nous donnerait à penser que nous avons atteint notre accomplissement, notre perfection, serait celle d'un Dieu devenu idole. L'idole est la fixation illusoire du définitif dans le temps.

Ici la transfiguration, et l'absence qui la suit, nous donnent la différence entre Jésus et une quelconque idole, entre le Messie qui instaurera le vrai Royaume et un quelconque chef de parti à vocation totalitaire qui nous promet dans ses mensonges, qu'il a une solution simple à nos problèmes, depuis le chômage jusqu'à l'insécurité.

Notre relation au Christ est toute autre. En lui la présence de Dieu n'est ni celle d'un chef de cet ordre, ni celle  d'une idole religieuse ou autre.

C'est pourquoi, y compris en lui, Dieu doit se retirer, afin que par son absence, les moments de bonheur, de présence, de sentiment de plénitude, nous enseignent notre manque intarissable.

Si nous nous sentons en plénitude de savoir, de foi, de spiritualité, de solutions de toute sorte, n'est-ce pas parce que nous refusons que Dieu se retire ; ne le scellons-nous pas, alors, sous les tabernacles de ce qui n'est plus que notre auto-satisfaction ?

Ne sommes-nous pas alors l'être spirituellement infantile, manipulant un Dieu à son image ? Ici, à terme, la présence de Dieu n'est plus que prétexte à une boulimique consolidation de l'illusoire image d'un soi achevé.

C'est pourquoi, Dieu se retire, afin que dans le manque qu'il suscite, le Saint Esprit vienne placer la Parole de notre inaccomplissement — qui est chemin, vérité, et vie, — la Parole du Christ : "Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le".



R.P.
Antibes, 6 août 2006

  


 

09:10 Écrit par rolpoup dans Dimanches & fêtes | Lien permanent | Commentaires (0)